Principe de la société - Sens Commun chez Habermas, Gadamer, et

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Principe de la société
- Sens Commun chez Habermas, Gadamer, et Vico -
Kwangmin PYO
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Sigles et Abréviations utilisés
VM
H. G. Gadamer, Vérité et méthode, traduit par Pierre Fruchon, Paris, Seuil, 1996.
RHC
H. G. Gadamer, « Rhétorique, herméneutique et critique de l’idéologie » in L’art de
comprendre I, traduit par Marianna Simon, Paris, Aubier, 1982.
Réplique H. G. Gadamer, « Réplique à herméneutique et critique de l’idéologie » in L’art de
comprendre I, traduit par Marianna Simon, Paris, Aubier, 1982.
Communicationnel
Logique
J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel I, Paris, Fayard, 1987.
J. Habermas, « Logique des sciences sociales » in Logique des sciences sociales,
traduit par Rainer Rochlitz, Paris, PUF, 1987.
Universalité
J. Habermas, « La prétention à l’universalité de l’herméneutique » in Logique
des sciences sociales
HCdi
P. Ricœur, « Herméneutiques et critique des idéologies » in Du texte à l’action, Paris,
Seuil, 1986, pp. 369-370.
SN
G. Vico, La Science nouvelle(1744), traduit par A. Pons, paris, Fayard, 2001.
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Goethe
Introduction : la valeur de relire le débat
Le débat entre Hans Georg Gadamer et Jürgen Habermas s’est déroulé à la fin des années 60 et
au début des années 70. Pendant le séjour de Habermas à Heidelberg, de 1961 à 1964, comme
professeur de philosophie à l’université, où Gadamer exerçait son enseignement depuis 1949,
Habermas s’est immergé dans la démarche herméneutique. Habermas lui-même se réfère à
Gadamer dans sa propre recherche linguistique pour développer la théorie de l’agir
communicationnel. Cependant, en examinant le rôle de l’herméneutique à l’être humain dans la
société, surtout dans la problématique des sciences sociales, Habermas se montre critique, en
élucidant les limites et les insuffisances que présente l’herméneutique gadamérienne. 1 Habermas
attaque dès sa « Logique des sciences sociales »(1967), surtout la réhabilitation en forme de
provocation des trois concepts : le préjugé, l’autorité et la tradition. Et puis, Gadamer conteste la
critique de, soi-disant traditionalisme, dans les articles comme « Réplique à herméneutique et
critique de l’idéologie »(1971), et « Rhétorique, herméneutique et critique de l’idéologie »(1971) en
remarquant la limite de la critique de l’idéologie de Habermas. Le débat s’est fini sans arriver à une
certaine conclusion. Alors, maintenant, le débat s’est suspendu entre deux auteurs, mais le problème
qu’a posé le débat ne finirait jamais, car, il se continue toujours de manière indirecte dans des
conflits entre les individus, entre les sociétés, entre les États et entre les générations.
Néanmoins, pour mieux et profondément comprendre le débat, il faut commencer par trouver le
point commun entre eux. Et à partir du point commun, le débat peut se comprendre à nouveau en
tenant compte de la même initiative de deux auteurs. Malgré le désaccord de deux auteurs sur
l’herméneutique, ils partagent la préoccupation relative au positivisme qui introduit la méthode de
la science de la nature dans les sciences sociales. Le débat s’est révélé entre deux différents essais
de contrecarrer le positivisme. Gadamer veut démontrer la limite du positivisme, en prouvant des
valeurs de la tradition, l’autorité et le préjugé. Habermas veut contrecarrer l’élargissement du
positivisme par la Théorie critique. Aujourd’hui, sous le noms du fonctionnalisme ou libéralisme, le
positivisme exerce une grande influence non pas seulement sur le domaine de la science sociale,
mais, sur tous les actes humains de la société.
Cependant, maintenant, il faut réinterpréter le débat qui était compris seulement comme celui
1
Aguirre Oraa J. M., Raison critique ou raison herméneutique?, Paris, Cerf et Eset, 1998, p. 191-192.
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entre la tradition et le moderne ; le débat ne se limite pas seulement à la discussion entre le
traditionaliste et le moderniste. Mais il est aussi vrai que l’on peut facilement trouver des conflits
entre la tradition et le moderne dans le débat. C’est parce que le débat n’a pas encore montré son
discours entier au moment du débat. Car, dans le débat, Habermas n’a pas critiqué Gadamer avec sa
propre théorie, mais il s’est borné comme un antagoniste. Après que Habermas a proposé son
raisonnement dans Théorie de l’agir communicationnel(1981), il se rend possible de complètement
comprendre la position de Habermas. Et la compréhension complète de Habermas nous aide
directement à comprendre la thèse de Gadamer qui était simplement conçue comme traditionalisme.
Cette réinterprétation commence par poser une question suivante : comment arrivent-ils au débat et
que le débat signifie dans la pensée chez deux auteurs ? On peut y répondre en tenant compte de
deux aspects. D’une part, les perspectives de Habermas et Gadamer, tous comportent une démarche
contre le positivisme. De l’autre, ce qui n’était pas indiqué comme le point commun de deux
auteurs, c’est la critique aussi commune de l’Aufklärung ; nous verrons dans quel point les deux
auteurs contestent la validité de la raison de l’Aufklärung. Donc, on peut pleinement comprendre le
débat, lorsque l’on tient compte de leurs critiques à la fois du positivisme et de l’Aufklärung en
comparant leurs textes majeurs, Vérité et Méthode(1965) et Théorie de l’agir communicationnel, à
travers de la distance temporelle.
De plus, la réinterprétation du débat nous conduira à trouver les tentatives de deux auteurs de
présenter les nouveaux « principes » qui surpassent à la fois le positivisme et l’Aufklärung. C’est là
où le débat a lieu ; le principe de Gadamer et celui de Habermas ne se rapprochent pas. Et dans le
débat, le concept de principe s’incarne implicitement sous la forme de la raison. Donc, il est
nécessaire de comprendre le débat comme un conflit entre les différentes raisons. Gadamer présente
la raison herméneutique pour intégrer la tradition gréco-romaine et les raisons modernes tandis que
Habermas théorise la raison critique en s’opposant la tradition, les raisons précédentes, et
l’herméneutique gadamérienne.
Malheureusement, on ne peut pas aller immédiatement au débat du principe, parce que les
positions de Gadamer et Habermas ne sont pas simples, et elles renferment aussi les points de vue
sur la tradition, comme on comprenait le débat. Plus principalement, on ne peut y accéder qu’après
avoir réexaminé les concepts de Gadamer, par exemple, la tradition, l’herméneutique, etc., et ceux
de Habermas, comme la critique, l’émancipation, etc. C’est parce que, chez deux auteurs, les
concepts élémentaires et les théories abstraites ne se séparent pas, comme la manière de la praxis
qui inclure à la fois la théorie et la technique. Et aussi, il semble que le débat aie influence sur la
thèse de Habermas, la théorie de l’agir communicationnel, dans la mesure où le monde vécu de
Habermas se ressemble à la fusion d’horizons ; on verra le point commun entre deux sphères.
Néanmoins, l’explication du débat comme celui du principe, elle rend plus difficile de réconcilier
la raison herméneutique et la raison critique. Et cette difficulté nous incite à introduire la pensée de
Giambattista Vico, qui tentait de trouver un fondement dans nouvelle ère entre l’antiquité et la
modernité. Il respecte la sagesse antiquité qui peut rendre stable la société humaine, mais il accepte
aussi la méthode moderne qui peut produire le changement favorable dans la société. En fait,
théoriquement Vico garde la Providence qui était le principe de l’age de croyance, mais il propose
un autre concept plus concret que la Providence ; c’est le « sens commun ». Il renferme à la fois la
tradition et la transformation de la société. Par le sens commun, nous pouvons nous approcher à la
communauté qui conserve sa continuité en se renouvelant. Et ce serait dans l’exercice du sens
commun où nous pouvons trouver la synthèse de la raison herméneutique et la raison critique.
1. Aspect apparent : Débat autour de la tradition
À première vue, le sujet du débat apparaît comme la validité de tradition ou non. Gadamer et
Habermas disputeraient sur la question que l’on peut respecter la tradition. Et la validité de tradition
se combine à la capacité de l’herméneutique que propose Gadamer en tant que l’intermédiaire entre
le passé et le présent. D’ailleurs, l’herméneutique est plus importante que la tradition elle-même,
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dans la mesure où Gadamer ne demande pas du tout le respect aveugle de la tradition. Ce qui est
important à Gadamer, c’est comment revaloriser la tradition qui est reconnaissable aujourd’hui ;
cette revalorisation raisonnable est la tâche de l’herméneutique. La tradition n’est qu’une référence
pour créer un mode de vie dans la société actuelle. Donc, le sujet du débat n’est pas simplement la
valeur de la tradition, mais plus exactement, la validité de réactualiser la tradition avec la fonction
de l’herméneutique. Quant à Gadamer, l’herméneutique est suffisante pour réinterpréter la tradition,
tandis que Habermas la soumet à la « raison critique ». C’est parce que Gadamer ne vise pas
l’émancipation de l’homme qui n’est jamais capable de sortir sa condition donnée, alors que
Habermas cherche l’émancipation du capitalisme avancé.
1) L’Herméneutique profonde ou philosophique dans la science sociale
Il faut d’abord trouver la raison pour laquelle c’étaient Gadamer et Habermas qui participaient au
débat. Pour y répondre, il faut rappeler que l’herméneutique n’était pas la notion des sciences
sociales avant Gadamer. L’herméneutique était entrée dans le domaine des sciences sociales en tant
que l’herméneutique philosophique par Gadamer ; et c’était Habermas qui recevait l’herméneutique
comme méthode sous la forme modifiée. Ainsi, le débat se révèle au croisement de l’herméneutique
et la Théorie critique. C’est-à-dire que, par Gadamer, l’herméneutique sortie du domaine étroit de
l’interprétation et elle entre à l’être humain, et plus précisément, dans les sciences sociales, et que la
Théorie critique aussi, chez Habermas, obtient nouvel entendement de l’être humain dans le
capitalisme avancé par l’herméneutique.
a. L’Herméneutique dans l’Universe
: De l’herméneutique régionale à l’herméneutique générale
Depuis longtemps, l’herméneutique répond à la difficulté de l’interprétation. En effet,
l’herméneutique était à l’origine la méthode ou la technique d’interpréter les textes antiques, comme
grecques et latins, et l’Écriture sacrée, Ancien et Nouveau Testaments. Mais, avec le
développement de l’herméneutique, son objet est changé ; le domaine de l’herméneutique s’est
rendu large et sa fonction s’est approfondie. C’était F. Schleiermacher qui a premièrement élargi
l’herméneutique pour englober d’autres textes généraux qui sont écrits par la langue étrangère
contemporaine. Mais, chez lui, elle restait toujours comme technologie de lire un certain texte. Et
puis, par W. Dilthey, l’herméneutique était transformée en théorie épistémologique ;
l’herméneutique s’est servie à trouver le caractère unique de l’homme dans la science de l’esprit.
Chez Martin Heidegger, elle s’était déployée dans l’interprétation de la vie humaine ; elle s’est
répandue au problème de l’ontologie
Selon Ricœur, la tendance de l’herméneutique se dirige par deux directions. Premièrement, la
visée de l’herméneutique est répandue ; toutes les herméneutiques régionales et particulières sont
incluses dans une herméneutique générale. Deuxièmement, ce qui est l’aspect profond du premier
changement, c’est le changement substantiel de l’herméneutique : de l’épistémologie à l’ontologie.
L’herméneutique cesse d’être comprise comme un simple mode de connaître la signification du
texte ; elle se transforme en la manière « d’être et de se rapporter aux êtres et à l’être ». On peut
résumer deux directions comme le changement de l’objet ; le regard de l’herméneutique se déplace
du texte à la vie humaine. Les deux directions de la transformation, la dérégionalisation et
l’approfondissement, rendent l’herméneutique plus générale et plus fondamentale. Ainsi,
l’herméneutique tend à élargir progressivement sa visée de l’herméneutiques régionales et
particulières à une herméneutique générale et fondamentale.2
Mais on peut ajouter à la formule de la « généralisation » de Ricœur, un autre aspect par rapport
2
P. Ricœur, « La tâche de l’herméneutique : en venant de Schleiermacher et de Dilthey » in Du texte à l’action, Paris,
Seuil, 1986, p. 84.
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au langage. Dans la tâche de l’interprétation, l’herméneutique se lie inévitablement au langage.
Dans des textes étrangers et difficiles, la polysémie des mots nécessite le choix d’une interprétation
le plus convenable, et de trouver le meilleur choix était le rôle de l’herméneutique. Chez Gadamer,
la relation entre l’herméneutique et le langage se renforce, lorsqu’il se penche sur le rôle de langage
dans la vie. Chez Gadamer, le langage n’est pas un simple technique d’écrire et de parler ; il est le
mode de vie et de l’être dans la mesure où l’être humain appartient à la société par l’intermédiaire
du langage. Donc, l’herméneutique se joint de nouveau au langage en se rendant élargie. C’est aussi
Gadamer qui a appliqué l’herméneutique dans les sciences sociales en la définissant comme
pratique, herméneutique qui observe la société dans la continuité du passé au présent. Et surtout
chez Gadamer, l’herméneutique a obtenu le caractère vivant et profond, car il a combiné l’ontologie
et la technologie dans l’herméneutique.
Chez Gadamer, l’ontologie de l’être
humain s’entend par le langage, car l’homme se trouve dans la continuité de la tradition transmise
par la langue. Lorsque l’homme prend conscience de l’ « histoire », l’herméneutique devient
philosophique en cessant d’être l’interprète des textes séparés. La compréhension et l’interprétation
des textes ne sont pas seulement techniques, mais relèvent bien évidemment les expériences
générales que l’homme fait dans le monde.3 Dès lors, le passé n’existe pas silencieusement comme
le passé ; le dialogue met en route entre le passé et le présent. Donc, le passé est transmis à nos
jours et il participe au présent sous la forme de la tradition.
Mais, le développement de l’herméneutique philosophique ne signifie pas qu’elle abandonne la
manière de l’herméneutique technique, c’est-à-dire l’interprétation de ce qui est difficile de
comprendre. Par contre, elle élargit l’objet de l’interprétation ; le texte, qui attend d’être interprété
par l’herméneutique philosophique, est actuellement la vie humaine elle-même.
Gadame
r définit cette tâche comme de comprendre l’ensemble de notre compréhension du monde sous
toutes ses formes. Autrement dit, l’interprétation de la vie sociale se déplace dans le domaine de
l’herméneutique, quand la vie se comprend par le langage. C’est ainsi le langage par lequel
Gadamer lie l’herméneutique aux sciences sociales. Gadamer affirme que comprendre et s’entendre
signifient en premier lieu et à l’origine la forme d’accomplissement de la vie sociale humaine.4
Ainsi, le langage est intermédiaire entre l’herméneutique philosophique et la vie sociale humaine.
Ainsi, l’herméneutique gadamérienne rend visible la tradition qui est à l’intérieur de la société.
La société ne se trouve pas seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps. C’est ce qu’apprécie
Habermas chez Gadamer :
En réalité, les cercles du langage ne sont pas clos à la manière des monades, mais
poreux : à la fois vers l’extérieur et vers l’intérieur. La grammaire d’une langue ne peut
comporter de modèle rigide de son application. Celui qui a appris à en appliquer les règles
n’a pas seulement appris à s’exprimer dans une langue, mais encore à en interpréter les
expressions. Il faut que – vers l’extérieur – la traduction et – vers l’intérieur – la tradition
soient en principe possibles … Chez Gadamer, le langage acquiert une troisième dimension,
dans la mesure où la grammaire gère l’application des règles qui à son tour transforme
historiquement le système des règles. L’unité du langage qui disparaissait dans le pluralisme
des jeux de langage est restituée de manière dialectique dans le contexte de la tradition. Le
langage n’existe que pour autant qu’il est transmis. Car la tradition est la projection
agrandie de la socialisation des individus à l’intérieur de leur langue, socialisation qui
s’étend sur toute une vie.5
Par Gadamer, l’herméneutique se transforme en la perspective sociale, et politique, car il situe la
3
VM, p. 11.
Réplique, p. 152.
5
Logique, p. 190-191.
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société humaine dans la continuité de la tradition et dans la combinaison des diverses
interprétations, c’est-à-dire dans « la fusion d’horizons ». Pour l’analyse du monde selon
l’herméneutique, Gadamer emploie la conception de l’horizon et la fusion de celle-ci. La tradition
exerce son influence sur la vie humaine par l’intermédiaire de l’horizon. Des éléments du passé
forment un horizon ; c’est horizon dans la mesure où il est une sphère ouverte, non une structure
fermée des affaires dans le monde. L’être humain comprend le monde en se trouvant sur les
horizons. Et les divers horizons se rencontrent dans la fusion ; l’être humain comprend le monde et
soi-même par le résultat de la fusion de l’horizon. Car l’homme ne se trouve pas dans un domaine
séparé, mais dans une conjonction parvenue de l’entité de l’univers.
b. Recherche linguistique de Habermas
Habermas comprend Gadamer et son herméneutique dans la tradition depuis Dilthey, mais
notamment dans la succession de Heidegger. Dans Être et Temps(1927), Heidegger caractérisait le
comprendre comme trait fondamental du Dasein humain. Et puis, Gadamer élargissait le temps du
comprendre en caractérisant l’intercompréhension comme trait fondamental de la vie historique
dans Vérité et Méthode(1960).6 Il trouve la validité d’apercevoir la tradition qui est raisonnable.
C’est ici Habermas se met en opposition à Gadamer, et c’est dans « Logiques des sciences
sociales »(1967) où Habermas a déployé sa critique de Gadamer. Dans cet ouvrage, Habermas
résume le développement théorique des « logiques des sciences sociales ». D’abord, il discute les
accomplissements et les limites des savants historico-herméneutiques, de Max Weber, des
positivistes et fonctionnalistes. De plus, cet article n’est pas seulement la critique de Gadamer, mais
en même temps, cet article montre la compréhension initiale du monde chez Gadamer du point de
vue du langage.
Cependant, comme Gadamer, ce qui conduit Habermas à l’herméneutique, c’est d’abord
l’approche linguistique à l’être humain. Habermas s’approche à l’herméneutique dans la tendance
des années 60 où la problématique du langage s’est substituée à celle de la conscience. Alors, il est
nécessaire de remarquer qu’il arrive, avant Gadamer, à la thèse de Wittgenstein dont les « formes de
vie » n’obéissent plus aux règles d’une synthèse de la conscience en général, mais aux règles de la
grammaire régissant des jeux de langage. Les actes de l’homme ne sont plus conçus selon l’analyse
phénoménologique, mais selon le concept de jeu de langage ; nous ne pouvons nous socialiser
qu’au moyen du souvenir du jeu de langage par lequel nous avons appris les règles grammaticales
d’un langage ordinaire. Comme le résume Habermas, « la compréhension du langage est la reprise
virtuelle d’un processus de socialisation. »7 Donc, Habermas fait attention au jeu de langage de
Wittgenstein, car le concept de jeu de langage est une théorisation de la socialisation par la guide de
langage. Et notamment, le concept de jeu de langage constate le processus que les enfants,
autrement dit les nouveaux participants de la société, s’intègrent à la communauté linguistique qui
est composée des relations sociales.
En outre, Habermas trouve le statut transcendantal de la langue universelle dans Tractatus de
Wittgenstein, et les règles des grammaires de la communication usuelle, règles selon lesquelles se
constituent les formes de vie dans Investigations philosophiques . Alors, chez Wittgenstein, les
règles grammaticales de la langue obtiennent le statut transcendantal en se constituant les formes de
vie ; dès lors, la recherche du langage se rend inséparable de celle de la vie humaine. Le concept de
règles lie l’analyse linguistique à celle de la société, car la règle s’appliquer à la vie humaine de
manière intersubjective. Les règles de la langue ne se trouvent pas en tant que règles isolées des
actions sociales, mais elles se déroulent toujours dans le contexte social. Les règles grammaticales
sont toujours aussi des règles présidant à des communications usuelles. Les normes, en ce sens,
commandent l’action à partir des règles de la communication au moyen du langage ordinaire.
Mais, selon Habermas, le raisonnement de Wittgenstein n’est pas assez suffisant pour expliquer
6
7
Communicationnel I, p. 123.
Logique, p. 174.
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le langage dans la continuité de l’histoire. Wittgenstein a bien accédé au concept d’horizons dans
lesquels se manifestent notre perspective et notre compréhension du monde lorsqu’il a décrit le jeu
de langage comme processus de l’intégration au système préalable. En tenant compte du jeu de
langage, l’individu produit ses propres horizons par le jeu de langage. Mais, lorsque les plusieurs
horizons coexistent, par conséquent, le croisement d’horizons a lieu dans la société. Habermas
appelle ce croisement le débat dialectique entre ce qui nous est propre et ce qui nous est étranger. Et
puis, le débat dialectique entraîne des révisions des règles qui s’accomplissent dans la traduction.
