La fatalité grecque : un scénario prévisible

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Lettre de l'
Mardi 21 septembre 2010
323
La fatalité grecque : un scénario prévisible ?
Céline Antonin
OFCE, Centre de recherche en économie
de Sciences Po
F
in 2009, la Grèce doit faire face à une crise de
la dette, crise aggravée par la spéculation
financière et l’absence de cohésion budgétaire en
zone euro. Profitant de la croissance vigoureuse
des années 2000 et de la faiblesse des taux
d’intérêt pour accroître massivement les
dépenses publiques, le pays a retardé les
réformes structurelles qui auraient permis de
préserver la soutenabilité du système. Mais deux
ans après la crise des subprime, quand le pays est
entré en récession, la question de la soutenabilité
s’est posée avec acuité. La guérison risque d’être
longue. Le programme de rigueur, conduit par le
gouvernement depuis le début de l’année,
semble avoir porté ses fruits : le déficit public
atteindrait 10 % du PIB en 2010 (contre 13,5 %
en 2009). Pourtant, la Grèce n’est pas encore
sortie d’affaire : l’année 2010 devrait rimer avec
hausse du chômage, baisse de la consommation
et de l’investissement et réduction des dépenses
publiques. La crise grecque a néanmoins une
vertu : en mettant en lumière les carences de
l’Union européenne en matière budgétaire, elle
constitue un avertissement et appelle une
révision profonde de la politique budgétaire en
zone euro.
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Depuis fin 2009, la Grèce est en plein bouleversement. Sauvée in extremis du
défaut de paiement par l’action conjointe de l’Union européenne (UE) et du
FMI, elle n’a pas regagné la confiance des marchés. Conséquence directe de la
dégradation des finances publiques, la crise grecque a été aggravée par deux
autres facteurs : la spéculation financière d’une part, et l’absence de cohésion au
sein de la zone euro d’autre part. La Grèce a profité de la croissance vigoureuse
des années 2000, supérieure à 4 % par an, et de la faiblesse des taux d’intérêt liée
à son appartenance à la zone euro pour accroître massivement les dépenses publiques (santé, protection sociale, éducation, ordre public). Cette manne financière
a eu pour effet de retarder les réformes fiscales et structurelles qui auraient permis
de préserver la soutenabilité du système, alors même que les déficits public et
commercial se creusaient. Deux ans après la crise des subprime, quand le pays est
entré en récession, la question de la soutenabilité s’est posée avec acuité. Les
conséquences sont peu réjouissantes : outre une forte récession, l’année 2010
rimera avec hausse du taux de chômage, baisse de la consommation et de l’investissement, réduction drastique des dépenses publiques et hausse de la fiscalité. La
crise grecque a néanmoins une vertu : en mettant en lumière les carences de
l’Union européenne en matière budgétaire, elle appelle une révision en profondeur de la politique budgétaire en zone euro.
Chronique d’une faillite annoncée
Bien que les causes de la crise grecque soient plus profondes, c’est la révélation du nouveau Premier ministre, George Papandréou, déclarant que son
prédécesseur aurait maquillé le chiffre du déficit, qui a plongé la Grèce dans la
tourmente en novembre 2009. À l’annonce des chiffres réévalués du déficit
(12,7 % du PIB en 2009 au lieu des 6 % déclarés par le gouvernement précédent), les spéculateurs d’une part, et les agences de notation d’autre part ont
brutalement réagi. Profitant d’une forte demande d’assurance alimentée par la
peur d’un défaut, les spéculateurs achètent massivement des contrats d’assurance
sur le défaut de paiement (Credit Default Swaps). La hausse du prix des CDS et
des rendements sur le marché secondaire de la dette publique grecque renforce la
panique et alimente la spéculation à la baisse sur les titres, à la hausse sur les
CDS. La forte demande sur le marché des CDS grecs provoque une hausse des
primes sur les CDS, alimentant la menace d’un défaut de paiement. À leur tour,
les agences de notation réagissent dès le mois de décembre, en dégradant la note
souveraine de la Grèce. Fitch, puis Standard and Poor’s abaissent la note de la
Grèce de A- à BBB+, suivis par Moody’s qui a fait passer sa note de A1 à A2.
Conséquence de ces réactions conjointes, les taux d’intérêt obligataires grecs
se tendent (graphique 1). Fin janvier 2010, les taux d’intérêt obligataires grecs à
10 ans avoisinent les 7 %, soit une augmentation de 100 points de base sur le
seul mois de janvier.
