Une application de la veille sanitaire : la grippe saisonnière
Emeline DUROY, journée du DES 5/02/2007
Introduction : Pourquoi la grippe est-elle un problème de santé publique ?
Affection aiguë à début bruyant et brutal, la grippe se comporte comme un puncheur. Le sujet
sain plie le genou, s’alite, s’absente, puis récupère. Il est rare mais possible qu’il en meurt.
Les personnes âgées et affaiblies sont bien plus nombreuses à être précipitées dans une
situation grave, voire critique ou mortelle. Le virus à l’origine de cette maladie est virulent
(capacité à se multiplier), pathogène (capacité à donner une symptomatologie), contagieux
(capacité à se transmettre). Cette contagiosité est très élevée car le virus grippal est capable de
provoquer des épidémies annuelles, certes variables, mais atteignant toujours des millions de
personnes. Il est même un des rares capables de provoquer des pandémies, certaines ayant
laissé des souvenirs sinistres comme celle de 1918.
Il est doué d’une capacité à échapper aux fenses immunologiques humaines. En effet, les
réassortiments et l’absence de réparation des mutations remplacent la sexualité pour assurer la
diversité génétique du virus grippal. Par cassure ou variation génétique majeure, il remet tout
le monde sur un pied d’égalité et provoque des pandémies. La dernière a eu lieu il y a 30 ans
(grippe de Hong Kong à H3N2 en 1968). Depuis, par glissements progressifs, il maintient un
nombre suffisant de sujets réceptifs qui assurent sa survie. Cette situation particulière, la haute
contagiosité du virus grippal, fait qu’il n’est pas considéré comme éradicable.
La grippe : un problème médicoéconomique
En France, la moindre des épidémies de grippe touche plusieurs millions d’habitants. En
raison de ce grand nombre de cas, le moindre des effets cliniques de la grippe prend des
proportions considérables.
Prenons par exemple l’impact économique des épidémies :
- Coûts directs des cas de grippe correspondant à la consommation en biens médicaux des
malades (consultations, médicaments, examens…).
- Coûts indirects liés aux arrêts de travail et aux pertes de production qui en découlent.
L’impact économique ne se limite pas au décompte des dépenses de santé. La grippe peut
avoir un impact moins facile à quantifier mais beaucoup plus spectaculaire sur le monde du
travail : exemple dans les usines comportant des chaînes de production, épidémie de grippe
accroissant brutalement le taux des absences et paralysant ainsi les chaînes de production.
Le secteur sanitaire n’est pas épargné : la production et la distribution des médicaments
peuvent être perturbées au moment même où la demande de médicaments augmente, afflux de
patients dans les hôpitaux embouteillant les services d’urgence et saturant les services de
réanimation. La désorganisation des soins hospitaliers qui en résulte est d’autant plus grande
que les soignants peuvent être, eux aussi, victime de la grippe.
Pourquoi surveiller la grippe ?
La mise en place d’un système de surveillance épidémiologique doit préalablement faire
l’objet d’un processus de réflexion visant à justifier son intérêt. A ce titre, il existe des
arguments forts pour développer la surveillance de la grippe :
- La grippe est une préoccupation de santé publique. Maladie fréquente et à fort potentiel
épidémique, la grippe est à l’origine d’une morbidité importante. La mortalité par grippe est
loin d’être négligeable pour les personnes à risque non vaccinées.
- La connaissance précoce d’une alerte épidémique peut permettre de limiter son
retentissement sur le système de soin : désorganisation de la prise en charge en ville et à
l’hôpital liée à l’afflux des patients, rupture de stock médicamenteux.
- La connaissance des souches de virus grippal en circulation permet d’assurer l’adéquation de
la composition des vaccins, évaluée annuellement, et participe à la recherche de l’émergence
d’un virus grippal nouveau à potentiel pandémique.
- Il n’existe pas de tableau clinique spécifique de la grippe. La diffusion régulière, vers les
soignants, d’une information épidémiologique régionalisée est un outil majeur d’aide à la
décision favorisant le bon usage tant des antibiotiques surprescrits dans cette pathologie virale
que des molécules antivirales spécifiques de la grippe dont l’utilisation doit être réservée aux
périodes de circulation du virus grippal.
