Electroneurobiología vol. 12 (2), 2004
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Keywords: akhlaqi, akhlaqiyyat al-tibb wa ouloum al-hayat, bioética, bioethics, bioéthique, brain-mind relationships, esprit, guerre de velours, soul, tecnociencia, techno-science, technos-
cience, ultrahistory, ultrahistoire
Gobierno de la ciudad de Buenos Aires
Hospital Neuropsiquiátrico "Dr. José Tiburcio Borda"
Laboratorio de Investigaciones Electroneurobiológicas
y Revista
Electroneurobiología
ISSN: 0328-0446
Soigner et Guérir ?
Archéologie du divorce
entre Médecine et Philosophie
Thème d'une conférence donnée à Beyrouth le 15 mai 2004 dans le cadre de la Journée d’Etudes annuelle du
Cercle d’Etudes Psychanalytiques du Liban. La communication portait le titre initial « Soigner le Corps ; le
Guérir ? »
par
Antoine Courban1
Electroneurobiología 2004; 12 (1), pp. 148-168; URL <http://electroneubio.secyt.gov.ar/index2.htm>
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Correspondance / Contact: Acourban[-at—]cyberia.net.lb
1 Conseiller Scientifique du Centre Georges Canguilhem de Philosophie et Histoire des Scien-
ces, Institut de la Pensée Contemporaine / Université Paris VII – Denis Diderot. Professeur
d’Anatomie Humaine à l’Universite Saint Josepth à Beirut. Chargé de cours d’Éthique Médicale
à l’USE à Kaslik. Chargé de cours d’Epistémologie et d’Histoire des Sciences à l’USJ.
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Sommaire (long): Soigner le corps, le guérir ? La présente étude se
veut un récapitulatif de l’histoire des idées qui articulent la notion de
« maladie » avec celles de « santé » et de « guérison » afin de tenter
d’en dégager certains enjeux anthropologiques. Dans une perspective
dualiste des rapports corps/âme, le plus difficile est de pouvoir dire
comment et pourquoi le « fantôme », l’âme, pénètre dans la
« machine », le corps. Cette problématique aurait sans doute dû porter
sur l’étude de la cohérence des rapports d’un cerveau donné avec une
pensée particulière à l’exclusion de toute autre. Au lieu de concentrer
leurs efforts sur cette interrogation fondamentale, les courants domi-
nants de la recherche scientifique contemporaine préfèrent lui substituer
un faux problème aujourd’hui appelé « brain-mind problem » ou
« problème pensée-cerveau ». Telle est aujourd’hui le dualisme dont
l’objet d’étude porte sur l’union d’une structure formée d’éléments éten-
dus appelée cerveau, avec un élément dépourvu d’extension mais pensif
appelé pensée. S’affichant comme « moniste », cette conception décrit
la « pensée » comme « propriété » de la structure. Cet « habillage mo-
niste » pourrait, ainsi, induire en erreur. C’est pourquoi le dualisme
semble triompher aujourd’hui. Il demeure cependant un vieil héritage
des conceptions platoniciennes qui, à leur tour, reflètent certains choix
de penseurs présocratiques2. A la lumière du paradigme antique, cet ar-
ticle parcourt les principales conceptions anthropologiques de l’antiquité
tardive et de l’époque paléobyzantine, afin de tenter de comprendre
l’évolution des idées en matière de l’union corps/âme.
Une notion clé de cette anthropologie est le caractère spécifique, non-
dissociable, de l’union d’une chair donnée avec « son » esprit. Ce nou-
veau paradigme, apparu avec le christianisme au début de notre ère,
conçoit l’union indissociable chair/esprit dans son émergence même. La
chair et l’esprit ne seraient aucunement liés grâce à leur opérations mu-
tuelles ou connectés durant leur fonctionnement, c'est à dire accouplés à
la Locke. Peu importe ce que cette émergence est, c’est elle qui confère
toute l’épaisseur constitutive ( i.e le relief ontologique ) de la personne
humaine malgré sa nature composite. Ce faisant, le nouveau paradigme
se révèle être un monisme plus authentique et non un simple
« maquillage » du dualisme par usage abusif du rasoir d’Occam. Ainsi, la
pensée n’est pas la propriété d’une structure mais appartient à
l’épaisseur constitutive de la personne. Cette dernière a donc une valeur
spécifique dans son individualité et la notion de valeur, elle-même, ne
peut donc pas renvoyer exclusivement à la transaction commerciale.
