Numéro 9 : Juin/Juillet/Août 2007
§8. The Critic as Artist
Avis critique par Lou Ferreira
Petit billet d’humeur
À propos de l’ouvrage d’André Germain : Les fous de 1900 ; chapitre 1 :
Le prophète des lys et des tournesols : Oscar Wilde. Paris : La Palatine
1954.
Le Sieur André Germain, heureusement peu connu de nos jours, a
pourtant eu le loisir de sévir dans la première moitié du 20ème siècle en
rédigeant une vingtaine d’ouvrages aussi inconsistants et nauséabonds
que des articles sur les parasites jet-set, faciles à feuilleter dans tout cabinet
dentaire qui se respecte. Ce qui pose problème, c’est qu’on ne sourit plus
lorsqu’en 1954 ( !) il met bas « Les fous de 1900 ».
Donc 54 années après la mort de Wilde, bien après les conférences de
G.Luis Borges et la thèse de Robert Merle, l’écrivaillon André Germain se
propose de nous éclairer sur la relation sentimentale et intellectuelle
qu’entretenaient Oscar et son Dear Bosie. Seigneur…, c’est vous dire
l’intérêt que nous portons aux ouvrages d’un certain Lottmann ou miss De
St Pierre en 2007 : il y a entre leurs lignes l’odeur des égouts, celle qui
rappelle la mort d’une pensée structurante ou simplement belle à imaginer
parce que dame la Morale et Monsieur petit-gain macèrent dans leurs
rubriques lubrifiées.
Mais allez savoir ! Il va peut-être nous révéler une vilenie wildienne qu’il
est de bon ton –aujourd’hui encore- de dénoncer ?
Allons lui rendre visite…
Bonjour Monsieur Germain, comme nous sommes flattés de vous
évoquer ! Vraiment. Certes, nous perturbons votre promenade matinale
en enfer, mais, nous avons lu votre avant-propos pour savourer la beauté
de votre style et la profondeur de votre appréhension de la « Folie » quinze
années après la mort de Freud. Absolument éclairant :
« Les fous ; c’est dans le sens le plus honorable qu’il faut entendre ce mot. Les
facilités d’une époque exceptionnellement heureuse (…) inclinaient à rechercher
une beauté excentrique, destinée à se faner bien vite au souffle des guerres (…) »
(p.7)
Honorable. Epoque heureuse…Tout cela sonne juste, il n’y a rien à ajouter.
Les « fous » aiment la notion de respectabilité (dans sa globalité), on le sait,
et vous avez bien raison ; Van Gogh mangeait à sa faim, les enfants ne
travaillaient plus dans les mines, Wilde n’était pas censuré pour
« Salomé », La moitié de la France était antidreyfusarde et les répressions
de Monsieur Thiers avaient heureusement nettoyé la place de Paris. En
somme, rien à voir avec les répressions staliniennes de votre époque, ou
l’appel de l’Abbé Pierre pour les miséreux.
« L’avant » est toujours jouissif. Nous comprenons cela, mais ne sous-
estimez pas les effets pervers de la nostalgie Monsieur Germain ; elle
moque la mémoire et le savoir de l’homme avec un aplomb déconcertant,
et cela donne un ouvrage tel que le vôtre : la suffisance petite- bourgeoise
de l’après-guerre au service de la médiocrité intellectuelle sectaire de
surcroit. Ce n’est pas très grave en soi, mais cela fait toujours des petits
aujourd’hui, et dans notre actualité, ce n’est pas facile à vivre.
Mais reprenons votre pensum sur ce cher Oscar.
« Wilde, lui, ne pourra que conserver un rang, dont on ne l’a d’ailleurs guère
délogé, parmi les aimables conteurs de second ordre de la littérature anglaise »
(p.9)
Bien vu. Mis à part qu’il demeure un des auteurs le plus joué au monde
après Shakespeare, il est de plus en plus respecté dans les milieux
littéraires et philosophiques, de nombreux artistes (tous univers
confondus) lui vouent un culte -parfois démesuré-, mais en font un
prophète de l’esthétisme -décadent ou non- et il est l’auteur de travaux
sérieux sur l’Art et une approche politique de l’Individualisme. Ceci dit,
vous ne vous trompez pas de cible : Wilde fait beaucoup vendre et son
histoire sulfureuse homosexuelle (pléonasme) lui assure une réputation
que vous et vos « descendants » entretiennent avec délectation pour
renflouer vos caisses, soulager votre conscience et vous empêcher de
penser.
