CONGRÈS RÉUNION Actualités au VIe Congrès de l’European Federation of IASP* Chapters sur la douleur cancéreuse F. André-David 1 Lisbonne, 9-12 septembre 2009 Introduction Dr Philippe Poulain◆ Centre Claudius-Régaud, Toulouse et polyclinique de l’Ormeau, Tarbes. La douleur du patient cancéreux a été largement abordée cette année au congrès de l’European Federation of IASP Chapters (EFIC). Trois points importants méritent d’être soulignés : ▸ la composante neuropathique de la douleur en oncologie est aujourd’hui mieux reconnue : cela permet de faire progresser et de mieux cibler le traitement de ce type de douleur ; ▸ l’imperfection du traitement conventionnel et régulier est avérée et souligne l’importance de l’autonomie du patient dans la gestion de sa douleur : il reste encore beaucoup à faire en ce domaine. Les nouvelles formes galéniques du fentanyl sont particulièrement intéressantes dans la prise en charge des accès douloureux paroxystiques et apportent un gain à la fois dans la rapidité de la réponse antalgique et de l’autonomie pour le patient ; ▸ enfin, des travaux approfondis sur l’hyperalgie induite par les opiacés font ressortir tout l’intérêt d’associer plusieurs classes d’antalgiques : anti-NMDA, anticonvulsivants, antidépresseurs, voire anesthésiques locaux. L 1 Paris. * International Association for the Study of Pain. a douleur est présente chez 70 à 90 % des patients cancéreux aux stades avancés de leur maladie (1). Ce symptôme est l’un des plus redoutés par les patients, mais sa prise en charge reste insuffisante en 2009 pour bon nombre d’entre eux. Le VIe congrès de l’EFIC a permis de mettre à jour les connaissances en ce domaine sur le plan de l’épidémiologie de la douleur en oncologie, de ses mécanismes physiopathologiques et enfin sur la prise en charge spécifique et adaptée qu’elle requiert. Plus de 40 communications dédiées à cette problématique ont été présentées à ce congrès. 582 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 10 - décembre 2009 Épidémiologie de la douleur chez le patient atteint d’un cancer On connaît de longue date les 2 grandes manifestations cliniques des douleurs survenant chez le patient atteint de cancer : sur un fond douloureux permanent couvrant le nycthémère surviennent des accès douloureux paroxystiques (ADP) [2, 3]. Ces ADP retiennent aujourd’hui l’attention, car leur incidence est élevée et ils répondent mal au traitement du fond douloureux par la morphine orale (3). La reconnaissance par les cliniciens de la douleur, et particulièrement de la douleur spécifique aux tumeurs malignes, est encore imparfaite en France (4). L’enquête européenne “European Pain in Cancer” de 2007 a bien souligné le sous-traitement des douleurs cancéreuses (5). Les résultats d’un travail rétrospectif réalisé sur 500 patients hospitalisés pour cancer dans 11 services russes ont été présentés à ce congrès (6). Les évaluations de la douleur réalisées par les médecins sur la base du questionnaire du MD Anderson Cancer Center et par les patients sur une échelle visuelle analogique de 0 à 10 n’étaient concordantes que dans 64,2 % des cas (68 % pour les douleurs faibles, 34 % pour les douleurs modérées et 53 % pour les douleurs sévères). Seuls 15 % des patients avec douleurs modérées recevaient des opioïdes faibles, et 8 % de ceux avec douleurs sévères, des opioïdes forts (6). Les premiers résultats de l’enquête européenne sur les ADP dans le domaine du cancer présentés à l’EFIC 2009 montrent, sur les 200 premiers patients évalués souffrant d’au moins 3 ADP par jour, que ces paroxysmes douloureux sont spontanés dans 41 % des cas, déclenchés dans CONGRÈS RÉUNION 46 % des cas et mixtes dans 14 % des cas (7). Dans 45 % des cas, ces douleurs sont modérées, mais elles sont sévères chez 51 % des patients. L’impact sur la vie des patients au quotidien est important, avec des scores d’interférence de 6 sur une échelle de 10 pour le sommeil, l’humeur, la locomotion et la relation avec les autres, de 7/10 pour les activités et le plaisir au quotidien et de 8/10 pour le domaine professionnel. Les traitements administrés dits de “secours” sont la morphine par voie orale dans 46 % des cas et l’oxycodone par