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Stage d’économie approfondie du 20 février 2014
Alain Beitone
Compte-rendu rédigé par Lucile Auffant
Remarques liminaires :
Les documents présentés pendant le stage sont mis en ligne sur le site « Eloge des SES ».
Ce stage peut être complété par le dossier documentaire du stage sur le financement de
l’économie de l’académie d’Aix Marseille (dossier mis en ligne sur « Eloge des SES »).
La globalisation financière.
1. De la première à la seconde mondialisation financière
Mise en perspective historique de la globalisation financière
a) 1880-1914 : 1ère mondialisation financière
1
.
Caractéristiques :
- théoriquement un système de monnaie unique : l’or (étalon or) chaque monnaie
nationale est équivalente à un poids d’or. Donc pas de possibilité d’ajustement par le
change, pas de crise de change puisqu’ils sont fixes. Les agents ont des anticipations
de changes fixes : pas d’opérations spéculatives quant à des dévaluations et des
réévaluations. Les prix sont stables sur le long terme. Le développement important de
la circulation internationale des capitaux permet de financer les économies émergentes
de l’époque. On assiste à des crises financières qui sont le plus souvent des crises de
balance des paiements et des crises bancaires.
- Les ajustements se font par l’activité économique : les crises ont provoqué toutes les
réflexions du XIXème siècle sur l’instabilité économique (de la production, des prix).
C’est un mode de régulation du capitalisme reposant sur plusieurs éléments : des
salaires nominaux flexibles à la baisse, des contrats de travail peu institutionnalisés,
une intervention conjoncturelle de l’État peu développée (petites crises de régulation).
Les crises bancaires sont assez ponctuelles et sont destinées à éliminer les mauvaises
gestions (frères Pereire, affaire Stavisky). Les « crises périodiques de surproduction »
jouent un rôle d’assainissement périodique en éliminant les entreprises les moins
performantes et en reconstituant le taux de profit (J Rueff évoque la « régulation par la
faillite »). Aux États-Unis il n’existe pas de banque centrale (La Fed est créée en
1913 : débat politique car cela enlève du pouvoir aux États fédérés) mais la contrainte
métallique est forte. En 1873 on assiste à la démonétisation de l’argent (suite à la
découverte de nombreuses mines de ce métal) pour renforcer la contrainte métallique
et seule la convertibilité en or s’impose.
À l’échelle internationale, cette première globalisation est caractérisée par le rôle de la livre
sterling et de la place financière de Londres. La Banque d’Angleterre a une fonction
1
Une lettre de Trésor Eco porte sur les leçons de la première mondialisation
https://www.tresor.economie.gouv.fr/File/330516
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régulatrice à travers la fixation de ses taux d’intérêt. Les mécanismes de marché jouent très
fortement mais le système n’est pas totalement décentralisé.
Cette « stabilité gémonique » (Ch. Kindleberger) entre en crise progressivement quand les
États-Unis, l’Allemagne et le Japon concurrencent la Grande Bretagne.
1914 : événements politiques, la plupart des monnaies deviennent inconvertibles (sauf aux
États-Unis), révélateur d’un changement d’hégémonie. Churchill pense que cette
convertibilité sera rétablie (puisqu’au XIX siècle l’étalon or avait été suspendu puis rétabli), il
le fera en 1925, mais cela ne fonctionne plus car les rapports de force ont changé. À
l’occasion de la guerre, les États-Unis deviennent créanciers nets du reste du monde pour la
première fois, et la place de New York est en pleine ascension.
b) Période de l’entre-deux-guerres
C’est une crise de régulation (théorie de la gulation). Pas de système stabilisé : l’ancien
mode de régulation est en crise, le nouveau mode de régulation est en gestation, on a donc une
crise au sens d’A Gramsci.
Les systèmes financiers sont nationaux, les mouvements de capitaux sont restreints, on assiste
à une montée du protectionnisme après la crise de 1929. C’est la fragmentation de l’espace
économique mondial. Débat déflation/dévaluation (retour à l’étalon or en Grande Bretagne en
1925). C’est le même bat que pour l’euro actuellement (Grèce notamment : on n’ajuste pas
par le change, c’est une politique de déflation).