Sous la pression de leurs partenaires européens, les autorités grecques présentent, le 14 janvier 2010, un plan d’assainissement des finances publiques
prévoyant le retour du déficit public dans les limites du Pacte de stabilité
européen en 2012. Ce premier plan prévoit une augmentation des recettes de
près de 7 milliards d'euros grâce à l'intensification de la lutte contre l'évasion
fiscale, une taxe sur les grandes fortunes et des privatisations à venir. La réduction des dépenses, pour 3,6 milliards d'euros au total, est concentrée en grande
partie sur la fonction publique (gel des embauches, fin des contrats à durée déterminée dans l'administration, réduction des primes et gel des plus hauts salaires).
Graphique 1 : Grèce - Taux des obligations à 10 ans
En %
14
12
10
27 avr.:
5 nov.:
22 déc.:
S & P dégrade
10 mai:
Le gouvernem ent annonce M oody's dégrade la note
22 avr.:
la note de B B B +
P lan de secours
un déficit de 12,7%
grecque de A 1 à A 2
M oody's dégrade à B B + (grade spéculatif) U E /F M I de 750 M ds €
du P IB en 2009
la note grecque
de A 2 à A 3
14 juin:
16 déc.:
M oody's dégrade la
14 jan.:
note de A 3 à B a1
S & P abaisse La G rèce présente son plan
grade
spéculatif)
(
d'assainissem ent
la note grecque
de A- à BBB+
8
8 déc.:
F itch dégrade
la note grecque
de A- à BBB+
6
4
2
G rèce
0
oct.09
nov.09
déc.09
janv.10 févr.10 m ars 10 avr.10
m ai 10
Z E hors G rèce
juin10
juil.10
août.10
Note de lecture : Par ordre décroissant : les notes A1, A2, A3, ainsi que A- correspondent à une qualité
moyenne ; les notes A-, BBB+ et BBB- correspondent à une qualité moyenne inférieure ; les notes BB+ et
Ba 1 correspondent enfin au grade spéculatif.
Source : Datastream.
Avant même que le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne
(BCE) n’approuve ce plan, le 3 février
2010, un deuxième programme fiscal
vient s'ajouter : le gouvernement étend
le gel des salaires dans la fonction publique aux agents gagnant moins de
2000 euros par mois, l’âge légal de la
retraite est repoussé à 63 ans, les taxes sur
les carburants sont augmentées. Début
mars, un troisième train de mesures est
annoncé, pour 4,8 milliards d'euros.
Plusieurs taxes sont revues à la hausse
(augmentation de la TVA qui passe de
19 à 21%, augmentation des taxes sur les
alcools, le tabac et le carburant, taxation
plus forte pour les revenus dépassant
100 000 euros,…). De nouvelles coupes
salariales dans la fonction publique sont
prévues (réduction de 10 % du salaire,
gel des pensions en 2010).
Le 11 avril, alors que la Grèce voit sa
note souveraine à nouveau dégradée,
l’Eurogroupe entérine le principe d’un
plan d’aide préventif, stipulant que la
Grèce, dont les taux obligataires sont
devenus prohibitifs pourra obtenir des
prêts à un taux « préférentiel » de 5 %,
pour un montant initial de 45 milliards
d’euros. Ce plan intervient tardivement
alors que la situation de la Grèce se
dégrade quotidiennement : sur le seul
mois d’avril 2010, les taux d’intérêt obligataires à 10 ans augmentent de
300 points de base (graphique 1). Ces
atermoiements traduisent des désaccords
au sein de l’UE, notamment entre l’Allemagne et la France. Ce plan ne
parvenant pas à calmer les marchés, les
pays de la zone euro recourent à deux
actions d’envergure. Le 2 mai 2010, ils
2
entérinent un plan de 110 milliards
d’euros pour aider la Grèce (80 milliards
d’euros de prêts par les pays de la zone
euro et 30 milliards d’euros de prêts du
Fonds monétaire international (FMI)).
Le 10 mai, en concertation avec le FMI,
ils s’accordent sur la mise en place d’un
plan de secours historique de 750 milliards d’euros 1 pour aider les pays de la
zone euro qui en auraient besoin, et
endiguer une crise financière qui menace
de gagner toute la planète. La BCE fait
également un geste en décidant d’intervenir pour soulager le marché de la dette
en zone euro, en procédant à des achats
de titres obligataires d’État, ce qui a pour
conséquence une baisse des taux grecs de
plus de 400 points de base sur les obligations publiques à 10 ans.
