L’économie de la santé comme outil d’aide à la décision publique UPEC, 15/09/2011 Pr. Lise Rochaix Université d’Aix-Marseille II Collège de la Haute Autorité de Santé 1 Plan de l’intervention 1 – De l’économie à l’économie de la santé 2 – Nature de la décision publique en santé 3 – L’interface entre économistes et décideurs 4 – Dans la réalité 2 De l’économie …. à l’économie de la santé 3 Très petite histoire de l’économie de la santé XIXème siècle : le développement de l’épidémiologie 1963 : les travaux de K. Arrow (Prix Nobel d’économie) : asymétries d’information et incertitude en santé ⇒ ⇒ Le développement de l’économie de la santé en tant que champ d’application à part entière légitimité fondée sur une analyse des caractéristiques spécifiques du marché des soins de santé 4 Pluralité des fonctions de demande Besoin Modèle de Grossman Obligatoire = collective Demande d’assurance Demande de capital santé Volontaire = individuelle Demande de Soins médicaux Utilisation Demande induite Offre de soins 5 Particularités de l’objet d’analyse Les soins de santé : – – – – – Biens publics ‘mixtes’ Externalités Valeur d’option Incertitude Asymétrie d’information 6 La santé : un marché pas comme les autres ? – Aucune de ces défaillances de marché n’est particulière au marché des soins de santé … – Mais c’est la conjugaison de ces traits qui confère aux soins de santé leur spécificité et justifie une intervention de l’Etat pour le financement et la régulation : • Dans tous les pays, y compris les USA, l’Etat intervient fortement pour le financement des soins (au moins 50%), bien qu’avec des modes de financement différenciés (impôt versus cotisations) • Pour la régulation du marché, l’envergure et les modalités varient selon les pays, l’époque et les objectifs poursuivis 7 De la main invisible d’Adam Smith à la main visible de l’Etat en santé D’un point de vue économique, l’Etat est le garant des droits de propriété nécessaires au bon fonctionnement des marché Le marché des soins de santé se caractérise par de multiples ‘défaillances de marché’ => L’intervention de l’état est alors justifiée : Au titre de l’efficience : obtenir le meilleur résultat possible à partir de ressources rares Au titre de l’équité : distribuer de la façon la plus juste possible le produit des ressources rares (le critère de justice renvoie à un jugement de valeur) 8 Nature de la décision publique en santé 9 Régulation, réglementation, réformes, … • La réglementation vise à garantir la qualité et/ou sécurité des produits mis sur le marché • La régulation est une intervention des pouvoirs publics visant à modifier les conditions de fonctionnement d’un marché dans l’intérêt de la collectivité (critère d’efficacité et/ou équité) • Les réformes sont mises en œuvre de manière régulière dans tous les pays développés pour modifier l’équilibre les trois grands objectifs que sont l’équité, la liberté et l’efficience 10 Les modalités varient selon les objectifs Sous le registre de l’équité, la régulation peut viser plusieurs objectifs : • l’équité d’accès sur le territoire à des soins de qualité comparable • la réduction des écarts d’espérance de vie • la compensation du handicap, … Sous le registre de la liberté, la régulation peut garantir ou réduire les choix laissés aux individus Sous le registre de l’efficience, la régulation peut couvrir • des horizons de plus ou moins long terme (soutenabilité) • le point de vue des malades ou celui de l’ensemble des citoyen 11 Les formes multiples de la régulation La régulation économique peut être : 1 - de nature administrative, mais avec un fort impact économique ex1 : l’interdiction de fumer dans les lieux publics ex2 : la réglementation des professions de santé dans le cadre de la coopération interprofessionnelle 2 – de nature financière, avec incitations/sanctions financières individuelles ou collectives, à destination des patients et/ou des professionnels ex1 : l’incitation à la prévention par l’accès à la gratuité pour certains tests de dépistage nationaux (cancer colo-rectal) ex2: le paiement à la performance (P4P) 12 L’interface économistes / décideurs en santé 13 Que peut apporter l’économiste au décideur public en santé? La question est partagée par tous les domaines d’application H. Aaron (1994), ‘Distinguished Lecture on Economics in Government: Public Policy, Values and Consciousness’ Elle se pose depuis la naissance de l’économie de la santé V. Fuchs (1996), ‘Economics, Values, Health Care Reforms’ … avec toujours autant d’acuité et avec plus d’insistance que dans d’autres domaines d’application 14 Le processus de production en économie Walliser (1994), ‘L’intelligence de l’économie’ Le processus de production • Trois étapes séquentielles : la formalisation la validation empirique l’opérationalisation … Son usage… ‘Une faible partie des idées théoriques donne lieu à prescription et une faible partie des recommandations donne lieu à décision’: ‘Les théoriciens raisonnent sur du first best, les praticiens préconisent du second best et les décideurs choisissent du third best’ 15 Retard, sélectivité … l’interface est-elle pour autant défectueuse ? Deux hypothèses concurrentes pour expliquer l’imparfaite interface entre économistes et décideurs Hyp 1 : la boîte à outils des économistes est inadaptée Hyp 2 : le processus même de décision est à remettre en question …Comme souvent, les deux hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives… 16 Hypothèse 1 : la boîte à outil des économistes * Formalisation : • Généralité et tractabilité mathématique => hypothèses simplificatrices : individu représentatif, max