La présente thèse entend donner sens à un concept qui occupe une place centrale
au sein de la pensée de Theodor W. Adorno mais qui, parce que notoirement
difficile à définir, n’a pas reçu l’attention qu’il mérite : la mimêsis (Mimesis). Il
s’agira, plus exactement, de comprendre la mimêsis comme un point nodal de la
critique adornienne, qui nous permet de comprendre au nom et en vue de quoi elle
se déploie. Car sous toutes ses acceptions – et nous verrons qu’elles sont fort
variées – la mimêsis adornienne est toujours invoquée dans le but de contrecarrer
les tendances hétéronomes (c’est-à-dire : déshumanisantes) propres aux sociétés
capitalistes avancées. Surtout, elle est constamment présentée comme un correctif
matérialiste au type de rationalité abstraite qui sous-tend ces sociétés.
Cette tâche s’avère d’autant plus lourde que, malgré son important poids normatif,
la mimêsis ne fait pas l’objet, chez Adorno, d’une théorisation explicite. Il nous
faudra pallier cette indétermination, en identifiant d’abord les assises normatives
les plus premières de la critique adornienne (0.0. Introduction : les fondements
normatifs de la critique adornienne), pour ensuite rendre compte des fonctions
particulières qu’occupe la mimêsis au sein de cette critique (1.0. Les fonctions
critiques de la mimêsis adornienne). Ce travail de débroussaillage exégétique et
interprétatif nous permettra de constater que la mimêsis adornienne recèle trois
types de potentiels critiques distincts. D’abord, en ce qu’elle est présentée – dans
les travaux des années 1930 et 1940 surtout – comme une impulsion
psychosomatique à même de trahir, l’instant d’une brève résistance, la violence
infligée à la nature intérieure et extérieure de l’homme par les forces réificatrices
de la rationalité instrumentale (Instrumentelle Vernunft), la mimêsis adornienne
peut être comprise comme un mimétisme (Mimikry) bioanthropologique dont la
valeur est principalement expressive (2.O. Mimikry : le potentiel
bioanthropologique de la mimêsis). Ensuite, lorsqu’elle sera pensée – à partir de la
fin des années 50 surtout – comme une compétence proprement épistémique qui
permet au sujet connaissant de rencontrer à nouveau puis de redéterminer les
objets de son expérience, la mimêsis adornienne peut être comprise comme un
correctif critique à la logique appropriative de la pensée identifiante
(identifizierendes Denken) (3.O. Affinität et Entäusserung : le potentiel
épistémique de la mimêsis). Enfin, dans la mesure où elle informe le modus
operandi de l’œuvre d’art d’avant-garde telle que défendue par Adorno dans la
Théorie esthétique, et qui consiste à détourner, en les retournant contre elles-
mêmes, les contraintes imposées par le monde totalement administré (total
verwaltete Welt), la mimêsis peut être comprise comme une Methexis subversive,
c’est-à-dire comme une stratégie séditieuse à même de conjurer l’hétéronomie
sociale en l’anticipant et en l’incorporant (4.0. Methexis subversive : le potentiel
stratégique de la mimêsis). Ainsi, tout en voulant rendre justice à la très grande
polysémie du concept, nous aimerions démontrer que la mimêsis adornienne
pointe constamment vers une forme ou une autre de résistance : comme
expression, comme extériorisation ou comme subversion.
Mots clés : Philosophie – Adorno – Mimêsis – Nature – Histoire – Dialectique.