Lettre de l' Mardi 21 septembre 2010 323 La fatalité grecque : un scénario prévisible ? Céline Antonin OFCE, Centre de recherche en économie de Sciences Po F in 2009, la Grèce doit faire face à une crise de la dette, crise aggravée par la spéculation financière et l’absence de cohésion budgétaire en zone euro. Profitant de la croissance vigoureuse des années 2000 et de la faiblesse des taux d’intérêt pour accroître massivement les dépenses publiques, le pays a retardé les réformes structurelles qui auraient permis de préserver la soutenabilité du système. Mais deux ans après la crise des subprime, quand le pays est entré en récession, la question de la soutenabilité s’est posée avec acuité. La guérison risque d’être longue. Le programme de rigueur, conduit par le gouvernement depuis le début de l’année, semble avoir porté ses fruits : le déficit public atteindrait 10 % du PIB en 2010 (contre 13,5 % en 2009). Pourtant, la Grèce n’est pas encore sortie d’affaire : l’année 2010 devrait rimer avec hausse du chômage, baisse de la consommation et de l’investissement et réduction des dépenses publiques. La crise grecque a néanmoins une vertu : en mettant en lumière les carences de l’Union européenne en matière budgétaire, elle constitue un avertissement et appelle une révision profonde de la politique budgétaire en zone euro. Centre de recherche en économie de Sciences Po 69, quai d’Orsay - 75340 Paris Cedex 07 Tél/ 01 44 18 54 00 - Fax/ 01 45 56 06 15 www.ofce.sciences-po.fr Edité par les Presses de Sciences Po 117, boulevard Saint-Germain - 75006 Paris Tel/ 01 45 49 83 64 - Fax/ 01 45 49 83 34 Depuis fin 2009, la Grèce est en plein bouleversement. Sauvée in extremis du défaut de paiement par l’action conjointe de l’Union européenne (UE) et du FMI, elle n’a pas regagné la confiance des marchés. Conséquence directe de la dégradation des finances publiques, la crise grecque a été aggravée par deux autres facteurs : la spéculation financière d’une part, et l’absence de cohésion au sein de la zone euro d’autre part. La Grèce a profité de la croissance vigoureuse des années 2000, supérieure à 4 % par an, et de la faiblesse des taux d’intérêt liée à son appartenance à la zone euro pour accroître massivement les dépenses publiques (santé, protection sociale, éducation, ordre public). Cette manne financière a eu pour effet de retarder les réformes fiscales et structurelles qui auraient permis de préserver la soutenabilité du système, alors même que les déficits public et commercial se creusaient. Deux ans après la crise des subprime, quand le pays est entré en récession, la question de la soutenabilité s’est posée avec acuité. Les conséquences sont peu réjouissantes : outre une forte récession, l’année 2010 rimera avec hausse du taux de chômage, baisse de la consommation et de l’investissement, réduction drastique des dépenses publiques et hausse de la fiscalité. La crise grecque a néanmoins une vertu : en mettant en lumière les carences de l’Union européenne en matière budgétaire, elle appelle une révision en profondeur de la politique budgétaire en zone euro. Chronique d’une faillite annoncée Bien que les causes de la crise grecque soient plus profondes, c’est la révélation du nouveau Premier ministre, George Papandréou, déclarant que son prédécesseur aurait maquillé le chiffre du déficit, qui a plongé la Grèce dans la tourmente en novembre 2009. À l’annonce des chiffres réévalués du déficit (12,7 % du PIB en 2009 au lieu des 6 % déclarés par le gouvernement précédent), les spéculateurs d’une part, et les agences de notation d’autre part ont brutalement réagi. Profitant d’une forte demande d’assurance alimentée par la peur d’un défaut, les spéculateurs achètent massivement des contrats d’assurance sur le défaut de paiement (Credit Default Swaps). La hausse du prix des CDS et des rendements sur le marché secondaire de la dette publique grecque renforce la panique et alimente la spéculation à la baisse sur les titres, à la hausse sur les CDS. La forte demande sur le marché des CDS grecs provoque une hausse des primes sur les CDS, alimentant la menace d’un défaut de paiement. À leur tour, les agences de notation réagissent dès le mois de