Dans le récit de la ligature d`Isaac, la langue hébraïque

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Dans le récit de la ligature d'Isaac, la langue hébraïque offre trois approches du divin se
concrétisant par trois manières différentes d'appeler Dieu : Elohim, Ha-Elohim, et
YHWH .
Sommes-nous devant une seule et même "réalité spirituelle" ?
1 - Elohim
Interrogé par son fils Isaac sur la victime qui allait être offerte en sacrifice, Abraham lui
répondit v. 8: " Elohim verra pour lui l'agneau mon fils." Ainsi en s'apprêtant à immoler
son fils, Abraham se référait à celui qu'il nommait Elohim.
YHWH est Celui qui avait appelé Abraham à sortir d'Ur en Chaldée. Dans la vie du
patriarche, la dénomination Elohim apparaît tardivement: c'est d'abord El - Puissant
(Gn17/1) qui se manifesta à lui; ensuite Abraham rendit grâce au El, Très-Haut de MelkiTsédek, ( 14/18,22), et au El-Éternel reconnu par Avimélek (21/33). Ce n'est qu'avec la
ligature d'Isaac que Elohim semblait intervenir dans la vie d'Abraham. Elohim, un pluriel
en hébreu, rendrait compte de la pluralité des appellations divines qu'avait connues
Abraham lors de ses pérégrinations parmi les peuples. Or le narrateur du récit, au premier
verset, en écrivant que Dieu avait éprouvé Abraham, n'inscrivait pas Élohim, mais...
2 -Ha-Elohim
Qui est-ce qui mit Abraham à l'épreuve ?
- En Gn22, 1 il est écrit "et Ha-Elohim éprouva Abraham".
Ainsi en insérant en hébreu l'article, Ha devant Elohim, le rédacteur inscrivait une
différenciation d'avec celui auquel Abraham pensait se référer, à savoir Elohim.
Ha-Elohim dans le récit de la ligature d'Isaac est inscrit trois fois, aux v. 1, 3, 9, et
toujours dans le discours indirect.
Ha-Elohim en appelant Abraham, lui disait: Abraham! Selon le texte hébreu, il ne l'appelait
qu'une seule fois de son nom. La Septante jugera bon de corriger en: Abraham, Abraham!
Ha-Elohim ajoutait ensuite : "Va pour (vers) toi... vers la terre de Mori'ah "
Va pour (vers) toi.. se retrouve en Gn12,1 où YHWH appelait Abraham à sortir du lieu où
il était né; va pour toi, constituait alors l'œuvre même à accomplir. Reprise ici, si elle n'a
pas sa valeur initiale, peut-être sert-elle d'encouragement?
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Abraham devait se rendre sur la terre de "Mori'ah". En Gn 12,1 il devait se rendre sur la
terre que YHWH fait voir, ou encore, la plaine d'instruction selon le v.12. "Mori'ah" c'est la
montagne où "Instruit-Yh", selon l'étymologie; le terme fut pris peu à peu pour un nom
géographique.
La fin du récit permet de découvrir avec l'instruction divine, Celui qui instruit.
3 - YHWH
Abraham qui avait consenti à sacrifier Isaac à Elohim sur la montagne fut interpellé par le
Seigneur qui l'appelait par l'intermédiaire de son ange,
v.11 : - Abraham, Abraham!
Il faut rappeler ici Ex 3,4, où depuis le buisson en feu YHWH appelait : Moïse, Moïse!
La réitération du nom est un signe de reconnaissance. Quand c'est Le Seigneur qui
appelle, il appelle toujours deux fois. Mais ce n'était pas le cas avec l'appel fait au v. 1 par
Ha-Elohim alors qu'Abraham n'était nommé qu'une fois.
Le rédacteur identifiait-il Ha- Elohim et YHWH comme une seule et même personne? de
même Ha-Elohim, et Elohim étaient-ils pour lui équivalents?
- YHWH se fit connaître d'Abraham en se laissant voir , selon ce qui est dit au v.14; Il se
laissait découvrir en lui-même dans son dessein bienveillant ; YHWH avait arrêté le geste
d'Abraham au moment où il portait la main sur Isaac. Abraham prit conscience que Celui
en qui il mettait sa foi n'était pas habité d'intentions inhumaines. C'était bien lui YHWH qui
en Gn12 l'avait invité à se rendre dans le pays qui lui serait montré. Mais le rédacteur n'a
pas écrit que c'était YHWH , qui avait incité Abraham à lui offrir un sacrifice sanglant!
En découvrant qui était YHWH Abraham ne prenait-il pas conscience de la différence
existant entre l'intention divine et celle qu'il lui prêtait?
Celle-ci ressemblait peut-être à celle des dieux d'autrefois...
