Proposition de plan de dissertation n°2 Le théâtre est un art

Proposition de plan de dissertation n°2
Le théâtre est un art complexe, qui met en jeu plusieurs destinateurs. En effet, contrairement
au roman, où l'auteur est pour ainsi dire seul maître à bord, le spectacle de théâtre est le produit de
l'auteur de la pièce, mais aussi du metteur en scène, du scénographe, du costumier, des acteurs...
L'oeuvre de théâtre est une oeuvre collective. Pourtant, depuis l'existence de l'imprimerie, on peut
lire des pièces. Celles-ci se présentent alors sous la forme d'un livre à lire, écrit par un auteur
unique. On se retrouve ici dans une situation commune à l'ensemble des textes littéraires. On aurait
donc deux versants différents s'agissant du théâtre, un versant purement littéraire, l'oeuvre rédigée
par son auteur, et un versant spectaculaire, lié à la mise en scène. Pourtant Ionesco, dans Notes et
contre-notes, va beaucoup plus loin : lui, auteur de théâtre et non metteur en scène, affirme : « Je ne
fais pas de la littérature, je fais une autre chose tout à fait différente ; je fais du théâtre ». La
proposition est volontairement provocante : Ionesco ne se soucie pas ici de définir les termes de
« littérature » et de « théâtre », il se contente de les opposer radicalement, en soulignant le problème
que pose leur définition. En effet, il emploie le nom « chose » pour désigner son activité, or ce mot
est ici totalement vide de sens, il sert précisément à désigner ce qu'on ne sait nommer, comme, dans
un registre plus familier, les mots « truc », « machin » ou « bidule ». De plus, il déclare
péremptoirement que le théâtre est une chose « tout à fait différente » de la littérature, alors qu'il est
depuis toujours considéré, au côté du roman et de la poésie, comme l'un des trois grands genres
littéraires. Qu'est-ce alors que cette « littérature » dont parle Ionesco ? Il se garde bien de le dire.
Faut-il considérer son propos comme une simple boutade, indigne d'être prise au sérieux ? Cela
n'est pas sûr. Après tout, elle a le mérite de souligner la confusion qui gne bien souvent sur les
termes, à commencer par ceux qu'on considère comme les plus familiers. Maître de l'absurde,
Ionesco sait faire réfléchir ses lecteurs et spectateurs à partir d'un léger glissement dans le quotidien,
d'un paradoxe étrange sorti d'une situation banale. Quel enseignement peut-on donc tirer de cette
provocation énigmatique ? N'est-elle pas une incitation à changer notre regard sur le théâtre, et bien
plus encore, sur la littérature ? Nous essaierons d'abord de comprendre, en regard de la complexité
de la définition de la littérature, l'exacte portée de l'affirmation de Ionesco. Nous montrerons
ensuite, en nous appuyant sur la définition qu'Aristote donne à l'art littéraire, que le pouvoir de
représentation attaché au théâtre est très différent de celui du roman. Nous nous efforcerons
néanmoins de nuancer l'affirmation de Ionesco en réfléchissant au concept de « littérarité », qui
rapproche selon nous les trois genres littéraires au sein d'un même ensemble, que nous continuerons
à appeler, faute de mieux, « littérature ».
I. Explicitation de la phrase de Ionesco.
1. Complexité de la notion de « littérature ». Sens large : ensemble des textes écrits. Peut-être
Ioneco a-t-il voulu faire un clin d'oeil à l'étymologie des deux termes. « Littérature » vient du latin
littera, la lettre, et renvoie donc à l'écrit, tandis que « théâtre » vient du grec theatron, qui renvoie
au champ lexical de la vision. Le théâtre est un specacle vivant qui ne nécessite pas la médiation du
texte écrit et de la lecture.
Ex : théâtre de mime, de marionnettes, d'ombres, d'improvisation. Absence de paroles, ou tout au
moins de texte écrit.
Par ailleurs, on étudie le théâtre non dans les universités littéraires mais dans des conservatoires ou
des écoles spéciales, comme pour la musique.
Mais Ionesco a publié ses oeuvres, ce n'est donc pas du théâtre muet, privé de paroles, ni du théâtre
d'improvisation qu'il veut parler.