1928 en France : choix de la dévaluation (de 80 % par la « stabilisation Poincaré »).
Développement de stratégies non coopératives : forte dévaluation compétitive en France,
guerre commerciale (montée des « égoïsmes sacrés »), paiement des réparations de la guerre
(occupation de la Ruhr voulue par Poincaré). Logique du tous contre tous.
c) Les Trente Glorieuses
Après seconde guerre mondiale : accord pour la situation de l’entre-deux-guerres ne se
reproduise pas. Les conférences de la Havane, de Philadelphie (sur le travail), de Bretton
Woods et la création de l’ONU témoignent de cette volonté de mise en place de stratégies
coopératives
2
.
Le système qui se met en place pendant les Trente Glorieuses a pour caractéristique
principale la place faible des mouvements internationaux de capitaux.
Exemples : poids des transferts internationaux de capitaux par rapport au PIB très faible
moins de 4%. Idem poids des mouvements de capitaux dans la balance paiements : 25-30 %.
La grande question est celle des serves de change des banques centrales pour payer les
soldes débiteurs (question que se posent les émergents aujourd’hui qui après la crise de 1997
ont constitué d’importantes réserves de change). Il faut constituer des réserves de change pour
payer les transactions commerciales si elles sont déficitaires.
Les banques centrales font des accords de swaps, qui complètent le dispositif des droits de
tirages organisés dans le cadre du FMI
3
.
2
Le système financier est évidemment lié à la configuration globale des rapports sociaux. Cela constitue une
partie des analyses de Robert Boyer dans son livre « Les financiers détruiront-ils le capitalisme ? » Economica,
2011. A signaler l’ouvrage de deux économistes marxistes qui vient de paraître : Gérard Duménil et Dominique
Lévy, « La grande bifurcation », éd La découverte, coll. L’horizon des possibles, février 2014. Ils mettent la
crise financière mondiale en perspective.
3
En 1967, la décision est prise de compléter ce dispositif par la création des Droits de tirages spéciaux (DTS)
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Triangle de Mundell : possibilité de mener des politiques monétaires nationales car les
mouvements de capitaux sont très faibles, et les changes sont fixes.
Les logiques monétaires nationales reposent principalement sauf aux États-Unis sur une
logique d’intermédiation bancaire, sur des taux d’intérêt nominaux administrés (y compris
aux États-Unis : plafonnement dit réglementation Q dans le Glass Steagall Act :
l’administration fédérale plafonnait le taux d’intérêt sur les comptes courants créditeurs, car la
concurrence entre les banques pour offrir des taux plus élevés et attirer des clients était
déstabilisatrice pour le système financier). On n’a pas de logique de régulation par les prix du
système financier (la plupart des pays, à l’exception des Etats-Unis, pratiquent l’encadrement
du crédit). De même, la plupart des pays (France, Allemagne fédérale, Japon, GB, etc.)
pratiquent le refinancement à taux fixe, très forte présence de l’État dans la régulation des
taux d’intérêt et la circulation des flux financiers.
Pas de régulation par le marché de la finance : système très administré (notamment en France
avec le « circuit du Trésor »). Ce système a fonctionné, il a été stable et a servi de cadre à une
croissance économique exceptionnellement forte.
Caractéristiques de ce système :
- Primat de l’intermédiation bancaire : les banques doivent résoudre le problème
d’asymétrie d’informations. Elles vont nouer des relations durables avec les clients, et
bénéficier de suffisamment d’informations pour connaître la situation des clients et
accorder des crédits rationnellement aux plus solvables et leur prêter suffisamment
pour financer des activités économiques, des investissements. C’est une période de
croissance soutenue et taux de chômage faible.
