Incidence de la crise financière sur les pays émergents

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L’INCIDENCE DE LA CRISE FINANCIERE INTERNATIONALE
SUR LES PAYS EMERGENTS
CHRISTIANE RUBEIZ Chargée d’enseignement à la FGM
RÉSUMÉ
La crise financière qui s’est déclenchée au cours de l’été 2007, avec lamplification des
défauts sur les prêts hypothécaires subprime aux Etats-Unis est provenue cette fois des
pays développés (ou "avancés") et non des pays émergents. Les économies émergentes
ont relativement résisté au ralentissement de la croissance aux Etats-Unis et en Europe
jusqu’au premier semestre 2008; date à partir de laquelle la crise a commencé à
s’intensifier, ravivant l’aversion aux risques et faisant tarir les flux de capitaux vers les
pays en développement.
Cette crise financière qui s’est étendue aux marchés émergents a relevé des
craintes de risques systémiques pour le système financier international. Toutefois, les
économies émergentes dont les fondamentaux étaient solides avant la crise ont été moins
touchées. La détérioration des conditions de financement a été plus importante dans les
pays ayant de lourds déficits de leur balance commerciale et de surabondance d’octrois
de crédits avant l’intensification de la crise financière.
L’objet de cet article est de vérifier si les pays mergents", qui représentent près
de 50% de l’économie mondiale sont désormais découplés des mouvements cycliques des
économies "avancées" tout en examinant les conséquences de cette crise qui continue de
prendre de l’ampleur sur les économies émergentes.
INTRODUCTION
L’expression "marchés émergents" (ou "pays émergents", ou "économies émergentes") est
traduite d’une formule de Van Agtmael (1981, "Emerging Markets"), caractérisant des
économies en phase de sortie du sous-développement: elle se réfère à des économies à
revenu intermédiaire et à fort potentiel de croissance, qui s’ouvrent sur l’économie
mondiale et connaissent des transformations institutionnelles et structurelles d’importance.
Jim O’Neill (2003) forgeait lacronyme BRIC pour désigner les quatre pays émergents
(Brésil, Russie, Inde, Chine) appelés à jouer un le de premier plan dans l’économie
mondiale. Les pays émergents, dans leur ensemble, connaissent un accroissement de leur
revenu par habitant et donc de l’augmentation de leur part dans le revenu mondial tout en se
caractérisant par leur intégration rapide à l’économie mondiale d’un point de vue commercial
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(exportations importantes) et financier (ouverture des marchés financiers aux capitaux
extérieurs).
L’évolution de l’économie mondiale au cours de 2008 a é marquée par
l’interaction de trois forces puissantes:
- lascension de la crise financière qui a freiné l’expansion de certains pays avancés,
- la poursuite d’une croissance vigoureuse dans les pays émergents et en développement,
- l’intensification des tensions inflationnistes partout dans le monde, en partie sous l’effet
de la flambée des prix des matières premières.
Par ailleurs, le contexte économique et financier international a considérablement
changé: à la suite de la faillite de Lehman Brother à la mi-septembre 2008, la crise
financière a pris une nouvelle allure, affectant l’économie réelle.
Même s’il est difficile den prévoir les évolutions et les effets dans la durée sur
l’économie mondiale, on peut toutefois en tirer certaines conséquences pour les pays
émergents à l’horizon 2009-2010.
Les perspectives de croissance tant pour les pays développés que pour les pays en
développement se sont considérablement assombries et la possibilité d’une grave
récession mondiale ne peut pas être écartée
1
.
Globalement, le PIB mondial, mesuré au taux de change à parité de pouvoir
d’achat (PPA), s’est accru de 4,9 % en 2007. À partir du quatrième trimestre 2007,
l’activité s’est ralentie dans les pays avancés, en particulier aux États-Unis, où la crise du
marché des crédits immobiliers à risque subprime a eu des retombées sur un grand
nombre d’institutions et de marchés financiers. Bien que la croissance ait aussi fchi à la
même date dans les pays émergents et en développement, elle est restée vigoureuse, en
termes absolus, dans toutes les régions. D’ailleurs, une récession marquée s’est installée
mi-2008 en Europe, au Japon et plus récemment aux Etats-Unis. Cette récession devrait
se prolonger jusqu’en 2009, entraînant une baisse de 0,1% du PIB des pays à revenu
élevé. Dans les pays en développement, la croissance devrait ralentir pour se chiffrer à
4,5% en 2009, contre 7,9% en 2007 et 6,3% en 2008
2
. Linflation devrait fléchir pour
sétablir à % en 2009 et 5% en 2010, contre 9½% en 2008 et la croissance
1
Perspectives de l’économie mondiale (2009), « Un resserrement des conditions de crédit ralentira
grandement la croissance des investissements et du PIB », Fonds Monétaire International, World Economic
Outlook, 28 janvier.