décembre, en dégradant la note souveraine de la Grèce. Fitch, puis Standard and Poor’s abaissent la note de la Grèce de A- à BBB+, suivis par Moody’s qui a fait passer sa note de A1 à A2. Conséquence de ces réactions conjointes, les taux d’intérêt obligataires grecs se tendent (graphique 1). Fin janvier 2010, les taux d’intérêt obligataires grecs à 10 ans avoisinent les 7 %, soit une augmentation de 100 points de base sur le seul mois de janvier. Sous la pression de leurs partenaires européens, les autorités grecques présentent, le 14 janvier 2010, un plan d’assainissement des finances publiques prévoyant le retour du déficit public dans les limites du Pacte de stabilité européen en 2012. Ce premier plan prévoit une augmentation des recettes de près de 7 milliards d'euros grâce à l'intensification de la lutte contre l'évasion fiscale, une taxe sur les grandes fortunes et des privatisations à venir. La réduction des dépenses, pour 3,6 milliards d'euros au total, est concentrée en grande partie sur la fonction publique (gel des embauches, fin des contrats à durée déterminée dans l'administration, réduction des primes et gel des plus hauts salaires). Graphique 1 : Grèce - Taux des obligations à 10 ans En % 14 12 10 27 avr.: 5 nov.: 22 déc.: S & P dégrade 10 mai: Le gouvernem ent annonce M oody's dégrade la note 22 avr.: la note de B B B + P lan de secours un déficit de 12,7% grecque de A 1 à A 2 M oody's dégrade à B B + (grade spéculatif) U E /F M I de 750 M ds € du P IB en 2009 la note grecque de A 2 à A 3 14 juin: 16 déc.: M oody's dégrade la 14 jan.: note de A 3 à B a1 S & P abaisse La G rèce présente son plan grade spéculatif) ( d'assainissem ent la note grecque de A- à BBB+ 8 8 déc.: F itch dégrade la note grecque de A- à BBB+ 6 4 2 G rèce 0 oct.09 nov.09 déc.09 janv.10 févr.10 m ars 10 avr.10 m ai 10 Z E hors G rèce juin10 juil.10 août.10 Note de lecture : Par ordre décroissant : les notes A1, A2, A3, ainsi que A- correspondent à une qualité moyenne ; les notes A-, BBB+ et BBB- correspondent à une qualité moyenne inférieure ; les notes BB+ et Ba 1 correspondent enfin au grade spéculatif. Source : Datastream. Avant même que le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) n’approuve ce plan, le 3 février 2010, un deuxième programme fiscal vient s'ajouter : le gouvernement étend le gel des salaires dans la fonction publique aux agents gagnant moins de 2000 euros par mois, l’âge légal de la retraite est repoussé à 63 ans, les taxes sur les carburants sont augmentées. Début mars, un troisième train de mesures est annoncé, pour 4,8 milliards d'euros. Plusieurs taxes sont revues à la hausse (augmentation de la TVA qui passe de 19 à 21%, augmentation des taxes sur les alcools, le tabac et le carburant, taxation plus forte pour les revenus dépassant 100 000 euros,…). De nouvelles coupes salariales dans la fonction publique sont prévues (réduction de 10 % du salaire, gel des pensions en 2010). Le 11 avril, alors que la Grèce voit sa note souveraine à nouveau dégradée, l’Eurogroupe entérine le principe d’un plan d’aide préventif, stipulant que la Grèce, dont les taux obligataires sont devenus prohibitifs pourra obtenir des prêts à un taux « préférentiel » de 5 %, pour un montant initial de 45 milliards d’euros. Ce plan intervient tardivement alors que la situation de la Grèce se dégrade quotidiennement : sur le seul mois d’avril 2010, les taux d’intérêt obligataires à 10 ans augmentent de 300 points de base (graphique 1). Ces atermoiements traduisent des désaccords au sein de l’UE, notamment entre l’Allemagne et la France. Ce plan ne parvenant pas à calmer les marchés, les pays de la zone euro recourent à deux actions d’envergure. Le 2 mai 2010, ils 2 entérinent un plan de 110 milliards d’euros pour aider la Grèce (80 milliards d’euros de prêts par les pays de la zone euro et 30 milliards d’euros de prêts du Fonds monétaire international (FMI)). Le 10 mai, en concertation avec le FMI, ils s’accordent sur la mise en place d’un plan de secours historique de 750 milliards d’euros 1 pour aider les pays de la zone euro qui en auraient besoin, et endiguer une crise financière qui menace de gagner toute la planète. La BCE fait également