- Les banques répondent à un second problème : la liquidité. Les agents en capacité de
financement veulent un niveau élevé de liquidité, et les agents en besoin de
financement veulent des crédits longs. Les banquiers doivent gérer la transformation
bancaire (ou transformation des échéances) : opérer des financements longs avec des
ressources courtes. Les prêteurs doivent disposer d’une stabilité de leur ressources
(obtenue par la loi des grands nombres, cf. le réseau des caisses d’épargne : elles ont
des liquidités stables alors qu’il y a sans cesse des entrées et des sorties sur les livrets ;
et ces caisses financent des crédits aux collectivités locales, des constructions de
logements sociaux). C’est la stabilité des ressources courtes qui permet de financer des
prêts longs. Pour les autres banques, on a des réglementations pour fixer la liquidité
(plancher de bons du Trésor par exemple, réserves obligatoires, encadrement du
crédit).
Une autre caractéristique est que le financement est favorable aux emprunteurs. Les taux
d’intérêts nominaux sont encadrés et maintenus à un niveau relativement faible. Les taux
d’intérêts réels sont faibles voire négatifs notamment pour certains crédits (comme les
ménages endettés dans le cadre de prêts bonifiés : loi Le Loucheur, Crédit foncier ; les prêts
aux collectivités locales, aux pêcheurs, aux agriculteurs, …). Il en découle un fort effet de
levier (taux d’intérêt réel inférieur à la rentabilité économique des capitaux) : la rentabilité
financière devient une fonction croissante de l’endettement. Cela a joué en faveur de
l’investissement (avant 1914 politique favorable aux prêteurs) et de la croissance économique.
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Pendant les Trente Glorieuses, le crédit est encadré : on a un primat de la coordination par la
logique de la hiérarchie (la coordination par le marché joue bien sûr mais elle est très
encadrée
4
).
Le cas des États-Unis
Très tôt, le financement est plus orienté vers le marché, articulé au fait que le refinancement
est à taux variable avec un marché monétaire ouvert. (Hypothèse de la diversité des
capitalismes). Ce fonctionnement était encadré par la législation héritée du New Deal. Le
Glass Steagall Act n’est abrogé qu’en 1999 (alors qu’en France c’est en 1984). Le système
américain s’appuyait sur la garantie des dépôts qui ne s’appliquait qu’aux banques de dépôt
(et donc pas aux banques d’affaire). Les banques de dépôt étaient contrôlées, financées en
dernier ressort car la stabilité monétaire est un bien collectif. Les banques non couvertes
étaient les banques d’affaire et le réseau des caisses d’épargne rurales : pour elles la régulation
par la faillite joue. Cette logique fonctionne tant que les banques sont séparées. La Fed a bien
joué son rôle de prêteur en dernier ressort.
2. La globalisation et le passage au capitalisme financier.
Les grands changements vont se dérouler selon des calendriers différents selon les pays.
En 1984 en France, la loi bancaire est adoptée et met fin à la séparation entre banques de
dépôts et banques d’affaires. En 1986, livre blanc sur le financement de l’économie : volonté
affichée de décloisonner les marchés et de déréglementer. La France joue plutôt un rôle
précurseur
En Angleterre, le Big Bang se produit en 1986 sur la place financière de Londres.
Aux États-Unis, on aura l’abrogation du Glass Steagall Act en 1999, et la libéralisation des
dérivés de crédit en 2002.
On peut considérer qu’au niveau mondial la rupture se produit vers 1979-1980 mais la
transition vers le capitalisme financier est plus ou moins longue avec des modalités
variables. La manifestation centrale est la libéralisation des mouvements internationaux
de capitaux.
Comment expliquer la transition vers le capitalisme financier ?
- Passage aux changes flottants en 1973 : risques de change plus grands, il faut donc
des moyens de trouver des protections contre le risque de change.
- Deux chocs pétroliers jouent un rôle dans l’inflexion du rythme de la croissance
mondiale plus la question du recyclage des pétrodollars : brusque gonflement de la
liquidité mondiale dans les années 1980. Les pays exportateurs ne peuvent
absorber cette hausse de revenus : leur propension à consommer est faible d’où un
gonflement de l’épargne mondiale et des euro dollars. Les Soviétiques ne
voulaient pas placer leurs dollars aux États-Unis. De plus, ce marché de
l’eurodollar a des taux plus favorables qu’aux États-Unis (taux fixés par la
réglementation Q). Les pétrodollars vont alimenter ce marché- et nourrir le
crédit.