La traduction, cependant, n’est pas seulement nécessaire au niveau horizontal, entre des
communautés linguistiques rivales ; elle jette un pont entre les générations et les époques. La
transmission jette un pont entre les générations par la langue sous la forme de traduction ; c’est la
tradition. Comme le rappelle Haberams, « c’est pourquoi il(Wittgenstein) a conçu la pratique des
jeux de langage de manière anhistorique ».8 Pour trouver le lien entre le langage et l’histoire, il est
inévitable de s’avancer à l’herméneutique qui a déjà découvert le lien entre le langage et l’homme
dans l’histoire. C’est le point où Habermas accepte Gadamer qui ajoute le mouvement du temps à
Wittgenstein. Les règles grammaticales se continuent après les décès d’individus en se changeant
sans cesse ; elles s’accumulent dans la société, et on les appelle la « tradition ». C’est ce qu’a vu
Gadamer. Alors, Habermas affirme que l’herméneutique de Gadamer représente un niveau
historique de réflexion, niveau qui contient l’interprète et son objet comme des moments du même
contexte.9 Wittgenstein a énoncé la forme de vie dans laquelle les locuteurs natifs sont socialisés.
Là, dans les règles grammaticales, Gadamer a démoli la barrière de la forme de vie d’individus. Et
puis, il a découvert les horizons qui sont ouverts et qui se déplacent. Nous habitons dans les
horizons, et ils évoluent à leur tour avec nous. De même que le monde articulé par un langage
constitue une totalité, l’horizon d’un langage englobe aussi tout ce qu’il rencontre. C’est pourquoi
les frontières d’horizons restent ouvertes.
Nous avons vu que l’herméneutique s’est répandue dans la science sociale par Gadamer.
Habermas explique que l’herméneutique est introduite dans la science sociale sous la forme de
« paradigmes » de recherche au sein des sciences sociales. La compréhension herméneutique, en
tant que paradigmes, non en tant que doctrine, éclaire la possibilité pour les groupes sociaux de se
comprendre eux-mêmes et de s’orienter dans l’action. Il semble que Habermas veut rester fidèle à la
tâche de produire le savoir théorique, en prenant conscience de la dimension herméneutique dans
les sciences sociales. Pour Habermas aussi, il est évident que nous appartenons à la tradition avant
de nous appartenir. Il voit clairement que l’interprète s’approprie une tradition à partir d’un horizon
d’attente préalablement formé par cette tradition. C’est la différence entre l’herméneutique et les
analystes théoriques du langage, qui s’appuient sur le behaviorisme ; l’herméneutique institue un
intermédiaire entre la vie quotidienne et la tradition dans le processus où nous nous habituons la
tradition. Dès lors que l’herméneutique interprète la tradition, on peut percevoir la tradition comme
objet de l’observation. Car, l’herméneutique comprend la tradition en tant qu’un résultat des
expériences de l’homme, non en tant qu’un système a priori donné. Mais, il ne pense pas que les
sciences sociales peuvent accepter l’herméneutique gadamérienne en tant que telle. Car, il croit que
celle de Gadamer s’attache trop à la tradition ; c’est-à-dire que l’analyse de l’herméneutique
gadamérienne a pour but, finalement, la revalorisation de la tradition non la critique de la société
actuelle. La puissance de la tradition suscite naturellement le soupçon, car la préoccupation de
l’interprète à l’égard de la tradition n’est pas autre chose que l’obstacle de l’émancipation pour
Habermas.
En conséquence, il réfléchit comment modifier l’herméneutique en méthodologie des sciences
sociales. La modification se trouve dans la redéfinition de la tâche de l’herméneutique. Lorsque
Gadamer définit la tâche de l’herméneutique en tant que l’interprétation, Habermas semble
comprendre le concept d’interprétation comme communication. Donc, il espère que
l’herméneutique philosophique nous conduit à la communication non influencée par la tradition :
8
9
Logique, p. 190-191.
Logique, p. 216-217.
- 8 / 65 -
… elle(herméneutique) permet d’aboutir à une forme de consensus dont dépend l’activité
communicationnelle. Elle conjure les dangers d’une rupture de la communication dans les
deux sens : dans la verticalité de la tradition qui est celle du groupe auquel on appartient, et
dans l’horizontalité de la médiation entre les traditions de différentes cultures et de différents
groupes.10
Ainsi, l’herméneutique était une « technique » quand il demeurait dans l’interprétation de
l’écriture. Par la perspective philosophique, l’herméneutique interprétative se fonctionnait lorsque
se brisent les certitudes de l’arrière-fond culturel, en cas d’expressions de langue étrangère ou
ancienne. Mais, par Gadamer, l’herméneutique se transforme en philosophique quand l’objet de
l’interprétation est le monde ou la société. Elle est modifiée par Habermas en tant qu’un moyen
d’éviter la rupture de la communication parce qu’il comprend la déformation pathologique de la vie
dans la catégorie de l’incompréhension. C’était ce que n’acceptait pas Gadamer.
2) Interprétation ou Communication
Gadamer explique clairement les points similaire et contraire entre lui et Habermas. Selon lui,
l’herméneutique philosophique et la critique de l’idéologie s’accordent sur le point où les sciences
herméneutiques n’ont rien à voir avec la position antiscientifique. Les positivistes critiqueraient
l’attitude herméneutique par le fait qu’elle renierait « l’objectivité » de la science.11 Gadamer et
Habermas se défendent de cette critique, en postulant la société humaine ne peut pas être réduite à
l’état simple des actions physiques. Il serait plutôt antiscientifique de comprendre ce qui n’est pas
simplement « objectif » par l’optique positiviste. Cependant, la critique de l’idéologie tourne sa
critique contre l’herméneutique, dans la mesure où celle-ci perpétuerait d’une manière inadmissible
un attachement traditionaliste à des préjugés dépassés. Dans le débat, il est clair que Gadamer et
Habermas comprennent différemment les conceptions de la tradition, de l’autorité et du préjugé. Ils
sont réinterprétés par Gadamer, mais ils ne sont pas acceptés par Habermas ; c’est le point de départ
qui permet de comprendre la différence de deux auteurs. Et sur ce point, on peut constater que
l’herméneutique est différemment conçue par chaque auteur. D’un côté, Gadamer il s’en serve pour
réinterpréter la tradition et distinguer ce qui est toujours valable et ce qui ne l’est pas. De l’autre,
Habermas tente de modifier l’herméneutique pour démasquer la violence cachée qui est imposée
par la classe dominante. Et c’est la différente définition du rôle de l’herméneutique ; soit
interprétation de la tradition, soit outil de l’émancipation par la communication non déformée ?
a. Tradition retrouvée
α. Renouvellation de la tradition
En observant l’être qui vit dans la société, dans l’histoire, Gadamer concentre son attention sur la
condition de la vie et la société. Puisque nous appartenons à l’histoire avant de nous appartenir, il
faut observer l’histoire, c’est-à-dire le mode selon lequel l’homme menait sa vie. Au niveau de la
vie quotidienne, l’histoire se relève sous les noms de la tradition, du préjugé et de l’autorité. Et
avec la redéfinition de ces concepts, Gadamer s’affronte à l’Aufklärung. Contrairement à la
perspective de l’Aufklärung, la tradition et le préjugé n’ont pas toujours les sens négatifs, puisqu’ils
contiennent à la fois les choses négatives et les choses positives. En dépit de poids de mot, tradition,
Gadamer ne trouve aucune valeur absolue dans la tradition, mais seulement la diversité de vérité.
Chez Gadamer, la tradition est une île de trésor qui renferme à la fois les trésors et les dangers. Et
10
11
Logique, 1987, p. 208.
Réplique, p. 157.
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dans l’île de tradition, on peut trouver les diverses vérités avant l’arrivée de l’Aufklärung.
C’est une nouvelle conception de la tradition, ou plutôt une ancienne conception qui a été
démolie par la perspective de l’Aufklärung. Ce dont Gadamer tente par la revalorisation de la
tradition, c’est la renaissance de la tradition, autrement dit, l’interprétation des textes qui renferment
les actes de l’homme depuis le commencement d’écriture. Ici, le mot des textes ne signifie pas
seulement les écritures ; il prendre aussi, pour le texte d’expériences humaines, les œuvres d’art
dans lesquelles on peut trouver l’expérience d’une vérité inaccessible par toute autre voie,
notamment par l’Aufklärung. C’est la même raison pour laquelle Gadamar apprécie à nouveau les
poèmes et les mythes de l’Antiquité. Chez Gadamer, ce qui se passe dans le passé, existe toujours.
Car, le passé n’est plus un conte ancien d’être effacée par l’Aufklarung. C’est la tâche de
l’herméneutique de faire apparaître les valeurs cachées dans toute son étendue à partir de
l’expérience de l’art et de la transmission du passé.
La tradition se lie à l’autorité et au préjugé dans la mesure où ils sont accusés d’aspects négatifs
en tant que composant de la tradition. Mais l’autorité obtient aussi une valeur positive chez
Gadamer, car il suppose que l’autorité repose sur la reconnaissance : sur un acte de la raison. La
raison, ici, est différente que celle de l’Aufklärung dans la mesure où elle est consciente de ses
limites. Tant que la raison se garde de faire un abus de soi-même, elle supporte l’autorité qui est
aussi raisonnable. L’impression négative de mot de la tradition n’est que l’impression, qui est
provenue des prétentions des Lumières. En fait, Gadamer se dresse contre cette dichotomie illusoire
entre l’autorité et la raison. Comme l’explicite Gadamer, « ainsi comprise dans son vrai sens,
l’autorité n’a rien à voir avec l’obéissance aveugle à un ordre donné. »12
Gadamer rejette aussi le « préjugé » du préjugé par l’Aufklärung. Il croit que le préjugé
appartient à la réalité historique. Comme le préjugé est une conception de l’histoire, on peut
s’approcher à la compréhension de l’homme, qui est aussi l’être fini dans l’histoire. Plus
profondément, Gadamer aspire à retrouver la sagesse avant l’Aufklärung par la restauration du
préjugé. Gadamer commence par examiner la répartition des préjugés en préjugés d’autorité et en
préjugés de précipitation. Selon lui, cette classification repose sur la présupposition fondamentale
de l’Aufklärung, c’est-à-dire l’idée cartésienne selon laquelle la raison se soumet à la méthode. Et,
la précipitation est la source d’erreur par l’hypothèse que la raison s’accomplit à la manière non
réfléchie. L’autorité, en revanche, empêche de faire usage de la raison. Cette répartition repose donc
sur une opposition exclusive entre l’autorité et la raison. Et, l’Aufklärung explique que l’autorité
oppose le préjugé à la raison. L’Aufklärung a méprisé l’autorité et le préjugé selon le raisonnement
du cercle vicieux. L’un et l’autre se donnent réciproquement la cause de l’indignité ; on peut dire
que le préjugé est mauvais parce qu’il s’appuie sur l’autorité, et aussi que l’autorité est inacceptable
parce qu’elle est soutenue par le préjugé. Ricœur souligne que la définition négative de la tradition
pose simultanément une question à la philosophie moderne des Lumières. Elle n’est qu’une
prétention des Lumières qui ont le préjugé que la tradition se fond sur l’autorité irrationnelle.
Comme le rappelle Ricœur, « jugement et préjugé ne sont des catégories dominantes que dans la
sorte de philosophie issue de Descartes qui fait de la conscience méthodique la clé de notre rapport
à l’être et aux êtres ».13
Gadamer n’accepte pas que le contraste soit absolu entre tradition et raison. Mais, quand même,
cette tentative comporte certainement risque de tomber conservatisme. Ricœur, qui est toujours
favorable à l’herméneutique gadamérienne, explicite sans ambiguïté que l’herméneutique
romantique lie ainsi son destin à tout ce qui fait figure de Restauration. En fait, c’est le point
apparent de la critique posée par Habermas. Gadamer répond à cette critique en soulignant la
tradition changeable. Pour Gadamer, le changement de la tradition est évident dans la mesure où la
tradition est soutenue par la raison réflexive ; la conscience de sa limite rend la raison capable de se
changer en s’appropriant à la nouvelle situation. Dès lors, le changement de la raison incite la
réinterprétation de la tradition. Et enfin, certaine tradition est réanimée et revalorisée, alors que
12
13
VM, p. 300.
HCdi, p. 373.
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certaine tradition est oublié et niée. Ainsi se change la raison, qui est le fondement de la tradition, et
corrélativement se transforme la tradition :
L’expression « se joindre à la tradition » veut au contraire seulement dire que la tradition
ne s’épuise pas dans ce qu’on sait être sa propre origine et dont on a conscience, si bien que
la tradition ne peut pas être renfermée totalement dans une conscience historique adéquate.
Se joindre à la tradition c’est tout autant transformer ce qui existe que le défendre. La
tradition ne se trouve elle-même que dans un changement continuel.14
Gadamer libère autorité et raison de l’antithèse abstraite qui les opposait pour les « Lumières ».
L’autorité gadamérienne n’est pas une notion qui se renforce dans la tradition ; en revanche, tant
que la tradition se change, l’autorité se trouve aussi dans la contestation continuelle de sa valeur.
En ce sens, se déplacent les horizons qui se composent des éléments acceptés dans la société
comme tradition, l’autorité, et le préjugé. Tant que l’horizon est un concept changeable, les
contenus, c’est-à-dire les modes de vie humaine, sont aussi changeables. L’autorité ne peut
subsister qu’à la condition où elle est reconnue « avec » la raison, non forcée à obéir
« contrairement » à la raison. Dès lors, l’obéissance qui écoute l’autorité n’est pas aveugle. De
toute évidence, la proposition de Gadamer n’a pas uniquement l’aspect conservateur.
β. Tradition réinterprétée non conservatrice
La tradition n’est pas une structure solide, mais elle a, au contraire, besoin de notre
reconnaissance pour être fondée et être maintenue. Et elle est une activité de l’homme, et elle n’est
pas un obstacle à la raison ou à la liberté. Chez Gadamer, la tradition ne cesse pas de porter en ellemême des éléments qui dépendent de la liberté et de la rationalité. Cela signifie que la tradition est
toujours en train de se changer, bien qu’il soit difficile d’apercevoir le changement à cause de son
manque de rapidité. Mais, si l’on retrouve et réanime la tradition qui est assez lointaine du présent,
on peut facilement apercevoir son changement ; et cette distance temporelle nous donne
naturellement, la capacité de réfléchir la tradition. C’est la tâche de l’herméneutique. Par
l’herméneutique philosophique, la tradition se sépare de sens de dogmatisme. Parce que l’interprète
se trouve dans le présent, la tradition est réinterprétée par un autre regard que celui de l’époque où
cette tradition était actuelle. Par conséquent, la réanimation de la tradition doit être toujours une
interprétation nouvelle. Et cette réinterprétation nous conduit à réfléchir notre société actuelle dans
la continuité de la tradition ; la réinterprétation de la tradition revient pour interpréter la société
actuelle. Car, la société actuelle est un héritier de la société précédente. L’herméneutique examine
une certaine tradition de sa naissance à sa mort ou son actualité. Cette observation rend possible de
percer à jour l’essence de cette tradition. En outre, Gadamer assure que l’observation de
l’herméneutique peut réanimer des traditions rationnelles, en dévalorisant des traditions non
rationnelles. En ce sens, la réinterprétation est aussi un acte de liberté que le bouleversement et
l’innovation.
Il peut se poser que l’on ne peut pas réinterpréter, soit favorablement, soit négativement, la
tradition qui exerce actuellement son influence dans la tête de l’interprète. Heureusement, selon
l’explication de l’herméneutique philosophique, on peut aussi sortir de là. Pour s’éloigner de la
tradition toujours actuelle, il faut recourir au concept de « comme herméneutique » de Heidegger
selon l’explication de Habermas. Heidegger lie le « comme herméneutique » à la conception du
monde qui est préalable, mais implicite. Il sépare le « comme herméneutique » et le « comme
prédicatif » qui trouve son origine dans l’articulation catégorielle de l’étant dans son ensemble.
Selon la notion de « comme herméneutique », Heidegger contemple l’articulation linguistique ; il
trouve dans la langue la compréhension préalable du monde qui est inexplicable au « comme
14
Réplique, p. 165.
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prédicatif ». C’est une ouverture préalable au monde en tant qu’« avènement de la vérité » au
moyen du langage. Cette pluralité de vérité’est le fondement de l’herméneutique gadamérienne. Car,
Heidegger sépare la prédication des propriétés et la référence aux objets. La connaissance
prédicative ne peut plus entièrement contrôler l’interprétation libre. Nous sommes capables de
présenter diverses descriptions d’un objet en le comprenant profondément. Ce n’est pas la
confusion de la compréhension, mais l’élargissement de notre savoir sur le monde.15
Lorsque l’herméneutique abolit l’opposition abstraite entre la tradition et la raison, la tradition
retrouve sa vivacité. Dans cette vivacité Gadamer ne voit pas quelque chose de radicalement
nouveau, mais un élément nouveau au sein de ce qui a constitué le rapport de l’homme au passé
dans la conscience historique qui réanime la tradition. La vivacité, c’est-à-dire l’actualité dans le
contexte présent, ne provient pas de la nouveauté non examinée, mais de la nouveauté proposée par
la différente interprétation de ce qui est ancien. Par conséquent, la vivacité n’est pas une impression
simple, mais un raisonnement réflexif. Et puis, par la réactualisation réflexive, l’herméneutique fait
reconnaître un facteur constitutif de l’attitude historique dans la tradition. Ce qui est essentiel, c’est
la reconnaissance de la tradition. Gadamer ne veut que revitaliser des vérités oublie depuis la
domination de l’Aufklärung, et, selon Gadamer, cette renaissance de la tradition n’a rien à voir avec
le conservatisme ou l’irrationalisme :
Affirmer qu’ici la tradition seule fonde et doive continuer à fonder l’autorité des préjugés
est absolument opposé à ma thèse, selon laquelle l’autorité repose sur la connaissance …
J’oppose à la tradition la finitude essentielle de l’existence humaine et la particularité
essentielle de la réflexion. Quand Habermas dit que « l’autorité peut être dépouillée de ce qui
en elle était pur pouvoir(c’est-à-dire, pour moi, de ce qui n’était pas autorité) et se résoudre
dans la contrainte non violente du discernement et de la décision rationnelle », je ne sais plus
ce qui nous sépare.16
Malgré les explications de Gadamer, il ne semble pas que Habermas change son avis. Car la
position de Habermas ne tient compte de l’interprétation de la tradition pour la tâche de
l’herméneutique. Habermas ne veut pas s’arrêter à la pure compréhension et à la neutre
revalorisation ; par contre, il veut dévoiler les structures construites par l’idéologie des classes
dominantes avec l’herméneutique. L’idéologie et la hiérarchie du passé ne cessent pas d’influencer
sur la société présente en persistant en tant que la tradition.
b. Herméneutique pour la critique de l’idéologie
La critique de l’idéologie de Habermas aussi, pose une question sur l’être par l’intermédiaire de
langage. Dans « Logique des sciences sociales », en tant que pathologie de la société déformée, le
regard de Habermas examine les théories qui expliquent la déformation de la société, c’est-à-dire
les problèmes de la compréhension mutuelle. Parmi eux, Habermas considère importants deux
auteurs : Wittgenstein et Gadamer. Wittgenstein explique l’analyse du langage, d’abord par
l’autoréflexion transcendantale, et puis par l’autoréflexion sociolinguistique. Et après, Gadamer
propose le troisième niveau de réflexion : le niveau historique qui met l’interprète et son objet dans
le même contexte. Habermas pense que ce contexte objectif se présente comme « tradition ». Selon
lui, la compréhension herméneutique est préalablement motivée par la tradition, et là, commence la
critique de Habermas.17
α. Tradition comme Idéologie imposée
15
J. Habermas, Vérité et justification, traduit par R. Rochlitz, Paris, Gallimard, 2001, p. 28.
RHC, p. 136-137.
17
Logique, p. 216-217.
16
- 12 / 65 -
Habermas accorde à Gadamer que les mythes des sociétés archaïques forment le contraste avec
les sociétés modernes. Il dit qu’elles rendent possible une autre vision du monde ; « dans le miroir
de la pensée mythique, nous devrions pouvoir rendre manifestes les présuppositions, jusqu’ici non
thématisées, de la pensée moderne. »18 Et puis, Gadamer se réfère à Hegel en empruntant l’idée que
la restitution de la vie passée n’est possible que dans la mesure où l’on reconstruit le présent à partir
de son passé. En accordant à lui, Habermas explicite que l’on peut éviter la reproduction illusoire de
passé par la médiation réfléchie de passé avec la vie présente. Mais, cela ne dit pas que Habermas
accorde complètement à Gadamer. Il reproche que la tradition est imposée par la force extérieure et
qu’elle est un obstacle de l’émancipation du système actuel, émancipation qui se manifeste en tant
que la communication véritable et libre entre les participants de la société. Il voit les malentendus
sociaux comme les maladies ; la société des malentendus est une société déformée. Ici,
l’émancipation signifie que la société retrouve la compréhension mutuelle entre les participants.
Bien évidemment, la théorie de Habermas se fonde sur la critique du capitalisme avancé, et la
communication est distordue à la condition que le capitalisme systématise l’intérêt de la classe
dominante comme idéologie. Par cette perspective, Habermas critique la simple interprétation
académique de Gadamer.