2
sumé des Perspectives Mondiales-(Annexe n° 1).
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économique des pays émergents et en développement devrait accuser un net
ralentissement
3
et tomber à 3¼% en 2009, contre 6¼% en 2008 et ce en raison:
- de la baisse de la demande d’exportations et du financement des exportations,
- de la diminution des cours des matières premières,
- d’un durcissement très pronondes conditions de financement extérieur (surtout pour
les pays qui affichent des déséquilibres extérieurs imposants)
4
.
Nous adopterons la démarche suivante: après avoir rappe lorigine de la crise
financière et les phénomènes de contagion (Partie I), nous examinerons les
fondamentaux de croissance formant l’immunité et la résistance des pays émergents
(Partie II), et enfin, nous évoquerons les conséquences de la crise financière sur les pays
émergents (Partie III).
I. Lorigine de la crise financière et les phénomènes de contagion
Le premier diagnostic possible de l’origine des crises financières interprète celles-ci
comme étant le résultat de la fragilité intrinsèque des pays concernés, notamment en
matière de politique monétaire expansionniste, de déficit public, d’endettement excessifs,
de déficiences du système bancaire, etc. (Tatsuyoshi Miyakoshi [2000]). D’autres travaux
tendent cependant à montrer que lextension des crises peut s’opérer selon des
mécanismes de contagion ne s’expliquant pas par des données fondamentales des
économies affectées (Van Royen [2002], Collins et Biekpe [2002]).
Le terme contagion est utilisé afin de qualifier les situations de transmission et de
propagation des chocs ou des déséquilibres des marchés (Dorunbush et al. [2000]). La
définition de la contagion, au sens large, avancée par la Banque Mondiale (2002) est la
suivante: "Contagion is the cross-country transmission of shocks or the general cross-
country spillovers effects. Contagion can take place both during "good" and "bad" times.
Then, contagion does not need to be related to crises. However, contagion has been
emphasized during crisis times"
5
.
3
Pays en développement: Croissance et Indicateurs Correspondants-(Annexe n° 2).
4
Perspectives de l’économie mondiale (2009), « La crise mondiale met la politique économique à rude
épreuve », Fonds Monétaire International, World Economic Outlook, 28 janvier.
5
Outre la définition au sens large, la Banque Mondiale énonce deux autres définitions (restrictive et très
restrictive):
- Restrictive definition: "Contagion is the transmission of shocks to other countries or the cross-country
correlation, beyond fundamental link among the countries and beyond common shocks".
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Le processus de propagation est observé à travers une augmentation significative
de la probabilité d’une attaque spéculative contre un pays (Eichengreen et al. [1996]), les
effets de spillover de volatilité d’un marché financier à un autre, ou bien à travers les co-
mouvements des prix des actifs, à savoir le taux de change, les indices boursiers, les
obligations souveraines, les taux d’intérêt (Pericoli et Sbracia [2001].
Certains auteurs considèrent qu’il y a contagion, dès qu’il y a influence mutuelle
et que les voies de la contagion sont celles de l’interdépendance qu’elle soit réelle
(Eichengreen, Rose et Wyploz [1996]; Glick et Rose [1999]) ou financière (Van
Rijckeghem et Weder [2000] et [2001]); il s’agit alors d’une contagion mécanique ou
"fundamental based contagion" (Calvo et Reinhart [1996]; Kaminsky et Reinhart [1999]).
D’autres auteurs n’acceptent l’idée de contagion que si elle est associée à une
augmentation exceptionnelle et transitoire de l’intensité des interdépendances
économiques. Il s’agit de théories contingentes aux crises qui soulignent le rôle du
comportement des investisseurs. La contagion est alors "psychologique" (Marais [2003]),
"pure" (Masson [1998]) ou appelée encore "shift Contagion" (Forbes et Rigobon [2000].
3.1. Les facteurs endogènes
Les crises successives revêtent de grandes similarités quant à leur déroulement
(pertes de réserve, fuites de capitaux, brusque dépréciation du taux de change et enfin une
récession brutale permettant d’ajuster la balance courante). Les travaux empiriques,
comme ceux de Kaminsky, Lizondo et Reinhart (1997), ou ceux menés au sein du Fonds
Monétaire International, de la Banque Mondiale et dans plusieurs Banques Centrales
(notamment la Banque Fédérale de réserve de New York, la Banque du Canada, la Banque
Fédérale d’Allemagne, la Banque Nationale d’Autriche) analysent les variables
économiques d’un grand échantillon de pays sur une longue période.