- À partir des années 1960, c’est la « grande inflation » (J Denizet). En 1979, taux
d’inflation est de 14% aux États-Unis, en France on a 18% en 1982, en Italie 25%
en 1982. Cela va conduire à un tournant des politiques monétaires. Les politiques
4
Par exemple en France, jusqu’en 1966, l’ouverture d’une agence bancaire est soumise à une autorisation
préfectorale.
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de désinflation (la grande modération) vont réussir : on revient progressivement
dans les pays industrialisés à environ 2% d’inflation (norme de Maastricht en zone
euro, adoptée ultérieurement aux Etats-Unis comme « cible d’inflation »).
Nomination de Paul Volcker par J. Carter aux États-Unis en 1979.
- On assiste aussi à une inflexion des comportements des ménages : l’augmentation
du niveau de vie entraîne une augmentation des taux d’épargne notamment quand
la protection sociale collective est faible (maladie, retraites, scolarité des enfants).
Les investisseurs institutionnels se développent (ex fonds de pension des
enseignants de Californie). La collecte d’épargne conduit à rechercher des hauts
rendements avec des risques faibles, les zinzins se comportent en actionnaires
actifs : arbitrage rendements/risques, gestion des problèmes de liquidité. Cette
évolution est articulée avec les différences démographiques des États (accélération
du vieillissement en Allemagne et au Japon qui vont être exportateurs d’épargne
5
).
- Les besoins de financement des États : crise financière des États Providence avec
le ralentissement de la croissance à partir de 1974-1979, on a aussi des révoltes
anti-fiscales (qui conduisent Reagan au pouvoir aux Etats-Unis). On assiste à la
crise des ciseaux : on voit le creusement des déficits publics, des dettes publiques.
Il est nécessaire d’avoir des marchés financiers profonds et liquides pour obtenir
des taux d’intérêt faibles. Il est alors nécessaire d’ouvrir les marchés financiers, de
déréglementer les marchés financiers. En France le choc de finance publique a été
très fort.
- Pour atteindre cet objectif, il faut déréglementer. Les pays enlèvent les restrictions
aux mouvements des capitaux : 80% des pays industrialisés en 1970 ont de fortes
restrictions, quasiment 0% en 1998. Pour les pays en développement, c’est plus
tardif. (cf. graphique « à bas les restrictions » dans le dossier documentaire en
ligne)
La globalisation financière est le résultat des initiatives des États, souvent assumées et
revendiquées.
Les évolutions ont été très rapides. Exemple du poids des transactions internationales sur les
titres (achats et ventes d’actions par des résidents et des non-résidents), en % du PIB :
- États-Unis : 4 % en 1975 et 89 % en 1990
- Japon : 1,5 % en 1975 et 120% en 1990
- France : 3,3 % en 1975 et 54 % en 1990
(Si on avait les statistiques pour la Grande Bretagne on aurait 1 000 % dans les années 1990).
On a bien une déréglementation intérieure et une ouverture internationale. On voit aussi la
tendance à la constitution d’un marché mondial intégré des capitaux.
6
Cette globalisation
résulte de mesures prises par les États.
Remarque sur les liens entre le programme de 1ère et le programme de terminale à travers la
dialectique réglementation / déréglementation. Par exemple, on fait disparaître le monopole
des agents de change, il a fallu créer des réglementations pour créer les sociétés des bourses et
organiser la cotation en continue. La déréglementation c’est changer la réglementation moins
5
On trouve une analyse prémonitoire de ces phénomènes dans le livre de M. Aglietta, A. Brender et V. Coudert :
« Globalisation financière : l’aventure obligée », Economica, 1990. Les auteurs montrent que la circulation des
capitaux est la conséquence inéluctable du fait que les pays ne se trouvent pas dans la même situation du point de
vue du cycle de vie (il existe donc un lien fort entre la partie « démographie » et la partie « finance » du
programme d’économie approfondie).
6
Lettre Trésor-Eco, n° 103, Janvier 2012. https://www.tresor.economie.gouv.fr/File/371740
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