Avez-vous lu Oscar Wilde ?
Evidemment non. Ou seulement parcouru certains textes avec deux
neurones. Vous ne faites allusion à aucune de ses œuvres avec précision,
mis à part « Le portrait de Dorian Gray », et vous notez sur un ton que l’on
devine péremptoire, la seule remarque qui vous rend seul au monde
désormais :
« La conception de la vie qu’apportait ce frivole prophète, il l’a surtout exprimée
dans son unique roman, Dorian Gray. Je me demande si on le lit encore. Naguères,
j’ai essayé de le relire ; si voulu, si bâclé, il m’est tombé des mains. »
Isaure de St Pierre vous doit un orgasme.
Mais diantre, nous n’avons pas le temps de respirer que déjà vous
renchérissez avec une découverte qui vaut tous les commentaires sur les
œuvres de Wilde ! (la presse « people » vous vénèrerait aujourd’hui) : En
1911 vous rencontrez (vous aussi), Lord Alfred Douglas.
Le divin aristocrate vous soulage, vous êtes désormais convaincu de
l’avarice et des rancœurs de Wilde à l’égard de son ange lorsqu’il vous
montre ses carnets de chèques et « De profundis ». (Pour vous, ce sont
deux preuves de même ordre), Elles ont détruit ce petit monsieur et vous
pouvez à loisir comparer leur tragédie à celle de Verlaine et Rimbaud. Du
moins, Bosie demeure un Rimbaud éperdu et Wilde, qui n’est pas l’ombre
d’un Verlaine, ne mérite sur-tout aucun respect posthume.
Il nous faut abréger tant le ridicule peut décidément fatiguer : je résume
vos propos puisque ce n’est pas ce qui nous préoccupe vraiment : En clair,
les poèmes de Douglas sont très supérieurs à ceux de Wilde, le
nationalisme du Lord bien qu’étant insupportable, ne l’empêche
nullement d’être un anglais « convenable », son unique passion a été son
épouse et elle méprisait très justement- les textes du paon irlandais, de
plus, grâce à ce cher Bosie, Wilde a pu être décemment entertant ses
amis -Ross en particulier- se sont agités stérilement les trois dernières
années de sa vie.
D’ailleurs votre amie Lucie Delarue-Mardrus vous l’a confirmé. C’est vous
dire le sérieux avec lequel il faut approcher vos analyses sur l’esthétisme
de Wilde…
(Mais au fait, vous n’en n’avez pas touché un mot !
Ce n’est pas grave).
Bon, vous êtes assez amusant vous aussi, mais nous vous laissons enfin.
Votre errance est épuisante, il n’y a même pas Lucie pour vous proposer
un thé.
Revenons parmi nos amis qui ont s’ennuyer avec ce rappel de faits
calomnieux et mensongers à l’égard d’Oscar Wilde, (ce qui est toujours
très banal) ; Ce n’est pas cela qui est désespérant, c’est l’angoisse qui nous
étreint lorsque l’on se rend compte qu’il n’y a Rien dans l’ouvrage de Dédé
Germain. On tombe. Dans le Vide.
L’archéologie de la pensée de tous les auteurs qui se risquent sans honte à
évoquer Wilde avec autant de légèreté (et au final du mépris), est
insignifiante parce qu’elle se base sur une sorte de névrose chrétienne qui
stérilise la valeur de la critique. En plus clair, la morale qui salit une idée,
ou l’originalité d’une pensée est toujours indécente parce qu’elle se lit
toujours plus vite et se vend surtout sans peine. Soixante ans après le
torchon d’André Germain, l’éthique judéo-chrétienne a besoin du sang de
Wilde pour justifier la condamnation de son hédonisme et de l’effet (réel)
du génie esthétique de l’auteur dans le monde moderne.
S’il nous semble difficile de comprendre pour quelles raisons la
Philosophie, (qui se doit d’inviter à vivre mieux), commence timidement
à prendre au sérieux l’Esthétique de Wilde, nous devons (au moins)
souligner une contradiction -encore banale- et en même temps
surprenante en dehors de la Philosophie :
Si Oscar Wilde n’avait pas eu le souci de la provocation pour un vouloir-
vivre sans idéalité prédéfinie, comment se seraient enrichis ceux qui
condamnent sa débauche et son absence de talent littéraire ? Toutes les
théories morales nourrissent les chroniqueurs de troisième ordre tels
qu’Isaure de St Pierre, ou même les délires religieux à Moscou ; et, dans le
même mouvement ils sont incapables d’admettre à quel point ils le
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