De cette vision moniste découle un corollaire d’une importance considé-
rable pour la médecine, à savoir que tout individu humain est, en soi,
2 C’est la cas de Pythagore et de Parménide par exemple.
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une globalité, une totalité insécable ( unbroken wholeness ). L’harmonie,
ou l’équilibre, c’est à dire la santé, d’une telle globalité n’est donc plus
vue comme étant un simple reflet de l’harmonie du monde. Malheureu-
sement, le faux problème « pensée-cerveau » se trouve en porte à faux
avec les choix de ce nouveau paradigme. L’obsession de la « santé », la
médicalisation accrue de la société, ainsi que la culture de l’information
font qu’aujourd’hui toutes les thérapeutiques, ou presque, se trouvent
être exposées dans la même vitrine consumériste. On comprend donc
mieux l’attitude de la psychanalyse contemporaine qui prend ses distan-
ces avec la notion de guérison, et qui se méfie du souci de guérison à
cause des leurres multiples qu’il comporte. La cure psychanalytique est,
dès lors, moins une thérapeutique ponctuelle qu’une aide offerte dans le
cadre d’un projet d’expérience de soi.
Ceci signifie-t-il que seules les maladies du corps puissent être soignées
et guéries alors que celles de l’âme seraient hors d’atteinte de la guéri-
son ? Une telle partition entre maladies organiques et maladies psychi-
ques est une question difficile mais déterminante pour notre civilisation.
Elle résulterait du divorce intervenu entre la médecine et la philosophie.
Le dualisme triomphant serait donc la résultante directe de la scission,
de la séparation entre la médecine et la philosophie. Cette séparation
s’est faite autour du problème de la maladie de l’âme, c’est à dire de la
passion qui a été évacuée de la médecine et capturée par la philosophie,
notamment stoïcienne. La partition entre maladies du corps et maladies
de l’âme, le triomphe du dualisme, ainsi que l’émergence de la théorie
stoïcienne des passions comme maladies de l’âme, sont des événements
majeurs de notre culture.
« Je ne tiens pas à mourir,
mais peu me chaut d’être mort »
( Cicéron : Tusculanes – Livre I )
Entre Hippocrate et Descartes : le dualisme
Comment récapituler la longue histoire des idées qui articulent
« maladie » avec « santé » ou encore « maladie » avec « guérison » ?
Comment rendre compte des enjeux anthropologiques qu’une telle pro-
blématique véhicule? Une clé de lecture intéressante me semble cachée
dans un psaume attribué au roi David. Cette entrée en matière, à l’aide
d’un verset biblique, pourrait paraître insolite dans la bouche d’un homme
de science. Quotidiennement, dans les monastères d’Orient et d’Occident,
l’office de l’Orthros ou de Matines comporte la cantilation du Psaume 102
où le roi David est dit chanter à lui-même :
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Mon âme bénis le Seigneur […]
C’est Lui qui pardonne toutes tes fautes,
Lui qui guérit toutes tes maladies,
C’est Lui qui arraches ta vie au trépas ( Ps. 102, 1 ; 3-4 ).
La juxtaposition, de manière séquentielle, de ces trois idées : « pardon
global», « guérison plénière» et « immortalité » est, en elle-même, remar-
quable. Elle pourrait résumer en peu de mots toute l’histoire des idées
portant sur le rapport entre les membres du couple « maladie/guérison »
ou mieux encore « santé/maladie ».
Ce chant du psalmiste nous renvoie, justement, aux enjeux anthropologi-
ques qui se profilent derrière nos conceptions de « La Maladie » et de
« La Guérison ». La maladie, quel que soit le registre de son mode de re-
présentation, demeure un concept qui renvoie à une réalité finie, celle de
tout un chacun : individu spatio-temporellement limité et qui est loin d’être
auto-suffisant. Il y a lieu de bien discerner entre « la » maladie ( concept
) ; « les » maladies ( catégories nosologiques ) et « le » malade ( le pa-
tient, le sujet ).
