le 01.03.09, rev. JCB, PJ, BC
1
Dîner GBF - "Jean Monnet est-il mort ? »
le 15 janvier 2009
En présence de :
* Benjamin Chassaing, fondateur, association Jean Monnet Spirit.
Négociant en vin, Benjamin est un passionné de Jean Monnet.
* Marc Joly, doctorant en sociologie, auteur de Le mythe Jean
Monnet : Contribution à une sociologie historique de la construction
européenne, CNRS Editions, 2007. Jean Monnet, « Père de l'Europe »,
serait un mythe qui aurait été construit pour servir le projet politique
européen.
Qui était Jean Monnet ? Pourquoi a-t-il tant marqué l'histoire de la
construction européenne ? Quelle était sa philosophie d'action ?
Le dîner avait lieu au Café Fauchon, 30 place de la Madeleine 75008,
dans le patio du premier étage.
*
Jean-Christophe Boulanger introduit la séance : les Mémoires de Jean
Monnet l’ont profondément marqué. La leçon qu’il a retenue, c’est
l’envie de faire, plutôt que de passer son temps à vouloir être. Dwight
Morrow, cité par Jean Monnet, disait : « Il y a deux catégories
d’hommes : ceux qui veulent être quelqu’un et ceux qui veulent faire
quelque chose. »
Benjamin Chassaing souligne que le premier axe de la vie de Jean
Monnet a été le cognac. Il n’a pas fini son bac qu’il est déjà marchand
de cognac. Lui-même est négociant de vin à Montpellier, et connaît
bien le métier de voyageur de commerce. Très jeune, ce métier fait
que Jean Monnet devient citoyen du monde. Le cognac est une
production qui s’exporte à 90%.
en 1888, Jean Monnet a vingt-six ans quand éclate la première
le 01.03.09, rev. JCB, PJ, BC
2
guerre mondiale. Il est réformé et n’a pu faire le service militaire, mais
il veut se rendre utile. Il se lance alors dans « les affaires des autres »,
suivant l’expression de son père. Les efforts de guerre de la France et
de l’Angleterre de guerre se font concurrence. Il demande une
audience à René Viviani, Président du Conseil ; René Viviani l’envoie
à Londres : « Vous semblez avoir des idées sur la méthode. Vous
devez essayer » pour travailler dans les services du ravitaillement
civil. Fin 1917, Jean Monnet est nommé chef de la mission à Londres
du ministère du Commerce et des Transports maritimes, et délégué du
ministre du Ravitaillement. En mars 1918, lorsque le Comité allié des
transports maritimes (le « pool des navires ») est créé, il en devient le
représentant français.
Monnet devient alors un fin connaisseur des relations internationales,
intervient comme numéro deux de la SDN en 1919-23, banquier
d’investissement en 1924-32, liquidateur financier d’Ivar Krüger en
1932, conseiller économique du Kuomingtang en 1934-36, missionné
par Daladier pour négocier auprès de Roosevelt l’achat d’avions de
guerres en 1938. C’est un homme de paix. Quelle influence il exerce
pour un homme très jeune, et sans diplômes ! L’œuvre de sa carrière,
c’est aujourd’hui l’Europe. Or, sa carrière politique a commencé bien
avant : il n’inspira l’Europe qu’à l’âge de 62 ans.
La chose la plus extraordinaire qu’il a faite dans sa vie, c’est de
convaincre Roosevelt d’accroître l’effort de guerre pendant la Seconde
Guerre mondiale : il est en grande partie à l’origine du « Victory
Program ». Roosevelt écoute l’avis de Monnet contre celui des experts
militaires. Selon le mot de Jean Monnet : « Il vaut mieux avoir dix
mille chars de trop qu’un seul de moins. » Que se serait-il passé si
Monnet n’était pas entré dans le bureau de Roosevelt ? John Maynard
Keynes dira à son ami Emmanuel Monick : « Lorsque les Etats-Unis
d’Amérique entrèrent dans le conflit, on présenta au président
Roosevelt un plan de construction d’avions jugé par tous les
techniciens américains comme réalisant quasiment un miracle. Or
Jean Monnet osa le trouver insuffisant. Le président se rallia
finalement à ce point de vue. Il imposa à la nation américaine un effort
qui parut de prime abord impossible mais qui fut par la suite
le 01.03.09, rev. JCB, PJ, BC
3
parfaitement réalisé. Cette décision capitale a peut-être raccourci
d’une année entière la durée de la guerre. »
Marchand de cognac, Monnet est aussi banquier d’affaire en Chine et
aux Etats-Unis, ce qui lui permettra de constituer un bon carnet
d’adresses. Il s’implique dans la coordination de l’effort de guerre
pendant les deux guerres mondiales. En 1940, il réussit à persuader
Roosevelt de sortir de l’isolationnisme. Après la Première Guerre
mondiale, il conseille les Etats (Pologne, Roumanie, Chine) en matière
de politique monétaire, et s’applique à réconcilier la France et
l’Allemagne.
Y a-t-il une méthode Monnet ? Benjamin Chassaing soutient que non.
Il s'appuie sur des propos de Jean Monnet, mais aussi de Jean Guyot et
Max Kohnstamm. Jean Monnet est unique, et il n’y a pas plus anti-
méthodique que lui. Il n’existe pas de définition précise de cette
fameuse méthode, qui relève du mythe. On dira tantôt que c’est la
« méthode des petits pas », tantôt les « réunions en petit comités »,
etc. ; cette fameuse méthode a été tour à tour à la mode, dépassée, à
nouveau d’actualité... Jean Monnet était un homme d'action, il avait le
sens du moment opportun. Il excellait en période de crise. Homme de
l’ombre, il préférait travailler en petit comité. Organisateur et
travailleur infatigable, il savait évaluer les capacités des individus, et
les faire travailler.