un geste en décidant d’intervenir pour soulager le marché de la dette en zone euro, en procédant à des achats de titres obligataires d’État, ce qui a pour conséquence une baisse des taux grecs de plus de 400 points de base sur les obligations publiques à 10 ans. Ces actions d’envergure ne réussissent pourtant pas à calmer durablement les marchés : en juin 2010, Moody’s abaisse à son tour la note souveraine grecque au niveau spéculatif ; depuis, le taux d’intérêt des obligations à 10 ans s’est maintenu au-dessus de 10 %. Une crise prévisible, mais inattendue Causes profondes de la crise : des finances publiques déséquilibrées En 1998, lors de la mise en place de l’Union monétaire, la Grèce ne res1. Le total se décompose en 60 milliards d’euros de prêts accordés par la Commission européenne et 440 milliards d’euros de prêts et garantis par les pays de la zone euro. Le FMI apportera aussi une contribution additionnelle sous forme de prêts pour un montant de 250 milliards d’euros. LETTRE DE L’OFCE ■ MARDI 21 SEPTEMBRE 2010 pectait pas plusieurs des critères de convergence prévus par le Traité de Maastricht : taux d’inflation, taux d’intérêt et déficit budgétaire. En mars 2001, lors du réexamen de sa situation, elle recevait une réponse positive et entrait dans la zone euro. Certes, le critère du taux d’inflation était respecté : avec un taux de 2 % en 2000, la Grèce se situait en deçà de la valeur de référence de 2,4 % 2 . De même, le taux d’intérêt nominal à long terme de la Grèce s’établissait en moyenne à 6,4 %, soit un niveau inférieur à la valeur de référence 3. En outre, la drachme grecque participait au Mécanisme de change européen depuis 1998, et les statuts de la banque centrale grecque étaient compatibles avec les articles 108 et 109 du Traité de Maastricht. Certes, le ratio dette publique/PIB flirtait avec le seuil de 100 % du PIB, mais la stabilité de ce ratio a été déterminante, et a permis à la Grèce d’intégrer la zone euro, comme cela avait été le cas pour la Belgique ou l’Italie. En outre, la Grèce connaît une crise des recettes. Malgré les mesures fiscales intervenues au cours de la dernière décennie 4, visant à mieux prendre en compte les revenus, et peu compensées par des mesures visant à réduire la fiscalité, les recettes fiscales, en pourcentage de PIB, ont décru de 2,25 points entre 2000 et 2007. L’existence de ce « manque à gagner » est attribuable à plusieurs facteurs : – L’ampleur de l’évasion fiscale : la sous-déclaration des revenus atteint 10 % en 2004-2005, ce qui représente un manque à gagner de 26 % pour les recettes fiscales, en raison de la progressivité de l’impôt sur le revenu. L’évasion fiscale suit une courbe en U : ce sont surtout les plus pauvres, alimentant l’économie souterraine, et les plus riches, soucieux d’échapper à la progressivité de l’impôt, qui sous-déclarent leurs revenus. – La lutte insuffisante contre l’économie souterraine : lorsque l’on compare la taille de l’économie souterraine dans vingt-et-un pays développés 5, la Grèce arrive en tête avec une économie souterraine estimée à 25 % du PIB, contre une moyenne de 14 % pour les pays de l’OCDE. 2. Moyenne des trois meilleurs taux de l’UE : + 1,5 point. 3. Moyenne des taux d’intérêt des trois États-membres ayant les meilleurs résultats en matière d’inflation : + 2 points. 4. Notamment : loi sur l’évasion fiscale de 2007, élargissement de l’assiette fiscale avec l’instauration d’une taxe sur les dividendes et les revenus du capital en 2008, simplification de la taxation sur la propriété et des droits de mutation en 2008, suppression de l’exemption sur la résidence principale en 2009. 