Savoir produire plus ne suffit pas : les conditions de demande de la croissance
Disposer de plus de facteurs mieux utilisés ne suffit pas en économie de marché capitaliste, car on ne produit pas
systématiquement le maximum (la production potentielle…) mais la quantité vendable - en fonction de la
demande solvable dans des conditions de rentabilité jugées satisfaisantes (niveau des coûts de production). Il
faut en outre être capable de trouver un financement permettant d’acquérir les facteurs de production dont on a
besoin.
Il convient donc d’ajouter plusieurs conditions à la croissance :
Des conditions de débouchés et de compétitivité (en économie ouverte) ; rappel :
PIB = Conso des ménages + C°adm. + I + X M
On produit pour vendre (il faut des clients) face à des concurrents (il faut proposer des
produits et des prix satisfaisants)
Des conditions de rentabilité (problème de la maîtrise des coûts de production)
On produit pour faire des profits, sinon on ne produit pas ou on met le clé sous la porte => il faut que les coûts de
production (les salaires, les charges socio fiscales, les taux d’intérêt, les prix des matières premières...)
permettent de dégager une marge bénéficiaire suffisante ; sinon il faut augmenter les prix de vente et risquer de
perdre des clients ... ou voir son profit et sa survie relis en cause.
Des conditions de financement (épargne, système financier). Coût et facilités du financement sont
également importants
Si ces conditions ne sont pas remplies, la croissance effective (= constatée) peut être inférieure à la croissance
potentielle et la chômage peut se développer.
Keynes a souligné dès les années 1930 l’importance de la demande :
Document 2 : 0r donc, vous, maîtresses de maison pleines de patriotisme, élancez-vous dans les rues demain dès la
première heure et rendez-vous à ces mirifiques soldes que la publicité nous vante partout. Vous ferez de bonnes affaires, car
jamais les choses n'ont été aussi bon marché, à un point que vous ne pouviez même pas rêver. Faites provision de tout un
stock de linge de maison, de draps et de couvertures pour satisfaire à vos moindres besoins. Et offrez-vous, par-dessus le
marché, la joie de donner plus de travail à vos compatriotes, d'ajouter à la richesse du pays en remettant en marche des
activités utiles, et de donner une chance et un espoir au Lancashire, au Yorkshire et à Belfast.
Ce ne sont là que des exemples. Faites donc tout ce qu'il faut pour satisfaire les plus raisonnables de vos propres
besoins et de ceux de votre maison, apportez des améliorations à votre intérieur, faites construire.
Car ce qu'il nous faut maintenant, c'est non pas nous serrer la ceinture, mais nous mettre en humeur de ranimer
expansion et activité, ce qu'il nous faut, c'est agir, acheter des choses, créer des choses. Tout cela est le bon sens le plus
évident assurément. En effet, prenons le cas limite. Supposez que nous allions économiser la totalité de nos revenus et
cessions de rien dépenser du tout. Eh bien !, tout le monde serait au chômage. Et avant longtemps nous n'aurions plus de
revenus à dépenser. Personne ne serait plus riche d'un sou et, pour finir, il ne nous resterait plus qu'à mourir de faim, que nous
aurions bien mérité pour avoir refusé de nous acheter des choses les uns aux autres et de prendre mutuellement notre linge à
laver, car c'est ainsi que nous vivons tous. Et on peut en dire autant et avec plus de raison encore, du travail des collectivités
locales.
J. M. Keynes, allocution radiodiffusée de 1934 Essais sur la monnaie et l'économie Payot.
On peut examiner quelques conditions de formation de la demande et quelques problèmes repérés par
l’analyse économique :
LES ENJEUX DU PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTEE :
Document 3 : Effets des gains de productivité sur la croissance : l’exemple des « Trente Glorieuses »
☺☺☺☺Exercice :
Supposons que nous soyons au début du 20ème siècle aux Etats-Unis ; un industriel de l’automobile, appelons-le
H.F., décide de réorganiser sa production, de revoir ses méthodes commerciales et d’investir lourdement. Les
résultats de ses innovations se traduisent dans les résultats (fictifs) ci-dessous :
(1) P° totale
(en nombre
d’automobiles)
(2) Temps de
fabrication
d’une
automobile
(en heures)
(3) Salaire
horaire
(en
dollars)
(4) Prix de
vente
unitaire
(= d’une
auto)
(5) Profit
unitaire
(= par
auto)
Avant la
réorganisation
10000
1000
3 $
3500 $
………
……..
Après les
200000
100
5 $
1300 $
………
…….
innovations…
Travail :
1) Complétez les données manquantes du tableau.
2) La productivité ……………du …..…………. a été multipliée par ……..
3) Que constatez-vous au niveau des évolutions du prix, des salaires et du profit ?