Ces actions d’envergure ne réussissent pourtant pas à calmer durablement
les marchés : en juin 2010, Moody’s
abaisse à son tour la note souveraine
grecque au niveau spéculatif ; depuis, le
taux d’intérêt des obligations à 10 ans
s’est maintenu au-dessus de 10 %.
Une crise prévisible, mais
inattendue
Causes profondes de la crise : des
finances publiques déséquilibrées
En 1998, lors de la mise en place de
l’Union monétaire, la Grèce ne res1. Le total se décompose en 60 milliards d’euros de
prêts accordés par la Commission européenne et 440
milliards d’euros de prêts et garantis par les pays de
la zone euro. Le FMI apportera aussi une contribution additionnelle sous forme de prêts pour un
montant de 250 milliards d’euros.
LETTRE DE L’OFCE
■ MARDI 21 SEPTEMBRE 2010
pectait pas plusieurs des critères de
convergence prévus par le Traité de
Maastricht : taux d’inflation, taux
d’intérêt et déficit budgétaire. En mars
2001, lors du réexamen de sa situation,
elle recevait une réponse positive et
entrait dans la zone euro. Certes, le critère du taux d’inflation était respecté :
avec un taux de 2 % en 2000, la Grèce se
situait en deçà de la valeur de référence
de 2,4 % 2 . De même, le taux d’intérêt
nominal à long terme de la Grèce s’établissait en moyenne à 6,4 %, soit un
niveau inférieur à la valeur de référence 3.
En outre, la drachme grecque participait
au Mécanisme de change européen
depuis 1998, et les statuts de la banque
centrale grecque étaient compatibles
avec les articles 108 et 109 du Traité de
Maastricht. Certes, le ratio dette publique/PIB flirtait avec le seuil de 100 % du
PIB, mais la stabilité de ce ratio a été
déterminante, et a permis à la Grèce
d’intégrer la zone euro, comme cela avait
été le cas pour la Belgique ou l’Italie.
En outre, la Grèce connaît une crise
des recettes. Malgré les mesures fiscales
intervenues au cours de la dernière
décennie 4, visant à mieux prendre en
compte les revenus, et peu compensées
par des mesures visant à réduire la fiscalité, les recettes fiscales, en pourcentage de
PIB, ont décru de 2,25 points entre
2000 et 2007. L’existence de ce « manque à gagner » est attribuable à plusieurs
facteurs :
– L’ampleur de l’évasion fiscale : la
sous-déclaration des revenus atteint
10 % en 2004-2005, ce qui représente
un manque à gagner de 26 % pour les
recettes fiscales, en raison de la progressivité de l’impôt sur le revenu. L’évasion
fiscale suit une courbe en U : ce sont surtout les plus pauvres, alimentant
l’économie souterraine, et les plus riches,
soucieux d’échapper à la progressivité de
l’impôt, qui sous-déclarent leurs revenus.
– La lutte insuffisante contre l’économie souterraine : lorsque l’on compare la
taille de l’économie souterraine dans
vingt-et-un pays développés 5, la Grèce
arrive en tête avec une économie souterraine estimée à 25 % du PIB, contre une
moyenne de 14 % pour les pays de
l’OCDE.
2. Moyenne des trois meilleurs taux de l’UE :
+ 1,5 point.
3. Moyenne des taux d’intérêt des trois États-membres ayant les meilleurs résultats en matière
d’inflation : + 2 points.
4. Notamment : loi sur l’évasion fiscale de 2007,
élargissement de l’assiette fiscale avec l’instauration
d’une taxe sur les dividendes et les revenus du capital
en 2008, simplification de la taxation sur la propriété et des droits de mutation en 2008, suppression de
l’exemption sur la résidence principale en 2009.
5. Lars P. Feld et Friedrich Schneider, Survey on the
shadow economy and undeclared earnings in OECD
countries, janvier 2010.
■ 323
Graphique 2 : Solde structurel primaire, intérêts de la dette et écart critique
8
solde structurel primaire (en % du PIB potentiel)
6
charge des intérêts de la dette (en % du PIB potentiel)
4
écart critique entre taux de croissance et taux d'intérêt apparent
2
0
-2
-4
-6
-8
-10
-12
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
Source : Comptes financiers, OCDE, mars 2010.