Objectifs de la surveillance épidémiologique de la grippe
Dès 1949 et après les fortes épidémies de 1957 et 1968, l’organisation mondiale de la santé
(OMS) a favorisé le développement d’une surveillance globale de la grippe à travers le
monde. Basée sur l’analyse des virus en circulation dans la population, cette surveillance s’est
peu à peu coordonnée et développée à l’échelon national, puis européen. L’Institut de veille
sanitaire (InVS) a la responsabilité de la surveillance de la grippe en France.
Actuellement, les seaux de surveillance épidémiologique de la grippe peuvent répondre à
différents objectifs :
- Alerte et détection : anticiper les épidémies et/ou pandémies à venir notamment à travers le
recueil et l’analyse virologique précise de virus grippaux en circulation.
- Mesure d’impact : mesurer l’impact épidémique à travers le recueil et l’analyse
d’informations épidémiologiques concernant la morbidité et la mortalité ; évaluer l’impact des
mesures de contrôle mises en place (prévention, traitement, recherche de résistance, etc.)
- Aide à la décision : favoriser une prise en charge adaptée à cette pathologie respiratoire
virale (bon usage des antibiotiques/antiviraux) ; développer des modèles de prévision
(circulation virale, formes cliniques, groupes à risques, etc.)
Les différents types de réseaux de surveillance de la grippe
Réseaux de laboratoire
Le réseau de laboratoire assure la détection précoce et la caractérisation des virus grippaux en
circulation ; l’analyse fine de ces virus sert de base aux recommandations émises chaque
année pour la composition des vaccins et participe à la recherche attentive d’un virus
potentiellement pandémique.
En France métropolitaine, deux CNR (Institut Pasteur de Paris et Hospices Civils de Lyon)
assurent cette analyse et centralisent les informations du réseau national des laboratoires
hospitaliers (RENAL).
Parallèlement, des réseaux d’épidémiosurveillance de la grippe animale se sont mis en place,
notamment dans le domaine de l’aviculture.
Réseaux de surveillance en population générale
Bien que l’analyse précise des virus grippaux fasse appel à des biologistes spécialisés, la
grippe est une maladie fréquente pouvant toucher chaque individu et ses meilleurs acteurs de
surveillance se trouvent en première ligne de soin. Sur ce principe, des réseaux se sont peu à
peu mis en place en s’appuyant sur le travail des soignants de première ligne (médecins de
ville, pharmaciens, etc.). Deux types de données de surveillance épidémiologiques peuvent
être fournis par ces soignants :
- Données cliniques : niveau d’activité médicale et/ou sanitaire ;
- Données virologiques : recherche de virus grippaux par prélèvement rhinopharyngé de
patients consultant pour un tableau d’allure grippale.
Organisation de la surveillance
La surveillance de la grippe fut la première surveillance d'une maladie infectieuse mise en
place par l'OMS, dès sa création ou presque, en 1948. Le réseau mondial, basé sur une
centaine de centres nationaux et deux, puis trois et enfin quatre centres mondiaux (Londres
(Royaume Uni), Atlanta (Etats-Unis d'Amérique), Melbourne (Australie) et Tokyo (Japon))
consistait initialement et principalement à recueillir, analyser puis de diffuser des données
virologiques. Des informations qualitatives sur l'extension géographique et l'intensité des
épidémies étaient données "au feeling". Pour certains pays, l'organisation publique du système
de santé permettait pourtant d'obtenir des données quantitatives de morbidité dans la
population générale. Pour les pays comme la France, en revanche, il n'y avait pas de données
sanitaires disponibles et l'origine des virus grippaux détectés ou isolés était uniquement
hospitalière.
Au début des années 1980, les pays comme la France ont un peu partout en Europe développé
la mise en place de réseau de médecins vigies pour la surveillance des maladies
infectieuses,en particulier de la grippe.
Les progrès de la virologie, notamment la généralisation de l'isolement viral sur culture
cellulaire grâce à des lignées continues de cellules très sensibles au virus grippal et l'arrivée
de la méthodologie de révélation immunologique par anticorps marqués avec une enzyme
(ELISA) ont permis, aussi dans les années 1980, à la virologie médicale de passer enfin au
vingtième siècle.
La rencontre d'un virologiste, d'un omnipraticien et d'un épidémiologiste a cristallisé la
naissance d'un système intégré de surveillance de la grippe liant épidémiologie de terrain et
virologie médicale appliquées à la même population.
Créé en 1984 en Ile-de-France, ce système, baptisé Groupe Régional d'Observation de la
Grippe (GROG), reposait en fait sur un concept totalement nouveau. Véritable pionnier
mondial, ce système allait faire des émules dans l'Europe entière la dualité des
surveillances clinique et virologique est devenue la règle. En effet, complétant le premier
système paneuropéen de collection de données sur la surveillance de la grippe en Europe
appelé EuroGROG, une fédération des systèmes nationaux d'abord dans ENS-CARE puis
dans EISS (European Influenza Surveillance Scheme) s'est formée. Les critères d'adhésion à
cette fédération étaient de même inspiration que les principes des GROG en imposant
notamment une surveillance de la grippe par les structures délivrant des soins primaires en
parallèle à une recherche de virus grippaux à partir de prélèvements réalisés également en
structures de soins primaires.
Peu à peu, les réseaux se sont étendus, étoffés et organisés. L'apport de l'Internet a permis la
constitution de base de données relationnelles nationales connectées à une base de données de
même type au niveau européen et la mise en ligne de bulletins hebdomadaires. Peu à peu, la
virologie est devenue quantitative en traitant un nombre croissant d'échantillons cliniques. Au
cours des cinq dernières années, l'irruption de la biologie moléculaire a résolument fait
basculer la virologie vers le vingt et unième siècle.
Organisation de la surveillance de la grippe en France
Si l’analyse précise des virus grippaux fait appel à des biologistes spécialisés, la grippe est
une maladie fréquente dont les meilleurs acteurs de surveillance se trouvent en première ligne
de soin. A partir des années 70, et surtout des années 80, les virologues des Centres Nationaux
de Référence (CNR) de la grippe se sont efforcés de ne pas se limiter aux prélèvements
hospitaliers et de développer des groupes de préleveurs extra-hospitaliers. Partant de ce
principe, en 1984, une association de médecins généralistes franciliens (PLURIELS), l’Institut
Pasteur et l’Observatoire Régional de la Santé d’Ile-de-France mettent en place un système
original de surveillance de la grippe en Ile-de-France, le Groupe Régional d’Observation de la
Grippe (GROG Ile-de-France). L’expérience se révèle concluante et, dès 1987, des GROG
sont implantés dans 10 régions françaises.
Dans le même temps, l’INSERM met en place le Réseau National Télématique des Maladies
Transmissibles (RNTMT), aujourd’hui réseau Sentinelles ”, autour de la surveillance en
médecine générale, d’un certain nombre de pathologies, dont les syndromes grippaux.
Organisation de la surveillance en Europe
Les réseaux nationaux de surveillance clinique et virologique de la grippe existent depuis les
années 50. A la fin des années 8O, des efforts ont été faits pour améliorer les données
cliniques collectées par les médecins en intégrant un système de surveillance virologique et en
collectant des données au niveau européen.
Le premier projet de surveillance Européenne de la grippe fut l’Eurosentinel Scheme (1987-
1991) suivi par l’ENS-CARE Influenza Early Warning Scheme (1992-1995) puis le European
Influenza Surveillance Scheme (1996-).
Membres : L’EISS est fondé par la commission Européenne et a pour objectif d’inclure tous
les membres de l’union Européenne. Tous les membres doivent satisfaire les critères
suivants :
- le réseau est représenté au niveau national ou régional
- l’autorité du réseau est reconnue par l’autorité de santé nationale ou régionale dans
le pays ou la région
- La surveillance clinique et virologique est intégrée dans une même population
- Le réseau fonctionne de manière satisfaisante depuis deux ans
- Le réseau délivre des informations hebdomadaires
Tous les 25 membres de l’Union Européenne ainsi que la Norvège, la Roumanie et la Suisse
participent à l’EISS.
La Grande Bretagne est représentée par 4 réseaux de surveillance : Angleterre, Irlande du
Nord, Ecosse, Pays de Galle.
Il existe 10 membres associés (ne satisfaisant pas entièrement aux critères) : Autriche,
Chypre, Estonie, Finlande, Grèce, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte et Suède. Ces réseaux ne
combinent pas encore les données virologiques et cliniques dans les mêmes populations ou
sont en cours d’adaptation de leur système de surveillance.