voie orale dans 41 % des cas. Seuls 6 % des patients reçoivent du fentanyl par voie orale transmuqueuse. Ces chiffres expliquent sans doute pourquoi le délai ressenti jusqu’au début de l’action du traitement de “secours” est de 20 mn (durée médiane). Cette enquête européenne met aussi en évidence le désir des patients de changer de voie d’administration pour une meilleure prise en charge des ADP : leur préférence va vers la voie orale transmuqueuse (n = 147), la voie sous-cutanée (n = 130) et les voies nasale ou intra-pulmonaire (n = 112 pour chacune). Il est intéressant de noter que les patients évoquent différentes raisons pour refuser la voie intra-nasale : problèmes de nez (5 %), doutes sur l’efficacité ou la tolérance (1,5 %), problèmes antérieurs avec cette voie d’administration (1 %), peur de l’addiction (0,5 %), mais avant tout un sentiment de ne pas aimer l’idée de se traiter par la voie nasale (8,5 %). Physiopathologie de la douleur en oncologie Un séminaire entier a été dédié aux mécanismes de la douleur du patient cancéreux : le Pr H.G. Kress (Vienne, Autriche) a souligné dans son introduction le caractère intriqué de ces douleurs, qui peuvent être liées à la tumeur elle-même (61 % des cas) ou aux traitements spécifiques (plus de 20 % des cas), ces derniers étant de plus en plus agressifs (8). En outre, la survie des patients est de plus en plus longue, et bon nombre d’entre eux vivent avec des douleurs chroniques. En ce qui concerne les mécanismes sous-jacents : il existe des douleurs de type neuropathique en relation avec la compression de plexus nerveux, l’envahissement de la moelle épinière, ou liées à la radiothérapie/chimiothérapie. Le Pr A. Dickenson (Londres, Grande-Bretagne) a présenté les résultats précliniques d’un modèle expérimental de tumeur mammaire humaine (MRW1) inoculée dans l’os de la patte du rat : l’envahissement tumoral de l’os animal va impliquer bien entendu les cellules osseuses (ostéoblastes et ostéoclastes) mais va également provoquer une distension du périoste impliquant ainsi la composante nerveuse, et permettre la libération de multiples chémokines sécrétées par les cellules tumorales (8). Ce type de modèle expérimental permet de tester différents agents bloquant telle ou telle voie neurobiologique spécifique. La composante nociceptive est importante dans les tumeurs osseuses primitives et les métastases osseuses mais aussi dès qu’il existe des dommages tissulaires avec inflammation. Des facteurs d’ordre psychosocial viennent, de plus, moduler l’expression de ces douleurs. Le Pr M. Fallon (Édimbourg, Écosse) a centré son exposé sur la douleur des métastases osseuses. Ces dernières ne présentent pas de spécificité clinique mais, sur le plan thérapeutique, 2 types de traitement tels la radiothérapie antalgique et les biphosphonates peuvent être utilisés dans un premier temps avec les opioïdes, car leurs délais d’action sont relativement longs. En ce qui concerne l’évaluation de la douleur en cas de métastases osseuses, le Pr Fallon rappelle la publication de K. Harris et al. en 2007, qui a montré que c’est l’intensité de la douleur la plus intolérable (“worst pain” de la Brief Pain Inventory) qui est la mieux corrélée à la réponse thérapeutique des antalgiques (9). Pour lui, la “worst pain” correspond à l’unique bonne question à poser au patient (9). Il est intéressant de souligner que, dans cette étude, 75 % des patients présentaient des ADP dont la majorité survenaient en moins de 5 mn et avaient une durée inférieure à 15 mn. Dans 44 % des cas, ces ADP étaient spontanés et imprévisibles. Deux équipes françaises ont présenté à ce congrès la prise en charge de douleurs particulières en oncologie, comme celles liées à la mastectomie et celles des métastases osseuses avec analgésie locorégionale par mise en place d’un cathéter (10, 11). Prise en charge des ADP chez le patient cancéreux Vers une définition commune internationale des ADP Le Pr S. Kaasa (Trondheim, Norvège) a introduit la session réservée aux ADP en oncologie en rappelant qu’il n’existe pas encore de consensus international en ce qui concerne leur définition. Cela explique pourquoi les incidences des ADP (de 40 à 80 %) La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 10 - décembre 2009 | 583 CONGRÈS RÉUNION sont aussi variables d’une étude à l’autre (12, 13). Les experts de l’European Association for Palliative Care Research Network (EAPC RN) se sont mis d’accord pour travailler sur une définition et une classification communes afin que les praticiens disposent d’un outil standardisé utilisable en pratique comme en recherche clinique. Quatre composantes de ces douleurs paroxystiques cancéreuses sont prises en compte : intensité, mécanismes, ADP et répercussions psychosociales. Une échelle à 11 points allant de 0 (aucune douleur) à 10 (douleur la plus intense imaginable) a été acceptée par le panel (disponible sur www.eapcrn.org). Actuellement, c’est la définition de R.K. Portenoy publiée en 1990 qui fait référence (14) : un ADP est une “exacerbation douloureuse transitoire survenant chez un patient ayant un fond douloureux chronique bien contrôlé par son traitement”. Les ADP typiques présentent 3 caractéristiques principales : intensité modérée à sévère, atteinte de l’acmé douloureuse en 3 mn, durée courte (médiane de 30 mn). Les ADP peuvent être prévisibles ou non. Qu’ils surviennent spontanément ou qu’ils soient déclenchés, il est important de différencier les ADP des douleurs de fin de dose du traitement antalgique de fond, afin de pouvoir proposer au patient un traitement spécifique. Optimisation du traitement de la douleur chez le patient cancéreux L’intrication des phénomènes générant la douleur en oncologie nécessite une prise en charge plurifactorielle : le Pr S. Mercadante (Palerme, Italie) a rappelé que le traitement spécifique de la tumeur faisait bien évidemment partie intégrante de cette prise en charge, tout comme celui des métastases osseuses par les biphosphonates ou encore la radiothérapie antalgique (15). L’adaptation du traitement de fond ainsi que sa réévaluation constante sont un autre aspect du traitement : cette démarche permet l’augmentation des doses à un niveau compatible avec une tolérance acceptable. Des traitements pharmacologiques tels les antidépresseurs ou les anticonvulsivants, actifs sur la composante neuropathique des douleurs cancéreuses, peuvent aussi être utilisés. La prise en charge non pharmacologique de la composante psychologique est également importante. En ce qui concerne les ADP, le traitement opioïde idéal doit avoir une action rapide, une durée courte, présenter peu d’effets secondaires et s’administrer de manière non invasive. La morphine orale n’est 584 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 10 - décembre 2009 pas adaptée aux ADP spontanés, imprévisibles en raison de son long délai d’action de 30 à 40 mn : elle peut en revanche être utile pour les ADP prévisibles liés aux mouvements. La morphine i.v. en bolus met 5 mn à agir mais nécessite une voie d’administration invasive. Le fentanyl par voie orale transmuqueuse : une réelle amélioration dans le traitement des ADP Le fentanyl est un puissant opiacé synthétique de niveau III, agoniste des récepteurs µ cérébraux, où il se distribue rapidement. En raison d’un effet de premier passage hépatique, sa biodisponibilité après administration orale n’est pas optimale. Cependant, la lipophilie du fentanyl permet une absorption via les muqueuses orales ou nasales richement vascularisées. Cela évite l’effet de premier passage hépatique, facilite son absorption et augmente sa biodisponibilité ainsi que sa rapidité d’action. L’effet antalgique est rapidement obtenu, en 10 à 15 mn, avec les différentes galéniques telles que le bâtonnet oral transmuqueux, le comprimé oral OraVescent® ou le spray nasal. Plusieurs études de phase III randomisées en double aveugle versus placebo ou ouvertes versus une autre forme transmuqueuse de fentanyl ont évalué l’efficacité et la tolérance de ces nouvelles formes galéniques (16-18). Ces formes galéniques de fentanyl en administration orale transmuqueuse remplissent bien les principaux critères requis face à la survenue inopinée d’un ADP : rapidité d’action, intensité du soulagement, courte durée d’action et administration autonome par le patient. En ce qui concerne la tolérance générale des ces galéniques, on