La Grèce connaît également une
hausse de la part des dépenses publiques
dans le PIB. Alors que cette part a baissé
de plus de 600 points de base entre 1995
et 2008 dans les pays de la zone euro, la
Grèce et le Portugal font figure d’exception. Le niveau des dépenses publiques
reste néanmoins modéré : en 2009, les
dépenses publiques représentent 50,4 %
du PIB, un chiffre inférieur à la moyenne
de la zone euro (50,8 % du PIB). La stratégie grecque, qui consistait à maintenir
un système de protection sociale
généreux et à améliorer la politique salariale, sans faire de réforme structurelle, a
dérivé vers un « laxisme budgétaire ». La
montée en charge du système de retraite
et de l’administration publique en sont
deux manifestations.
Les retraites représentaient 11,5 %
des dépenses publiques en 2005, avec
des modalités d’attribution très généreuses : pour le seul régime de base, le taux
de remplacement se situe dans une fourchette de 70 à 80 %, le salaire annuel
moyen de référence représentant la
moyenne des salaires des cinq dernières
années, et la durée de cotisation étant de
35 ans.
De plus, l’administration publique
grecque est un employeur important : la
masse salariale distribuée par l’État grec
s’est alourdie de 5,2 % par an en
moyenne entre 2000 et 2009. En outre,
le secteur public pâtit du clientélisme et
de la présence d’emplois fictifs.
Conséquence du déséquilibre durable entre recettes et dépenses, le déficit
budgétaire s’est creusé, pour atteindre
13,5 % du PIB en 2009, de même que la
dette. L’évolution de cette dernière
dépend non seulement du solde primaire 6, mais également du taux d’intérêt
apparent et du taux de croissance 7. Or, le
taux d’intérêt apparent nominal de la
dette a fortement décru sur la période
1995-2010 et est resté stable autour de
4,5 % depuis 2005 (graphique 2). Combiné à un taux de croissance annuel
moyen de 7,5% entre 2000 et 2007, cela
a permis de réduire l’écart critique et le
déficit public, donc de freiner l’effet
boule de neige de la dette. Depuis 2007
en revanche, le taux de croissance s’est
effondré et le déficit primaire s’est creusé. En conséquence, l’écart critique a
considérablement augmenté, de même
que le poids de la dette.
Alimentée par le déficit budgétaire,
la détérioration de la balance courante a
été rapide à la suite de l’adoption de
l’euro. Après une période de relative stabilité entre 2000 et 2004, le solde
courant grec est passé de -6,8 % en
moyenne sur la période 2000-2004
à -14,6 % du PIB en 2008. La Grèce est
ainsi devenue la lanterne rouge de la
zone euro, derrière le Portugal, l’Espagne
ou l’Irlande, dont les déficits respectifs
atteignent -10,1%, -9,7 % et -5,1% du
PIB en 2008. Cette détérioration s’explique essentiellement par le creusement du
déficit commercial, et dans une moindre
mesure par la réduction de l’excédent de
la balance des services.
La question de la soutenabilité,
catalyseur de la crise
À la suite de la crise des subprime, le
taux de croissance du PIB est passé de
4,5 % en 2007, à 2 % en 2008, puis -2 %
en 2009. Si, pour simplifier, on considère que le solde budgétaire est nul, on
6. Le solde public primaire présente la différence
entre recettes et dépenses publiques avant la prise
en compte des paiements d’intérêt sur la dette
publique.
7. dt+1 - dt = dt(i-g) - st+1 avec g : taux de croissance
du PIB nominal, i : taux d’intérêt apparent, s : solde
public primaire /PIB, d : dette publique/PIB.
LETTRE DE L’OFCE
■ MARDI 21 SEPTEMBRE 2010
peut en déduire que la dette est stabilisée
si et seulement si le taux de croissance est
égal au taux d’intérêt. Avec un taux de
croissance supérieur à 4 %, et des taux
d’intérêt bas, la dette grecque était largement soutenable. Dès lors que le taux de
croissance s’est aventuré en territoire
négatif, les craintes sur la soutenabilité
de la dette sont apparues. Amplifiées par
les actions spéculatives et par le rôle
procyclique des agences de notation, ces
craintes se sont transformées en
véritable panique.
Pour juger de la soutenabilité de la
dette, il faut également tenir compte de
la richesse financière nette des ménages.