D’abord, Habermas pense que Gadamer confond les traditions encore vivantes et la recherche
herméneutique. Habermas accepte la réactualisation et l’application de la tradition à la condition
qu’elle soit suffisamment souple, et qu’elle compte tenu des changements de situation ; il nomme ce
processus la transposition intelligente. Néanmoins, il n’est pas vrai que toutes les traditions vivantes
sont rationnellement modifiées selon les changements des situations. Lorsque l’herméneutique
accepte toutes les traditions survécues sous le nom de reconnaissance, elle n’est pas rien d’autre
qu’une méthode du conservatisme. Alors, l’herméneutique gadamérienne démolit l’équilibre entre
l’autorité et la raison. Il voit dans la tradition de Gadamer l’impulsion de Burke qui est appelé par
Habermas le conservateur de la première génération. Naturellement c’est Gadamer qui est
conservateur de la deuxième génération. De même que Gadamer, Burke aussi croyait qu’une
autorité véritable n’a pas besoin d’adopter une attitude autoritaire, et que l’autorité véritable se
distingue de la fausse par le fait qu’elle est reconnue.19 Pour Habermas, la fixation de la tradition
elle-même pose un problème. La tradition est transmise par le processus de formation au niveau
individuel. L’enseignement de la tradition légitime les préjugés imposés à l’adolescent ; la réflexion
de l’adolescent devrait alors se contenter de confirmer ces préjugés. Ainsi, dans le processus de
socialisation, on s’intègre à la société en acceptant l’autorité qui permet d’intérioriser des normes et
sédimentation des préjugés. Habermas n’apprécie pas la validité de la reconnaissance que présente
Gadamer comme la source de la tradition rationnelle. À la condition que la tradition soit le texte de
l’enseignement, elle s’accompagne avec l’autorité et les préjugés ; on respecte, d’abord, la tradition
avant qu’on la reconnaisse. La réflexion, par conséquent, est inévitablement limite ; on voit la
tradition et les préjugés après avoir appris à les respecter sous l’éducation imposée de l’extérieur.
Habermas considère que Gadamer choisit des traditions communes comme le créateur de
consensus préalable. En effet, il est nécessaire d’avoir un certain consensus préalable pour fonder
une société et pour vivre dans cette société. Par exemple, le dialogue n’est possible qu’à la
condition que les participants partagent un consensus de sens des mots employés. On peut aussi
prendre un exemple de patriotisme : il se révèle lorsque le peuple partage l’identité des membres
d’État. Et la tradition, souvent, prend un rôle important dans la création du consensus préalable.
Malgré l’éloge de la tradition reposée sur la raison, Habermas doute que, en réalité, la tradition ellemême nous a privé déjà le temps de reconnaissance. Selon lui, « l’acte de la reconnaissance
médiatisée par la réflexion n’aurait rien changé au fait que la tradition en tant que telle est demeurée
la seule raison de la validité des préjugés. » 20 Tout contraire à Gadamer, Habermas affirme
que l’autorité et la connaissance ne convergent pas, mais s’opposent. C’est parce que Habermas
18
Communicationnel I, p. 60.
Logique, p. 212-214.
20
Logique, p. 214.
19
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pense que la reconnaissance de la tradition est l’identification au modèle donné. Et il explique le
lien entre la tradition, l’autorité et le préjugé avec le concept d’identification. L’identification au
modèle donné produit l’autorité qui seule permet d’intérioriser des normes et des préjugés. En outre,
il perce à jour que dans les conditions données, nous ne pouvons nous pencher profondément sur les
normes que nous avons intériorisées, qu’après avoir d’abord appris à les suivre aveuglément, sous
l’action d’une force imposée de l’extérieur. Chez Habermas, le surpassement de la compréhension
mutuelle dans la société, n’est pas conduit par la tradition, mais par la réflexion et la critique de la
tradition.
La critique habermassienne analyse aussi le rôle de langage dans le contexte social. De même
que Gadamer, il comprend le langage dans son rapport avec les actes et les expériences de l’homme.
Souvent, on comprend le langage comme une sorte de méta-institution supérieur à toutes les
institutions sociales. En effet, l’activité sociale se constitue dans la communication au moyen du
langage ordinaire. Cependant, Habermas éclaircit une convention implicite que la méta-institution
du langage dépend manifestement de processus sociaux. Le langage se constitue dans la vie
quotidienne que créent tous les actes humains. Les structures sociales se renforcent dans le langage ;
et puis le langage légitime et reproduit ces structures par la conceptualisation linguistique. Donc, le
langage est un médium de la domination et du pouvoir social ; les relations sociales se rendent
légitimes dans le processus de la représentation au sein du langage.
De ce point de vue, Habermas tente de métamorphoser la tâche de l’herméneutique
gadamérienne. Chez Gadamer, comme nous avons vu, se sert de réinterpréter la tradition. Par contre,
Habermas affirme que l’expérience de l’herméneutique philosophique fait apparaître le caractère
répressif qui déforme l’intersubjectivité de l’entente. Pour Habermas, l’intersubjectivité se trouve
déformée au moyen du langage ordinaire parce que le langage quotidien n’est pas un cadre de
l’objectivité, mais il est un système dans lequel se rend rigide le dogmatisme de la tradition. Alors,
Habermas énonce que tout consensus obtenu par une compréhension du sens est fondamentalement
extorqué par une pseudo-communication ; « lorsque l’apparence d’une entente effective permettait
au malentendu et à l’incompréhension de soi de se perpétuer imperturbablement, les Anciens
parlaient d’aveuglement. » 21 Donc, il critique la tradition même si elle est le résultat de la
communication entre le présent et le passé. Car, la réhabilitation du préjugé, de l’autorité, de la
tradition sera finalement dirigée contre la réflexion de la société. Ici, on trouve le rôle de
l’herméneutique chez Habermas ; elle se sert de démasquer la pseudo-communication de la société
déformée tandis que l’herméneutique gadamérienne s’entraîne à revaloriser la tradition.22
β. L’herméneutique pour l’Émancipation
En s’opposant au capitalisme avancé du monde contemporain, Habermas critique les intérêts qui
protègent le système de la tradition. Habermas insère aussi l’herméneutique gadamérienne dans le
cadre des intérêts favorables à la classe dominante dans la mesure où Gadamer l’emploie pour
consolider la tradition. Mais ce qui est intéressant, c’est le fait que Habermas ne réfute pas
complètement la capacité de l’herméneutique. Le problème, c’est la direction dans laquelle
l’herméneutique s’oriente. Habermas accepte la possibilité de l’émancipation par la réflexion de
l’herméneutique ; en effet, il explicite que l’herméneutique philosophique se rapporte à la critique.
Car, l’herméneutique philosophique interprète nos expériences avec en pratiquant le langage d’un
point de vue réflexif.23 De même que Gadamer ne refuse pas la valeur de la raison, Habermas aussi
ne nie pas la compétence de l’herméneutique. Plutôt, il veut la modifier en moyen d’assurer la
possibilité de l’accès à la véritable communication. Il semble que Habermas considère
l’herméneutique en tant qu’un moyen pour qu’il l’emploie dans le processus de l’émancipation.
21
Universalité, p. 268-269.
HCdi, p. 375.
23
Universalité, p. 240.
22
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Gadamer ne vise pas l’émancipation tandis que Habermas ne se contente pas de l’interprétation.
C’est aussi la raison pour laquelle Habermas fait référence à Gadamer jusqu’avant de proposer sa
propre théorie. Il pense que l’émancipation est la seule idée que l’être humain ait en propre au sens
de la tradition philosophique. Et Habermas veut quitter Gadamer en modifiant l’herméneutique.
Tout d’abord, Habermas, dans la tradition de l’école de Francfort, propose l’émancipation du
capitalisme avancé. Il introduit une notion de la « nouvelle aliénation ». Les sciences naturelles et
les sciences sociales contribuent à la nouvelle aliénation, c’est-à-dire une tendance que l’homme fait
de plus en plus de lui-même un objet de la science et de la technique. L’homme devient l’objet de
l’idée universelle, lorsque l’on explique le monde et la société par la même méthode des sciences de
la nature. 24 Mais, en même temps, l’émergence de la nouvelle aliénation nécessite la nouvelle
émancipation. L’émancipation peut s’affronter à la nouvelle aliénation en rendant l’homme
indépendant de la science et de la technique. Et pour montrer la possibilité de l’émancipation, il
explique le concept d’intérêt. L’intérêt dominant règne d’autres intérêts, et puis les divers intérêts
conforment le monde. Dans la perspective de Habermas, l’intérêt de la classe dominante se rend
ferme sous la forme de l’idéologie dominante, et la tradition les impose en tant que condition
donnée.
Contraire à l’intérêt de la domination, Habermas réfléchit sur l’intérêt qui poursuit
l’émancipation ; c’est là où le langage se rend important. Le langage est un exemple qui peut nous
distinguer de la nature. Avec le langage l’homme est en mesure de connaître soi-même, c’est-à-dire
nous pouvons profondément réfléchir sur nous-mêmes ; c’est l’autoréflexion. Dans l’autoréflextion,
une connaissance pour l’« amour de la connaissance » se trouve coïncidé avec l’intérêt qui vise
l’émancipation. Comme le formule Habermas, « dans l’autoréflexion la connaissance et l’intérêt
sont confondus. » 25 Mais le langage, en même temps, est un acteur qui consolide les structures de
la domination. Car le langage reflète la hiérarchie sociale, conduite par l’intérêt de domination. En
conservant la hiérarchie inégale, le langage, à son tour, se continue en tant qu’un système social.
Tant que l’on obtient un langage, il est difficile d’échapper à l’intérêt de domination ; la hiérarchie
se transmet à travers du temps. De plus, Habermas montre aussi la difficulté de l’émancipation dans
la particularité du capitalisme avancé. Aujourd’hui, les intérêts liés au maintien du mode de
production ne sont plus clairement localisables en tant qu’intérêts de classe. Car le système de
domination cache l’apparence de la domination pour éviter toute mise en danger du système. Dans
ce cas, selon Habermas, les antagonismes de classes sont devenus latents, et par conséquent, il est
difficile de discerner ce qui est l’intérêt de la classe dominante.
Dans cette situation, Habermas tente de se servir de l’herméneutique. Pour cela, d’abord, la
mission de l’herméneutique doit se définir à la manière différente de celle de Gadamer. Pour
retrouver la communication indépendante de l’intérêt de la domination, il nous faut traduire le
système implicite par l’herméneutique des profondeurs. Habermas ne limite pas l’opération de
l’herméneutique dans le cadre du passé ; tant que l’intérêt de la classe dominante est actuel,
l’opération de le démasquer aussi doit être actuelle. On peut ainsi dire que Habermas veut modifier
l’herméneutique philosophique en y associant le concept d’autoréflexion. L’autoréflexion est
déterminée par un intérêt de connaissance émancipatoire, intérêt que partagent les sciences
d’orientation critique et la philosophie. 26 En ce sens, on peut comprendre pourquoi Habermas
propose la psychanalyse en tant que le moyen de l’émancipation. Lorsque l’herméneutique se joint
avec l’autoréflexion, elle se ressemble à la psychanalyse freudienne. En effet, il semble que
l’herméneutique « de Habermas » a un autre nom de la psychanalyse. De même que
l’herméneutique restaure la communication déformée entre l’écriture et l’interprétation, ou plus
généralement entre l’action et la réaction, la psychanalyse découvre la clé de la pseudo-normalité,
c’est-à-dire de la pathologie cachée inhérente aux systèmes sociaux dans le malade. 27 Dans la
24
Logique, p. 34.
J. Habermas, « Connaissance et intérêts » in La technique et la science comme idéologie, Paris, Gallimard, 1973, p.
156-157.
26
J. Habermas, Ibid, p. 150.
27
Universalité, p. 252.
25
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perspective de la psychanalyse, le malade agit dans un jeu de langage déformé ; la psychanalyse
vise à élucider le sens inintelligible de manifestations symptomatiques qui font partie du jeu de
langage déformé. C’est un acte d’autoréflexion du malade qui reconstruire son jeu de langage
déformé en renvoyant le malade au moment où la déformation a lieu. De même que le traitement de
la psychanalyse dans la conscience et l’inconscience du patient, il est possible que la société puisse
sortir de la communication déformée qui confirme l’intérêt de domination. Et c’est ce que vise
Habermas dans le rôle de l’herméneutique.
Il parle aussi de l’intérêt technique : dans l’époque moderne, les sciences se rendent autonomes
et, en résultat, ils développent leur propre intérêt. On peut facilement trouver l’intérêt technique
dans l’hypothèse de la neutralité de la science. À l’intérêt technique, oppose Habermas l’« intérêt de
connaissance pratique » qui provient de la possibilité d’un consensus entre sujets agissants. Et il est
conduit par un intérêt pour le maintien et l’extension de l’intersubjectivité d’une compréhension
entre individus, susceptible d’orienter l’action. Et pour orienter l’action, il faut explorer la réalité, et
Habermas propose encore une fois l’herméneutique au moyen de l’exploration. L’herméneutique
des profondeurs, selon l’expression de Habermas, s’oppose aussi à l’intérêt de l’historicisme qui a
ancré l’illusion objectiviste de la théorie pure. Le problème de l’historicisme est l’illusion que
l’interprète peut se comprendre le monde autour de soi à la manière objective dans la condition où
la tradition domine sa précompréhension.28 Selon Habermas, « le monde d’un sens légué par la
tradition ne devient accessible à l’interprète que dans la mesure où son propre monde s’éclaire en
même temps pour lui ». L’herméneutique est un pont qui établit une communication entre deux
mondes : le monde abandonné par la tradition et le monde de la tradition. De même que la
psychanalyse explore l’inconscience du patient, l’herméneutique trouve des éléments cachés par
l’intérêt dominant. En ce sens, Habermas affirme, à propos de l’herméneutique, qu’il ne s’agit pas
d’art, mais de critique. L’herméneutique des profondeurs rend conscientes, d’un point de vue
réflexif, des expériences que nous faisons avec le langage dans le monde actuel.29
3) Analyse de Ricœur
Et il y avait un philosophe qui essaie de trouver une réconciliation entre Gadamer et Habermas
dans la perspective de l’herméneutique philosophique : il est P. Ricœur. Dans l’article
d’« Herméneutiques et critique des idéologies »( 1973), Ricœur énonce l’analogie et l’opposition
entre Gadamer et Habermas. Ce qui conduit Ricœur au débat, c’est la confiance de l’herméneutique,
car Ricœur lui-même apprécie le concept d’une « herméneutique philosophique ». Ricœur définit
clairement la signification de l’herméneutique, selon l’expression d’Habermas, par un savoir
réflexif critique.30 Mais quand même, il se rattachait à l’herméneutique, et par conséquent, dans le
débat il s’inclinait à la position de Gadamer. Par conséquent, sa médiation du débat était
effectivement un plaidoyer de Gadamer.
a. Horizon de Gadamer
Il semble que, dans la compréhension de l’herméneutique chez Ricœur, l’histoire de
l’herméneutique se divise en deux : avant Heidegger, et après Heidegger. Et dans ce regard,
l’herméneutique gadamérienne se situe comme un successeur de l’optique heideggérienne. Ricœur
énonce que l’herméneutique ouvre un passage de l’épistémologie à l’ontologie par Heidegger ;
c’est-à-dire que les deux courants allemands, la phénoménologie et l’herméneutique se réunissent
par Heidegger. En poursuivant le rapprochement de l’herméneutique et la phénoménologie chez
Heidegger, Ricœur vise directement le cœur de l’herméneutique philosophique. Selon lui,
28
J. Habermas, Ibid, p. 148.
Universalité, p. 240.
30
Réplique, p. 150.
29
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l’analytique du Dasein est la synthèse entre l’ontologie de la compréhension et l’épistémologie de
l’interprétation. C’est pourquoi il pose la question suivante :
…qu’arrive-t-il à une épistémologie de l’interprétation, issue d’une réflexion sur l’exégèse,
sur la méthode de l’histoire, sur la psychanalyse, sur la phénoménologie de la religion, etc.,
lorsqu’elle est touchée, animée et, si l’on peut dire, aspirée, par une ontologie de la
compréhension ? 31
L’être humain se trouve en tant qu’un être unique après avoir reçu certain degré de l’éducation,
soit officielle, soit non-officielle ; mais en même temps, il lui faut réfléchir sur sa propre existence.
Ce sont deux manières de se comprendre ; soit par la connaissance, soit par la réflexion.
Évidemment, on ne peut pas simplement dire quelle manière est plus importante que l’autre.
Cependant, malgré l’impossibilité, depuis longtemps la hiérarchisation entre deux est mise en
discussion. Car, on ne peut organiser l’ordre de la société que selon un certain ordre entre deux
manières que se forme l’homme. Gadamer conçoit la connaissance comme herméneutique
philosophique tandis que Habermas systématise la réflexion en tant que critique. Dans le débat
entre Gadamer et Habermas, ce dilemme se manifeste sous la forme superficielle de conflit entre la
tradition et le moderne. En ce sens, le débat serait une répétition développée de l’herméneutique de
Heidegger.
Au niveau concret, Ricœur comprend le débat sous la forme de la dichotomie entre la tradition et
l’intérêt. Il commence par comparer le préjugé avec le concept d’intérêt. Comme le dit Ricœur, le
préjugé de Gadamer est emprunté au romantisme philosophique, et puis réinterprété par le moyen
de la notion de précompréhension. L’intérêt de Habermas n’est pas très différent du préjugé dans
son essence, car tous les deux proviennent du même caractère de la précompréhension : ils se sont
déjà formés avant que l’homme organise son propre système de connaissance du monde, et ils
exercent leur influence sur les perceptions de l’homme. Ce qui est différent, c’est le fait que les
intérêts se forment d’eux-mêmes le cadre des connaissances de l’homme, tandis que le préjugé reste
un élément simple de l’horizon.
Pour l’analyse du monde, comme nous avons déjà vu, Gadamer introduit le concept d’horizon et
la fusion de celle-ci. Les expériences de l’homme forment les divers horizons selon leurs domaines,
et en revanche, les hommes apprennent les connaissances pré-accordées avant leur génération, dans
la société. Les préjugés conforment ces connaissances qui sont transmises par l’herméneutique. Et
on peut regrouper les plusieurs horizons en deux catégories les plus grandes : l’horizon du présent
et celui du passé. Selon Gadamer, la fusion de l’horizon traverse le temps dans la mesure où
l’horizon du présent ne se forme donc absolument pas sans le passé ; « la compréhension consiste
au contraire dans le processus de fusion de ces horizons soi-disant indépendants l’un de l’autre ».32
Dans la fusion de l’horizon, c’est-à-dire dans la fusion du passé et le présent, les préjugés sont
vérifiés par la raison herméneutique dans laquelle la raison et l’herméneutique se confondent. Il
affirme aussi que l’autorité n’a rien à voir avec l’obéissance aveugle et qu’elle repose sur la
reconnaissance chez Gadamer. Ricœur soutient l’idée que ce que dit l’autorité n’est ni arbitraire, ni
irrationnel, mais elle est admise dans le raisonnement. Une tradition demande à être saisie, assumée
et entretenue ; en cela, elle est un acte de raison.33 L’interprète de l’horizon du présent rencontre un
texte de l’horizon du passé par l’herméneutique. C’est en ce sens où Gadamer fait confiance de
l’acte de reconnaissance et de la tradition. Selon Gadamer, l’horizon du présent est en formation
perpétuelle dans la mesure où il nous faut constamment mettre à l’épreuve nos préjugés.34 Ce qui
est vérifié dans la fusion d’horizons n’est pas seulement le préjugé, l’autorité ; c’est plutôt la
tradition entière. La réinterprétation de la tradition n’est pas rien d’autre que cette fusion d’horizons.
P. Ricœur, « Existence et herméneutique » in Le conflit des interprétations : essais d’herméneutique, Paris, Seuil,
1969, p. 10-11.
32
VM, p. 328.
33
HCdi, p. 378-381.
34
VM, p. 328.
31
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Ricœur évalue la notion de la fusion d’horizons par l’expression que « nous devons à Gadamer
cette idée très féconde ». Car, la fusion d’horizons réalise la communication à distance entre deux
consciences différemment situées : globalement, entre celle du présent et celle du passé.35 C’est, en
effet, un effort remarquable dans la mesure où la fusion d’horizons élargit nos perspectives dans
tous les domaines. Et c’est aussi remarquable que Gadamer ne tombe pas dans l’attitude de l’antiraison, en ambitionnant à surpasser la limite de l’Aufklärung, limite qui se fonde sur la prétention
qu’il croit la puissance de la raison est absolue. Chez Gadamer, c’est toujours raison, qui est la
source ultime, mais elle n’est pas la même chose que celle de l’Aufklärung. Elle n’est pas
déterminée avant d’être appliquée. Et quand elle est appliquée, elle examine attentivement la
continuité de la tradition. Mais, cette application délicate ne signifie pas la soumission de la raison à
la tradition. Par contre, la tradition est valorisée par la raison. Mais la validité et la valeur reconnue
ne sont pas décidées dans le tribunal de la raison, mais dans la fusion de l’horizon.
En ce sens, Ricœur considère la fusion des horizons comme un concept dialectique qui procède
d’un double refus : celui de l’objectivisme, et celui du savoir absolu. D’un côté, l’objectivisme est
un autre nom du traditionalisme dans la mesure où « l’objectivation de l’autre se fait dans l’oubli du
propre ». Il est évidant que certaines sociétés traditionnelles, au sens négatif et non gadamériennes,
empêchent la réalisation de l’humanité au nom de l’autorité, qui est en fait non reconnue. La
tradition, qui ne souligne que sa conservation comme telle qu’elle était, n’accepte aucune pose de
réfléchir à la vie actuelle. De l’autre côté, le savoir absolu est un mythe de l’Aufklärung : leur
résultat est une intolérance à la possibilité de diverses vérités. Il se contente d’articuler un unique
horizon par l’histoire universelle. En tant que l’éloge de la position de Gadamer, l’explication de
l’herméneutique se concentre sur la démonstration que la tradition, dont parle Gadamer, n’a rien à
voir avec le traditionalisme. Il s’efforce toujours de montrer l’aspect favorable à la raison dans
l’optique de Gadamer.
b. Communication retrouvée de Habermas
Le concept d’intérêt tire son origine du marxisme réinterprété par Lukàcs et l’école Francfort.
