Profils d`expression génique et Puces à ADN dans le cancer du sein

Malgré les progrès accomplis ces dernières années, la survie des patientes atteintes
d’un cancer du sein stagne autour de 70 % à cinq ans. Les indications thérapeu-
tiques sont basées sur des facteurs pronostiques (« choix du patient ») et prédictifs
de la réponse thérapeutique (« choix du protocole ») qui, globalement, ont peu
évolué depuis une quinzaine d’années. Ces facteurs, histologiques, cliniques et
moléculaires, sont insuffisants pour rendre compte de l’hétérogénéité évolutive de
la maladie, conduisant un certain nombre de patientes vers des traitements
inadaptés, toxiques, inutiles ou inefficaces, et traduisant l’existence de sous-classes
pronostiques non identifiées par ces approches classiques. Etant donné la disponi-
bilité croissante de nouvelles molécules anti-tumorales, il est crucial d’améliorer la
classification pronostique du cancer du sein pour affiner les indications thérapeu-
tiques et améliorer la survie des patientes.
Face aux limites des approches conventionnelles, il est apparu que de nouvelles
percées thérapeutiques ne seraient possibles qu’à travers une caractérisation molé-
culaire plus globale, détaillée et objective de la maladie. Le cancer du sein est une
maladie génétique complexe, caractérisée par l’accumulation et la combinaison de
multiples altérations moléculaires qui confèrent à chaque tumeur un phénotype et
un potentiel évolutif propres. La nécessité d’une compréhension approfondie de la
maladie au niveau moléculaire se heurtait donc jusqu’à présent à des contraintes
techniques, donnant peu d’informations par rapport à la complexité du processus.
Depuis quelques années, la recherche biomédicale connaît une véritable révolution
avec l’apport de la génomique, fruit de deux facteurs : les avancées et les ressources
sans cesse croissantes produites par le projet Génome humain (clones d’ADN,
séquences de gènes, de protéines…) et l’essor de nouvelles technologies (bio-infor-
matique, robotique…) capables de les exploiter. Les techniques d’analyse molécu-
laire à grande échelle qui ont ainsi été récemment développées permettent d’ana-
lyser l’activité de plusieurs milliers de gènes ou protéines simultanément, dans un
échantillon en une expérience, rendant plus abordable la complexité moléculaire
des tumeurs. L’hypothèse, confirmée par les travaux publiés, est que l'étude d'une
Profils d’expression génique et Puces à
ADN dans le cancer du sein : choix du
patient, choix du protocole
F. Bertucci
combinaison de molécules impliquées dans un phénotype complexe est plus infor-
mative que chaque molécule prise isolément. Pour des raisons techniques, ce typage
à grande échelle s’est d’abord focalisé sur l’étude du transcriptome (ensemble des
ARN d’un échantillon) au moyen de la technique des puces à ADN qui mesurent de
manière quantitative le niveau d’expression au niveau de l’ARN (1, 2). Les applica-
tions attendues sont multiples aux niveaux fondamental, clinique et thérapeutique
(3). Au niveau clinique, plusieurs publications ont notamment suggéré l’impact de
cette approche dans l’évaluation pronostique des tumeurs, le cancer du sein en par-
ticulier.
Puces à ADN ou DNA micro-arrays
Le principe repose sur l'hybridation d'un jeu ordonné de gènes cibles (représentés
par des clones d’ADN complémentaire ADNc ou des oligo-nucléotides) immobi-
lisés sur un support solide (puce ou array) avec une sonde complexe produite par
rétro-transcription et marquage à partir d'un ARN d'intérêt (figure 1). Elle est dite
complexe car elle contient, en solution, de nombreuses séquences d'ADNc en quan-
tités variables, correspondant aux abondances des espèces d'ARNm dans l'ARN de
départ. L’hybridation sur la puce aboutit à la fixation sur chaque gène cible d’une
quantité de l’espèce correspondante d’ARNm de la sonde, proportionnelle à son
abondance dans l’ARN de départ. Après lavage et acquisition de l’image d’hybrida-
tion, le signal fixé sur chaque cible est détecté, quantifié et enregistré de façon auto-
matique grâce à des logiciels d’analyse. Ce signal reflète la concentration de la
séquence correspondante dans la sonde, donc le niveau d'expression du gène
concerné. Les intensités obtenues sont ensuite normalisées, permettant de dresser
pour chaque échantillon (une tumeur, par exemple) un véritable portrait molécu-
laire qui pourra alors être comparé à celui d’autres échantillons. L’objectif de cette
analyse comparative est l’identification d’une signature moléculaire (combinaison
de plusieurs gènes) permettant de définir de nouvelles classes de tumeurs sur la
seule base de leur profil d’expression (approches non supervisées) et/ou de caracté-
riser des classes de tumeurs associées à un phénotype d’intérêt (la survie par
exemple, approches supervisées) (4). Elle fait appel à des outils bio-informatiques
sophistiqués traitant l’énorme quantité des données produites.