retrouve le profil d’effets indésirables commun à la classe des opioïdes. Le Pr S. Mercadante (Palerme, Italie) a aussi abordé le problème de la corrélation entre les doses du traitement de fond et celles requises pour les ADP : il est recommandé, avec les traitements transmuqueux oraux, de démarrer par de faibles doses, quelles que soient les posologies du traitement de fond, et d’augmenter progressivement par paliers en fonction de la réponse du patient. Il semblerait que, pour le spray nasal de fentanyl, les patients sous traitement de fond à faibles doses soient soulagés par le spray nasal à 50 µg, ceux nécessitant une dose de 200 µg étant ceux qui reçoivent de fortes doses de traitement de fond (8). CONGRÈS RÉUNION Spécificité des douleurs et des ADP chez le sujet âgé La prise en charge de ces douleurs est rendue d’emblée plus difficile en raison de comorbidités associées, dont fait partie la perte ou la diminution des fonctions cognitives : le sujet âgé exprime moins ses douleurs de façon verbale ou a du mal à les caractériser. Une session consacrée à ce sujet a regroupé des experts de l’évaluation de la douleur dans ce type de population (20). Le Pr S. Lautenbacher (Bamberg, Allemagne) a présenté différentes échelles d’évaluation de la douleur se fondant sur l’expression faciale et les plaintes vocales. Il semble que l’évaluation de l’expression faciale, bien que non optimale, soit meilleure qu’une échelle de cotation verbale, notamment chez le sujet âgé dément. Il reste encore de gros progrès à réaliser dans le diagnostic de la douleur chez le sujet âgé ou intellectuellement diminué, celle-ci étant de ce fait sous-estimée, sous-rapportée et donc souvent non prise en compte. Sur le plan thérapeutique (Pr S. Mercadante, Palerme, Italie), d’autres problèmes surgissent en raison de l’âge : risque d’interactions médicamenteuses, risque de non-adhérence au traitement ou de surdosage. Les opioïdes sont encore controversés dans les recommandations relatives au traitement antalgique du sujet âgé, sauf en cas de cancer. Les doses globales requises de morphine chez le sujet âgé en cas d’ADP sont les mêmes que chez le patient plus jeune (21). En revanche, la titration de départ doit être réalisée à dose plus faible et adaptée en fonction de l’âge (22). Le fentanyl est un principe actif intéressant chez le sujet âgé, car il est utilisable même à doses réduites en cas d’altérations de la fonction rénale, ce qui n’est pas le cas de la morphine et de l’oxycodone. Il ne présente pas de contre-indication cardiaque et ne présente que peu d’interactions médicamenteuses, à la différence de la méthadone. Les différentes voies d’administration du fentanyl permettent d’améliorer la compliance du patient âgé. Conclusion La prise en charge de la douleur en oncologie est un domaine spécifique, au même titre que celle de la tumeur : elle reste néanmoins non optimale, pour des raisons psychosociales dépendantes du patient lui-même, de son entourage et du manque d’information des professionnels de santé. Il existe cependant des moyens thérapeutiques capables de soulager les douleurs chroniques et les ADP du patient cancéreux. Les différentes galéniques du fentanyl sont, dans ce domaine, des outils précieux qui permettent d’établir un traitement adapté au cas par cas, avec la collaboration du patient et de son entourage. Les équipes de prise en charge de la douleur qui travaillent de pair avec les services d’oncologie, à l’hôpital comme en ambulatoire, sont les chevilles ouvrières de ce combat au quotidien, difficile, mais combien utile. ■ Références bibliographiques 1. Schrijvers D. Pain control in cancer patients: recent findings and trends. Ann Oncol 2007;18(Suppl. 9):S37-42. 2. Ferrell BR, Juarez G, Borneman T. Use of routine and breakthrough analgesia in home care. Oncol Nurs Forum 1999;26:1655-61. 3. Zeppetella G. Dynamics of breakthrough pain vs. pharmacokinetics of oral morphine: implications for management. Eur J Cancer Pain 2009;18:331-7. 4. Breivik H, Collett B et al. Survey of chronic pain in Europe: prevalence, impact on daily life, and treatment. Eur J Pain 2006;10:287-333. 5. 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