profit … (Or la fonction objectif du médecin est plus complexe …) * Validation empirique : La qualité des estimations est conditionnée par l’accès à des techniques et des données pour contrôler l’hétérogénéité, l’endogénéité (Cf. La quête du Graal dans la validation de la demande induite) * Opérationalisation : Une bonne connaissance du champ d’application est nécessaire (mais à coût d’entrée élevé et difficilement valorisable auprès des économistes non spécialistes en santé) 17 Hypothèse 2 : le processus de décision * L’horizon temporel est souvent très court, mais les questions posées récurrentes … * La formation n’est pas nécessairement technique * La nature de la demande aux économistes …trop souvent encore, l’obsession du chiffre unique (Analyses de sensibilité et intervalles de confiance ne sont pas encore très prisés …) * Le regard est porté vers l’avenir plus que le passé : peu de place pour les analyses rétrospectives et leurs enseignements 18 Et dans la réalité ? Quelle place pour l’économie dans la santé en France ? 19 • Rappel du point de départ : dans les années 80, la France est le mauvais élève des pays industrialisés : • Un système dit ‘à guichet ouvert’ avec une collusion tacite entre un médecin payé à l’acte et un patient dont la demande est en grande partie solvabilisée … • Un assuré peu sensible à la hausse des cotisations liée à cette surconsommation ... ⇒ Globalement, l’absence de reconnaissance du caractère limité des ressources affectées à la santé comparé à d’autres pays 20 Plutôt que de rendre explicite le caractère limité des ressources de santé et donc d’établir des priorités, il est apparu préférable en France de penser : 1 - que la croissance permettrait de créer suffisamment de valeur pour trouver les ressources nécessaires ; 2 - que les économies réalisées par la réduction des gaspillages suffiraient à couvrir les besoins insatisfaits ; 3 - qu’au besoin, on pourrait ‘mordre’ sur d’autres secteurs de dépense publique considérés comme moins prioritaires ; 4 - que l’on pourrait, dans le pire des cas, s’endetter sur le long terme… … autant de stratégies de contournement tour à tour utilisées mais qui montrent aujourd’hui leurs limites 21 Plusieurs facteurs contribuent aujourd’hui à reconsidérer les quatre stratégies de contournement évoquées, entre autres : • Le prix exorbitant des médicaments orphelins • Le renforcement des inégalités sociales de santé • L’apparition de nouveaux besoins : la dépendance => Il convient à présent de faire partager par tous les acteurs l’idée selon laquelle « l’ONDAM n’est pas opposable mais il s’impose à tous » (2ème Grenelle de la santé, Juillet 2001) Etablir des priorités s’avère à présent indispensable pour assurer la pérennité du système … 22 Les enjeux en matière d’aide à la décision publique en santé Enjeu n°1 – Mieux articuler : • une enveloppe à caractère purement financier, revenant à établir implicitement des priorités entre grandes fonctions collectives (éducation, défense, santé); • Des priorités de santé publique définissant les besoins de santé de la population de manière extensive 23 Les enjeux en matière d’aide à la décision publique en santé Enjeu n°2 – Etablir un bouclage plus explicite entre : • Le résultat global en terme de niveau des dépenses de santé, de qualité du système de santé et d’équité d’accès • Les comportements individuels : la dépense finale de soins de santé est en effet la somme des comportements individuels d’usage (et mésusage) du système de soins 24 Annexe 25 Les enjeux en matière d’aide à la décision publique à la HAS 26 Quel rôle pour la HAS ? • Contrairement à d’autres domaines de l’action publique où le législateur a donné à des autorités administratives indépendantes un pouvoir de décision, la HAS a un rôle consultatif sur les conditions de prise en charge par la solidarité nationale • Constituée en tant qu’institution publique indépendante à caractère scientifique, c’est bien la rigueur de la méthodologie de ses expertises qui lui permet de bâtir une vision impartiale du système de santé. 27 Quel rôle pour la HAS ? Par ses avis fondés sur des évaluations scientifiques, la HAS peut contribuer à une meilleure articulation de l’ONDAM et les priorités de santé publique (enjeu 1) ; Par ses actions sur les comportements des acteurs du système de santé (EPP, recommandations professionnelles, information sur le bon usage), la HAS peut rendre plus perceptible l’effet de bouclage entre les choix individuels et leurs effets sur le résultat final en termes de niveau de dépense, de qualité, de sécurité, d’équité (enjeu n°2) 28 Quel rôle pour la HAS ? • La HAS émet des avis sur le service attendu et rendu des technologies de santé à la HAS • efficacité médicale individuelle (ratio bénéfice/risque) • intérêt de santé publique (dimension populationnelle) • Les réflexions du groupe SERC (Service rendu à la collectivité) remises en décembre 2007 ont montré la faisabilité et le bien fondé d’une approche plus complète, documentant les aspects économiques, sociaux, éthiques et organisationnels dans l’évaluation des technologies de santé (notion de Full Health Technology Assessment). 29 Quel rôle pour la HAS ? • Les nouvelles missions médico-économiques confiées par la LFSS 2008 soulignent la volonté d’associer la HAS à l’exercice de priorisation : la rationalisation et l’optimisation des choix effectués dépendent d’une évaluation de la qualité en santé qui intègre la question de la pertinence de l’allocation des ressources. • …. À l’évidence, ces missions ne sauraient être entendues comme la simple recherche d’économies à court terme 30