Organisation de la surveillance dans le monde
La surveillance mise en place par l’OMS s’appuie sur le travail de 116 centres nationaux de
référence pour la grippe (CNR) répartis dans 87 pays et articulés autour de 4 centres
mondiaux. Ces centres nationaux collectent les échantillons dans leur pays et procèdent à la
première isolation virale et à la caractérisation antigénique préliminaire. Ils envoient les
souches nouvellement isolées aux centres mondiaux pour une analyse antigénéique et
génétique plus fine ce qui permet d’établir les bases des recommandation de l’OMS
concernant la composition des vaccins contre la grippe pour l’hémisphère Nord et
l’hémisphère sud chaque année.
Méthodes des réseaux de surveillance de la grippe en France
Principes généraux
- Recueil de données
Indicateurs d’activité sanitaire (« Données cliniques »)
Le décompte, par les médecins impliqués, du nombre de patients présentant un tableau
clinique compatible avec la grippe est généralement utilisé, seul ou associé à d’autres
indicateurs d’activité sanitaire.
Indicateurs virologiques (« données virologiques »)
L’analyse des prélèvements effectués en ville (réseau GROG) est menée par certains
laboratoires hospitaliers et par les CNR selon les techniques virologiques pratiquées
usuellement dans le cadre du réseau mondial de l’OMS
- Analyse épidémiostatistique
L’alerte et la détection reposent sur l’analyse hebdomadaire, par les experts de chaque réseau,
des données recueillies, en fonction de seuils d’alerte prédéfinis.
- Communication
La surveillance n’a d’intérêt que si l’information qui en émane est adaptée, utile et largement
diffusée à ceux qu’elle concerne : autorité de santé, soignants de première ligne, voire grand
public. Le développement de l’utilisation des messageries électroniques et d’Internet a
profondément modifié et facilité l’accès aux informations épidémiologiques sur la grippe.
Les GROG
L’objectif principal des GROG est la détection précoce et régionalisée de la circulation des
virus grippaux et la mise en alerte du système de soins. Le principe de cette surveillance
repose sur la confrontation hebdomadaire :
- d’indicateurs épidémiologiques d’activité sanitaire recueillis auprès de très nombreuses
vigies de première ligne, volontaires. L’indicateur principal est le décompte des infections
respiratoires aiguës (IRA) répondant à la définition de cas retenue ;
- et de données virologiques émanant de l’analyse par les deux CNR et par cinq laboratoires
hospitaliers des prélèvements rhinopharyngés effectués par les médecins chez des patients
présentant une IRA.
La détection des premiers virus permet de mettre l’ensemble du système en préalerte. L’alerte
est confirmée par le franchissement d’un seuil épidémique prédéfini.
L’ensemble des données de la semaine écoulée est centralisé et analysé à l’échelon régional,
puis national avant le mardi soir suivant, permettant une synthèse et un retour d’information
vers les acteurs du réseau et les autorités sanitaires. Pendant la période de surveillance
intensive (octobre à avril), les GROG mettent en ligne, chaque mercredi, sur leur site Internet
un bulletin épidémiologique hebdomadaire.
Dès le début de l’épidémie de grippe, l’analyse des premières fiches cliniques jointes aux
prélèvements permet de décrire les particularités cliniques des virus en circulation et
d’analyser les éventuels cas de grippe chez des patients vaccinés.
A la fin de chaque hiver, un échantillon de malades ayant eu une grippe confirmée fait l’objet
d’une enquête rétrospective décrivant tous les soins reçus par le patient à l’occasion de cette
grippe, en tenant compte de l’âge du patient et de l’intensité clinique des cas.
Le réseau Sentinelles
L’INSERM a développé un système d’information téléinformatique basé sur un réseau de
médecins appelé Sentinelles. Le réseau comporte 1270 médecins généralistes libéraux en
activité dont une fraction se connecte volontairement sur Internet chaque semaine pour saisir,
selon des protocoles standardisés, des informations épidémiologiques concernant 14
pathologies : Grippe clinique, urétrite masculine, rougeole, oreillons, diarrhée aiguë, varicelle,
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