La comparaison de périodes de crises et de non crises à l’aide de différents outils
statistiques montre que l’évolution de certaines variables économiques, comme
notamment un creusement brutal de la balance courante, peut être corrélée à l’apparition
ultérieure de crises (Kaminsky et Reinhart [1996]). Ces variables ainsi identifiées peuvent
être utilisées pour déduire des probabilités de crise à chaque période, pour chaque pays, à
un horizon donné (Frankel et Rose [1996], Berg et Patillo [1998], Kaminsky et Reinhart
[1997], Corsetti, Pesenti et Roubini [1998], Milesi-Ferretti et Razin [1998]). Il existe une
abondante littérature empirique également sur l’analyse des déterminants des crises de
balance des paiements (Eichengreen, Andrew, Rose et Wyplosz [1994], Kaminsky et al.
[1997], etc.). La plupart des auteurs s’accordent à souligner le rôle primordial joué par les
facteurs macro-économiques (un creusement brutal de la balance courante, le niveau
des réserves de change, etc.) dans la survenance des crises.
- Very restrictive definition: "Contagion occurs when cross-country correlation increase during crisis
times relative to during tranquil times".
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3.2. Les facteurs exogènes
La logique de la contagion pure est résumée dans la littérature par la réalisation
d’une crise autoréalisatrice. Masson (1998) a démontré qu’une crise dans un pays peut
coordonner les anticipations des investisseurs en les changeant d’un bon à un mauvais
équilibre dans une autre économie. En argumentation, il cite les travaux de Mullainathan
(1998). Ce dernier observe que les investisseurs peuvent réinterpréter imparfaitement des
événements passés.
En effet, la survenance d’une crise peut invoquer les situations de crises
antérieures, "wake up call effect" ou "réveil général", ce qui incite les investisseurs à
réviser leurs anticipations et à assigner, par conséquent, une forte probabilité pour un
mauvais équilibre (une valuation, chute des prix des actifs, sorties de capitaux ou
défaut de dette). Ainsi, la transmission de la crise à d’autres pays se fait par
l’intermédiaire d’une modification des anticipations des investisseurs (Forbes et Rigobon
[2000], Marais [2003]) et non par l’existence de liens réels entre ces pays.
Néanmoins, Goldstein et Pauzner (2001) ont contesle travail de Masson (1998)
en soulignant la limite de son champ d’application. Ce dernier n’a pas pu expliquer par
quel mécanisme s’opère le phénomène de la contagion pure: il est impossible d’évaluer la
probabilité de chaque équilibre et, par conséquent, il n’est pas possible de saisir
explicitement la "mécanique" de la contagion. A cet effet, Goldstein et Pauzner (2001)
ont trai le cas des investisseurs qui diversifient leurs portefeuilles sur deux pays.
L’occurrence d’une crise dans un pays réduit le bien être de ces investisseurs et les incite
alors à rééquilibrer leurs portefeuilles dans un souci de gestion du risque ou de liquidité
(fuite vers la qualité). Ainsi, la probabilité d’une crise autoréalisatrice augmente dans le
second pays. Certains pays risquent donc de subir une hémorragie de capitaux sans
rapport avec leurs données économiques fondamentales (FMI, 1999). Par analogie à ce
raisonnement, un créancier commun (Kaminsky et Reinhart [2000], Van Rijckeghem et
Weder [1999]) peut induire également un effet de la contagion pure. En effet, une crise
de change dans un pays réduit la capacides emprunteurs domestiques à repayer leurs
emprunts auprès des banques extérieures. Face à une large part des créances devenues
non performantes, les banques étrangères reconstruisent leurs capitaux en révoquant des
prêts dans d’autres pays (Pesenti et Tille [2000]). L’augmentation du risque peut mener à
la pure contagion et le mécanisme de la transmission de cette contagion se fera à travers
les portefeuilles des investisseurs internationaux (Kumar et Persaud [2001]).
Un autre mécanisme de contamination souligne le rôle des interdépendances
commerciales entre le pays originaire de la crise et le pays contaminé. Ce mécanisme est
celui du marché tiers (Glick et Rose [1998, 1999]). En effet, la dévaluation suite à une
crise de change dans un pays réduit les exportations et accroît les importations des
partenaires commerciaux. L’engrenage de la contamination commerciale et cambiaire est
un mécanisme traditionnel bien connu de transmission des difficultés économiques; ce
canisme participe d’une détermination exogène de la crise. En effet, dans les pays
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