Selon l’explication de Ricœur, « le concept d’intérêt est opposé à toute prétention du sujet théorique
à se situer au-delà de la sphère du désir. »36 Alors, le concept de l’intérêt renferme une critique de la
science pure ; et l’attitude de nier la possibilité de la science neutre incite Habermas à découvrir la
violence sous le système légitimement construit. Pour comprendre le concept de l’intérêt, Ricœur
groupe en trois les intérêts ; l’intérêt technique, l’intérêt pratique, et l’intérêt émancipatoire.
Premièrement, l’intérêt technique, ou encore instrumental, règle les sciences empirico-analytiques ;
c’est ici où se trouve le positivisme. Et puis, il y a une seconde sphère d’intérêt pratique qui
correspond au domaine des sciences historico-herméneutiques. À ce niveau, on peut trouver
l’herméneutique gadamérienne. Dans la supposition de l’intérêt, et surtout dans la distinction
l’intérêt technique et l’intérêt pratique, nous pouvons nous rappeler la praxis introduite par
Gadamer ; l’herméneutique des profondeurs. Cependant, Habermas se distingue de Gadamer
lorsqu’il ajoute la troisième sorte d’intérêt à laquelle rattache Habermas une troisième sorte des
sciences, les sciences sociales critiques.37
Les horizons et les idéologies sont tous des structures de la précompréhension, mais ils sont
conçus différemment. Tandis que les horizons de Gadamer ne sont pas forcément considérés
négatifs, les idéologies ne sont que des obstacles de la communication. Par conséquent, Habermas
tente de sortir de la précompréhension que nous sommes habitués. Ici, revient le langage ; comme
nous avons déjà vu, le langage et l’ordre social s’influencent à la manière réciproque. L’intérêt
dominant se reflète dans le langage, et il est transmis avec le langage. Et nous nous parlons, nous
P. Ricœur, « La tâche de l’herméneutique : en venant de Schleiermacher et de Dilthey » in Du texte à l’action, Paris,
Seuil, 1986, p. 110.
36
HCdi, p. 390.
37
HCdi, p. 389-392.
35
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entendons avec le langage qui renferme l’ordre hiérarchique construit par l’intérêt dominant. Dans
cette condition, on est habitué à l’ordre social sans tenir compte de réfléchir l’intérêt caché sous la
vie quotidienne. Mais, comme l’indique Ricœur, Habermas propose un intérêt émancipateur et il
trouve la possibilité de l’émancipation même dans le langage. Chez Habermas, le premier pas de
l’émancipation est la reconstitution du langage : c’est la véritable communication. Dans Théorie de
l’agir communicationnel, que nous analyserons dans le chapitre suivant, il développe le
raisonnement comment la communication recomposée nous conduira à l’émancipation en fondant
une nouvelle source de la vérité et la vertu.
À propos du rôle de langage, il faut rappeler que le langage et l’ordre social, selon l’expression
marxiste le mode de production, se changent dans leurs ensembles. En conséquence, le projet de
l’émancipation doit inclure à la fois le changement du langage(le mode de la communication) et
celui de l’ordre social(le mode de production). Ainsi, il cherche la puissance de surmonter les
interprétations fixées dans le langage en tenant compte du travail social. C’est la pratique que
résulte la dialectique entre le changement du mode de production et la reconstruction de la
conception du monde : la pratique se trouve en même temps dans la société réelle et dans la
conception théorique. Ainsi, Habermas place ses concepts dans le chemin du capitalisme avancé à
l’émancipation. La fusion d’horizons est instituée pour réunir les concepts gadamériens, la tradition,
l’autorité, le préjugé, etc. ; Habermas situe des concepts, l’intérêt, l’idéologie, etc., dans le chemin
vers la communication reconstituée, en tant que les obstacles. On peut voir que les concepts ne sont
que des différents noms du même phénomène, par exemple, le préjugé et l’intérêt signifient tous
principalement une partie de la précompréhension. Habermas ne donne pas possibilité de
l’existence des aspects légitimes dans la précompréhension à la différence de la compréhension
gadamérienne pendant le débat.
Ricœur oppose les perspectives initiales de deux auteurs. C’est une conséquence naturelle quand
nous considérons le point de départ chez chacun. Comme un philosophe de l’herméneutique,
Gadamer veut résoudre le problème de mécompréhension par l’herméneutique. Puisque nous
vivons dans la tradition et la société, on ne peut jamais sortir parfaitement de la tradition et la
société auxquelles nous appartenons. Dans ce cas, il ne faut pas essayer de sortir de la tradition, en
revanche, on peut comprendre la société par observer la tradition. C’est la tâche de l’herméneutique.
Chez Gadamer, c’est la désapprobation générale de la tradition qui nous conduit à la
mécompréhension. Il met en lumière les connaissances sur le préjugé, l’autorité, et la tradition.
Cependant, Habermas ne pense pas que la mécompréhension est un problème indépendant de ceux
du capitalisme avancé. Il vise l’émancipation de l’homme en passant par la communication nondéformée. Le monde actuel est le résultat de l’esclavage depuis très longtemps. Donc, contrairement
à Gadamer, Habermas ne voit pas beaucoup d’aspects positifs dans la tradition. Il veut bouleverser
la tradition qui réside dans le capitalisme avancé, tandis que Gadamer se contente d’arriver à la
compréhension de la tradition.
Habermas voit le conflit de plusieurs intérêts dans la tradition, tandis que Gadamer voit les
préjugés méprisés dans la même tradition. Ce conflit finit par la victoire de l’intérêt de la classe la
plus puissante, et cette victoire construit l’idéologie. 38 Ici, la tradition est redéfinie comme
idéologie, et Habermas cherche le moyen de la surpasser. Comme la tradition est principalement
transmise par l’écriture et la parole, il veut employer l’herméneutique. Mais l’herméneutique de
Gadamer n’est pas suffisante parce qu’elle se borne à l’interprétation ou la reconnaissance de la
tradition. Celle de Habermas doit contenir plus de force vis-à-vis de l’idéologie ; d’abord, elle doit
interpréter l’idéologie dans la société, et puis elle doit la critiquer pour l’émancipation. C’est la
tâche de la psychanalyse que propose Habermas. Il voit la « censure » au sens freudien comme le
concept clé dans le parallélisme entre psychanalyse et théorie des idéologies parce que c’est un
concept d’origine politique qui revient dans le champ des sciences sociales critiques après être passé
par la psychanalyse. Ce n’est pas du tout une simple mécompréhension qui traîne la censure, mais
ce sont la domination de l’idéologie et la violation de la compréhension.
38
HCdi, p. 388.
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2. Aspect profond : Débat pour fonder un Principe de la société
Nous avons vu que Ricœur a philosophiquement perçu le sujet du débat dans la réciprocité entre
l’ontologie et l’épistémologie. Mais cette approche philosophique s’impose la limite académique, et
Ricœur n’explique pas le débat au niveau plus universel. Mais, il nous donne la clé à l’aspect
fondamental, bien qu’il reste collé à l’herméneutique, et qu’il s’intéresse seulement à l’aspect
purement philosophique. Il explicite que, surtout chez Heidegger, la formule se révèle par fonder
l’herméneutique dans la phénoménologie. Car, le débat interroger à nouveau comment on peut
mener la vie, vie raisonnable, et vie juste. Le débat ne se borne pas au conflit entre la tradition et le
moderne comme il se voit immédiatement. Plutôt, le débat pose une question ; on peut atteindre le
Bien par la raison herméneutique ou par la raison critique ? L’être humain mène sa vie en tant que
l’unité indépendante dans le monde. Mais l’indépendance de l’homme ne signifie pas qu’il n’a rien
a voir avec d’autres humains ; l’homme est toujours situé dans la société composée d’individus.
Et dans la vie quotidienne, on rencontre souvent la question suivante : je peux agir selon mon
propre raisonnement ? Ou dois-je suivre les règles auxquelles nous sommes habitués ? Au niveau
de la société, cette question se manifeste comme des changements sociaux, c’est-à-dire la réforme,
la révolution, ou la restauration, etc. En outre, au niveau de la philosophie politique, la question
nécessite la réflexion sur le principe de notre conscience. Car on ne peut agir correctement et penser
raisonnablement que sur le principe commun aux membres d’un groupe ; les membres ne peuvent
pas rassembler sans les critères généralement accordés. L’être humain a toujours besoin d’une
source ultime de laquelle il peut tire les critères pratiques. En ce sens, l’enjeu du débat n’est pas du
tout la nécessité de respecter la tradition ou non. C’est un débat entre deux différents principes et
chaque principe s’incarne dans deux différentes raisons, la raison herméneutique et la raison
critique.
1) La Raison de deux pôles ; transcendantale et particulier
Pour mieux comprendre le débat, il nous faut d’abord découvrir deux autres acteurs : la raison
transcendantale et la raison scientiste. Lorsque l’on ajoute ces deux autres à la raison
herméneutique et la raison critique, le débat se rend visible comme le débat entre quatre raisons. On
ne peut pas correctement entendre le point de conflit entre Gadamer et Habermas, sans
profondément discerner la raison. Dans le débat, il est important que la signification de la raison
signifie différents raisonnements selon les auteurs. Alors, il faut distinguer la raison, d’abord, dans
deux catégories : la Raison universelle et la raison réflexive. D’un côté, la raison universelle
explique le monde selon un unique principe, soit Providence, soit transcendance. Elle renferme
encore deux raisons : la raison transcendantale(de Kant) et la raison scientiste(des positivistes). Et
on peut aussi diviser la raison réflexive en deux sortes : la raison herméneutique(de Gadamer) et la
raison critique(de Habermas). Ici, on commence par la raison transcendantale de Kant.
a. Pôle d’un côté : la Raison Transcendantale
α. Universalité de la raison transcendantale
La Raison transcendantale est présentée par Kant sous la forme complète ; elle est le principe de
l’Aufklärung qui veut organiser la société selon la raison de l’être humain. Au début de l’époque
moderne, le changement de la situation politique et l’apparition d’individu se conditionnent
réciproquement par les Lumières. Et dans cette tendance, Kant désignait la société humaine qui se
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fonde sur la Raison. Dans l’époque de Kant, bien que la Révolution française ait lieu, la puissance
de l’ancien régime se continuait toujours. L’ancien régime était supporté par deux systèmes qui se
liaient : pratiquement par le pouvoir royal, et théoriquement par la religion. Tandis que les Lumières
françaises s’efforçaient d’attaquer surtout par l’optique politique comme les cas de J. J. Rousseau,
E. J. Sieyès, etc., le projet du moderne de Kant se focalise plutôt au problème théorique. La visée de
Kant se réalise théoriquement dans les textes sur la Raison : dans « la critique de la raison pure », il
répond à la question, « Que puis-je savoir ? », et puis dans « la critique de la raison pratique », il
continue à trouver la réponse à la question, « Que dois-je faire ? »39 Les questions et les réponses
signifient que Kant vise d’expliquer toutes les actions humaines selon le concept de la raison.
Ce projet vise à situer la raison en tant que le principe de la société. Dans le moyen âge, le
principe de la société était la Providence ; on croyait que Dieu règne le monde humain. Par cette
croyance, on peut établir la société sur l’ordre divin de la manière inébranlable. Ainsi, la Providence
était la dernière source de la légitimité des actions humaines. Le concept de « cité de Dieu » de St.
Agustin était aussi un effort de comprendre le processus selon lequel l’ordre divin parvient à l’ordre
humain. On peut voir le même processus dans les idées que le pouvoir de rois tire son origine de la
toute-puissance de Dieu. Ici, du point de vue politique, l’existence de Dieu n’est pas une question
importante ; c’est un thème de la croyance. Ce qui est important, c’est le fait que les hommes
croyaient la réalisation de la Providence dans la société humaine, et ils menaient leurs vies selon la
prétention que Dieu règne le monde humain. Dans cette condition, le Bien était principalement
clair, car la source ultime de la morale se manifeste dans la Bible. La Providence donnait le critère
d’actions, parce qu’elle était universelle. Tant que Dieu règne le monde entier, la Providence,
l’ordre de Dieu, est également universelle et absolue. L’être humain pouvait se conduire sans grand
doute sous la domination de Dieu.
Cependant, le changement arrive ; lorsque les hommes ne croient plus aveuglement l’existence
de l’ordre divin, la Providence ne peut pas éviter à perdre son siège. Face à la décadence de la
Providence, il a fallu trouver un autre principe de la société, car l’homme doit mener sa vie même si
après Dieu a été privé de sa couronne royale du monde entier. Mais, la sortie de la Providence
n’était pas conduite par le désir sensuel de renoncer à la morale. L’homme veut organiser sa propre
société sans la soumission à un autre être, Dieu. Alors, c’était seulement la décadence de la
Providence, mais non celle de la morale. C’était l’ambition de l’époque moderne et c’était aussi là
où se révèle la raison. En ce moment-là, Kant a proposé un autre principe de la société qui
remplaçait la Providence. Dans la mesure où la raison émergente avait la tâche de remplacer la
Providence, Kant choisit d’un chemin le plus court et certain ; il donne à la raison les caractères de
Dieu. C’est-à-dire que Kant a renforcé la raison en y ajoutant la morale transcendantale qui avait
appartenu à Dieu. En fait, pour Kant, la raison est un nouveau Dieu qui est raisonnable. C’est
pourquoi la raison de Kant nous était a priori donnée, et en ce sens, ce qu’a proposé Kant, c’était la
raison transcendantale. Dès lors, elle peut donner la légitimité aux actions humaines, et elle donne le
chemin vers le Bien.
Pour convertir la croyance de Dieu en celle de la raison, il est nécessaire de démontrer que la
raison exerce son influence dans nos vies visibles. Kant choisit l’histoire parce qu’il croit que la
réalisation de la raison se manifeste dans elle. Et il faut se référer à l’histoire pour expliquer les
activités humaines vis-à-vis à Dieu qui est perpétuel ; tout d’abord, différemment à Dieu, l’homme
est un être mortel. C’est la raison pour laquelle Mendelssohn et Herder explicitent le progrès de
l’homme comme celui de l’individu ; selon Mendelssohn, l’homme progresse individuellement et
quant à Herder, la mort interdit à l’individu de participer au progrès du genre humain. Kant surpasse
la limite de l’individu comme être mortel en proposant l’espèce humaine qui est immortelle aussi
longtemps que les espèces humaines mènent leurs vies dans la société. 40 Même si l’existence
d’hommes ne peut durer que moins d’un siècle, son expérience peut être transmise aux générations
suivantes sous le nom de la tradition ou l’histoire. La preuve de ce progrès, c’est notre monde qui se
P. Ricœur, « Une herméneutique philosophique de la religion : Kant » in Lecture 3 : Aux frontières de la philosophie,
Paris, Seuil, 1994, p. 20.
40
A. Philonenko, L’œuvre de Kant : tome II, Paris, J. Vrin, 1969, p. 39-40.
39
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fonde sur la civilisation depuis l’antiquité. Évidemment, certaines histoires sont perdues, et
certaines expériences sont cachées, mais c’est toujours vrai que la société humaine se trouve dans la
continuité de l’histoire. C’est là où l’histoire humaine obtient le caractère d’évolution ; l’évolution
se montre lorsqu’une meilleure forme se substitue à l’ancienne.
Ainsi, Kant fournit le progrès du genre humain pour la preuve des actes de la raison
transcendantale. Et l’universalité de la raison transcendantale est expliquée dans le déroulement de
l’histoire universelle. Mais Kant fournit encore une autre preuve que la raison peut remplace Dieu ;
c’est la proposition du monde intelligible. Et c’est dans le monde intelligible où la raison
transcendantale enlève la morale de Dieu. Le monde intelligible est la source de la légitimité des
actes humains ; en fait, l’histoire universelle serait la réalisation de l’imitation du monde intelligible
au monde sensible où nous nous trouvons. Kant montre l’existence du monde intelligible par
rapport au monde sensible :
De là nécessairement une distinction, établie assez grossièrement il est vrai, entre un
monde sensible et un monde intelligible, le premier pouvant beaucoup varier selon la
différence de la sensibilité chez les divers spectateurs, tandis que le second, qui sert de
fondement au premier, reste toujours le même. Même l’homme, d’après la connaissance qu’il
a de lui par le sens intime, ne peut se flatter de se connaître lui-même tel qu’il est en soi. Car,
comme il ne se produit pas en quelque sorte lui-même et qu’il acquiert le concept qu’il a de
lui non pas a priori, mais empiriquement, il est naturel qu’il ne puisse également prendre
connaissance de lui-même que par le sens intime, en conséquence de l’apparence
phénoménale de sa nature et par la façon dont sa conscience est affectée. Mais, en même
temps, il doit admettre nécessairement au-dessus de cette modalité de son propre sujet
composée de purs phénomènes quelque chose d’autre encore qui lui sert de fondement, à
savoir son Moi, quelle qu’en puisse être d’ailleurs la nature en elle-même ; et ainsi, pour ce
qui a rapport à la simple perception et à la capacité de recevoir les sensations, il doit se
regarder comme faisant partie du monde sensible, tandis que, pour ce qui en lui peut être
active pure(c’est-à-dire ce qui arrive à la conscience non point par une affection des sens,
mais immédiatement), il doit se considérer comme faisant partie du monde intelligible, dont
néanmoins il ne sait rien de plus.41
Le monde sensible et le monde intelligible ne s’opposent pas ; ni l’un ni l’autre ne se remplacent
pas, mais les deux mondes coexistent. Les hommes aussi se trouvent dans les deux mondes. L’être
humain vit dans le monde sensible que l’on peut connaitre facilement avec son sens empirique.
Mais, le monde humain et la vie humaine ne sont pas entièrement expliqués par la sensibilité, et
l’homme estime une sorte de transcendance derrière les événements qu’il perçoit immédiatement.
Ainsi, comme l’indique Habermas, Kant établit un rapport abstrait entre des systèmes d’énoncés et
des données empiriques en supposant le monde sensible et le monde intelligible.42
D’ailleurs, même si Kant affirme le mystère du monde intelligible, il donne aussi la clé qui nous
permet de prendre connaissance de ce monde ; c’est la raison que possède l’être humain, autrement
dit, l’être raisonnable. Selon Kant, l’être humain se munit en lui d’une faculté, qui est raison, par
laquelle il se distingue de tous les autres êtres ; la raison distingue aussi l’homme de lui-même en
tant qu’il est affecté par des objets. Mais, il faut faire attention au concept de la raison, parce que
Kant discerne la raison de l’entendement par lequel nous ne pouvons arriver qu’à la connaissance
des phénomènes, jamais à celle des choses en soi. Cette distinction signifie que, à l’inverse de
l’entendement, la raison s’élève bien au-dessus de ce que la sensibilité peut lui fournir. Donc, Kant
explique que l’être humain peut distinguer, finalement, le monde sensible et le monde intelligible
par la raison.43 Comme on ne sait rien le monde intelligible que son existence, la morale n’est pas
E. Kant, « Fondements de la métaphysique des mœurs » in Œuvres philosophiques II, Paris, Gallimard, 1985, p. 321322.(désormais abrégé en « Métaphysique des mœurs »)
42
Logique, p. 35.
43
« Métaphysique des mœurs », p. 322-323.
41
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une idéologie que l’on conquiert, mais elle nous est donnée au-dessus du monde sensible.
Il faut savoir que la raison transcendantale ne limite pas son action à la société humaine. Elle est
littéralement universelle. En ce sens universel, Kant a proposé une théorie de la formation et du
mouvement du système du soleil dans « Histoire générale de la nature et théorie du ciel »(1755).
Dans l’explication du mouvement des corps célestes, il a la prémisse que tous les objets de l’univers
se dirigent sous un seul et même principe. Kant explique que la matière se forme et se meut d’après
les lois physiques comme l’attraction, et la répulsion. Et il jouit du plaisir de voir l’action des lois
du mouvement, action à laquelle Kant assimile le comportement du monde devant les yeux. Selon
Kant, toutes les actions du ciel et de la terre s’établissent sur un fondement « trop grossier et trop
simple ».44 Dans la mesure où la raison régule toutes les actions du monde par la même manière, les
mouvements des particules permettent de connaître, également ceux des planètes : des mouvements
exactement circulaires.45 L’explication de la formation du système du soleil se trouve en tant qu’un
exemple de l’application de la raison transcendantale. Kant veut expliquer le monde selon la
démarche de la raison transcendantale ; et le monde de Kant englobe à la fois le domaine de la
société et celui de la nature. C’est la raison pour laquelle il a proposé la théorie de la formation du
système solaire. Chez Kant, « tout effet n’est alors possible que suivant la loi qui veut que quelque
chose d’étranger détermine la cause efficiente à l’action. »46 Et puis, Kant essaie de répandre le
mécanisme de la Raison transcendantale dans la sphère humaine et naturelle. Mais dans ce temps-là,
l’enjeu était le remplacement de la Providence par la raison transcendantale. Chez Kant, la raison
transcendantale est considérée comme le principe de tout l’univers, et en ce sens, la raison scientiste
est une partie de la raison transcendantale. Donc, on peut comprendre aussi « Histoire générale de la
nature et théorie du ciel » comme un élargissement de la raison de la sphère de la philosophie à
celle de la nature. Il faut aussi rappeler la philosophie aristotélicienne englobe les phénomènes
naturels. Jusqu’à l’époque moderne, la nature était sous la volonté, d’abord, de Dieu, et puis de la
raison transcendantale.