Si l’on considère deux États endettés, la
question de la soutenabilité ne se posera
pas de la même façon selon que les
ménages possèdent ou non des actifs
(financiers ou immobiliers). Ainsi, alors
que l’Italie ou le Japon ont des dettes
publiques nettes plus importantes que la
Grèce (101% du PIB et 108 % du PIB
respectivement, contre 87 % pour la
Grèce en 2009), la richesse des ménages
italiens et japonais est bien supérieure à
celle des ménages grecs.
L’incapacité de la zone euro, malgré
des actions concertées, à véritablement
enrayer le mouvement de spéculation
contre la Grèce, a conduit à s’interroger
sur les conséquences de cette crise pour
la Grèce.
La Grèce à la croisée des
chemins
Un besoin impérieux de réduire
l’endettement public
Étant donné le faible taux d’épargne
intérieure (5 % du PIB nominal en
2009), le financement de la dette repose
essentiellement sur les marchés financiers, ce qui crée un risque de liquidité. Il
est donc nécessaire de réduire l’endettement public (tableau).
L’écart de taux par rapport à l’Allemagne demeure à des niveaux
prohibitifs. Grâce à l’intervention de la
Commission européenne, de la BCE et
du FMI, la Grèce a obtenu un prêt au
taux de 5 % 8. Quant au taux de croissance, une profonde récession est prévue
en 2010, avec une baisse du PIB réel de
3,7 %, alors que le PIB s’est contracté de
1,5 % au deuxième trimestre 2010. La
récession pourrait se prolonger en 2011,
avec une baisse du PIB de 2,5 % 9. Les
trois principaux moteurs de la croissance
grecque (consommation publique, con8. Ce taux de 5 % permet aux pays de la zone euro,
bénéficiant de taux d’intérêt bas (3,5 % en moyenne
zone euro hors grecs, pondérée par le poids des pays)
de jouer sur l’écart de taux et d’empocher la prime
de risque.
9. Prévision de la BCE.
■ 323
3
Dette
publique/PIB
en 2009 (d t )
Charge
Croissance du
d’intérêts de la
PIB en valeur
dette/PIB
en 2010 (g)
en 2010 (i)
Solde
Prévision dette
primaire/PIB publique /PIB
en 2010 (d t+1) en 2010 (d t+1)
Allemagne
73,2
3,4
1,9
-3,2
77,5
Espagne
53,2
3,3
-0,2
-8,9
63,9
France
77,6
2,8
1,7
-5,8
84,3
Grèce
115,1
4,5
-3,8
-3,3
127,9
Irlande
Italie
Portugal
64,0
3,8
-0,7
-8,9
75,8
115,8
4,0
1,1
-0,5
119,7
76,8
3,9
1,0
-4,3
83,3
Sources : prévisions OCDE juin 2010, Eurostat.
sommation privée et investissement)
sont en panne. En raison de la cure
d’austérité, la Grèce verrait le taux de
chômage (qui a atteint 12 % en mai,
contre 8,5 % un an plus tôt) continuer
de progresser, et une baisse du revenu des
ménages, qui auraient pour conséquence
une baisse des recettes fiscales. En outre,
la faiblesse de la compétitivité externe ne
permettra pas au commerce extérieur de
tirer la croissance.
Politique budgétaire : une lueur d’espoir
Pour parvenir à respecter son engagement de ramener le déficit public à 8,1%
du PIB à la fin de l’année, contre 13,6 %
en 2009, l’État dispose des leviers de la
politique budgétaire, réduction des
dépenses ou hausse des impôts. À l’heure
actuelle, les deux leviers sont conjugués
avec succès, comme le montrent les trois
« paquets » fiscaux successifs adoptés
entre janvier et mars 2010. Le premier
examen trimestriel du programme économique du gouvernement grec, mené
conjointement par la Commission
européenne, la BCE et le FMI, a conduit
à un bilan positif : au premier semestre
2010, le déficit public atteignait
11,4 milliards d’euros, contre 19,7 milliards au premier semestre 2009 (soit une
baisse de 40 %). Si cet effort devait se
poursuivre à l’identique au second
semestre, le déficit atteindrait -10 % du
PIB en 2010, soit une réduction considérable de 3,6 % par rapport à 2009,
mais toutefois inférieure à l’engagement
pris d’atteindre -8,1% du PIB. De janvier à juin, des progrès importants ont
été réalisés sur le plan des réformes structurelles, avec l’adoption de la réforme
des retraites par le Parlement et la mise
en œuvre des réformes fiscales et
budgétaires. Cette réduction du déficit
s’explique davantage par une réduction
des dépenses (avec une baisse de 10 %
sur les sept premiers mois de l’année, par
rapport à la même période de 2009) que
par une hausse des recettes, qui n’ont
augmenté que de 4,1% pour la même
période. Dès lors, les marges de manœuvre en matière fiscale demeurent
importantes (lutte contre l’économie
souterraine et réforme de la fiscalité).
