*Un astérisque signifie que l’œuvre mentionnée fait partie de l’accrochage de la salle
Bien avant le XIXesiècle, les rencontres entre l’Orient et l’Occident furent nombreuses : il suffit
de songer aux turqueries des ballets de Versailles, aux Lettres persanes de Montesquieu, aux
odalisques de François Boucher, à L’enlèvement au sérail de Mozart pour voir combien la mise
en scène de mondes lointains fut un des ressorts de la création artistique européenne.
Cependant, l’orientalisme comme genre pictural n’apparaît véritablement qu’avec le XIXe
siècle, et encore, recoupe-t-il un large éventail de représentations où se mêlent tout à la fois
exotisme pittoresque, érotisme voyeur ou vision complaisante d’une soi-disant barbarie. Par
ailleurs, il touche autant à l’Afrique du Nord, à l’Egypte, à l’empire turc, à la Grèce ou au Moyen-
Orient, composant une géographie aux contours extrêmement vagues.
L’expédition égyptienne de Bonaparte, avec sa cohorte de savants et d’artistes à l’orée du
siècle, régénère cette vision fantasmée grâce à une expérience plus directe de ces pays ; le
mouvement d’indépendance hellénique passionne les élites européennes qui y voit une
renaissance démocratique des Lumières face au despotisme ottoman. Devenant le théâtre
d’épopées héroïques où se jouait la lutte d’un peuple pour sa liberté, l’Orient incarnait des
idéaux chers aux artistes romantiques qui furent sans doute les plus sensibles à l’appel du Levant.
Eugène Delacroix (1798-1863)
Considéré très tôt comme le chef de file du mouvement romantique, Delacroix est sans
doute l’un des artistes les plus emblématiques du XIXesiècle. L’Orient occupa une place
importante de son art mais il sut être aussi bien peintre d’histoire qu’ordonnateur de grands
décors. L’orientalisme constitue pour lui comme pour ses contemporains, plutôt qu’un genre
à part entière, un moment privilégié de sa carrière auquel il puise une nouvelle inspiration.
Formé chez Pierre Narcisse Guérin (1774-1833), élève de David (1748-1825) défenseur de
la tradition classique, il noue dans cet atelier ses premières amitiés : Théodore Géricault (1791-
1824), de 7 ans son aîné, le marque profondément : Son Etude de pieds et de main* dont
Delacroix écrit « Ce fragment de Géricault est vraiment sublime. C’est le meilleur argument
en faveur du beau comme il faut l’entendre »,
témoigne du vaste travail préparatoire de l’artiste
pour Le radeau de la Méduse. Dans cette morbide
nature morte – elle fut composée à partir de
véritables fragments humains comme ses autres
études pour le tableau (ill.1) – il dépeint avec des
tonalités profondes une nouvelle réalité en rupture
avec les canons du beau idéal. Par la violence et la
suavité de sa représentation, il ouvre la voie à une
modernité annonciatrice du romantisme de Delacroix.
LAngleterre et les peintres anglais sont aussi pour l’artiste une source d’inspiration : il
séjourne à la suite de Géricault en Grande-Bretagne (1825) et découvre en compagnie du
Richard Parkes Bonington (1802-1828) l’aquarelle chère aux paysagistes d’Outre-Manche. Alors
qu’il séjourne en France, le Britannique adapte quant à lui les effets de cette technique à la
peinture à l’huile qu’il traite dans ses paysages* avec une fluidité proche du lavis.
La découverte de l’Orient est une expérience visuelle déterminante : en 1832, il
accompagne le comte de Mornay au Maroc et à Alger. Delacroix y découvre la magie de la couleur,
de la lumière et une atmosphère qui le renvoie à la grandeur antique des premiers temps
bibliques. Réalisé dés son retour en France, les Exercices militaires des Marocains* est encore
empreint des impressions directes du peintre. La fougue de la cavalcade impulse un vigoureux
dynamisme à la composition, suspendue par le brusque élan du cheval cabré. La touche palpite
en une harmonie chromatique faite de rouge, de bruns et de blancs qui participe au dynamisme
de l’ensemble. Les femmes d’Alger dans leur intérieur* (1849) ne sont plus qu’un souvenir sublimé
du séjour africain : Delacroix y reprend le sujet et la mise en page du tableau du Salon de
1834 (ill.2) mais au répertoire pittoresque et précis qu’il développe dans la première version,
ill.1- Théodore Géricault
Etude de têtes coupées
Stockholm, Nationalmuseum
Droits réservés
Salle
Préault
...