L’intégration de tout l’univers par la raison universelle amène Kant à la conclusion admirable de
la Critique de la raison pratique(1788). Il dit qu’il se sent deux choses qui remplissent son cœur : le
ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. Par la raison transcendantale, et non par la
Providence, le système de la nature et la loi morale se rapprochent et s’intègrent. Selon Kant, le
sentiment du mécanisme de la nature provient du monde extérieur des sens tandis que la loi morale
commence à « mon invisible moi ». 47 Ainsi, Kant réunit la loi morale et le mécanisme des
phénomènes naturels dans la raison transcendantale. Auparavant, la religion garantissait la morale et
la légitimité de la société en se contenant la morale ; les dix commandements sont considérés
comme loi morale directement descendue du ciel. Kant élargit la raison en y combinant la morale
qui régularise les actions justes. Alors, il présente la politique morale pour un nouveau principe
politique.
β . Politique Morale en tant que l’application du principe
Kant propose le concept de politique morale dans « Projet de la paix perpétuelle ». En souhaitant
l’Europe en paix, Kant propose une esquisse du système politique qui fonctionne sous la
constitution républicaine. Pour réaliser la paix perpétuelle, il faut d’abord la fédération de la paix. À
propos de la fédération, Kant propose l’État républicain. Mais, Kant ne se contente pas de la
constitution républicaine, parce qu’il ne veut pas que l’État républicain tombe dans la démocratie
qui est le même système que le despotisme dans la mesure où Kant conçoit que la démocratie
présuppose la volonté unique du peuple en excluant la diversité de l’opinion. Donc, Kant recourt à
E. Kant, « Histoire générale de la nature et théorie du ciel » in Œuvres philosophiques I, traduit par François Marty,
Paris, Gallimard, 1980, p. 42.
45
E. Kant, Ibid, 1980, p. 69.
46
« Métaphysique des mœurs », p. 315-316.
47
E. Kant, « Critique de la raison pratique » in Œuvres philosophiques II, Paris, Gallimard, 1985, p. 802.
44
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la politique morale par laquelle il peut trouver la certitude de la paix perpétuelle. Comme l’indique
Habermas, « Kant ébauche une philosophie de l’histoire à des fins cosmopolitiques, destinées à
rendre plausible ce qui est à première vue invraisemblable, à savoir un accord entre la politique et
la morale fondée sur une "intention[cachée] de la nature" ».48 Kant faire appel à la nature, mais la
nature n’est pas simplement la sphère de la chose. Autrement dit, c’est le processus du règne de la
pure raison pratique, qui signifie la raison transcendantale. Et c’est dans la raison transcendantale où
la politique morale se consolide en réalisant l’idée du droit qui est développée par les progrès
continuels de l’esprit humain.
De même que, chez Kant, la raison transcendantale régularise toutes les actions de l’homme, et
que le monde intelligible s’applique au monde sensible, la morale domine la politique :
Ainsi, la vraie politique ne saurait faire un pas, sans avoir auparavant rendu hommage à
la morale ; unie à celle-ci, elle n’est plus un art difficile ni compliqué ; la morale tranche le
nœud que la politique est incapable de délier, tant qu’elles se combattent. Il faut respecter
saintement les droits de l’homme. … On ne peut pas se partager ici entre le droit et l’utilité ;
la politique doit plier le genou devant la morale.49
La logique politique est toujours prête d’agir pour l’intérêt particulier même si la fin de la
logique est la guerre, et même si les politiciens sont élus par le peuple. Kant n’ignore pas du tout la
puissance de l’intérêt qui conduit des États à l’état belliqueux, donc il veut modifier la politique
selon la morale. Quand Kant dit que « la politique dit : soyez prudents comme les serpents » 50, il
nous rappelle la doctrine machiavélienne. Pour rendre forte la constitution républicaine, Kant
réclame la morale pour ajouter la restriction à la politique. La constitution républicaine de Kant se
fonde sur la politique morale qui modifie les actions politiques selon la morale transcendantale. Car,
pour mériter la paix perpétuelle, il ne suffit pas de ne pas désirer la guerre. La véritable paix
suppose un courage qui dépasse le désir de guerre. Et c’est la raison transcendantale qui a un rôle
important dans la fédération ; elle fait un devoir absolu de l’état de paix. Ici, par le concept de
devoir absolu, la paix perpétuelle parvient à la politique morale. C’est toujours la morale qui dirige
le politique dans le politique moral, car pour Kant, un homme d’État ne doit agir que d’après des
principes avoués par la morale au lieu d’après l’idée d’un moraliste politique, qui accommode la
morale aux intérêts de l’homme d’État. On peut douter que la morale exerce suffisamment
l’influence sur la politique. Toutefois, il n’a pas d’autres choix que la morale qui pourrait empêcher
la guerre. Car, contraire au Libéralisme, il ne considère pas l’intérêt de commerce aussi important
que la raison, concrètement le droit cosmopolitique, dans la fédération de la paix. Pour Kant, si la
politique et la morale ne sont pas compatibles dans un même précepte, la politique sera finalement
en opposition avec la morale.
Heureusement, la politique et la morale ne sont pas en opposition comme dans le réel, chez Kant.
Il explique cette compatibilité en localisant la politique et la morale dans les différents niveaux.
Selon Kant, la morale est l’ensemble des lois absolues d’après lesquelles nous devons agir, tandis
que la politique est une jurisprudence pratique. La morale et la politique sont toutes les doctrines du
droit, mais ils se trouvent séparément dans les différentes catégories : théorique et pratique. De
même qu’il n’y a aucun conflit entre la pratique et la théorie, explique Kant, il ne peut y avoir aucun
conflit entre la politique et la morale. Cette coexistence en tant que la pratique et la théorie amène
Kant à dire qu’on ne rejette pas entièrement toute idée de morale. C’est là où Kant trouve la
possibilité de limiter la politique par la morale : la politique, qui est pratique, est incluse dans la
morale, qui est théorie. Par rapport à la politique, la tentative de Kant est de modifier la politique
pour correspondre à la morale. Mais, en revanche, à l’égard de la morale, qui est théorique et donc,
n’a pas son propre moyen de se réaliser dans la vie réelle, elle a forcement besoin de la politique.
C’est grâce à la politique et grâce à la politique seule que la morale kantienne cesse d’être abstraite.
J. Habermas, La paix perpétuelle : le bicentenaire d’une idée kantienne, Paris, Cerf, 1996, p. 25-26.
E. Kant, « Projet de paix perpétuelle » in Œuvres philosophiques Ⅲ, Paris, Gallimard, 1986, p. 376.
50
E. Kant, Ibid, p. 365.
48
49
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Pour cesser d’être pur dogme, la morale se situe sur le fondement solide qui est la politique.51
Jusqu’à ici, on a vue que la raison transcendantale renferme l’universalité de la vie individuelle
au mouvement des corps célestes. Au niveau social, la morale s’associe à la politique en tant que la
politique morale sous la direction de la raison transcendantale : elle est autant puissant que Dieu.
Kant propose la raison transcendantale qui remplace théoriquement la Providence. Et comme nous
avons vu, la raison transcendantale manifeste son universalité dans l’histoire et dans le système
solaire, de même que Dieu règne en tant que l’être universel de tout l’univers. Alors, le droit, la
concrétisation de la raison transcendantale vise aussi l’universalité. C’est la raison pour laquelle
Kant dit que « le plus grand problème pour l’espèce humaine, celui que la nature contraint l’homme
à résoudre, est d’atteindre une société civile administrant universellement le droit »52 Et, c’est à
partir d’ici où les critiques de Gadamer et Habermas commencent. Mais, avant d’observer leurs
critiques, il faut voir une autre raison universelle : la raison scientiste.
b. Pôle d’autre côté : Raison scientiste
En face de la raison transcendantale, le nouveau principe se révèle ; c’est la raison scientiste qui
emploie la méthode des sciences de la nature pour comprendre les affaires sociales de la manière
positiviste. Comme nous avons vu, la raison transcendantale remplace les tâches de Dieu ; et après,
la raison scientiste tente de supprimer le siège de l’être suprême, soit Dieu, soit la raison
transcendantale. Car, la raison scientiste commence par le « doute ». Comme le rappelle H. Arendt,
le monde actuel est un monde sécularisé du point de vue de l’esprit, parce qu’il est « un monde du
doute ». La science moderne est fondée sur une philosophie du doute. Et le doute nous conduit aux
soupçons que les choses ne sont peut-être pas ce qu’elles semblent. Le doute paraît lorsque nous
nous méfions de nos perceptions sensorielles, par exemple lorsque l’on découvre que, contrairement
à toute notre expérience, la terre tourne autour du soleil. Arendt dit que deux conclusions succèdent
à ces suspicions fondamentales : le désespoir pascalien qui trouve la misère de l’homme sans Dieu,
ou le dogme pragmatique de la science moderne que « la vérité elle-même n’est nullement
révélation, mais au contraire un processus constitué par des dispositifs d’hypothèses de travail
constamment renouvelés ».53 Bien qu’il n’y a pas de principe, la raison scientiste se fonde sur un
autre principe ; c’est le principe de zéro. Autrement dit, elle présuppose qu’il n’y a pas de principe
universel. Paradoxalement, c’est le principe de la raison scientiste : c’est le doute sur lequel la
raison scientiste se fonde.
α. Mythe d’expérimentation
Évidemment, il ne semble pas que la raison scientiste se trouve dans le cadre de la raison
universelle : y compris le positivisme, le behaviorisme, etc. C’est parce que l’on a l’impression que
les sciences de la nature observent les phénomènes naturels à la manière positiviste ; on suppose que
les scientistes fondent leurs théories seulement par la vérification et l’observation des faits. Par
conséquent, il semble que le positivisme et le behaviorisme présentent les explications
théoriquement neutres. En ce sens que les sciences de la nature et les sciences sociales qui
emploient les méthodes de celles-là, on pourrait les opposer à la raison transcendantale.
Apparemment, la raison scientiste, c’est-à-dire le raisonnement des sciences de la nature, rejette la
précompréhension et l’hypothèse préalable tandis que la raison transcendantale pré-fonde le
principe qui régule tous les actes de l’univers. Les sciences sociales, notamment le positivisme, se
51
A. Philonenko, Ibid, p. 59-60.
E. Kant, « Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique » in Œuvres philosophiques II, Paris,
Gallimard, 1986, p. 193-194.
53
H. Arendt, « Religion et politique » in La nature du totalitarisme, traduit par M. Irène et B. de Launay, Paris, Payot,
2006, p. 119.
52
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fondent sur l’hypothèse que les scientistes peuvent s’écarter de l’objet d’observation. Cette
hypothèse provient des sciences de la nature qui se fondent sur l’objectivité assurée par
l’expérimentation.
Mais fondamentalement, la raison scientiste aussi opère les expérimentations sous l’hypothèse
préalable ; c’est parce que l’on ne peut pas commencer à partir du zéro. La raison scientiste se fonde
également sur le principe qui explique universellement les phénomènes au niveau profond. Même
les sciences de la nature ne sont capables de se construire que les explications pré-assurées. Il faut
remarquer que la transcendance universelle se trouve aussi dans l’arrière-fond des sciences de la
nature. Et aussi, le progrès de la science n’est pas du tout l’accumulation des résultats
d’expérimentations. La méthode, que le scientisme a introduite dans les sciences humaines et les
sciences sociales, se fonde sur l’hypothèse de l’objectivité fictive. De même que Kant présente la
transcendance pour expliquer le monde selon la Raison, les scientistes aussi offrent une structure
préliminaire. C’est le concept de « paradigme » qu’a découvert T. Kuhn. Il démasque l’objectivité
de la science de la nature en prouvant les fonctions normatives des paradigmes.
On peut trouver l’existence de la précompréhension des sciences de la nature en réfléchissant le
processus d’expérimentations. L’expérimentation de la nature commence par établir une hypothèse,
et celle-ci est admise ou contestée par le résultat de l’expérimentation. En ce sens, l’expérimentation
n’est rien d’autre que la vérification d’une hypothèse. Si le résultat est conforme à l’hypothèse,
l’expérimentation ne pose aucun problème. C’est parce que la précompréhension des scientistes
n’est pas mise en danger, et la précompréhension se renforce par le résultat. Mais, par contre, si le
résultat de l’expérimentation s’oppose à l’hypothèse, le conflit entre le réel et la théorie provoque
un problème, d’abord, à l’hypothèse, et puis jusqu’à la précompréhension des scientistes. Mais si
les scientistes de la nature modifient la précompréhension dans le péril, on peut dire que les
sciences de la nature se fondent sur la conscience positiviste. Mais contre à l’image des sciences de
la nature, au lieu de poser une question à la précompréhension, ils répètent les expérimentations.
L’invalidation de la précompréhension ne se révèle qu’à la condition que soit proposée la nouvelle
précompréhension qui peut explique les résultats des expérimentations répétées. Kuhn a nommé
paradigme à la précompréhension des sciences de la nature en démasquant le mythe que les
sciences se dirigent à la manière objective dans la structure des révolutions scientifiques(1962).
Le paradigme donne aux sciences de la nature le caractère universel, car il a pour sa tâche la
prétention d’expliquer tous les phénomènes de la nature. Mais, il peut se poser quelques questions ;
« Le paradigme n’a pas son influence sur un domaine limite ? » et « N’est-il pas trop petit d’être
universel, et d’être comparé avec la raison transcendantale de Kant ? » Alors, pour y répondre, il
faut se référer à l’explication du paradigme par Kuhn lui-même. Le paradigme de Kuhn n’est pas
seulement l’ensemble des théories. Il est une vision du monde sur laquelle les théories expliquent
les phénomènes. Les scientistes aussi, aussi bien que Kant, regardent la nature selon leur paradigme.
Il nous rappelle la raison transcendantale selon laquelle toutes les opérations commencent et
maintiennent :
Par l’intermédiaire des théories qu’ils incorporent, les paradigmes se trouvent donc être
un élément constituant de l’activité de recherche. Pourtant, ils sont aussi des éléments
constituants de la science à d’autres points de vue, auxquels nous nous attacherons
maintenant. En particulier, nos derniers exemples ont montré que les paradigmes fournissent
aux scientifiques non seulement une carte, mais aussi certaines directives essentielles à la
réalisation d’une carte. En apprenant un paradigme, l’homme de science acquiert à la fois
une théorie, des méthodes et des critères de jugement, généralement en un mélange
inextricable. C’est pourquoi, lors des changements de paradigme, il y a généralement
déplacement significatif des critères déterminant la légitimité des problèmes et aussi des
solutions proposées.54
54
T. S. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, traduit par Laure Meyer, Paris, Flammarion, 1983, p. 155.
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Kuhn dit aussi le mot de « véhicule », en expliquant le rôle du paradigme dans la théorie
scientifique. Dans ce rôle, son utilité est de renseigner les scientifiques sur les entités que la nature
contient ou ne contient pas et sur la façon dont elles se comportent. Ces renseignements fournissent
une carte dont les détails sont élucidés par les travaux scientifiques plus avancés. On peut aussi
comprendre le rôle et l’universalité du paradigme dans le concept de « temps ». Depuis Newton, le
temps est considéré comme phénomène absolu : il passe du passé au futur à la manière solide et
constante. Mais depuis la théorie de la relativité d’A. Einstein(relativité restreinte, 1905; relativité
générale, 1916), le temps est considéré en tant qu’un phénomène changeable. Dans certaines
conditions, le temps cesse de passer, ou retourne au passé. En conséquence, Albert Einstein a
ébranlé les notions traditionnelles de temps, et après lui, les sciences de la nature se fondent sur un
différent concept physique d’auparavant. C’est le changement du paradigme ; le paradigme
d’Einstein a remplacé celui de Newton.
Dans la tendance forte du positivisme, on peut constater la direction de la raison : de la sphère
naturelle à la sphère humaine. D’une part, les sciences de la nature se sont séparent de la
philosophie depuis l’époque moderne, et elles sont radicalement développées. Et de l’autre,
différemment à la raison transcendantale, la politique contemporaine ne trouve plus le fondement de
la légitimité dans la morale ; la légitimité sociale se déplace vers la rationalité du processus. Dès
lors que l’on considère l’individu comme l’unité élémentaire, la société démocratique se concentre
sur le droit de l’homme individuel et sur la liberté d’expression. Et on croyait que, si la décision
politique était prise selon la mécanique raisonnable, la liberté d’expression et la diversité d’opinion
pourraient garantir le « meilleur choix ». Dans cette situation, les recherches des sciences sociales
se concentrent plus sur les processus des actions des groupes sociaux que la légitimité de telles
actions. Et ainsi se révèlent les tentatives de concevoir les actions des divers acteurs sociaux par la
même manière des sciences de la nature. Dès lors, on peut facilement jeter un pont entre les
sciences de la nature et les sciences sociales.
Ainsi, la raison scientiste a pénétré dans les sciences sociales. Elle se sert de la méthodologie des
positivistes et empiristes qui emploie la manière des sciences de la nature. Notamment dans le cas
du positivisme, cette tendance était évidente, car le positivisme se fonde complètement sur la
prétention d’appliquer la méthode des sciences de la nature à l’analyse de la société humaine. Le
problème fondamental du positivisme, se trouve dans son malentendu de la vie humaine. Il faut
rappeler la différence entre les processus naturels et les activités humaines : l’homme agit ses
activités selon sa volonté qui se situe entre la liberté arbitraire et la règle sociale. Donc, il est
nécessaire aux sciences sociales de prendre conscience de la présupposition que les hommes
respectent les règles, mais puissent aussi ne pas les respecter.
En ce qui concerne l’universalité de la raison scientiste, il faut remarquer une chose à la fois
intéressante et importante. Malgré le fait que les sciences de la nature se fondent sur le paradigme,
les positions des sciences sociales qui s’installent dans la raison scientiste, comme le positivisme,
peuvent se considérer en tant que les disciplines qui n’acceptent aucune précompréhension. Mais
ironiquement, le non-principe est aussi un principe ; le positivisme veut expliquer les phénomènes
de la société selon le mécanisme systématisé. C’est leur principe de comprendre la société humaine.
Tant que l’homme est un être qui a la volonté arbitraire, il ne peut pas participer à la société sans
l’entendement commun. La raison scientiste commence par enlever cette liberté à l’être humain.
β. Scientisme dans les sciences sociales : Principe de zéro
Alors, pourquoi la raison scientiste désire se fonder sur le fondement positiviste qui est une
doctrine imaginaire comme le révèle Kuhn ? C’est parce qu’elle n’accepte pas le fondement luimême. L’émergence du positivisme était une tentative de remplacer l’hypothèse de la raison
transcendantale ; la raison scientiste voulait expliquer le monde selon la méthode visible provenue
de la nature, non selon la transcendance donnée a priori. La raison scientiste suppose que les
résultats des sciences de la nature peuvent être seulement expliqués par les expérimentations
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scientifiques. Cependant, le réel est le contraire ; ce qui est paradoxal, c’est le fait que la raison
scientiste a aussi besoin d’un principe pour briser le principe transcendantal de Kant. Comme nous
avons déjà vu, le paradigme, le mot de Kuhn, fonctionne en tant que principe préalable. Alors, la
raison scientiste a, d’abord, nié le principe universel de la raison transcendantal, et puis elle fonde à
son tour le « principe de zéro » ; cela signifie qu’il n’y a aucun principe. Cependant, bien que la
raison scientiste ait éliminé le principe dans la thèse de Kant, elle n’a pas supprimé la forme de la
raison transcendantale. Par contre, la raison scientiste hérite l’universalisme de la raison
transcendantale, en excluant son contenu, la morale. Elle a reçu le caractère universel de la raison
transcendantale, et puis elle explique le monde entier selon les observations empiriques. Une règle
technique est universelle. On peut la comparer à une proposition théorique dont les conditions
d’application sont formulées de manière universelle. En ce sens, la raison scientiste est aussi
universelle que la raison transcendantale.
Dans le débat, la raison scientiste apparaît sous le nom de positivisme. L’hypothèse du
positivisme, c’est la prétention que la raison peut analyser les choses humaines de même que les
sciences de la nature. Et pour cela, la raison scientiste décide de séparer complètement la forme
universelle du concept de Bien. Naturellement se rend manifeste la distinction entre la forme(la
logique) et le contenu(le Bien). Kant divise le contenu et la forme ; le monde intelligible contient
l’essence du monde tandis que le monde sensible est attaché aux images sensitives.Comme nous
avons vu, Kant propose la politique morale dont le contenu est la morale, et dont la forme est la
politique. En fait, la dualité n’est pas une doctrine unique proposée par Kant ; chez Platon aussi, le
concept d’Idea est fondé sur la dualité comme les deux mondes kantiens. C’est parce qu’il y a la
nécessité d’exiger le Bien ; et la nécessité vers le Bien est demandée dans le réel où les actes
humains ne sont pas toujours favorables à la réalisation du Bien. Le Bien est appelé variablement
dans chaque domaine : la morale dans l’action humaine, la vérité dans la sagesse, la justice dans le
droit, etc. Mais avant l’émergence de la raison scientiste, le contenu et la forme coexistaient. Ils se
sont liés par la raison transcendantale chez Kant. Ce qui est tout à fait différent chez la raison
scientiste, c’est la rupture totale entre le Bien et la formalité. La tendance du moderne est la
substitution du Bien par la rationalité du procès. C’est apparent dans le règne de majorité qui est le
principe de la démocratie ; la démocratie moderne se fonde sur l’hypothèse que l’opinion de la
majorité soit la décision juste. L’affaire de vertu se transforme en celle de méthode, et par
conséquent, il est supposé que la vérité reste dans la pertinence du processus. Néanmoins,
l’élimination de la raison transcendantale par la raison scientiste pose un problème. Dans le procès
de supprimer le commandement moral, on a perdu le critère de distinguer ce qui est bien de ce qui
est mal ; autrement dit, l’accomplissement du Bien n’est pas considéré le plus important. La raison
scientiste se concentre plutôt sur le processus lui-même.
