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édito
Tout changer pour que rien ne change…
En 1987, les usagers de drogues par voie intraveineuse (UDVI) obtiennent le droit d’ache-
ter des seringues dans les pharmacies : la première mesure de réduction des risques
liés à l’usage des drogues (RdR) entre dans l’histoire grâce à Michèle Barzach, un ministre
de droite… Depuis, de nombreux spécialistes du soin aux toxicomanes ont publiquement
reconnu s’être opposés à cette mesure, qui contredisait la lettre de l’idéologie officielle sur
l’incapacité intrinsèque des usagers à prendre en compte leur propre survie. Or, le seul véri-
table enseignement de la tragédie du sida en ce qui concerne les usagers est justement
la découverte de leur attachement primordial à l’existence, au bien-être et à la santé.
Le fait d’admettre ainsi, aux yeux de tous, que les diplômes de médecine ou de psy-
chologie ne mettent pas à l’abri de l’erreur est déjà en soi une petite révolution dont
devraient s’inspirer nombre de professionnels du soin. Mais au-delà de la capacité
individuelle à se remettre en question, cet aveu a aidé quelques spécialistes à recon-
sidérer le dialogue singulier qu’ils entretenaient avec les patients, les toxicomanes, les
usagers, quel que soit le nom qu’on leur donne. D’autres ont accepté du bout des
lèvres de chanter un air nouveau dont le refrain rime avec subvention. Mais leur convic-
tion permanente, celle sur laquelle ils ont bâti toute leur clinique, reste celle de l’auto-
destruction des consommateurs de substances illicites, quelle que soit la substance,
quels que soient les consommateurs (lire p. 38).
Aujourd’hui, quelque dix-huit années plus tard, la politique de réduction des risques a
trouvé une traduction officielle (lire p. 14) et, sur le papier, une reconnaissance quasi
générale. Cette nouvelle donne change considérablement les règles du jeu. La position
d’un groupe d’autosupport comme Asud, ne peut plus être uniquement une posture mili-
tante d’alliance avec certains professionnels, proches de nos idées. Il nous faut retrou-
ver un espace plus autonome, où notre identité d’usagers de drogues puisse nous
servir à jeter des ponts partout où il est question de « drogués », de leurs droits, ou de
leurs non-droits. C’est dans cette perspective que nous avons initié les États généraux
des usagers de la substitution (EGUS). Dorénavant, chaque année, les usagers auront
la parole, de préférence en s’adressant, comme en juin dernier, à des secteurs de
l’opinion qui ne sont pas particulièrement favorables à la RdR.
Si cette posture n’est pas nouvelle pour Asud, elle était subordonnée à des considé-
rations politiques de défense du droit à ne pas être persécuté lorsque l’on consomme
certaines substances plutôt que d’autres. Cet attachement aux valeurs qui fondent
l’autosupport reste plus que jamais d’actualité. Mais les attaques partisanes qui pré-
conisent notre asphyxie financière tout en réglant des comptes politiciens ont mainte-
nant fait long feu (lire p. 2 et 6). L’épilogue de cette saga judiciaire est le jugement rendu
au bénéfice de Jean-Marc Priez (lire p. 4) et le référentiel de la Mildt qui mentionne pour
la première fois sur un document officiel «les groupes d’autosupport et de santé com-
munautaire ». Mais attention, l’officialisation de la RdR et de l’autosupport se fait dans
des limites définies à l’avance et qui tentent de brider, sinon de neutraliser, le caractère
révolutionnaire de certaines mesures comme l’héroïne médicalisée.
En réduisant le champ des activités de la RdR officielle aux seules compétences sani-
taires et sociales, l’État nous invite implicitement à devenir ce que nous n’aurions jamais
dû cesser d’être : les représentants formels des usagers du soin aux toxicomanes. Un
défi à relever en méditant la phrase du Guépard, le héros de Tomasi di Lampedusa,
mis en scène par Luchino Visconti : « Tout changer pour que rien ne change».
Fabrice Olivet
sommaire
Citoyenneté
Chronique d’une condamnation
annoncée 4
Le mépris 6
Substitution
« Mésusage » de Subutex®8
PRODUITS
L’absinthe,
miroir de la société 10
RdR
La RdR au JO 14
festif
Réduire les risques en teuf 16
Cannabis
Kannab’history 22
Fumer pour survivre 24
Cannabis boulevard 26
international
Belfast 2005 28
Act Up au pays des Soviets 31
Les ravages de la «guerre
à la drogue» 33
Observatoire du droit
des usagers
Un chat est un chat 36
Le DrWievorka récidive 38
NOTRE Culture 39
Courrier 43
Adresses 45
directeur de la publication Éric Schneider – rédacteur en chef Fabrice Olivet – rédactrice en chef adjointe Isabelle Célérier
secrétariat de rédaction Isabelle Célérier – maquette julien@bocal.com – couverture Dominique Bée
Ont participé à ce numéro Laurent Appel, Fabrice Olivet, Éric Birambo, Patricia Bussy, Jef Favatier, Jimmy Kempfer, Ji R,
Séverine Martin, Étienne Matter, Gérald Sanchez, Mathias Marchal, Markimoon, Benoît Delavault, Benoît Noël, Emmanuelle Cosse,
Jean-Marc Priez, Éric Schneider, Alain Termolle
Illustrations Pierre Ouin, Manu Michaud, Dominique Bée
Photos/icono Stanislas Gazeaud
Imprimerie Moderne de Bayeux
Commission paritaire en cours
Asud-Journal a été tiré à 20 000 exemplaires.
Ce numéro d’Asud-journal a pu paraître grâce aux soutiens de Sidaction et de la Direction générale de la santé.