Romantisme
et classissisme
...
32
...
Delacroix
et l’orientalisme
6 ex de cette fiche 32
il préfère créer une ambiance plus vaporeuse et
irréelle où vibre l’atmosphère feutrée du Harem.
Par sa capacité d’évocation, « ce petit poème
d’intérieur » (Baudelaire) marque de manière
insigne la dette de l’artiste envers son séjour
oriental.
Acquis par Alfred Bruyas en 1850, ces deux
chefs d’oeuvre ouvraient le collectionneur aux
expressions picturales les plus novatrices de son
temps : afin de sceller ce nouveau pacte artistique
avec Delacroix, il lui commanda trois ans plus tard son portrait*, le dernier réalisé par
l’artiste. Cette représentation réaliste du jeune homme maladif, isolé dans son élégante
lassitude, renvoie au mélancolique Michel-Ange dans son atelier* auquel s’identifiait le
peintre. Au milieu de ses sculptures, le démiurge de la chapelle Sixtine est représenté la mine
abattue, découragé par les affres de la création artistique. Cette figure tragique du génie en
souffrance illustre sans doute avec le plus d’acuité le caractère romantique de Delacroix et
de son art.
Le romantisme et l’Orient
Dans sa quête de nouvelles sources d’inspiration, Delacroix avait
trouvé en Orient les sujets aptes à porter le sentiment d’une
génération d’artistes en révolte contre les règles antérieures. Avec
Les massacres de Scio (1824) et La Grèce sur les ruines de Missolonghi,
1826 (ill.3), le combat d’indépendance des Hellènes devient une
cause défendue par l’avant-garde romantique. Elle incarne le combat
des valeurs civilisatrices de la Grèce antique face à la sauvagerie
ottomane. Le portrait de Jeune fille, costume d’Athènes* illustre
cette vogue pour les sujets grecs : s’il est probable qu’il s’agisse d’un
portrait de fantaisie, c’est cependant une image pittoresque et
intimiste nourrie d’un Orient familier qu’en donne Duvidal de
Monferrier (1797-1869).
Le « Grand tour » avait entraîné les voyageurs dans le Péloponnèse à la découverte des
vestiges de l’Antiquité classique ; la conquête de l’Algérie offre dès 1830 aux artistes français
un contact direct avec l’autre rive de la Méditerranée. A la représentation d’un monde
fantasmé et inconnu succède un art d’observation où « la quête orientale devient enquête
sur l’Orient ».
Ainsi, Le Portrait d’Arabe* de Cabanel (1823-1889) est un portrait
réaliste même s’il renvoie à l’histoire biblique de Thamar (Livre de
Samuel, II, 13) ; il y favorise la dimension humaine du sujet, à la
différence de la complaisante cruauté que peut déployer Regnault
(1843-1871) dans un même sujet à vocation historique (ill. 4).
Au contact de l’Orient, les artistes découvrent aussi une nouvelle
dimension du paysage : les horizons infinis et leur luminosité
renouvellent grandement le genre encore marqué par l’héritage classique.
Fromentin (1820-1876) part en Afrique à plusieurs reprises entre 1846
et 48. Fasciné par la vie nomade il s’aventure dans le Sud profond, vierge
de toute présence française. Avec une distance pudique, il montre la
smalah de Si-Hamed-Bel-Hadj* : plutôt que de donner une vision
descriptive du campement bédouin, il transcrit l’atmosphère saturée
de chaleur et, d’une touche mouchetée, dissout les formes dans l’ocre
du sol et l’étendue du ciel. Paysagiste de formation classique, Bellel (1816-1898) se rend lui
aussi au Maghreb (1856) où il découvre l’immensité saharienne. De même que son prédécesseur,
il déploie dans La Nezla d’Ouargla* un panorama désertique plein d’ampleur où une caravane
chamarrée invite au voyage.
ill.2- Eugène Delacroix
Femmes d’Alger
dans leur appartement
Paris, Musée du Louvre
RMN / © Photo Thierry Le Mage
ill.3- Eugène Delacroix
La Grèce sur les ruines de Missolonghi
Bordeaux, Musée des Beaux-Arts
Droits réservés
ill.4- Henri Regnault
Exécution sans jugement
sous les rois Maures, 1870
Paris, Musée d’Orsay
RMN / © Hervé Lewandovski
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