Ainsi, le concept de Bien est oubli et se soumet à la formalité par la raison scientiste. Et c’est ici
où nos deux autres s’opposent à la raison scientiste. Habermas n’accepte pas la pénétration des
sciences de la nature dans les sciences sociales. À côté de deux héros, Heidegger et Wittgenstein,
qui instaure l’arrière-plan de la compréhension, Habermas confronte l’analyse empiriste du langage,
inaugurée par Russell et Carnap, et maintenue par Quine et Davidson : analyse qui emploie une
compréhension méthodologique dans la langue et les actes humains. Et Habermas témoigne que
Putnam, Dummett ou Apel, ces trois auteurs prennent le tournant linguistique au sérieux et que le
tournant contient un changement de paradigme. En restant fidèle à l’esprit culturaliste, les trous
auteurs assimilent le fait d’être vrai à un simple tenir-pour-vrai. Mais décisivement, c’est chez
Weber où Habermas trouve la séparation entre le Bien et la formalité. Pour Weber, la question s’est
posée de savoir si les sciences sociales devaient tenir compte de l’intentionnalité de l’action. Dès
lors, l’analyse scientifique des sciences sociales se concentre principalement sur des actes visibles
dans la société.
Habermas explicite que le positivisme provoque le conflit entre la connaissance et la
méthodologie dans « Connaissance et intérêt »( 1968). Dans la démarche de l’intérêt technique, la
connaissance et la méthodologie se séparent totalement. En outre, la connaissance est définie par la
méthodologie. Le sens de la connaissance est expliqué au moyen de l’analyse méthodique des
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procédés scientifiques. Alors, la question fondamentale de la connaissance se pose sous la forme
d’une question méthodologique concernant les règles de conceptualisations et de vérifications des
théories scientifiques. La connaissance, c’est-à-dire le raisonnement pour le Bien, n’est plus un sujet
primitif des sciences ; dès lors, le sujet primitif est la méthodologie. En tant que méthodologie de la
recherche, la théorie des sciences a besoin de la validité de la logique formelle. Le positivisme
suppose que la validité de la connaissance est garantie par la formalité logique. Habermas perce à
jour le caractère préalable de la raison scientiste ; le positivisme n’abandonne pas le sens de la
connaissance, mais comme le dit Habermas, il décide la connaissance préalablement. La raison
scientiste explique le monde selon la précompréhension qui soumet la question du Bien à la
méthodologie. En ce sens, c’est la révolte de la méthodologie contre la domination du Bien que l’on
peut constater dans l’émergence du positivisme.
Ainsi, la raison scientiste, ici qui se déguise en « objectivisme », masque son principe préalable.
Son principe est aussi donné a priori que la raison transcendantale, et il empêche les recherches
fondamentales et constitutives du système social en limitant les observations dans le cadre concret.
Mais, c’est totalement contraire à la réalité des phénomènes sociaux, et naturellement le paradoxe se
révèle, comme le dit Habermas ;
Le positivisme apparaît d’abord sous la forme d’une nouvelle philosophie de l’histoire.
C’est paradoxal. Car le contenu scientiste de la doctrine positiviste, selon laquelle une
connaissance légitime n’est possible que dans le système des sciences expérimentales, est
manifestement en conflit avec la forme sous laquelle le positivisme fait son apparition : à
savoir celle d’une philosophie de l’histoire. La loi des trois états de Comte énonce une règle
selon laquelle le développement intellectuel des individus comme de l’espèce en général doit
s’accomplir. Cette loi du développement a manifestement une forme logique qui ne
correspond pas au statut des hypothèses nomologiques en usage dans les sciences
expérimentales : le savoir qu’invoque Comte pour interpréter la signification du savoir positif
n’est pas lui-même soumis aux déterminations de l’esprit positif. Ce paradoxe se résout
aussitôt que nos discernons l’intention du positivisme primitif, à savoir la propagation
pseudo-scientifique du monopole cognitif de la science.55
Habermas trouve aussi que, chez C. S. Peirce, les conditions transcendantales de l’expérience
possible sont identiques aux conditions de l’expérimentation possible.56 Il démasque le caractère
universel et pré-décidé caché sous le nom de behaviorisme et positivisme.
Quant à Gadamer, le problème de la raison scientiste appartient notamment au manque de la
réflexion de soi et de son système entier. Le manque de la réflexion entraîne le détachement de la
morale dans la science ; l’Antiquité s’efforce de répandre l’éthique dans la société, tandis que la
raison scientiste exclut les sujets moraux de son domaine. Si nous regardons l’histoire de la
philosophie et la vie dans la société depuis l’antiquité, la tendance positiviste est une unique
situation dans laquelle la raison scientiste exerce la grande influence sur notre mentalité. Au milieu
de l’influence du positivisme, Gadamer énonce que le savoir absolu et spécialisé menace la
conscience sociale et le Bien. Selon lui, l’influence du positivisme est problématique dans la mesure
où la conscience sociale pour le Bien est en danger à cause du positivisme. Gadamer reproche la
tendance dominante que la science pénètre et dirige la vie humaine.
Dans l’introduction de Vérité et méthode, Gadamer explicite son opposition à la philosophie
scientiste ;
Les études qu’on va lire se rattachent à la résistance ainsi opposée à la prétention à
l’universalité élevée par la méthodologie scientifique, une résistance qui fait son chemin à
l’intérieur même de la science moderne … Ainsi les sciences de l’esprit se rencontrent avec
certains types d’expérience situés à l’extérieur de la science, avec l’expérience de la
55
56
J. Habermas, Connaissance et intérêt, traduit par G. Clémençon et J.M. Brohm, Paris, Gallimard, 1976, p. 105.
J. Habermas, Ibid, p. 161.
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philosophie, avec celle de l’art et celle de l’histoire même. Ce sont tous des types
d’expérience dans lesquels une vérité se manifeste qui ne peut être vérifiée par les moyens
méthodologiques dont la science dispose.57
Il ne reste que le positivisme sous la condition que la philosophie aussi est dirigée par l’intérêt
technique non par la vérité. Les sciences sociales positivistes sont confirmées selon des critères des
sciences empiriques. Elles sont les sciences méthodologiques qui ne se lient pas aux valeurs. Et
elles justifient sa perspective par le nom de « neutralité » des sciences. Ainsi, la raison scientiste
énonce la séparation logique entre énoncés descriptifs et énoncés normatifs. Par la démarche de la
raison scientiste, les questions pratiques du choix rationnel de normes sont considérées comme
invérifiables. Il semble que les valeurs sont donc, par principe, tenues pour irrationnelles ; elles sont
mises hors de sciences sociales. La logique et à la méthodologie sont des éléments importants dans
la philosophie et les sciences sociales ; néanmoins, elles ne peuvent pas prendre la première place
dans la recherche de la vie et la société. Parce qu’elles ne donnent pas la réflexion sur le monde
humain. C’est cette prétention ambitieuse qui conduit Gadamer à critiquer la raison scientiste.
C’est parce que l’on a besoin de distance pour proprement comprendre les phénomènes sociaux.
C’est le principe de la société selon lequel on peut obtenir la distance entre le réel et l’idée. Et dans
la position de Gadamer, la distance rend importante la poursuite de la morale. Selon Gadamer, la
réflexion de l’herméneutique permet d’observer une certaine expérience dans la continuité de la
société, en tant qu’une partie appartenue au tout.
Liberté réelle et liberté formelle ---Aron
2) Deux nouveaux principes
La raison transcendantale a été niée par la raison scientiste, qui n’accepte pas le fondement moral
dans les actes de l’homme. Mais c’est seulement la morale qui a perdu son influence. L’universalité
de la raison transcendantale continue dans la raison scientiste en tant que l’universalité de la
négation des fondements sous les phénomènes visibles. Tandis que la raison transcendantale
suppose la norme de régulariser les actes des hommes, la raison scientiste limite les mœurs des êtres
humains dans les relations de cause et effet. Cependant, l’être humain est un sujet qui a possède la
volonté libre et en même temps, qui se relève sur le fondement commun. Donc, il faut éviter deux
pièges : réduction les phénomènes sociaux à l’universalité et décomposition de la communauté de
l’homme. Car, l’homme est un être à la fois solidaire et solitaire. Dans cette perspective, la question
de l’universalité doit plutôt se poser à un autre point : « Jusqu’à quel degré soit-elle possible,
l’universalité ? » Gadamer et Habermas proposent deux différentes réponses de sortir de
l’universalité absolue, et de trouver un nouveau principe qui est universel limité par la réflexion.
a. Gadamer : Raison herméneutique
57
VM, p. 11-12.
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α. Tradition non comme tradition, mais comme une autre raison
Maintenant, on peut trouver l’aspect profond de la critique du positivisme par Gadamer et
Habermas. Leurs critiques ne se séparent pas selon deux aspects : d’un côté, comme nous avons
déjà vu, ils partagent la critique à la fois de l’Aufklärung et du scientisme, de l’autre, les cibles de la
critique, l’Aufklärung et le scientisme se réunissent avec le dogme de l’universalité. Enfin, le débat
forme une proposition qui critique l’universalité. On peut trouver que Gadamer et Habermas
partagent certains concepts sur l’être humain. Ce qu’ils partagent, c’est de sortir de l’universalité
absolue. Ce qui les sépare, c’est la différence des réponses à la question suivante : « Où situer le
principe de la société entre l’universalité absolue et l’universalité de zéro ? » Mais, parce que l’un et
l’autre proposent les autres points, ils se rencontrent dans le débat. Gadamer s’approche au
problème du principe par la question de « comment revaloriser la raison ancienne qui était située
entre deux pôles ? » tandis que Habermas tente de répondre à la question de « jusqu’à quel point
éliminer l’universalisme ? » pour s’émanciper à la fois des deux pôles.
Comme nous avons vu, l’herméneutique gadamérienne revalorise la tradition de l’Antiquité, en
démontrant la limite de l’Aufklärung. Mais, ici, dans l’herméneutique de Gadamer, la tradition ne
signifie pas ce que dit le mot, tradition. Lorsque Gadamer affirme la validité des expériences non
rationnelles, il est, à vrai dire, difficile de le distinguer des traditionalistes qui n’acceptent pas la
rationalité. Mais, il faut rappeler la tâche de la tradition chez Gadamer. Pour lui, la tradition est
constamment en train d’être renouvelée. Ce que nous voit quelque chose dans la tradition, notre
perception ne la voit pas en tant que telle ; nous appartenons absolument à notre précompréhension,
et notre perception est aussi formée dans le dialogue entre la tradition et notre précompréhension
actuelle. Chez Gadamer, la tradition ne peut jamais nous revenir sous la forme de ce qu’elle était :
ce qui nous donne la tradition, c’est le processus de la fusion d’horizons. Par conséquent, la
tradition signifie seulement l’horizon du passé, et elle n’est pas une absoluité comme la critique par
Habermas. La tradition se trouve en tant qu’un choix parmi d’autres expériences. La seule
différence est le fait que la tradition était vérifiée dans le passé par la raison de sa propre époque.
Alors, il est impossible d’appeler la restauration de la tradition ce que propose Gadamer.
En risquant le danger d’être assimilé avec le traditionalisme, Gadamer tente de raviver le monde
mythique. C’est parce qu’il vise directement l’Aufklärung qui a supprimé la validité d’autres
principes. Les Luimières fondent un bâtiment de la raison universelle après avoir détruit toutes les
diverses façons de raisonner. Et Gadamer aperçoit la fermeté de la raison universelle, et il veut
modifier son édifice pour éliminer la frontière entre la raison absolue et d’autres. Donc, il tente de
retrouver sous le fondement du bâtiment de la raison universelle les débris de l’Antiquité avec
l’herméneutique philosophique. Naturellement, il affronte les critiques qui affirment l’invalidité de
la ruine de l’Antiquité et que Gadamer ébranle le fondement de la raison elle-même. Ce ne sont que
des malentendus.
Plutôt, il vise supprimer la séparation entre la rationalité et la non-rationalité, car elle est
seulement le produit de l’Aufklärung. Il est nécessaire de rappeler que Gadamer oppose la sagesse
antique exclusivement au dogme de l’Aufklärung. La thèse de Gadamer n’est absolument pas la
supériorité de la tradition, mais la nécessité de valoriser la tradition pour rendre féconde la raison
elle-même. Bien que la sagesse mythique ait sa propre valeur devant la rationalité, elle n’est que le
préjugé qui est une hypothèse pas encore vérifiée ; on ne peut pas spontanément faire confiance en
elle. Tant que l’on se contente de prouver la valeur de la sagesse mythique dans la présupposition de
l’Aufklärung, on ne peut pas sortir de son opposition abstraite entre mythos et raison. Alors,
Gadamer se distingue des positions romantiques ; il n’accorde pas à « la tendance à rétablir l’ancien
parce qu’il est ancien, à retourner consciemment à l’inconscient, etc. » 58 La revalorisation de la
tradition ne tombe pas dans la prétention que la sagesse mythique est supérieure que la raison ellemême. Ce qui est important, c’est la validité de chaque concept. On ne doit pas nier aveuglément la
58
VM, p. 294-295.
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tradition en raison de son ancienneté, de même que l’on ne doit pas accepter sans voir la tradition en
raison même de son ancienneté. Il veut surpasser tous ces deux stéréotypes. Gadamer tente de
prouver que la tradition est aussi le produit de la raison. Il n’oppose pas la tradition à la raison ; il ne
subordonne pas non plus la raison à la tradition. La tradition est considérée en tant que le produit de
la raison et elles sont inséparables chez Gadamer :
En vérité, l’hypothèse de ténèbres mystérieuses, lieu d’une conscience collective mythique
antérieure à toute pensée, est tout aussi dogmatique et abstraite que celle d’un état de
perfection correspondant à une Aufklärung accomplie ou que celle du savoir absolu. La
sagesse primitive n’est que le pendant de la « stupidité primitive ». Toute conscience
mythique est depuis toujours savoir ; ayant connaissance des puissances divines, elle
surpasse le simple tremblement devant la puissance(si tant est qu’on tienne un tel
tremblement pour le stade primitif) ; elle surpasse aussi une vie collective enfermée dans les
rites magiques(comme nous les rencontrons, par exemple, dans l’Orient ancien). Elle a
connaissance d’elle-même et dans ce savoir elle n’est déjà plus absolument extérieure à ellemême.59
Ainsi, contraire aux critiques et aux préjugés de Gadamer, la compréhension de la tradition
n’exige pas la soumission à l’autorité et au passé ; car l’interprétation de la tradition est un
processus de reconstituer le monde présent. On recourt à la tradition pour mieux vivre aujourd’hui.
La thèse de Gadamer se concentre sur la validité de la tradition, mais plus précisément, il propose la
manière de raisonner dans l’Antiquité. C’est la raison pour laquelle il se réfère à l’herméneutique
d’Aristote et le modèle de la dialectique platonicienne. Donc, encore plus précisément, on peut dire
qu’il propose la raison gréco-romaine en tant qu’une autre type de raison. Ici, la tradition n’est pas
une notion selon le passage du temps, mais plutôt, elle est notion conceptionnelle qui se distingue
d’autres raisons : bien évidemment, elles sont la raison transcendantale et la raison scientiste. Tant
que la tradition est vivante, elle n’appartient pas au passé ; elle est actuelle même au sens strict.
Différemment à la critique de Gadamer, la tradition est relativisée et alors, elle est mise au table
pour être réexaminée avec les critères du présent. Avant de condamner les idées du passé au nom de
tradition, il faut se réfléchir sur sa validité. C’est ce que propose Gadamer dans Vérité et méthode.
En outre, il faut faire attention au fait que la relativisation de la tradition n’ambitionne pas à nier
les problèmes de la tradition. La plaidoirie de la tradition s’arrête justement devant la fusion
d’horizons. Le concept de préjugé montre bien l’attitude de Gadamer. Le préjugé est défini les
connaissances qui est dans l’état d’être pré-jugé, c’est-à-dire que le préjugé n’est pas condamné
définitivement à un concept négatif. Gadamer n’explicite pas le destin du préjugé, mais le silence ne
signifie pas la défense de ce qui est jugé comme négatif, après qu’il est déjà passé par la fusion
d’horizons. C’est le même cas à l’autorité ; si la raison ne supporte pas une certaine autorité, elle ne
peut pas se continuer en tant que l’autorité. L’autorité imposée de l’extérieur n’est pas l’autorité, et
elle peut se garder tant qu’elle se fonde sur la reconnaissance. L’assertion de la valeur de tradition
se concentre exclusivement sur le chemin strictement jusqu’avant la fusion d’horizons. Car, depuis
le moment où la tradition entre dans la fusion d’horizons, elle n’est plus la connaissance du passé,
mais une doctrine parmi d’autres du présent. Gadamer ne veut protéger que le chemin qui dirige la
tradition à la fusion d’horizons en supprimant la frontière imaginaire entre la raison et l’autorité.
Après être entré dans la fusion d’horizons, le destin de la tradition se conteste selon sa propre valeur,
autrement dit, par la raison.
À vrai dire, le préjugé se trouve plutôt dans l’Aufklärung qui se considère une explication
universelle. Pour les Lumières, la tradition n’est pas valable parce qu’elle ne sépare pas la sagesse
académique des sagesses mystiques. Mais, du point de vue de Gadamer, l’Aufklärung est tombé
dans le préjugé, au sens de l’Aufklärung ; il ne voit pas la fécondité de la sagesse antique. Lorsque
l’on a trop de confiance à l’universalité, on a risqué de tomber le dogmatisme ; c’est la raison pour
59
VM, p. 295.
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laquelle Gadamer critique l’Aufklärung. Les Lumières aspirent à clairement comprendre le monde
par la raison transcendantale. Mais pour Gadamer, le monde est loin de la clarté : il le conçoit
comme en quelque sorte « le grand livre obscur ». Contraire à l’Aufklärung qui exclue nonrationalité, Gadamer prend attention à l’ouvrage collectif de l’esprit humain.60 Et il le trouve dans
l’Antiquité occidentale. Comme nous avons vu, Gadamer revalorise le principe gréco-romain. Mais,
la revalorisation est conduite par la raison, et par conséquent, le résultat est une autre raison. Chez
Gadamer, la tradition n’est pas réanimée en tant que la tradition du passé ; elle se modifie après
avoir traversé la fusion d’horizons. C’est ce que signifie la réinterprétation. Donc, on peut préciser
la tradition de Gadamer. Il n’insiste pas sur la tradition, mais sur la valeur vérifiée par la tradition.
Gadamer a trouvé cette valeur dans la tradition de l’Antiquité gréco-romaine, mais cela ne signifie
pas qu’il veut retourner au passé. Chez Gadamer, la tradition est seulement la référence ou la source
de sa proposition. C’est pourquoi j’emploie le mot de raison herméneutique pour expliquer le
système de valeur de Gadamer ; c’est différent de la tradition. En ce sens, le conflit entre la tradition
et le moderne ne peut pas expliquer entièrement le débat entre Gadamer et Habermas.
Comme nous avons vu, chez Gadamer, la valeur de la tradition compte sur la crédibilité que lui
accorde la raison. Et en même temps, le savoir ne peut plus se trouver en tant que la raison
cartésienne qui conteste tous les aphorismes, de même que la tradition perd le privilège absolu. Dès
lors, le savoir est une structure ouverte dans la disponibilité d’être améliorée. Il présente un autre
raisonnement qui est différent de celui de l’Aufklärung : c’est la raison avant l’apparition de la
raison universelle. Donc, bien que la raison herméneutique apparaisse comme la restauration de la
tradition, elle est choisie par sa diversité, non par son ancienneté. En ce sens, la raison
herméneutique renferme à la fois deux élargissements ; d’une part, elle est une manière de raisonner
dans l’âge de l’Antiquité, mais de l’autre, grâce au concept d’horizon, elle obtient l’élargissement
de son domaine. Elle a son origine dans la tradition de la philosophie gréco-romaine, mais elle se
révèle en tant que nouvelle perspective. Alors, on peut comprendre que Gadamer attaque la raison
universelle pour la remplacer par la raison herméneutique. À ses yeux, pour contrecarrer la raison
universelle, il faut faire référence au raisonnement de l’Antiquité qui a été blâmée par la même
raison universelle.
En outre, Gadamer souhaite que l’antipode entre la raison et l’autorité se déplace vers la frontière
entre l’Aufklärung et le Romantisme. L’opposition entre la raison et l’autorité, qui semble
universelle et générale, se révèle, dès lors, un conflit particulier entre l’Aufklärung et le
Romantisme dans le même cadre de la raison. Gadamer accuse la raison transcendantale de Kant de
limiter la raison dans la petite sphère de rationalité. Il déclare le refus de « tout ce que l’époque des
Lumières tenait pour l’essence commune de l’humanité sous le titre de pensées rationnelles ».61
Aux yeux de Gadamer, la désapprobation aveugle de la tradition est le vrai préjugé problématique.
En outre, les Lumières sont autoritaires dans la mesure où elles n’acceptent que leur propre raison.
En fait, les critiques à l’égard de Gadamer, et de la raison herméneutique retournent en tant que
telles à l’Aufklärung.
