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tion. Un de ses exégètes1 va même jusqu’à reprocher à Pessoa les « in-
justices » commises envers des écrivains et des politiciens de l’époque
dans Ultimatum2, un pamphlet en prose signé Campos, qu’il faut pren-
dre pour ce qu’il est, un monologue dramatique. Autre exemple des dan-
gers de cette méthode : un autre ouvrage déplore que Reis et Caeiro
n’aient pas pris la même voie que Pessoa vers la perfection spirituelle,
vers le « Salut », qu’ils se soient engagés dans une « fausse voie3 »,
oubliant que la mission de Caeiro est justement de guérir Pessoa du
vertige de l’au-delà. Ce genre d’analyse, ignorant que les hétéronymes
ont été créés pour contredire leur créateur, pour exorciser son introver-
sion, ses peurs, ses angoisses, ses doutes, fausse entièrement la compré-
hension de l’œuvre de Pessoa. Notre intention a été précisément de
replacer chaque personnage dans l’ensemble dramatique où il acquiert
toute sa signification. Dans cette longue démarche, qui nous oblige à
considérer le même texte de plusieurs points de vue – ce qui ne va pas
sans quelques détours et parfois des retours en arrière qui peuvent sem-
bler des répétitions – nous distinguons quatre étapes.
Dans la première, il s’agit de situer Pessoa par rapport au drame
symboliste. Cette insertion, qui est notre point de départ, nous aide à
comprendre ce qui était pour Pessoa le propre du genre dramatique,
remis en cause aussi bien par lui-même que par les symbolistes. Pour
saisir l’esprit du projet dramatique symboliste, nous avons dû considé-
rer non seulement les doctrines mais aussi leur application pratique :
ainsi avons-nous essayé, d’une part, d’évaluer le résultat du défi jeté à
Maeterlinck par Pessoa dans le domaine du drame symboliste en géné-
ral et du théâtre statique en particulier et, d’autre part, de mettre en
évidence les affinités de Pessoa avec Mallarmé en ce qui concerne leur
conception de l’œuvre – du « Livre » – comme un tout cohérent de na-
ture dramatique. Ces doctrines et réalisations ayant eu une influence
considérable au Portugal, nous avons consacré un chapitre, le deuxième,
à la déterminer. Dans ce chapitre, aussi bien que dans le premier et la
dernière partie du troisième, il nous a fallu suivre une méthode d’énu-
mération de faits et de documents qui peut tromper le lecteur sur l’esprit
même de notre travail. Dans la mesure où le premier chapitre devait être
une introduction capable de nous fournir des points de repère, nous avons
dû puiser à différentes sources pour tâcher de dégager les idées maîtres-
ses du projet symboliste en France dans le domaine du théâtre. Au
deuxième chapitre, des documents inédits nous ont permis de pénétrer
1. G. R. Lind, Teoria Poética de Fernando Pessoa, Porto, Inova, 1970.
2. Ibid., p. 203-207.
3. D. Pereira da Costa, O Esoterismo de Fernando Pessoa, Porto, Lello ed., 1971, p. 24.
RitaLopes.p65 21/01/04, 14:5110