5. Lars P. Feld et Friedrich Schneider, Survey on the shadow economy and undeclared earnings in OECD countries, janvier 2010. ■ 323 Graphique 2 : Solde structurel primaire, intérêts de la dette et écart critique 8 solde structurel primaire (en % du PIB potentiel) 6 charge des intérêts de la dette (en % du PIB potentiel) 4 écart critique entre taux de croissance et taux d'intérêt apparent 2 0 -2 -4 -6 -8 -10 -12 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Source : Comptes financiers, OCDE, mars 2010. La Grèce connaît également une hausse de la part des dépenses publiques dans le PIB. Alors que cette part a baissé de plus de 600 points de base entre 1995 et 2008 dans les pays de la zone euro, la Grèce et le Portugal font figure d’exception. Le niveau des dépenses publiques reste néanmoins modéré : en 2009, les dépenses publiques représentent 50,4 % du PIB, un chiffre inférieur à la moyenne de la zone euro (50,8 % du PIB). La stratégie grecque, qui consistait à maintenir un système de protection sociale généreux et à améliorer la politique salariale, sans faire de réforme structurelle, a dérivé vers un « laxisme budgétaire ». La montée en charge du système de retraite et de l’administration publique en sont deux manifestations. Les retraites représentaient 11,5 % des dépenses publiques en 2005, avec des modalités d’attribution très généreuses : pour le seul régime de base, le taux de remplacement se situe dans une fourchette de 70 à 80 %, le salaire annuel moyen de référence représentant la moyenne des salaires des cinq dernières années, et la durée de cotisation étant de 35 ans. De plus, l’administration publique grecque est un employeur important : la masse salariale distribuée par l’État grec s’est alourdie de 5,2 % par an en moyenne entre 2000 et 2009. En outre, le secteur public pâtit du clientélisme et de la présence d’emplois fictifs. Conséquence du déséquilibre durable entre recettes et dépenses, le déficit budgétaire s’est creusé, pour atteindre 13,5 % du PIB en 2009, de même que la dette. L’évolution de cette dernière dépend non seulement du solde primaire 6, mais également du taux d’intérêt apparent et du taux de croissance 7. Or, le taux d’intérêt apparent nominal de la dette a fortement décru sur la période 1995-2010 et est resté stable autour de 4,5 % depuis 2005 (graphique 2). Combiné à un taux de croissance annuel moyen de 7,5% entre 2000 et 2007, cela a permis de réduire l’écart critique et le déficit public, donc de freiner l’effet boule de neige de la dette. Depuis 2007 en revanche, le taux de croissance s’est effondré et le déficit primaire s’est creusé. En conséquence, l’écart critique a considérablement augmenté, de même que le poids de la dette. Alimentée par le déficit budgétaire, la détérioration de la balance courante a été rapide à la suite de l’adoption de l’euro. Après une période de relative stabilité entre 2000 et 2004, le solde courant grec est passé de -6,8 % en moyenne sur la période 2000-2004 à -14,6 % du PIB en 2008. La Grèce est ainsi devenue la lanterne rouge de la zone euro, derrière le Portugal, l’Espagne ou l’Irlande, dont les déficits respectifs atteignent -10,1%, -9,7 % et -5,1% du PIB en 2008. Cette détérioration s’explique essentiellement par le creusement du déficit commercial, et dans une moindre mesure par la réduction de l’excédent de la balance des services. La question de la soutenabilité, catalyseur de la crise À la suite de la crise des subprime, le taux de croissance du PIB est passé de 4,5 % en 2007, à 2 % en 2008, puis -2 % en 2009. Si, pour simplifier, on considère que le solde budgétaire est nul, on 6. Le solde public primaire présente la différence entre recettes et dépenses publiques avant la prise en compte des paiements d’intérêt sur la dette publique. 7. dt+1 - dt = dt(i-g) - st+1 avec g : taux de croissance du PIB nominal, i : taux d’intérêt apparent, s : solde public primaire /PIB, d : dette publique/PIB. LETTRE DE L’OFCE ■ MARDI 21 SEPTEMBRE 2010 peut en déduire que la dette est stabilisée si et seulement si le taux de croissance est égal au taux d’intérêt. Avec un taux de croissance supérieur à 4 %, et des taux d’intérêt bas, la dette grecque était largement soutenable. Dès lors que le taux de croissance s’est aventuré en territoire négatif, les craintes sur la soutenabilité de la dette sont apparues. Amplifiées par les actions spéculatives et par le rôle procyclique des agences de notation, ces craintes se sont transformées en véritable panique. Pour juger de la soutenabilité de la dette, il faut également tenir compte de la richesse financière nette des ménages. Si l’on considère deux États endettés, la question de la soutenabilité ne se posera pas de la même façon selon que les ménages possèdent