L’expression de raison herméneutique ne signifie pas que l’herméneutique gadamérienne se mêle
avec la raison ; mais l’herméneutique gadamérienne elle-même se définit à l’origine comme un
autre type de raison. Ce concept de raison herméneutique montre aussi clairement la position de
Gadamer. Même si, ce que dit Gadamer, ne peut pas être réduit au traditionalisme, le mot
d’herméneutique lui-même a l’air de traditionalisme. En conceptualisant l’herméneutique
gadamérienne comme la raison herméneutique, on peut facilement éviter à confondre la position de
Gadamer avec le traditionalisme. C’est pareil à la raison critique, en le sens où Habermas propose
un autre type de raison. Comme Gadamer, on ne doit pas considérer Habermas comme moderniste ;
il ne s’oppose seulement pas à Gadamer par la raison que la tradition appartient au passé. Par contre,
Habermas perce à jour la position de Gadamer ; et il n’accepte pas l’idée de Gadamer que la raison
peut se convertir en nouvelle sorte de raison par avoir recours à la tradition gréco-romaine.
Gadamer ambitionne d’élargir les domaines de la raison. L’Aufklärung n’est pas un synonyme
60
61
VM, p. 195.
VM, p. 197.
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de la raison elle-même ; c’est une sorte de la raison proposée par les Lumières. Pour Gadamer,
l’histoire de l’homme renferme plus de choses que pensaient les Lumières ; l’Aufklärung a perdu
des mythes, des sensations, des impressions de la vie humaine. Des éléments oublis ne sont
évidemment pas les vérités académiques ou logiques ; mais, on ne peut pas nier qu’ils renferment
aussi des certaines sagesses qui sont vraisemblables.
β. Réinterprétation continuelle – sortie de l’hypothèse idéale
Alors, comment le projet de sortir de l’universalisme est possible chez Gadamer ? Pour y
répondre, il faut rappeler que Gadamer oppose à l’universalité la possibilité de diverses
descriptions. Si l’on accepte la possibilité de présenter différentes descriptions et de les concevoir
comme vraies, il ne nous faut pas nous engager dans le dogmatisme d’une seule connaissance
correcte. C’est ce que Gadamer veut démontrer en critiquant l’Aufklärung. Ainis, les diverses
descriptions fait sortir de l’universalité de la raison transcendantale. La diversité de la description
n’est pas une connaissance qui est a priori donnée. Elle se rend manifeste dans la réalité des
expériences de l’homme. En outre, la diversité de la description peut s’améliorer vers les plus
raisonnables descriptions, qui sont multiples. Comme l’indique le concept du cercle herméneutique,
la compréhension d’une partie et celle du tout s’accompagnent à la manière réciproque. La
compréhension des parties est utile à former la compréhension du tout, et en même temps la
compréhension du tout peut convenablement guider de comprendre ses parties. Si les deux
compréhensions ne sont pas conformes, cela signifie qu’on n’est pas arrivé à la compréhension
entière. Et puis, le cercle herméneutique se tourne de nouveau, et se propose une nouvelle
compréhension. Ainsi, la fonction du cercle herméneutique peut éliminer les descriptions
injustifiables tandis qu’il éprouve les descriptions raisonnables. Bien que les diverses descriptions
ne sont pas garanties par vérité transcendantale, elles peuvent éviter à tomber dans la
compréhension transcendantale et la compréhension positiviste.
La diversité de description entraîne Gadamer à rejeter la formation hégélienne. Pour Hegel, la
formation est conçue comme mouvement d’aliénation et d’appropriation. Donc, elle s’accomplit
dans une totale prise de possession de la substance ; elle, finalement ambitionne le savoir absolu de
la philosophie. Et également, chez Hegel, la formation rencontre le concept d’universalité.
Élévation à l’universalité, qui n’est pas restreinte, couvre la destination essentielle de la sagesse
humaine en totalité. Avec la formation qui vise l’universalité, l’homme acquiert la capacité de faire
de lui-même un être spirituel universel. Parce que l’élévation à l’universalité est une abstraction de
lui-même. Quant à Gadamer, la formation se définit comme la procédure d’entrer dans la sphère
infiniment ouverte ; il l’appelle « le milieu de la formation ».62 C’est parce que Gadamer voit les
structures des connaissances sous la forme de l’« horizon » ; on ne peut pas réduire la connaissance
au savoir de l’éducation académique. La connaissance se trouve partout hors de l’éducation
académique, dans la mesure où la connaissance est formée par les expériences humaines qui créent
les multiples horizons dans tous les endroits. Donc, pour Gadamer, la connaissance est transmise
dans la sphère ouverte, non dans l’école limitée et systématisée. Il faut remarquer que la raison
herméneutique propose une autre direction de l’éducation : vers les connaissances concrètes dans la
vie humaine. La formation, en tant que l’élévation à l’universalité, aspire à lever les élèves de bas
en haut ; cette direction est dirigée par la hiérarchie des vérités, du concret à l’abstrait. Gadamer
s’efforce de briser la tour de Babel, l’hiérarchie des vérités, en revalorisant la diversité des vérités.
Avec les diverses descriptions et en même temps avec le refus de la formation universelle et
absolue, on peut avoir la possibilité de s’écarter de sa propre tradition intime. Gadamer définit
l’autorité et le préjugé avec le concept de goût. Il explique que le crédit accorde à l’autorité, et le
crédit remplace le jugement personnel. Dans ce point de vue, l’autorité est effectivement une source
de préjugés. Comme nous avons vu chez Heidegger, les multiples descriptions ne s’opposent pas à
62
VM, p. 30-31.
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la véritable compréhension de l’objet. Encore, les plusieurs jugements personnels ne sont pas
forcément des erreurs conduites par le préjugé. L’opération de préjugé n’exclut pas qu’elle puisse
être également une source de vérité. Gadamer conteste l’Aufklärung qui a discrédit purement et
simplement toute autorité. En ce sens, la revalorisation de la tradition est, en fait, l’opposition
contre la tradition, qui exclue la possibilité de son propre changement. Car, Gadamer ne plaide pas
pour la tradition qui exclue la diversité d’expériences de l’être humain au monde ; telle tradition est
la tradition de l’Aufklärung. C’est, comme nous avons vu, pourquoi il la critique strictement. Il est
important que Gadamer n’accepte pas le dogmatisme qui est appelé la tradition, l’autorité ou le
préjugé par l’Aufklärung. De même que l’Aufklärung, il critique aussi les phénomènes irrationnels.
En effet, il critique la tradition de l’herméneutique elle-même qui croyait que les traditions écrites,
surtout l’Écriture sainte parmi eux, ont les valeurs absolues. L’interprétation de l’Écriture sainte ne
peut pas avoir une valeur absolue ; parce que « la vérité possible de la tradition dépend bien plutôt
de la crédibilité que lui accorde la raison ». 63 Contraire à la critique de Gadamer, il définit le savoir
comme ce qui peut toujours être amélioré.
Le sentiment artistique, que propose Helmholtz, oriente aussi vers le milieu de la formation, à
l’intérieur duquel le sentiment artistique est accordé à l’esprit une libre mobilité, particulière. Dans
le milieu de la formation, Gadamer trouve « une faculté de l’âme qui s’ajoute aux autres, qui utilise
une bonne mémoire pour parvenir à des connaissances que l’on ne peut pas concevoir avec
rigueur ».64 En outre, dans le milieu de la formation, l’oubli est aussi valable que le mémoire ; oubli
ne se réduire plus à une perte ou à un manque. Car, seulement par l’oubli, le renouvellement total se
réalise dans l’esprit de l’être ; après l’oubli, on peut voir le monde habituel avec des yeux neufs.
Cette formation suscite une conscience qui se caractérise comme un sens non comme une
intelligence rigide. Car le sens peut apercevoir l’univers en tant que la sphère ouverte ; par exemple,
celui de la vue embrasse sa sphère en maintenant son ouverture jusqu’au-delà de la frontière. C’est
un sens universel. Gadamer propose le milieu de la formation qui conduit à une conscience comme
un sens. C’est pour sortir du système de la sagesse rigide.
S’il n’y a que la diversité d’interprétations, Gadamer s’écarte autant loin de la raison que
Habermas. Mais la tension philosophique entre l’ontologie et l’épistémologie ne manque pas à
Gadamer. C’est l’autorité et le préjugé qui empêchent l’interprétation irrationnelle ; c’est le point
décisif qu’il se sépare de la position de Habermas. C’est la tradition avec laquelle Gadamer
s’efforce de surpasser la transcendance. De même que la raison critique remplace les raisons
universelles, la tradition, ou précisément dit la raison herméneutique se substitue aux raisons
universelles. L’herméneutique philosophique comprend aussi la raison universelle en tant que la
praxis. Grâce à l’herméneutique, notre problématique va à partir du point des départs concret,
jusqu’à la compréhension fondamentale de la société.
b. Habermas : contre Transcendance, Positivisme, et Antiquité
α. Critique de la raison universelle
Comme nous avons vu, Gadamer critique à la fois l’Aufklärung et le positivisme pour le refus de
la sagesse antique qui renferme la diversité des connaissances. Chez Habermas se rendent visibles
les problèmes de la raison universelle, soit transcendantale, soit scientiste, à partir d’un différent
point de vue. Il formule manifestement sa critique de l’universalisme. C’est parce que la prétention
à l’universalisme est pareil à l’application d’un modèle idéal à l’affaire concrète :
Une règle technique est abstraitement universelle. On peut la comparer à une proposition
théorique dont les conditions d’application sont formulées de manière universelle. … Il en va
autrement dans le cas des règles pratiques. Nous les comparons à des contenus sémantiques
63
64
VM, p. 292-293.
VM, p. 31.
- 35 / 65 -
traditionnels qui ne sont compris qu’à partir du moment où nous avons établi un consensus
relativement à leur signification. C’est alors seulement qu’elles acquièrent une validité
intersubjective à l’intérieur d’un groupe social. En ce cas, la compréhension fait problème
parce que ni la définition obligatoire des prédicats fondamentaux ni les règles invariables de
l’application ne sont données. … L’universel global dont nous devons déjà avoir une
compréhension diffuse ne détermine le particulier subsumé que dans la mesure où il est luimême concrétisé par ce particulier. C’est par là seulement qu’il acquiert la reconnaissance
intersubjective dans une situation donnée. … Une situation nouvelle requiert un
renouvellement de l’intersubjectivité par une compréhension répétée ; ce renouvellement ne
se réalise pas arbitrairement mais résulte de la médiation que la pensée établit entre le passé
et la vie présente. 65
Habermas approuve l’achèvement de l’Aufklärung qui était un pont entre l’idée de progrès
scientiste et le plan au perfectionnement moral de l’homme. Face aux forces de la tradition
représentées par l’Église et l’État, les Lumières réclament des hommes qu’ils aient le courage de se
servir de leur propre entendement. Mais Habermas trouve, en même temps, le risque dans la victoire
de l’Aufklärung : les Lumières ne mettaient en question ni le rationalisme ni l’universalisme. Par
conséquent, l’Aufklärung est tombé dans le piège de l’eurocentrisme ; dont composant sont le
déterminisme évolutionniste, le naturalisme éthique, l’universalisme, et le rationalisme.66
Wittgenstein propose la théorie de la compréhension fondée sur l’usage selon lui. On ne peut
assurer les conditions de la vérité que dans la pratique habituelle du langage et que par la capacité
de faire un usage correct. Et chez lui, la vie quotidienne renferme en soi la vérité théorique ;
autrement dit, la différence entre validité et valeur sociale disparaît. Rigoureusement, c’est la
découverte de la vérité par l’usage pratique, non la constitution de la vérité par la vie quotidienne.
Comme Heidegger, Wittgenstein suppose le monde sous-jacent qui donne par avance les critères
des énoncés vrais ou faux.67 Alors, Habermas trouve l’universalisme et la transcendance même chez
Wittgenstein. Avec les « formes de vie » de Wittgenstein, la critique transcendantale du langage
remplace désormais celle de la conscience : les formes de vie n’obéissent plus aux règles d’une
synthèse de la conscience en général, mais aux règles de la grammaire régissant des jeux de
langage. C’est parce que, comme l’a indiqué Stenius et Apel, le transcendantalisme linguistique du
premier Wittgenstein est le successeur de la raison transcendantale développée par Kant. De même
que la raison transcendantale est universelle, le langage universel reflète le monde.68 En conclusion,
Wittgenstein redécouvre l’idée de la philosophie transcendantale : « le sujet n’appartient pas au
monde, mais il constitue une limite du monde. »69 Depuis Wittgenstein, il est possible d’analyser les
actions sociales de la même manière que les relations entre symboles. Les règles linguistiques selon
lesquelles on enchaîne les symboles sont susceptibles d’être analysées à la manière descriptible.
Mais ce sont, quand même, des données d’ordre supérieur au niveau des propositions énoncées sur
des faits.
Habermas démasque le positivisme ; il est le fils révoltant de la transcendance. Chez Habermas,
on peut distingue la critique de la Raison universelle et celle de la raison empirique. Car, Habermas
doit critiquer, à la fois séparément et ensemble, la Raison universelle et la raison empirique tandis
que Gadamer peut rejeter superficiellement toutes les raisons. De même que, chez Habermas, la
prétention de l’universalité est l’erreur de la Raison universelle et en même temps, celui de
l’herméneutique, le positivisme est un produit déformé de la raison transcendantale. Habermas
critique la méthodologie des théories générales relatives à l’activité sociale. Il veut expliquer la
société sans l’intervention de la loi générale. Car, la loi générale elle-même fait une hypothèse de
modèle « idéal ». Et c’est le système de la Transcendance.
65
Logique, p. 209.
Communicationnel I, p. 169-171.
67
J. Habermas, Vérité et justification, p. 28-29.
68
Logique, p. 156-157.
69
Logique, p. 160. recit.
66
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Si on explique que la perspective de Gadamer comprend le monde par la dualité : le réel et
l’interprétation, l’optique de Habermas est le trilatère, le réel, l’interprétation et la raison critique.
Ce que critique Habermas, c’est le modèle idéal, de même que le monde intelligible de Kant, qui
choisit l’interprétation « correcte ». Il critique Gadamer par l’herméneutique gadamérienne situe la
tradition à la place de la transcendance. Car, lorsque la transcendance revient, l’analyse des sciences
sociales reste dans la limite empirique. Les sciences sociales n’efforcent pas de répandre la fonction
de la raison dans l’explication du monde. Pour Habermas, la transcendance et le positivisme
coexistent dans le mépris des sciences sociales. La raison universelle se fond sur l’existence d’un
principe inchangeable. Par exemple, dans le cas du behaviorisme linguistique, la compréhension est
une application du système transcendantal au cas concret. Mais différemment à l’hypothèse
universelle, le système de règles lui-même se soumet au changement social. Il est seulement conçu
naturel parce qu’il est intériorisé dans le processus de la socialisation des individus.
Dans « Logique des sciences sociales », Habermas résume la critique du positivisme, d’abord,
commencée par le néo-kantisme. En présentant la compréhension du monde de Cassirer, il montre
la limite de l’herméneutique philosophique. Comme Kant, Cassirer comprend le monde dans la
relation entre le monde sensible et le monde intelligible. Et il juge défavorablement l’approche
herméneutique qui ne peut se passer que la prémisse de la transcendance. Dans la coexistence du
monde sensible et le monde intelligible, le phénomène ne peut pas se dévoiler par les catégories de
l’intuition et de l’entendement, mais par l’acte transcendantal. Et l’acte transcendantal peut
uniquement être expliqué par la création de symboles qui ont une structure systématique et qui
attribue l’objectivité aux impressions sensibles. La transcendance, sous la forme de la réalité
représentée, est aperçue seulement par les symboles. Donc, « La représentation est la fonction
fondamentale de la conscience transcendantale. »70
β. Critique de la raison herméneutique
La critique de l’universalité conduit Habermas aussi à la désapprobation de l’herméneutique
gadamérienne. Chez Gadamer, l’interprète appartient, depuis sa naissance, à la tradition, et il donne
à la tradition la supériorité à la situation présente. De cette façon, selon Habermas, le travail
herméneutique est susceptible de s’assurer, sans doute, de l’actualité d’une tradition.
L’herméneutique ne peut pas prendre conscience de la limite de l’interprétation libre, en assimilant
l’influence de la tradition sur l’interprète à l’« accord » préalablement établi. Comme Heidegger et
Wittgenstein, ici encore, la vérité(la précompréhension) et la méthode(l’entendement quotidien) se
séparent et s’opposent. Donc, Habermas dit que « la vérité du processus de transmission est
purement et simplement masquée par une démarche méthodologique censée assurer la vérité des
énoncés. »71
Habermas formule la critique de la raison herméneutique pour la même raison qu’il a critiqué la
raison universelle. La raison herméneutique, de toute façon, commence par le système préalable.
Comme Gadamer critique l’Aufklärung par la limite de sa démarche, Habermas ne pense pas
l’herméneutique est assez forte pour affaiblir la puissance de la science méthodologique. À vrai dire,
Habermas ne croit pas que l’herméneutique gadamérienne a bien critiqué le positivisme. Car, il voit
la séparation entre la théorie et la méthode dans la même herméneutique gadamérienne. Dans la
mesure où la raison scientiste divise les phénomènes en la connaissance et la technique, le
surpassement du positivisme doit chercher la synthèse indissoluble entre le Bien et la
méthodologie ; c’est le concept de pratique chez Habermas. Mais Gadamer, comme dans le titre de
son ouvrage, accepte la dualité de Vérité et méthode. La confrontation entre vérité et méthode est
une tentative d’intégrer la méthodologie par l’herméneutique philosophique. Pour la position de
Habermas, l’opposition avant l’intégration n’est pas souhaitable, car l’opposition même présuppose
70
71
Logique, p. 14-15.
J. Habermas, Vérité et justification, p. 33-34.
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le fondement préalable qui s’applique à la méthode concrète.
Ce qui est complexe, c’est que Habermas ne critique pas inconsidérément le principe préalable,
car il n’est pas positiviste. Seulement qu’il n’accepte pas l’idée que le principe est a priori donné, et
que l’on peut expliquer tous les discours selon le seul principe. Il estime que Gadamer montre
correctement le lien de la compréhension herméneutique à la nécessité transcendantale ; celle-ci
revient en tant que la compréhension de soi qui guide son action.72 C’est une application du cercle
herméneutique. L’interprétation des parties comme des textes anciens, ou les œuvres d’art nous
conduisent à la compréhension de la totalité ; et avec la compréhension de la totalité, élucide les
affaires de la vie quotidienne. Cependant, lorsque l’interprétation de Gadamer s’attache à la
tradition, le problème se pose. La tradition, pour Gadamer, elle-même se rend rigide en se prenant
pour un principe transcendantal. Car, comme le sait Gadamer, nous appartenons à la tradition avant
que nous peut comprendre la tradition. On peut dire que l’interprétation herméneutique tombe dans
l’objectivisme, car elle revendique une attitude purement théorique pour comprendre des textes qui
sont loin de nous. Le problème, malheureusement, est que l’objectivité pure n’est pas possible dans
la mesure où elle ne peut pas se dissimuler le lien indissoluble à la situation donnée qui conditionne
l’interprète.
Concrètement, la critique habermassienne est une tentative de sortir des fondements de la raison
transcendantale, et en même temps, de la raison scientiste. Pour lui, la critique est la compréhension
pénétrante qui peut percer à jour des aveuglements de l’universalisme. Alors, différemment à
Gadamer, la critique de l’universalité chez Habermas ne retourne pas au principe de l’Antiquité,
lequel est une autre raison. En fait, si l’on veut sortir de la Raison transcendantale et la raison
scientiste, on n’a pas d’autres références que la raison antique, que choisit Gadamer. Mais, pour
Habermas, la raison antique est autant dogmatique que les autres, car elle se fonde aussi sur le
dogme idéal. Tant que l’ordre idéal influence sur la société, l’être humain n’est pas libre du
commandement préalablement donné : c’est une soumission. Pour Habermas, ce qui compte est
l’émancipation de cette soumission. Et il critique Gadamer, car Habermas croit que l’herméneutique
gadamérienne demande aussi la soumission du modèle préalable au nom de la tradition. Il est vrai
que l’herméneutique gadamérienne s’oppose aussi à la raison transcendantale et à la raison
scientiste. Cependant, Gadamer ne surpasse pas les limites de deux raisons, mais il trouve un point
synthétique entre deux raisons. L’herméneutique s’efforce de trouver la validité de la tradition dans
le contexte actuel ; c’est l’interprétation de la tradition.
Pour Habermas, l’application n’est pas acceptable dans la mesure où l’interprétation elle-même
est une application d’un modèle supérieur au cas concret. Bien que Gadamer souligne la diversité de
la vérité, la raison herméneutique ne peut jamais sortir de la compréhension préalable qui est
indifférente des diverses descriptions. Alors, maintenant Habermas s’efforce de trouver un autre
principe que la raison. Dans ce point de vue, on ne peut pas assurer clairement que la critique de
Habermas soit comprise dans la raison. Car, la critique habermasienne rejette explicitement
l’universalité. D’un point de vue de l’universalité, l’herméneutique de Gadamer est plus proche à
l’Aufklärung que la critique de Habermas. Contraire à la première vue, il tente de substituer la
Critique à la raison tandis que Gadamer s’attache à modifier la raison en y ajoutant la diversité
d'interprétation et en supprimant le dogmatisme de la seule vérité selon le modèle de la raison
gréco-romaine.
Habermas critique rigoureusement l’universalité, et c’est la raison pour laquelle il critique aussi
l’herméneutique gadamérienne. Car, la démarche de l’interprétation est aussi une sorte de
l’application de la prétention à la validité au texte concret. 73 Dès le départ, selon Habermas,
l’interprète est obsédé par la compréhension préalable que le savoir herméneutique ne peut pas ne
pas passer. Car, l’herméneutique est un dialogue entre deux mondes, monde du passé et celui du
présent ; l’interprète comprend réciproquement deux mondes, en comparant l’un à l’autre. En outre,
lorsque l’herméneutique est conçue comme l’application d’une précompréhension déjà établie,
72
73
Logique, p. 205.