2. Même lorsqu'il est écrit, le texte de théâtre est fait pour être joué. Ce « jeu » ne relève pas de la
seule mise en scène, il n'est pas la seule affaire du metteur en scène : l'auteur conçoit déjà son texte
comme destiné à être joué. C'est sans doute cela que veut dire Ionesco : il écrit des oeuvres pour la
scène, non pour la publication. Cette caractéristique fondamentale entre dans l'écriture même de la
pièce.
Ex : Un Tramway nommé désir. Rôle des didascalies. Le texte comme étant déjà un spectacle.
Insatisfaction du lecteur.
3. Par ailleurs, il y a dans la phrase de Ionesco un jugement de valeur qui prend le contre-pied de
l'usage ordinaire. En effet, lorsqu'on envisage la littérature en un sens restreint, c'est bien souvent
pour y inclure toutes les oeuvres qu'on juge belles et en exclure les autres. « Faire de la littérature »
devient donc une expression louangeuse, voire prétentieuse quand on se l'applique à soi-même. Ici
Ionesco semble mépriser la « littérature » au profit d'un art qui lui serait bien supérieur, le
« théâtre ». Il n'est pas le premier à faire cela : dans son « Art poétique » Verlaine prétendait lui
aussi faire une chose « tout à fait différente » de la littérature. C'est une invitation à bouleverser les
conventions, à sortir de l'admiration béate devant ce qui est académiquement considéré comme
beau.
Ex : Pirandello, Six Personnages en quête d'auteur. Le metteur en scène, au début de la pièce, ne
veut pas entendre les « personnages » parce que personne n'a écrit leur histoire, parce qu'ils n'ont
pas d'auteur et ne sont donc pas « littéraires ». Pourtant, ils incarnent le vrai théâtre. Ils ont une
intensité véritablement dramatique que n'ont pas les acteurs répétant mécaniquement leur pièce
écrite par un auteur à la mode (Pirandello lui-même !).
Ionesco chercherait donc à se moquer des intellectuels, ou plutôt d'une vision intellectualiste et
sectaire de ce qu'est la littérature.
Provocation évidente, la proposition de Ionesco nous rappelle deux vérités essentielles : le
théâtre est fait pour être joué et vu dans un spectacle, et cela est vrai dès le moment de l'écriture. Il
n'y a pas un texte littéraire, actualisé ensuite dans une mise en scène. Il y a, dès l'origine, une oeuvre
écrite pour prendre forme dans des corps et des voix. De plus, un bon spectacle peut parfois être
bien loin de ce que les professeurs et autres intellectuels ont coutume d'appeler « littérature », de
même qu'un bon poème devait, selon Verlaine, s'éloigner des poncifs enseignés sur les bancs du
lycée. Néanmoins, le théâtre reste l'un des trois principaux genres réunis d'ordinaire sous le nom de
« littérature ». Il nous faut donc maintenant examiner le bien-fondé d'un tel rapprochement.
II. Le théâtre est une représentation particulière du monde
1. La théorie des genres selon Aristote. Le théâtre et le roman ont en commun de représenter le
monde. Mais l'un raconte et l'autre montre.
Ex : Alcandre, à l'acte I de L'Illusion Comique, déclare son art supérieur à l'art du récit, car il ne se
contente pas de dire, mais il peut montrer.
2. Le théâtre représente le monde à sa manière. Un spectacle total, qui produit des effets puissants.
Tous les sens sont sollicités, le spectateur est absorbé, sa liberté est sollicités d'une autre manière
que celle du lecteur. alité extrême des personnages. Absence de certains procédés propres au
roman : description, jeu sur les points de vue, alternance narration / discours... Obligation de
montrer et de faire dire : disparition de la voix de l'auteur derrière celle des personnages, importance
de la psychologie du personnage et de la parole, derrière lesquels disparaît l'action.
Ex : Phèdre de Racine, acte I, scène 3 : Phèdre avoue son amour à OEnone.