ou non des actifs (financiers ou immobiliers). Ainsi, alors que l’Italie ou le Japon ont des dettes publiques nettes plus importantes que la Grèce (101% du PIB et 108 % du PIB respectivement, contre 87 % pour la Grèce en 2009), la richesse des ménages italiens et japonais est bien supérieure à celle des ménages grecs. L’incapacité de la zone euro, malgré des actions concertées, à véritablement enrayer le mouvement de spéculation contre la Grèce, a conduit à s’interroger sur les conséquences de cette crise pour la Grèce. La Grèce à la croisée des chemins Un besoin impérieux de réduire l’endettement public Étant donné le faible taux d’épargne intérieure (5 % du PIB nominal en 2009), le financement de la dette repose essentiellement sur les marchés financiers, ce qui crée un risque de liquidité. Il est donc nécessaire de réduire l’endettement public (tableau). L’écart de taux par rapport à l’Allemagne demeure à des niveaux prohibitifs. Grâce à l’intervention de la Commission européenne, de la BCE et du FMI, la Grèce a obtenu un prêt au taux de 5 % 8. Quant au taux de croissance, une profonde récession est prévue en 2010, avec une baisse du PIB réel de 3,7 %, alors que le PIB s’est contracté de 1,5 % au deuxième trimestre 2010. La récession pourrait se prolonger en 2011, avec une baisse du PIB de 2,5 % 9. Les trois principaux moteurs de la croissance grecque (consommation publique, con8. Ce taux de 5 % permet aux pays de la zone euro, bénéficiant de taux d’intérêt bas (3,5 % en moyenne zone euro hors grecs, pondérée par le poids des pays) de jouer sur l’écart de taux et d’empocher la prime de risque. 9. Prévision de la BCE. ■ 323 3 Dette publique/PIB en 2009 (d t ) Charge Croissance du d’intérêts de la PIB en valeur dette/PIB en 2010 (g) en 2010 (i) Solde Prévision dette primaire/PIB publique /PIB en 2010 (d t+1) en 2010 (d t+1) Allemagne 73,2 3,4 1,9 -3,2 77,5 Espagne 53,2 3,3 -0,2 -8,9 63,9 France 77,6 2,8 1,7 -5,8 84,3 Grèce 115,1 4,5 -3,8 -3,3 127,9 Irlande Italie Portugal 64,0 3,8 -0,7 -8,9 75,8 115,8 4,0 1,1 -0,5 119,7 76,8 3,9 1,0 -4,3 83,3 Sources : prévisions OCDE juin 2010, Eurostat. sommation privée et investissement) sont en panne. En raison de la cure d’austérité, la Grèce verrait le taux de chômage (qui a atteint 12 % en mai, contre 8,5 % un an plus tôt) continuer de progresser, et une baisse du revenu des ménages, qui auraient pour conséquence une baisse des recettes fiscales. En outre, la faiblesse de la compétitivité externe ne permettra pas au commerce extérieur de tirer la croissance. Politique budgétaire : une lueur d’espoir Pour parvenir à respecter son engagement de ramener le déficit public à 8,1% du PIB à la fin de l’année, contre 13,6 % en 2009, l’État dispose des leviers de la politique budgétaire, réduction des dépenses ou hausse des impôts. À l’heure actuelle, les deux leviers sont conjugués avec succès, comme le montrent les trois « paquets » fiscaux successifs adoptés entre janvier et mars 2010. Le premier examen trimestriel du programme économique du gouvernement grec, mené conjointement par la Commission européenne, la BCE et le FMI, a conduit à un bilan positif : au premier semestre 2010, le déficit public atteignait 11,4 milliards d’euros, contre 19,7 milliards au premier semestre 2009 (soit une baisse de 40 %). Si cet effort devait se poursuivre à l’identique au second semestre, le déficit atteindrait -10 % du PIB en 2010, soit une réduction considérable de 3,6 % par rapport à 2009, mais toutefois inférieure à l’engagement pris d’atteindre -8,1% du PIB. De janvier à juin, des progrès importants ont été réalisés sur le plan des réformes structurelles, avec l’adoption de la réforme des retraites par le Parlement et la mise en œuvre des réformes fiscales et budgétaires. Cette réduction du déficit s’explique davantage par une réduction des dépenses (avec une baisse de 10 % sur les sept premiers mois de l’année, par rapport à la même période de 2009) que par une hausse des recettes, qui n’ont augmenté que de 4,1% pour la même période. Dès lors, les marges de manœuvre en matière fiscale demeurent importantes (lutte contre l’économie souterraine et réforme de la fiscalité). Refonder le Pacte de stabilité