Le verset du Ps 102 n’a pratiquement aucun sens dans le langage scienti-
fique contemporain. Marqués, de manière inexorable, par le dualisme, la
grande majorité d’entre nous n’est pas en mesure de concevoir l’homme
autrement que par la juxtaposition, aussi mystérieuse que problématique,
de la res extensa, ou substance étendue, avec la res cogitans, ou subs-
tance pensante, du dualisme cartésien. Cette juxtaposition, par ailleurs
accidentelle, est supposée façonner l’homme durant l’écoulement de son
temps de vie. Ce vieil héritage des conceptions platoniciennes nous colle
si bien à la peau, qu’il nous paraît aller de soi. Cependant, cette concep-
tion est loin de relever du registre des évidences.
Dans cet univers mental dualiste, l’âme est implicitement conçue comme
enfermée dans la caverne/prison matérielle du corps où elle n’a pas choisi
de résider. L’âme, supposée immatérielle, est le siège d’une mobilité per-
manente, à l’image du vent ( anemós, anima ) 3. Nostalgique du monde
éthéré et/ou spirituel auquel elle appartiendrait, sa subtilité pensive se
contente d’interpréter tant bien que mal les images, et par extension les
3 Cette âme n’a pratiquement aucune consistance. Elle serait aussi légère que l’air, les nuages,
les ondes quantiques, les visions, les apparences. C’est presque un fantôme.
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influx, que le corps lui achemine passivement. Ce « flux d’information »,
pour utiliser le vocabulaire contemporain, circule sans aucun effort
d’intellection avant d’aboutir sur l’écran du petit théâtre dit cartésien où il
bâtit des théories fondamentales, qui forment l’ossature de notre vision
scientifique de l’interaction humaine avec le Réel. J’ai nommé la théorie
séquentielle et duelle de la sensation/perception ; la théorie du réflexe ou
de la réactivité ; et la théorie de l’information.
Au fond, notre principale difficulté de dualistes réside dans le fait que nous
n’arrivons pas à expliquer comment, et encore moins pourquoi, le
« fantôme » entre dans la « machine ». Il en résulte une difficulté insur-
montable à concevoir la cohérence constitutive du mélange ainsi formé.
Quoi que nous fassions, nous sommes bien obligés, à un moment ou à un
autre de notre réflexion, d’introduire un hiatus, aussi petit soit-il, entre le
registre « matériel » et le registre « immatériel ».
Il faut sans doute reconnaître aux neurosciences cognitives contemporai-
nes le mérite de vouloir sortir, à tout prix, de cet écartèlement dualiste.
Malheureusement, le monisme affiché et proclamé des sciences dites co-
gnitives est un leurre. Le cognitivisme ne fait que maquiller le dualisme en
le radicalisant vers le pole supposé « matériel », la matière étant ici com-
prise comme simple agrégat4 de molécules ou d’ondes. Dans le cadre de
ce pseudo-monisme, la pensée est présentée comme « propriété » d’un
tel agrégat ou d’une telle structure. Je ne pense pas qu’en assassinant,
ainsi, le sujet de la conscience et de la connaissance, on pourra trouver
une issue au dualisme. Tel est, me semble-t-il, le défaut de fabrication du
néo-positivisme si cher à tous les enfants du Cercle de Vienne.
Le faux problème « pensée-cerveau »
Mais, revenons à ces maladies de l’âme que Dieu seul est supposé guérir.
Aux yeux du psalmiste, il ne s’agit nullement de psychopathologie mais
plutôt de la maladie dans toute sa dimension ontologique.
La réalité à laquelle renvoie ce concept est un enjeu anthropologique ma-
jeur puisqu’il s’agit de la vision explicative que nous pouvons avoir des
rapports corps-âme, que de nos jours on appelle brain-mind problem ou
« problème pensée-cerveau » pour utiliser le vocabulaire cognitivo-
4 Cet agrégat physique est classique ou quantique, cohérent ou simplement articulé.
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