3. Une fonction particulière. On a beaucoup réfléchi à la fonction de la littérature. Le théâtre se
donne certes le but principal accordé à la littérature, celui de plaire et d'instruire, de délivrer un
enseignement sur le monde, mais il le fait à sa manière.
Ex : conception baroque du monde : le monde est un théâtre, le théâtre a donc un rapport privilégié
avec le monde, bien plus que le roman. Sigismond dans sa prison (La Vie est un songe), les leçons
d'un songe / spectacle.
Par ailleurs, le théâtre est le seul à pouvoir assumer la fonction de catharsis définie par Aristote.
Pour Aristote, l'art littéraire se limitait aux genres épique et dramatique, parce qu'ils sont les
seuls à représenter le monde. On ne peut nier la parenté évidente entre théâtre et roman. Mais, s'ils
représentent tous deux le réel, leurs moyens et leur finalité sont suffisamment éloignés pour qu'on
puisse dire qu'ils sont, sinon « tout à fait » différents, du moins différents. Cette différence ne
saurait en effet être exagérée, dans la mesure les deux genres, quand bien même leurs moyens
sont propres, se donnent pour objet de représenter le monde et pour fin d'enrichir la vie humaine.
Proust a très bien montré que l'art du romancier, lui aussi, est d'imposer une vision qui donne sens à
la vie. Dans son analyse, Aristote éloignait résolument le genre lyrique. Pourtant, si l'on en croit
Verlaine et son « Art poétique », la poésie est aussi l'art de représenter ce qu'il y a de plus frais et
d'éphémère dans le monde. Il nous semble que c'est bien l'art poétique, ou plutôt la poéticité du
langage, qui peut permettre d'esquisser une définition satisfaisante de la littérature, afin d'y inclure
les trois genres.
III. Le théâtre accomplit la fonction poétique du langage
1. Définition du langage poétique et de sa « littérarité ». Le théâtre est aussi un détournement du
langage ordinaire, qui est à lui-même sa propre fin.
Ex : La beauté des vers de Racine, le travail auquel se livre Corneille dans Le Cid...
2. Même le langage banal, non poétique, est détourné de son emploi sur une scène de théâtre. Au
théâtre, on ne parle jamais normalement. cf. la diction sans micro du comédien, la nécessité de se
faire entendre, même quand on murmure, ou tout simplement la convention qui lie la scène à la
salle.
Ex : les pièces de Ionesco (Le Roi se meurt), si vous en avez lues, auraient été un bon exemple : la
langue a l'air banale, ordinaire, mais on peut facilement montrer sur certains passages qu'elle est en
réalité très travaillée.
3. Le théâtre peut rendre littéraire ce qui ne l'est point. Cette faculté de sacraliser la parole, ou de la
sortir de son emploi ordinaire pour en faire une parole artistique, explique la capacité du théâtre à
rendre littéraire ce qui ne l'est pas, ou pas tout à fait.
Ex : On peut imaginer la mise en scène d'une correspondace, ou un spectacle à partir d'extraits de
journaux, ou de témoignages... C'est le travail fait autour de ces textes, leur mise en voix, qui les
rendra littéraires par l'intermédiaire du spectacle.
Le théâtre n'est certes pas une chose « tout à fait différente » de la littérature. Ionesco le
savait évidemment. Son propos était de nous obliger à réfléchir à la nature du théâtre, et plus encore
à celle de la littérature. Qu'est-ce que la littérature ?, pouvons-nous alors demander, comme en
introduction. La littérature est une notion vague, aux contours flous. Elle a pour fonction
l'enrichissement de notre regard sur le monde et nous-mêmes, pour moyen le détournement du
langage de son usage ordinaire, pour objet la représentation du réel. En ce sens, le théâtre appartient
de plein droit à la littérature, quand bien même il est toujours un spectacle vivant, disposant de
moyens qui lui sont propres. Ionesco a de ce fait le mérite de nous apprendre, plus que ce que sont
le théâtre et la littérature, ce que la littérature n'est pas : une suite infinie de lettres et de mots sur des
pages, une liste étroitement close des oeuvres de bon goût, destinées à l'admiration servile des
écoliers, un ensemble de modèles fixes et rigides à reproduire.
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