et de croissance Restaurer la soutenabilité des finances publiques grecques ne pourra se faire que concomitamment à la refonte de la politique budgétaire dans l’Union européenne. La crise grecque a montré que les critères de convergence mis en place par le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) étaient insuffisants pour conduire une politique budgétaire crédible. L’absence de mécanismes de solidarité au sein de la zone euro a montré ses limites dans un contexte de finances publiques dégradées. Pour y pallier, les initiatives se multiplient : après le plan de secours de 750 milliards d’euros approuvé dans l’urgence, les initiatives récentes visent à une plus stricte application du PSC par la création d’un organe de supervision budgétaire. En revanche personne ne songe à modifier le PSC lui-même. Pourtant, comme l’a montré la crise grecque, l’indépendance budgétaire était un leurre. D’une part, les pays de la zone euro sont interdépendants. D’après la Banque des règlements internationaux (BRI), les créances des banques étrangères en Grèce totalisent 177 milliards d’euros. Les banques européennes en détiennent 141 milliards, soit 80 % (42 % pour les banques françaises, 25 % pour les banques allemandes). Cette forte imbrication entre pays européens suggère qu’une faillite au sein de la zone euro aurait des répercussions immédiates sur les autres pays, notamment les plus fragiles. D’autre part, les pays de la zone euro partagent une monnaie commune. Or, le manque de crédibilité de la Grèce dans la gestion de crise a entraîné une dépréciation de l’euro, avec des conséquences sur l’ensemble de la zone. La seconde limite du PSC tient à son asymétrie : il ne tient pas compte des effets cycliques de l’activité. En période de ralentissement d’activité, un PSC appliqué à la lettre pourrait rapidement avoir des conséquences préjudiciables à la croissance par une action procyclique négative. Plutôt que des ratios qui ne tiennent pas compte du cycle d’activité, il faudrait une règle économique qui impose le rééquilibrage budgétaire en période de croissance, et qui permette une action budgétaire contracyclique en période de récession ou de croissance molle. Ainsi, entre 2000 et 2007, la croissance moyenne a été de 4,2 % par an en Grèce. Bien que reposant sur des bases fragiles, notamment un faible taux d’exportation, une dégradation continue de la balance commerciale et un niveau d’endettement individuel élevé, elle aurait néanmoins pu permettre l’assainissement des finances publiques en haut de cycle, libérant ainsi des marges de manœuvre dans des périodes moins favorables. Il semble donc plus judicieux d’appliquer des règles budgétaires contraignantes sur l’ensemble du cycle plutôt que sur une année donnée. La troisième limite du PSC vient du fait que les ratios sont identiques pour tous les pays de la zone alors même que la notion de soutenabilité budgétaire varie d’un pays à l’autre. Le PSC ne tient donc pas compte des différences de croissance et de taux d’intérêt pourtant essentiels pour déterminer la trajectoire appropriée d’évolution de la dette. En outre, les caractéristiques intrinsèques d’un pays (notamment la part de l’investissement public, le poids des engagements futurs et la croissance potentielle future) sont occultées. Les politiques budgétaires autonomes, appuyées par quelques indicateurs de convergence, ont montré leurs limites concernant la surveillance budgétaire. Plutôt que de chercher à sauver le PSC, n’est-il pas temps de créer une autorité budgétaire européenne dont la tâche principale consisterait à coordonner les développements des plans budgétaires nationaux, comme le préconise la Banque centrale européenne ? À l’heure où l’Europe pâtit d’un déficit de crédibilité, sans doute s’agit-il d’un nouveau pas décisif dans la construction européenne. Encore faut-il accepter de le franchir. ■ Abonnements Tél/ 01 45 49 83 64 - Fax/ 01 45 49 83 34 Directeur de la publication : Jean-Paul Fitoussi ISSN N° 0751-66 14 ■ Commission paritaire n° 65424 Mise en page : Nathalie Ovide Imprimerie Bialec, Nancy Prix : 4,50 € Maquette : Najette Moummi Charges d’intérêts, taux de croissance et niveau de la dette en 2010