Traduire Ha-Elohim, et Elohim par une seule et même dénomination, ne rend pas compte
de la complexité du récit ni de la conscience qui pouvait habiter son rédacteur. Affirmer
que les trois désignations Ha-Elohim, Elohim et YHWH correspondraient à une même
réalité divine, c'est peut-être ne pas tenir assez compte de l'écrit et de sa grammaire;
c'est s'engager dans une voie aux multiples ambiguïtés, et offrir une lecture en
"raccourci", sans un respect suffisant de la pensée du rédacteur ou de celle des sages.
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Tout en prêtant à Ha-Elohim, les intentions de Elohim, Abraham qui s'apprêtait à immoler
son fils, découvrait en définitive YHWH qui ne demandait pas le sacrifice sanglant de
l'humain. Respecter la différenciation concourt à ne pas ignorer que l'humain entre dans
une connaissance progressive de Celui qu'il sera en mesure, peut-être un jour, de
reconnaître comme YHWH. Ha-Élohim offre dans ce récit les caractéristiques des divinités
révérées par les nations qui poussaient les fidèles à leur sacrifier leurs enfants.
Élohim, c'était celui que craignait Abraham, avant qu'il ne découvre l'amour de YHWH.
Craindre, Voir et instruire
Ces trois verbes voir, craindre et instruire présentent en hébreu de telles similitudes, qu' à
certains temps il serait aisé de prendre l'un pour l'autre. Ils sont chaque fois, dans ce
texte, associés à une dénomination divine.
Sur la demande de ha-Elohim, Abraham se
rendit sur la terre de Mori'ah: v.2 : Ha-Mori-YH = la terre où instruit YH. Il vit de
loin le lieu où il pensait devoir sacrifier son fils Isaac :
v.4 : Va-Yare'èh ha-makom = et (Abraham) vit le lieu.
A la question d'Isaac s'interrogeant sur la victime, Abraham répondit:v.8 : Elohim Yire'èh
Lo = Elohim verra pour lui (pourvoira). Alors qu'il s'apprêtait à immoler Isaac, YHWH
envoya son ange retenir Abraham et le remercier parce qu'il avait craint Elohim:
v.12 : Yeraè Elohim = tu crains Elohim.
Abraham levant les yeux se rendit compte tout à coup que la demande divine n'était pas
celle qu'il avait imaginée:
v.13 : Va-Yare'èh = et il vit!
Le verbe qui n'est pas suivi d'un complément d'objet direct est pris dans un sens absolu:
Abraham se rendit compte! Il se rendit compte que YHWH ne lui demandait pas ce
sacrifice sanglant.
C'est pourquoi il dénomma le lieu: YHWH Yire'èh = YHWH verra (ce qui peut se lire aussi
"sera vu") v.14.
Réalisant que YHWH s'était vraiment manifesté à lui il put s'écrier: YHWH Yërä'èh =
YHWH sera vu (ou se fait voir, se montre)
Le verbe est directement précédé ou suivi de la dénomination divine, sauf au v.13; au v.4
Makom est considéré comme un nom divin. Abraham pressentait que celui qui l'instruisait
allait se faire connaître. Quand il comprit et qu'il vit ce qui lui était réellement demandé ne pas consentir par crainte au sacrifice sanglant - alors l'instruction et la vision ne firent
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plus qu'un:
YHWH se montra, YHWH fut vu d'Abraham.
Ce récit avait pour but d'instruire les fidèles sur les intentions divines: YHWH n'avait pas à
l'encontre des humains de volontés inhumaines.
Or le récit ne s'arrête pas là, il y a plus.
La paternité d'Abraham
Abraham venait de délier Isaac, et en le laissant aller, c'est lui-même qu'il libérait des
idées qu'il se faisait du dessein divin. Et le narrateur n'a pas dit qu'ils soient rentrés
ensemble.
Abraham avait demandé aux deux jeunes garçons qui les avaient accompagnés de les
attendre au bas de la montagne, ajoutant qu'ils reviendraient ensuite vers eux. En disant
cela Abraham exprimait l'espérance qui l'habitait de ne pas livrer son fils à la mort, malgré
le sacrifice auquel il consentait. La racine de ce verbe revenir se retrouve deux fois au
v.19 dans un jeu de mots avec revenir, pour se retourner, se convertir, et aussi pour
demeurer.
Et Abraham retourna vers les deux jeunes garçons; et ils se levèrent, et allèrent ensemble
au puits de la promesse (Bersheva); et Abraham demeura au puits de la promesse.
Il semblerait qu'en libérant Isaac de ce qu'il avait fait peser sur lui, Abraham ait pris
conscience d'un devoir de paternité envers les deux jeunes qui les avaient accompagnés;
c'est ensemble qu'ils se rendirent à Bersheva, où Abraham resta après s'être retourné.
Le juste exercice de sa paternité envers Isaac, le renoncement à projeter sur lui son
dessein personnel, permettait à Abraham d'exercer une paternité sur beaucoup d'autres.
La libération d' Isaac serait ce qui constituait le sacrifice agréé du Seigneur, source de
bénédiction. Là commençait la promesse: "je te bénirai de bénédictions, et je te
multiplierai d'abondance". Gn22,17
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