Benjamin Chassaing veut camper Jean Monnet en philosophe de
l’action, mais les membres du GBF entament le menu : rouleau de
légumes du maraîcher, avant le magret de canard. Marc Joly
parviendra toutefois à se faire entendre.
Dans son livre Le mythe Jean Monnet, Contributions à une sociologie
historique de la construction européenne, Marc Joly a passé au scalpel
la biographie du grand homme pour y déceler l’origine du mythe
politique. En bon sociologue, il ne cache pas qu’il a été militant
politique au « Mouvement des Citoyens » de Jean-Pierre
Chevènement, et qu’il vient du souverainisme. Pourtant, souligne-t-il,
les souverainistes ont tort de faire de l’Europe actuelle leur ennemie :
le 01.03.09, rev. JCB, PJ, BC
4
la souveraineté des Etats a été intégrée et respectée dans une
construction unique au monde.
Jean Monnet était un génie. Sans doute le devait-il au fait qu’il était à
l’époque très libre par rapport aux idéologies nationales et qu’il était
par une très forte conviction : c’est la structure des interrelations
humaines qui détermine le fait que les hommes rentrent ou non en
conflit. D’où la mission qu’il s’est assignée : imaginer des types de
structures reliant les hommes entre eux qui permettent d’annihiler les
causes de conflit. Marc Joly écrit une thèse sur le sociologue allemand
Norbert Elias, et n’hésite pas à mettre en parallèle les deux hommes.
Le « processus de civilisation » décrit par Norbert Elias éclaire la
philosophie d’action de Jean Monnet.
Monnet a mis en évidence le besoin de réalisations concrètes pour
mettre les hommes d’accord, et d’institutions adaptées pour prévenir
les conflits. C’est un homme qui excelle en période de crise, grâce à
son pragmatisme, à son absence de préjugés. Il n’a jamais adhéré au
mythe de la Nation ou de la raison d’État et n’a pas cherché à les
transposer au niveau européen. À la différence de nombre de ses
contemporains, qui aspiraient à « devenir quelqu’un », Jean Monnet
est un homme qui a fait plus qu’il n’a été. Mais cela rend le « mythe
Monnet » d’autant plus paradoxal ; car, en tant que personnage
historique, Monnet est censé incarner une idée, l’Europe, pour laquelle
il a finalement assez peu fait. Il est le « Père de l’Europe »,
« Monsieur Europe ».
Le mythe Monnet veut que toute l’action du grand homme ait été
guidée par un seul but, la réalisation de l’unité européenne. Certes, la
création de la CECA est un « moment exceptionnel », selon Monnet
lui-même, mais l’idée n’aurait certainement pas abouti sans le soutien
des Etats-Unis. Ce point sera largement débattu au dessert, devant le
soufflé glacé au chocolat Carupano. La pression américaine est forte
sur les Allemands, qui finissent par accepter le plan Monnet de 1950.
Le rôle de Monnet aurait-il été surévalué, au détriment de celui de
John McCloy, haut-commissaire pour la Zone d’occupation
américaine en Allemagne, et président du conseil de la Haute
le 01.03.09, rev. JCB, PJ, BC
5
Commission alliée ? On soulignera toutefois que McCloy, en
Allemagne, travaillait étroitement en lien avec Jean Monnet.
D’où vient alors le « mythe Monnet » ? Jean Monnet aurait été investi
par des idéologues qui croyaient en l’Europe fédérale, et qui avaient
besoin d’une figure tutélaire. Selon la formule d’Alain Duhamel,
« c’est l’homme de l’idée de l’Europe ». En France, le mythe Monnet
a été propagé par diverses personnalités comme Pascal Fontaine ou
Paul Jaeger. Le premier soutient que Monnet aurait rêvé d’un Etat
souverain européen. Or, Monnet a précisément combattu l’idée même
de l’Etat souverain.
Paul Jaeger lance les questions et s’adresse à Georges Berthoin,
ancien collaborateur de Jean Monnet : « comment avez-vous rencontré
Jean Monnet ? » « - C’était en 1951, en Lorraine. Le Président de la
République, Vincent Auriol, avait donné une instruction secrète, qui
décentralisait immédiatement les structures de décision en cas de prise
de pouvoir par les communistes. Vincent Auriol était contre le Plan
Schuman, mais ne voulait pas que le Plan échoue à cause d’un scrutin
partemental. Il fallait donc que Robert Schuman gagnât le scrutin
législatif, ce qui se produisit, à 600 voix près ».
Après avoir terminé ses études à Harvard, Georges Berthoin est
employé au Ministère des Finances. Jean Monnet était considéré
comme l’ennemi. Commissaire général au Plan, lors de la
reconstruction, il autorisait le déblocage des fonds Marshall. Le statut
de Commissaire général le rendait indépendant des changements de
gouvernements. Il était donc plus puissant que le Ministre des
Finances, qui valsait tous les six mois. Il exerçait un pouvoir absolu
sur la manière dont la reconstruction française avançait. Même la
CGT collaborait à toutes les missions du Plan. En bref, Monnet avait
une « nouvelle méthode de l’exercice du pouvoir ». On lit dans ses
Mémoires : « Aucun poste ministériel ne m’eût offert un champ
d’action aussi vaste que celui que m’ouvrit la fonction indéfinissable
de commissaire au Plan (...). J’occupais un territoire jusqu’à présent
sans nom et sans maître. »
1 / 10 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !