Un autre mouvement réformiste, l’Arya Samaj (créé en 1875), emboîta le pas :
bien qu’il prit une position plus polémique que les brahmoïstes contre les missionnaires
chrétiens, il professa le monothéisme et mena une campagne active contre le culte des
idoles. Ensuite, la Société Théosophique syncrétiste, en partie indienne et en partie eu-
ropéenne, ajouta les idées plus originales de l’interaction hindoue-bouddhiste-chré-
tienne et des dénominateurs communs mystiques, par ex.
en expliquant le concept
chrétien de « Royaume de Dieu » comme désignant un état de conscience yogique
bienheureux
. Le Brahmo Samaj et la Société Théosophique, bien que numériquement
faibles, étaient très influents parmi la bourgeoisie anglicisée, alors que l’Arya Samaj
exerçait une forte influence sur le mouvement de libération national de l’Inde et sur le
nationalisme hindou. Bien que les critiques contre le culte des idoles et la participation
aux festivals hindous populaires firent place à un compromis avec la majorité hindoue,
certaines innovations doctrinales persistèrent et commencèrent à influencer la majorité.
Il ne faut donc pas être surpris que de nombreux hindous aient intériorisé certains con-
cepts chrétiens, avant tout un préjugé hautement favorable concernant la personne de
JĂ©sus Christ.
Avec le recul, nous pouvons dire que cette incorporation partielle d’éléments
chrétiens fut la défense la plus efficace de l’hindouisme contre l’attrait des campagnes
de conversion chrétiennes
dans les circonstances de la domination coloniale chrétienne
.
Au lieu d’affronter le christianisme, cette approche neutralisait son attrait en compre-
nant Jésus selon des termes hindous, comme un maître spirituel, vénérable mais seule-
ment un parmi beaucoup d’autres, pas comme un sauveur unique.
En donnant une
place à Jésus, elle fit apparaître l’acceptation de tout l’ensemble doctrinal chrétien
comme superflue
. Les hindous modernes, y compris le Mahatma Gandhi, commencè-
rent au contraire à évaluer toutes les religions comme étant des « chemins » à peu près
Ă©quivalents conduisant au mĂŞme but.
La plupart d’entre eux ne comprennent pas que
cette idée n’est pas bien accueillie mais plutôt abhorrée par les chrétiens traditionnels
.
L’incorporation de Jésus dans la tradition spirituelle indienne prit une forme
plus concrète avec
la croyance que Jésus aurait appris son métier en Inde avant d’aller
faire une tournée de prédication mouvementée en Palestine d’où il serait revenu pour
rester au Cachemire et y rendre son dernier soupir à l’âge mûr de 115 ans
(par ex.
Kersten, 1986). Cette affirmation d’un séjour de Jésus parmi les yogis indiens s’entend
fréquemment parmi les hindous, les théosophistes, certains musulmans d’Asie du Sud
et même – puisque la spiritualité indienne est souvent internationalement identifiée à sa
variante bouddhiste – parmi les bouddhistes, du Japon à la Californie. En 1983, j’ai as-
sisté à une conférence du maître Zen japonais Hogen-San, où il montra la photogra-
phie d’une ancienne peinture représentant soi-disant une rencontre entre le Bouddha et
le Christ !
Cette histoire vient apparemment des
Ahmadiyas
, une secte musulmane fon-
dée à la fin du XIXe siècle par Mirza Ghulam Ahmad. Il prétendait être un prophète,
défiant le dogme islamique selon lequel Mahomet est le prophète final. La croyance
que JĂ©sus, un prophète de haut rang dans l’islam, avait vĂ©cu en Inde, Ă©tait destinĂ©e Ă
soutenir l’affirmation de Ahmad que l’Inde, bien qu’éloignée de la patrie moyen-orien-
tale des religions abrahamiques, pouvait cependant être le lieu d’une mission légitime
d’un prophète. Cette croyance reçoit parfois le soutien additionnel de la théorie médié-
vale tardive selon laquelle les
Pathans
, qui vivent juste à l’ouest du Cachemire, sont
les descendants des tribus perdues d’Israël, ce qui expliquerait que les parents juifs de
Jésus aient pu envoyer leur fils parfaire son éducation chez des parents éloignés au
nord-ouest de l’Inde. Ou bien qu’une théorie excentrique peut contenir une autre