4) Sachant que la durée du travail est dans les deux cas de 2000 heures en moyenne par an, calculez
l’évolution du nombre de salariés nécessaire à la production.
5) Quelles conclusions tirez-vous de cet exercice ?
Complétez grâce à des flèches le schéma ci-dessous :
Organisation scientifique
du travail (OST de Taylor et Ford) Augmentation des salaires
Production de masse
Forts gains de productivité Baisse des prix
Consommation de masse
Augmentation des profits
Investissements
Forte demande
Document 4 : La déflation est là
L'économie mondiale présente toutes les caractéristiques d'une économie en déflation : excès d'épargne, et donc faiblesse de
la demande ; inefficacité des politiques économiques pour faire repartir l'activité ; chômage et sous-utilisation des capacités
conduisant à une inflation très faible. De ce fait, les taux d'intérêt réels (une fois l'inflation prise en compte) sont
anormalement élevés, ce qui augmente l'endettement et renforce le recul de la demande. Comment en est-on arrivé là?
Le taux d'épargne privé (des ménages et des entreprises) du monde est passé de 29 % du produit intérieur brut (PIB) mondial
en 2007 à 33 % en 2010. Cette hausse vient à la fois du maintien de taux d'épargne extrêmement élevés dans les pays
émergents d'Asie, au Japon et dans les pays producteurs de pétrole, et d'une hausse des taux d'épargne des ménages aux Etats-
Unis (de 1 % à 6,5 % du revenu), en Europe et au Japon. Surtout, les entreprises (aux Etats-Unis, en Europe et au Japon)
déforment le partage de la valeur ajoutée au détriment des salariés, ce qui accroît les profits, donc l'épargne des entreprises,
sans que celle-ci soit investie puisque la demande n'est pas là.
Aux Etats-Unis, ce transfert de revenus vers les profits des entreprises est impressionnant : la productivité par tête du travail a
augmenté de 6 % en un an, les salaires réels seulement de 1 %; au niveau mondial, en 2010, la productivité par tête progresse
de 3 %, le salaire réel de 1,5 %. On comprend donc qu'il y a faiblesse de la demande privée : les ménages des pays de
l'OCDE épargnent davantage (crainte du chômage, perte de richesse immobilière) ; les entreprises ont des profits élevés
qu'elles n'investissent pas; les pays émergents et ceux exportateurs de pétrole épargnent massivement. Face à cette
insuffisance de la demande privée, les politiques économiques sont devenues impuissantes pour stimuler la croissance, avec
des politiques budgétaires plus restrictives et des politiques monétaires qui ne soutiennent pas l'activité.
Comment sortir de cette dynamique déflationniste ? Les deux causes essentielles sont l'insolvabilité de beaucoup de ménages
dans les pays de l'OCDE (surtout aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Espagne et dans d'autres pays périphériques de la zone
euro) et la recherche d'une profitabilité très élevée par les entreprises dans un environnement de croissance faible, d'où la
baisse des revenus venus salariaux, la déformation mondiale du partage des revenus au détriment des salaires (en Chine, la
consommation ne représente plus que 32 % du PIB).
Tant que le partage de la valeur ajoutée ne sera pas moins défavorable à la demande, il est à craindre que l'équilibre déflation-
niste persiste.
Patrick Artus, responsable du service de la recherche !économique de Natixis. Alter éco n°294 09/2010
La croissance, un phénomène complexe pluridimensionnel.
La croissance et le développement nécessitent un contexte institutionnel, culturel et social
favorable qui mette les agents économiques en état de faire croître durablement les
richesses.
Croissance et environnement socioculturel
La croissance économique suppose une attitude favorable de la population. L'élément essentiel est l'existence d'un nombre
suffisant de personnes animées de l'esprit d'entreprise - le chef d'entreprise au sens que lui donnait Schumpeter - disposées à
courir des risques, à lancer de nouvelles combinaisons de production, à ne pas se contenter de suivre l'exemple du passé, mais
à innover résolument. Il faut aussi, bien entendu, que l'ensemble de la population accepte les mutations inhérentes au
processus de croissance.
Cette aptitude au changement, facteur clé de la croissance, a plusieurs dimensions.
En premier lieu, si la population préfère le soleil au travail - ce qui est un choix sociétal légitime - toute croissance matérielle
est évidemment difficile. Toutefois, cette aptitude au changement doit être distinguée de la capacité de travail : ainsi, avant
guerre, dans diverses régions de France, les paysans travaillaient très dur, mais présentaient une très forte résistance à tout
changement dans les méthodes de travail, aussi leur production et leur productivité n'augmentaient-elles que très faiblement.
