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sinon ils ne seraient pas des faits. Ce qui est en revanche bien possible, c’est que les faits
métaphysiques contredisent les affirmations scientifiques et que les faits scientifiques
contredisent les affirmations métaphysiques : c’est le cas lorsque ces affirmations sont
fausses.
En ce qui concerne la compatibilité avec les faits empiriques, la théorie de la régularité et
sa version renforcée, la théorie déductive-nomologique, apparaissent comme
particulièrement défectueux. Le monde réel ne semble pas contenir les régularités
empiriques sans exception sur lesquels l’analyse de la théorie de la régularité est fondée.
Nancy Cartwright a attiré l’attention sur ce fait dans son livre portant le titre provocateur
„How the Laws of Physics Lie (Comment mentent les lois de la physique)“. Cependant,
Scriven avait déjà constaté dans les années 60 : « le fait le plus intéressant à propos des lois
de la nature est qu’elles soient virtuellement toutes fausses ».
2
Il est vrai que la littérature
contemporaine en philosophie des sciences contient toute une gamme de tentatives de
limiter les dégâts provoqués par ce fait, mais aucune entre elles n’est apte à défendre le
genre particulier de loi dont la théorie de la régularité a besoin, à savoir les lois empiriques
de succession entre événements. En ce sens, il est clair en particulier que la conception
dispositionnelle des lois physiques, la conception répandue selon laquelle les lois
contiennent des énoncés sur le comportement qu’auraient les systèmes physiques dans des
situations non perturbées, n’est pas capable de réhabiliter la théorie de la régularité : les
régularités contrefactuelles ne sont pas de régularités du tout. En outre, aucune autre
stratégie contre le scepticisme à l’égard des lois ne peut sauver la théorie de la régularité
nomologique – ni les idéalisations, ni les clauses ceteris paribus, ni les lois probabilistes, ni
l’addition vectorielle en cas de superposition, une thèse forte que je ne peux pas justifier ici
dans le détail.
3
Dans la discussion philosophique sur les avantages et les inconvénients des différentes
théories de la causalité, les contre-exemples jouent un rôle clé. Ces contre-exemples sont de
deux genres : ou bien on fait référence à des situations dans lesquelles nous tenons pour
vrai un énoncé causal singulier, alors que l’analyse proposée le déclare faux, ou bien
l’analyse nous impose au contraire un jugement causal que nous ne sommes intuitivement
pas inclinés de faire. Bref : ou bien l’analysans en question est satisfait sans que l’analysandum
soit vrai, ou l’inverse.
La fonction des contre-exemples et de contester que l’analyse proposée soit adéquate.
Les défenseurs des théories ainsi défiées cherchent en général de raffiner leur analyse de
telle sorte qu’elle finit par rendre compte même les cas présentés comme contre-exemples.
Les différentes variantes de la théorie contrefactuelle de la causalité offrent une large
gamme d’illustrations de cette procédure (« cas de préemption », « surdétermination
causale »). Le débat sur la théorie probabiliste la causalité lui aussi s’articule principalement
autour de contre-exemples ; ils confrontent cette théorie à des situations particulières où un
événement cause quelque chose dont il diminue en général la probabilité, ou bien l’inverse.
Je voudrais prendre du recul par rapport à ces débats, pour essayer de tirer une leçon du
fait qu’une partie considérable de la littérature contemporaine sur la théorie de la causalité
2 M. Scriven, “The Key Property of Physical Laws – Inaccuracy”, in: H. Feigl/G. Maxwell (Eds.), Current
Issues in the Philosophy of Science, New York 1961, p. 91.
3 Cf. G. Keil, Handeln und Verursachen, Frankfurt am Main 2000, p. 182-240.