Refonder le Pacte de stabilité et
de croissance
Restaurer la soutenabilité des finances publiques grecques ne pourra se faire
que concomitamment à la refonte de la
politique budgétaire dans l’Union
européenne. La crise grecque a montré
que les critères de convergence mis en
place par le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) étaient insuffisants pour
conduire une politique budgétaire crédible. L’absence de mécanismes de
solidarité au sein de la zone euro a montré ses limites dans un contexte de
finances publiques dégradées. Pour y
pallier, les initiatives se multiplient :
après le plan de secours de 750 milliards
d’euros approuvé dans l’urgence, les initiatives récentes visent à une plus stricte
application du PSC par la création d’un
organe de supervision budgétaire. En
revanche personne ne songe à modifier le
PSC lui-même.
Pourtant, comme l’a montré la crise
grecque, l’indépendance budgétaire était
un leurre. D’une part, les pays de la zone
euro sont interdépendants. D’après la
Banque des règlements internationaux
(BRI), les créances des banques étrangères en Grèce totalisent 177 milliards
d’euros. Les banques européennes en
détiennent 141 milliards, soit 80 %
(42 % pour les banques françaises, 25 %
pour les banques allemandes). Cette
forte imbrication entre pays européens
suggère qu’une faillite au sein de la zone
euro aurait des répercussions immédiates
sur les autres pays, notamment les plus
fragiles. D’autre part, les pays de la zone
euro partagent une monnaie commune.
Or, le manque de crédibilité de la Grèce
dans la gestion de crise a entraîné une
dépréciation de l’euro, avec des conséquences sur l’ensemble de la zone.
La seconde limite du PSC tient à son
asymétrie : il ne tient pas compte des
effets cycliques de l’activité. En période
de ralentissement d’activité, un PSC
appliqué à la lettre pourrait rapidement
avoir des conséquences préjudiciables à
la croissance par une action procyclique
négative. Plutôt que des ratios qui ne
tiennent pas compte du cycle d’activité,
il faudrait une règle économique qui
impose le rééquilibrage budgétaire en
période de croissance, et qui permette
une action budgétaire contracyclique en
période de récession ou de croissance
molle. Ainsi, entre 2000 et 2007, la
croissance moyenne a été de 4,2 % par
an en Grèce. Bien que reposant sur des
bases fragiles, notamment un faible taux
d’exportation, une dégradation continue
de la balance commerciale et un niveau
d’endettement individuel élevé, elle
aurait néanmoins pu permettre l’assainissement des finances publiques en
haut de cycle, libérant ainsi des marges
de manœuvre dans des périodes moins
favorables. Il semble donc plus judicieux
d’appliquer des règles budgétaires contraignantes sur l’ensemble du cycle
plutôt que sur une année donnée.
La troisième limite du PSC vient du
fait que les ratios sont identiques pour
tous les pays de la zone alors même que la
notion de soutenabilité budgétaire varie
d’un pays à l’autre. Le PSC ne tient donc
pas compte des différences de croissance
et de taux d’intérêt pourtant essentiels
pour déterminer la trajectoire appropriée
d’évolution de la dette. En outre, les
caractéristiques intrinsèques d’un pays
(notamment la part de l’investissement
public, le poids des engagements futurs
et la croissance potentielle future)
sont occultées.
Les politiques budgétaires autonomes, appuyées par quelques indicateurs
de convergence, ont montré leurs limites
concernant la surveillance budgétaire.
Plutôt que de chercher à sauver le PSC,
n’est-il pas temps de créer une autorité
budgétaire européenne dont la tâche
principale consisterait à coordonner les
développements des plans budgétaires
nationaux, comme le préconise la Banque centrale européenne ? À l’heure où
l’Europe pâtit d’un déficit de crédibilité,
sans doute s’agit-il d’un nouveau pas
décisif dans la construction européenne.
Encore faut-il accepter de le franchir. ■
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Charges d’intérêts, taux de croissance et niveau de la dette en 2010
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