En second lieu, les travailleurs doivent non seulement accepter de modifier leurs habitudes de travail, mais aussi,
éventuellement, de changer de métier, voire même de région, dans la mesure où [...] les effectifs de chaque branche d'activité
sont amenés à se modifier, certains en hausse, d'autres en baisse ; cette mobilité du travail, professionnelle et géographique,
est très poussée aux États-Unis, alors qu'elle reste modique en France. En troisième lieu, le comportement des détenteurs de
capitaux doit accompagner et ne pas freiner l'esprit d'entreprise. La croissance requiert un sérieux effort d'investissement; cela
suppose qu'il y ait une forte épargne nationale - complétée éventuellement par une aide extérieure - et qu'elle soit orientée
vers les investissements productifs et non pas vers des placements purement financiers ou des dépenses improductives.
L’organisation des marchés financiers doit favoriser cette affectation, mais beaucoup dépend du comportement des agents
économiques et notamment des détenteurs de revenus élevés. Enfin, de façon plus générale, l'ensemble de la population doit
accepter délibérément que puissent être à tout moment remises en cause les situations acquises.
B Maillet et P. Rollet, La croissance économique, PUF, coll. « Que sais-je ?», 1998.
Croissance et institutions :
Que faut-il donc entendre par institutions ? Il s'agit des règles écrites (le droit) et non écrites (les codes de
conduite, les normes de comportement, les coutumes, les mentalités). [...] Dans le domaine de l'innovation,
l'institution déterminante est la mise au point de brevets (Titre de propriété sur une invention ) qui ajoutaient,
selon Lincoln, « le fuel de l'intérêt au feu du génie ».
D’après Jacques Brasseul, « La dynamique de l'innovation », Alternatives économiques hors série n° 65, 2005.
« Les institutions sont les contraintes humaines qui structurent les interactions politiques, économiques et
sociales. Elles consistent à la fois en des contraintes informelles (sanctions, tabous, coutumes, traditions et codes
de conduite), et de règles formelles (constitutions, lois, droits de propriété). À travers l'histoire, les institutions
ont été conçues par les êtres humains pour créer un ordre et réduire l'incertitude dans les échanges. »
D. North Journal of economic perspectives 1991
Par exemple, pour que l’économie de marché fonctionne, « il faut que tout le monde reconnaisse les droits de
propriété, c'est-à-dire le droit des détenteurs d'une ressource de l'utiliser comme bon leur semble. Une compagnie
minière ne fera aucun effort pour extraire du minerai si elle s'attend à ce que celui-ci lui soit dérobé. Elle ne le
fera que si elle espère pouvoir gagner sa vie en vendant le minerai. Les tribunaux sont donc importants dans une
économie de marché, dans la mesure où ils assurent la défense des droits de propriété. Le système judiciaire
pénal décourage le vol pur et simple. Le système judiciaire civil s'assure que les acheteurs et les vendeurs respec-
tent bien leurs obligations.
Dans les pays développés, on a tendance à considérer les droits de propriété comme une évidence ; les habitants
des pays moins développés savent que l'absence de droits de propriété pose de sérieux problèmes. En outre, dans
de nombreux pays, le système judiciaire est peu efficace : les contrats sont rarement respectés, la fraude demeure
impunie. Dans les situations extrêmes, le gouvernement est non seulement incapable de faire respecter les droits
de propriété, mais il ne les respecte pas lui-même. Pour pouvoir opérer dans certains pays, les entreprises doivent
verser des dessous-de-table aux représentants du gouvernement. Cette corruption freine le bon fonctionnement
des marchés, décourage l'épargne locale et l'investissement étranger. »
D’après Gregory MANKIW,Principes d'économie, Economica, 1998.
Donnez des exemples d’institutions favorables et des exemples d’institutions défavorables au développement.
Pour des auteurs comme David North, historien-économiste américain, prix Nobel d'économie en 1993, la crois-
sance économique s'explique surtout par les « incitations » institutionnelles (fiscalité, législation, droits de
propriété) qui encouragent l'accumulation du capital, la technologie et les économies d'échelle.
Conclusion : La croissance économique suppose une mobilisation de facteurs de production permettant
d'élever la capacité productive (moyens matériels et financiers + efficience = productivité des facteurs) et
déterminant les frontières du possible (croissance potentielle) mais aussi une stimulation de l'offre par la
demande et la possibilité de dégager du profit (conditions de débouchés, de compétitivité et de rentabili). Les
conditions de la croissance sont donc nombreuses et interdépendantes ; la notion de cohérence d'ensemble du mode
de croissance doit être soulignée ainsi que le poids de l’histoire, des cultures et le jeu des acteurs qui vont définir
cette cohérence au travers de leurs comportements encadrés par les conventions, contrats, règles établis...
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