268 Cancer du sein
Figure 1 - Principe de la mesure d’expression génique sur puces à ADN.
Profils d’expression génique et Puces à ADN dans le cancer du sein… 269
Profils d’expression et pronostic
Plusieurs études rétrospectives ont suggéré le potentiel pronostique des puces à
ADN en cancérologie mammaire à travers l’identification de nouvelles classes pro-
nostiques non identifiables par les moyens conventionnels, dans des groupes de
tumeurs d'apparence histo-clinique homogène, mais hétérogènes sur le plan évo-
lutif. Ces études ont porté sur la recherche de profils d’expression associés à la survie
sans ou avec traitement systémique (chimiothérapie CT et/ou hormonothérapie
HT) en situation adjuvante (analyse de la tumeur réséquée) ou néo-adjuvante (ana-
lyse de la biopsie tumorale avant CT), dans des formes localisées ou localement
avancées.
Lors d’une étude pilote analysant l’expression d’environ 200 gènes candidats
dans une série de 34 cancers du sein localisés, nous avons identifié, parmi des
tumeurs de mauvais pronostic traitées par CT adjuvante, deux classes d’évolution
différente en terme de survie. Cette discrimination résultait de l’expression différen-
tielle de 23 gènes (5). Nous avons ensuite analysé l’expression d’environ 1 000 gènes,
incluant les 200 précédents, dans une population théoriquement homogène de 55
tumeurs localisées, de mauvais pronostic (6). Toutes les patientes avaient reçu une
CT adjuvante à base d’anthracyclines. Nous avons dans un premier temps validé
l’intérêt pronostique de notre jeu de 23 gènes dans cette série indépendante de
tumeurs. Une analyse plus approfondie a ensuite identifié une signature de
40 gènes, directement dérivée de la précédente, qui affinait la classification en dis-
tinguant trois classes de patientes équilibrées sur les facteurs pronostiques clas-
siques, mais présentant une survie globale et sans métastase significativement diffé-
rente sur un suivi médian de cinq ans (figure 2). Une étude de validation rétrospec-
tive est en cours aujourd’hui au niveau uni- et multicentrique.
Figure 2
Représentation en 2D des résultats de classification hiérarchique des 55 tumeurs en fonc-
tion de l’expression respective des gènes du cluster I (25 gènes corrélés à ESR1 qui code
pour RE) et des gènes du cluster II (15 gènes). Pour chaque classification (attention, celle
concernant les gènes du cluster II a été pivotée de 90° pour des raisons de représentation
graphique), chaque ligne représente un gène et chaque colonne représente une tumeur. Les
gènes sont référencés par leur symbole LocusLink et les tumeurs par un numéro. Les
numéros des tumeurs avec une évolution fatale sont notés en rouge. Pour chaque gène, les
niveaux d’expression sont rapportés au niveau d’expression médian à travers toutes les
tumeurs et sont représentés par une échelle de couleur allant du vert pour les gènes sous-
exprimés au rouge pour les gènes sur-exprimés. La classification hiérarchique a été appli-
quée aux échantillons et aux gènes sur la base d’une similarité des niveaux d’expression
génique : les échantillons les plus similaires entre eux sont regroupés sur l’axe horizontal,
de même que les gènes sur l’axe vertical. La longueur des branches du dendrogramme
reliant les éléments reflète leur degré de similarité. La représentation croisée en 2D définit
quatre groupes de tumeurs (A, B, C et D). Les carrés noirs indiquent les patientes en vie au
dernier suivi et les carrés rouges les patientes décédées de leur maladie. Trois classes de
patientes (A, B+C, D) sont définies avec une survie significativement différente.
– Courbe de survie sans métastase pour les trois classes.
– Courbe de survie globale pour les trois classes.
270 Cancer du sein
Figure 2 - Classification pronostique de 55 cancers du sein localisés en fonction de l’expres-
sion de 40 gènes discriminants.
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