Communicationnel I, p. 151-152.
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l’interprétation des textes correspond à l’examen des sciences de la nature. 74 Pour Habermas,
l’herméneutique philosophique n’est pas différente de la raison transcendantale tant que
l’herméneutique suppose le modèle universel et applicable à la particularité. Ce que critique
Habermas dans l’herméneutique, c’est toujours la prétention à l’universalité de même que le cas de
la raison transcendantale.
C’est remarquable que Ricœur ait bien précisé l’essentialité de l’herméneutique. La possibilité
d’interpréter un texte écrit par une autre personne, compte sur l’entendement universel. Si on
renonce à la base universelle entre les êtres humains qui sont dans les situations temporellement et
culturellement différentes, l’interprétation ne peut s’étendre sur que les petits espaces et temps
autour de lui. Dans l’interprétation d’un texte, l’herméneutique lie une vie à une vie étrangère : cela
signifie que les êtres humains et leurs vies reposent sur un fondement vaste. Alors, l’herméneutique
nous conduit à la question sur la réciprocité universelle entre les hommes. Ricœur entend cette
question par la rencontre de l’herméneutique et la phénoménologie. Il voit que l’on a essayé de
résoudre la question par fonder l’herméneutique dans la phénoménologie. Ricœur témoigne
explicitement le croisement de l’herméneutique et la phénoménologie. Cependant, dans la mesure
où le texte peut avoir plusieurs sens, il faut recourir à une base de signification plus profonde que la
simple traduction des signes et textes. Pour effectuer l’interprétation plus efficace que la traduction,
on a besoin d’une base qui est un dessein profond ; un dessein qui pourrait franchir la distance entre
le lecteur et le texte. Par la suite, selon Ricœur, l’herméneutique n’est plus une technique de
spécialistes ; elle est la théorie du problème général de la compréhension.75 La grammaire d’une
langue ordinaire peut se rendre abstraite le langage dont elle établit les règles. Et l’abstraction du
langage permet la traduction dans d’autres langues et à partir d’autres langues. En ce sens, le
traducteur ne traduit pas littéralement, mais en d’autres termes. Autrement dit, la traduction est le
processus de comprendre entre les abstractions de chaque langage ; l’idée qui s’est rendue abstraite
se concrétise dans une autre langue. C’est la raison pour laquelle l’herméneutique nous permet de
comprendre ce qui est étranger.76
Et, finalement, on peut comprendre la critique de l’herméneutique par Habermas. Pour lui,
l’herméneutique philosophique n’est pas différente de la raison transcendantale et de la raison
scientiste tant que l’herméneutique suppose le modèle universel et applicable à la particularité. Ce
que critique Habermas notamment dans l’herméneutique, c’est sa prétention à l’universalité. Car
l’herméneutique gadamérienne, malgré ses diverses descriptions, est prête de retourner au dogme
préalablement établi. Alors, il explicite la limite de l’herméneutique à l’égard de l’universalisme :
… Gadamer pense que l’élucidation herméneutique de manifestations vitales
incompréhensibles ou mal comprises doit toujours recourir à un consensus préalablement
établi par des traditions convergentes auquel on peut se fier. Cette tradition, cependant, est
pour nous objective, en ce sens que nous ne pouvons la confronter avec une prétention
principielle à la vérité. La structure préjudicielle, propre à toute compréhension, non
seulement interdit de remettre en question le consensus effectivement établi et qui est chaque
fois à la base de notre malentendu et de notre incompréhension, mais encore fait apparaître
une telle remise en question comme une absurdité. Du point de vue herméneutique, nous
sommes tenus de nous référer à des formes concrètes d’intercompréhension préalablement
établies, donc de nous référer en dernière instance à la socialisation et à l’initiation aux
contextes traditionnels qui nous sont communs.77
Herméneutique gadamérienne présuppose un consensus préalable qui fonctionne en tant que la
référence. Mais, ce qui est paradoxal, c’est l’herméneutique gadamérienne qui a découvert le
pseudo-consensus de l’Aufklärung ; de même que l’Aufklärung, toutes les traditions peuvent être
74
J. Habermas, La technique et la science comme idéologie, p. 147-148.
P. Ricœur, « Existence et herméneutique », p. 8.
76
Logique, p. 184-185.
77
Universalité, p. 267-268.
75
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des consensus obligés par un certain groupe dominant. C’est parce que pour Habermas, le but n’est
pas de trouver un autre système radicalement donné, mais de trouver un système composé par les
activités des membres de la société. Donc, la critique surpasse l’idéalisme de l’herméneutique des
sciences sociales, et elle se garde de réduire les structures de sens objectivées dans les systèmes
sociaux aux contenus d’une tradition culturelle.78
3) Possibilité et Impossibilité de l’émancipation
Ainsi, le débat était une recherche de deux nouveaux principes : la raison herméneutique et la
raison critique. Leurs recherches tentent de répondre à la question comme suivante : « Jusqu’à quel
degré soit-elle possible, l’universalité ? » Et cette question peut se poser aussi sous l’expression
suivante : « Sur quel principe se trouve l’homme ? », ou « Sur quel principe se fonde la société ? »
Ces questions sont aussi le projet de l’émancipation de la société actuelle. Pour Habermas, la
recherche du nouveau principe est l’émancipation du capitalisme avancé. Il pense que
l’émancipation se réalisera lorsque l’on remplace par le principe de l’intersubjectivité les autres
principes universels qui se servent au système existant. Cependant, l’émancipation est-elle vraiment
possible, sous la condition que l’homme appartient à la société avant qu’il aperçoive cette
appartenance ? Alors, Gadamer découvrit une autre sagesse de l’Antiquité qui a survécu depuis
l’Aufklärung pour proposer le principe qui lie la tradition quotidienne et la raison universelle.
a. Habermas : Effort infinitif, mais limité
α. Concept de l’Agir communicationnel
On peut voir, encore une fois, la méditation de Habermas recherche un principe qui n’est pas
transcendantal, mais qui peut remplacer des principes transcendantaux. Par le nouveau principe, il
vise la suppression de la dualité elle-même dans le regard sur le monde. Pour lui, l’universalisme
n’est pas raisonnable, car il demande la norme et la règle qui sous-estiment la liberté de l’être
humain. Il croit que l’être humain est un sujet indépendant du principe donné par un certain sujet
extraordinaire ; l’homme peut synthétise la volonté libre et l’ordre moral. Donc, Haberams
n’accepte pas la raison transcendantale qui soumet la volonté humaine à l’ordre moral. Il veut
trouver le principe à partir de l’interaction entre les êtres humains, non à partir de la transcendance.
C’est-à-dire que l’homme est capable de se conduire à achever le Bien sans la morale préalablement
donnée. Mais, bien évidemment, la tentative de Habermas ne réduit pas à l’ensemble des actes
individuels. La raison scientiste, un autre type de la raison universelle, elle se fonde sur l’hypothèse
exagérée qui explique le monde sans fondement commun. Différemment au positivisme, Habermas
n’est pas content de briser le fondement transcendantal, mais il propose un nouveau principe. C’est
l’intersubjectivité par laquelle l’être humain arrive à un fondement pratique. Dans sa théorie de
l’agir communicationnel, Habermas s’efforce de prouver la relation réciproque entre l’agir
communicationnel et le monde vécu qui est le fondement composé du Bien et la vérité.
Dans le débat, à son propre tour, Habermas n’explicite pas sa position en tant qu’une thèse
indépendante ; sa critique de Gadamer n’est pas arrivée à formuler explicitement sa position. Mais
après le débat, Habermas a précisé sa position dans la Théorie de l’agir communicationnel. Donc,
Habermas est responsable de faire apparaître le débat en tant que l’opposition entre la tradition et le
moderne, car son critique se consacre à critiquer l’universalité, non à présenter son propre principe.
Pour comprendre le principe de Habermas, il faut faire référence à son œuvre majeure : Théorie de
l’agir communicationnel publié après le débat. C’est aussi parce que le débat ne se limite pas au
problème de l’herméneutique, mais à celui du principe. À la différence que l’on peut voir seulement
78
J. Habermas, Théorie et pratique, traduit par Gérard Raulet, Paris, Payot, 2006, p. 45.
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l’esquisse de sa pensée, Habermas montre complètement sa proposition du principe de la société
dans sa théorie de l’agir communicationnel. On peut retracer le principe implicite de Habermas
opposé à celui de Gadamer en comprenant la théorie de l’agir communicationnel.
Dans « Théorie de l’agir communicationnel », Habermas distingue le concept de l’agir
téléologique, celui de l’agir régulé par des normes, celui de l’agir dramaturgique et celui de l’agir
communicationnel pour trouver le rapport entre acteur et monde. Selon lui, c’est le concept de l’agir
téléologique qui est depuis Aristote au centre de la théorie philosophique de l’action. Dans le
concept de l’agir téléologique, les actes rationnels s’expliquent par le choix des moyens, dans une
situation donnée, moyens avec lesquels l’acteur pourrait réaliser un but ou provoquer l’apparition
d’un état souhaité. Le processus des actes est dirigé par la décision entre des alternatives, décision
qui est régie par des maximes, et étayée par une interprétation de la situation. Et puis, dans le
concept de l’agir régulé par des normes, l’acteur se trouve avec d’autres acteurs ; les membres d’un
groupe social se dirigent selon des valeurs communes. Les normes expriment un accord existant
dans un groupe social, et l’acteur individuel suit la norme de tel groupe. Le concept de l’agir
dramaturgique présume les participants d’une interaction, qui constituent réciproquement pour euxmêmes un public devant lequel ils se présentent. C’est comme la sphère du carnaval où les acteurs
ne se distinguent pas du public. Les acteurs provoquent chez son public les impressions et les
images, en dévoilant plus ou moins intentionnellement leurs subjectivités. Dans l’agir
dramaturgique les participants mettent gèrent leurs interactions en régulant l’accès réciproque à la
subjectivité propre de chacun. Mais, ce modèle n’arrive pas jusqu’à la théorie générale, car le
concept central d’autoprésentation se borne à la « stylisation » de l’expression d’expériences
propres. Enfin, Habermas présente le concept de l’agir communicationnel ; il concerne l’interaction
d’au moins deux sujets capables de parler et d’agir qui engagent une relation interpersonnelle. Les
acteurs arrivent à une entente sur une situation donnée à dessein de la coordination de leurs actions.
Habermas indique que, dans ce concept, le langage occupe une place prééminente, car le but est
généralement obtenu par le consensus de définitions de situations. Le langage et la pratique
composent une unité selon le concept de jeu de langage. Dans le processus de jeu de langage, l’un
crie les mots, l’autre agit en conséquence ; c’est une relation entre le langage et l’activité
communicationnelle.79
C’est par l’intercompréhension, selon Habermas, que l’on peut trouver la certitude dans la
société. Mais, Habermas ne présente pas le concept de l’agir communicationnel comme une simple
intercompréhension ; il veut y ajouter la capacité de réaliser le but. Selon lui, la notion d’agir
communicationnel se définit par deux aspects : « l’aspect téléologique de réalisation effective de
fins et l’aspect communicationnel d’explication de la situation et de consensus recherché. » 80 Dans
l’agir communicationnel, les participants ne s’arrêtent pas seulement dans l’accord mutuel, mais se
dirigent vers le succès. Donc, le succès est réalisé à la fois par le biais de l’agir téléologique, et par
l’intercompréhension. Pour réaliser leur plan en plein accord dans une situation donnée, il faut
éviter deux risques : le risque de tomber dans le malentendu, et celui d’être incapable d’agir
effectivement. Habermas donne l’importance à l’intercompréhension, lorsqu’il explicite que les
participants peuvent atteindre leur but en passant par l’agir communicationnel.
En fait, les deux dangers du malentendu et de l’inefficacité sont des obstacles de sortir du
principe universel et idéal. Par la compréhension mutuelle, l’homme peut sortir de l’état de la
soumission au modèle idéal. Mais pour trouver et vérifier la compréhension commune entre les
êtres humains, il faut d’abord dépasser l’immense diversité à la manière constitutive.
Malheureusement, on voit souvent les exemples d’échec de trouver la compréhension sociale et de
retourner au dogme rigide. C’est parce que le deuxième problème de l’inefficacité empire la
situation. Tant que la diversité des hommes subsiste, et tant que la véritable communication
renferme cette diversité, la compréhension commune se produit selon le processus démocratique,
qui nécessite normalement beaucoup de temps. En effet, l’ordre autoritaire, par exemple la
bureaucratie, est souvent capable d’atteindre un but. On voit l’explication historique dans le concept
79
80
Communicationnel I, p. 101-102.
Communicationnel II, p. 140-141.
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du cycle des régimes chez Polybe ; on sort de l’état de la soumission au roi par la révolution, mais
finalement on retourne à la tyrannie, car le peuple ne peut pas se contrôler. 81 Car, si la tentative de
trouver un nouvel ordre révolutionnaire est frustrée, on retourne souvent à l’ancien ordre. Il est ainsi
que l’on fait face à la difficulté de trouver la compréhension commune, et d’éviter le malentendu.
Pour montrer que l’intersubjectivité est susceptible d’arriver à la communication mutuelle avec
l’efficacité, Habermas précise la notion de la réflexion dans l’intersubjectivité. Selon lui, les
locuteurs instaurent des rapports au monde en employant des phrases en vue de
l’intercompréhension. Et ces rapports au monde ne se constituent pas de manière directe comme
dans les actions téléologiques, régies par les normes, et dramaturgiques. Les locuteurs peuvent aussi
établir leurs rapports au monde de manière réflexive :
Ce n’est plus de manière non réfléchie qu’ils se rapportent à quelque chose dans le
monde ; ils relativisent plutôt leurs expressions au regard de la possibilité que leur validité
soit contestée par d’autres acteurs. En tant que mécanisme qui coordonne l’action,
l’intercompréhension suppose que les parties prenantes de l’interaction s’accordent sur la
validité de leurs expressions, i. e. reconnaissent intersubjectivement les prétentions à la
validité qu’ils élèvent réciproquement. En se rapportant par son expression à au moins un
« monde », un locuteur fait valoir une prétention critiquable. En même temps, afin d’engager
son vis-à-vis à une prise de position rationnellement motivée, il utilise le fait que cette
relation entre acteur et monde est fondamentalement accessible à une appréciation objective.
Le concept d’activité communicationnelle présuppose le langage en tant que médium pour
des procès d’intercompréhension d’une certaine nature, des procès au cours desquels les
parties prenantes élèvement chacune vis-à-vis de l’autre, en se rapportant à un monde, des
prétentions à la validité qui peuvent être accepétes ou contestées.82
Ce qui conduit le locuteur à la réflexion, c’est la conscience que que la validité de son discours
soit contestée par d’autres acteurs. Dans la relation réciproque, par exemple le dialogue, les
participants arrivent à contester et reconnaître intersubjectivement les prétentions à la validité qu’ils
élèvent réciproquement. Habermas, encore, élargit la reconnaissance de la prétention entre les
acteurs à la position de l’observateur. Finalement, on peut trouver la certitude de notre position par
la réflexion réciproque.
Ce que vise Habermas dans le concept de l’agir communicationnel, c’est la nouvelle source de
l’intercompréhension qui nous fera sortir de la raison universelle. Et là, la vérité et le Bien sont
accessibles par l’intercompréhension. La source de la vérité doit être capable à la fois d’exiger le
Bien et de prouver l’entendement réciproque. Mais en même temps, elle doit être vivante et
renoncer à l’autorité et à la prétention de l’authenticité pour se rendre large par les nouvelles
réflexions. Selon Habermas, les actes communicationnels ne sont compris que dans un contexte
d’agir orienté vers l’intercompréhension. Telle est l’idée centrale de Wittgenstein, et le point de
départ de sa théorie de l’usage de la signification. Habermas explique la compréhension mutuelle
par l’entendement mutuel dans les contextes. Les participants ne comprennent pas les prises de
position des autres, s’ils ne peuvent pas se représenter les raisons implicites qui poussent les
participants à prendre telle position. Habermas désigne ces raisons implicites au constituant des
procès d’intercompréhension.
Chez lui, la vérité de la philosophie, autrement dit le Bien de la politique classique, s’appelle la
validité. Et la validité ne se rend pas complètement visible, mais elle se figure sous la forme de
prétentions à la validité dans l’interprétation de chaque participant. L’agir orienté vers des
prétentions à la validité forme en soi la structure rationnelle que les participants peuvent aborder par
l’interprétation fondamentalement rationnelle. Cette interprétation rationnelle n’est pas accessible à
l’observateur qui n’a pas de relations internes de sens avec les participants de la communication.
Par conséquent, la compréhension des actions communicationnelles se lie fermement aux
81
82
Polybe, Histoires, traduit par Raymond Weil, Paris, Les Belles Lettres, 1977. Livre VI, 8-9.
Communicationnel I, p. 115.
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interprétations rationnelles. 83 Dans la théorie de l’agir communicationnel la validité d’un être
humain est garantit par la discussion. Dans la discussion autoréflexive du modèle
communicationnel, les acteurs se situent à la fois dans les actions coordonnées par le langage, et
dans l’interprétation du discours du point de vue de l’observateur. Car, la réussite de l’activité
communicationnelle dépend d’un procès d’interprétation où les participants parviennent à une
définition commune de situations. Selon l’explication de Habermas, « chaque consensus repose sur
une reconnaissance intersubjective des prétentions critiquables à la validité. » 84 L’agir
communicationnel, qui présuppose la critique réciproque(auto-réflexion) intègre le rôle d’acteur et
le rôle d’observateur ; dès lors, l’être humain a la possibilité de s’approcher au Bien sans le tiers,
par exemple, le Dieu.
β. Monde vécu de Habermas : toujours raison universelle
Il peut se poser une question que la sortie de l’universalité ait réellement possible. La raison, en
effet, se munit principalement de la capacité de l’abstraction et la concrétisation. En ce sens,
l’universalité n’est pas dissoluble de la raison elle-même. Mais, quand même, Habermas tente de
trouver un principe intersubjectif. Le principe de l’intersubjectivité n’est possible que grâce à des
règles intersubjectivement reconnues. Les règles intersubjectives de Habermas sont les consensus
non verbaux définis par les actions socioculturelles. En outre, l’intersubjectivité demande une
nouvelle forme de la raison en s’ajoutant à la Théorie critique. Peut-être que Habermas souhaite que
son raisonnement soit appelé seulement Critique, parce qu’il réfute le système de Raison et il vise
de proposer un nouveau système de raisonnement. La critique se différencie à la fois des sciences et
de la philosophie lorsqu’elle se munit de la réflexion sur le contexte de sa genèse. Selon Habermas,
les sciences ignorent le contexte de constitution en se comportant de façon objectiviste tandis que la
philosophie se concentre seulement sur la valeur ontologiquement. Deux directions, vers
l’observation objectiviste et vers l’ontologie de la valeur se réunissent dans la réflexion de la
critique.85
Toutefois, contraire au rêve de Habermas, l’émancipation totale de la raison transcendantale et la
transformation de la raison en critique ne se réalisent pas. Car Habermas lui-même ne libère pas le
dernier fil qui attache sa raison critique à la certitude. Il ne peut pas sortir parfaitement du royaume
de l’universalité. Les sciences sociales ont inévitablement besoin des hypothèses théoriques dans
leurs méthodes d’expliquer la société. Habermas fait recours à K. O. Apel ; celui-ci insiste sur le fait
que l’herméneutique, en tant que discipline scientiste, doit maintenir l’objectif et les critères de
l’effort visant à « mieux comprendre ». 86 Bien que Habermas aille à l’encontre de l’arrière-plan de
la compréhension, il ne peut pas renoncer au fondement de la compréhension mutuelle. Car, sans le
principe de l’entendement réciproque, on ne peut pas mener sa vie dans la société. C’est pourquoi il
recourt au monde vécu de la phénoménologie.
Il emploie la conception de « monde vécu » de la phénoménologie pour fonder la source de l’agir
communicationnel. En tant que l’ensemble des intercompréhensions, Habermas propose le monde
vécu pour trouver la source de la possibilité de la communication qui n’est pas aveuglement
universel comme les raisons transcendantales et scientiste. Il se penche sur les structures du monde
vécu quotidien, articulé en termes de langage ordinaire. 87 Dès lors, la structure du discours se
transforme. On comprenait le dialogue par la séparation de parleur et écouteur. Les participants des
dialogues se divisent en deux : ce qui souvent parle et ce qui souvent écoute. Par la situation
politique, la séparation se réaffirme dans la séparation entre ce qui domine et ce qui est dominé. Par
contre, le concept d’intersubjectivité considère tous les participants en tant que les sujets
83
Communicationnel I, p. 132.
Communicationnel I, p. 135.
85
J. Habermas, Théorie et pratique, p. 36.
86
J. Habermas, Vérité et justification, p. 34.
87
Logique, p. 136.
84
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indépendants. C’est pourquoi le savoir se révèle sous la forme de « reconstructions » chez
Habermas. Le savoir est une partie du monde vécu, mais il n’existe que dès le moment où la
discussion entre les acteurs a lieu dans une situation réflexive. Le monde vécu se constitue des
situations qui sont formées par rapport à chaque thème de l’action. Le fondement de l’interprétation
n’existe pas préalablement, mais il se manifeste par les interprétations de divers thèmes à la manière
constitutive. C’est le principe que propose Habermas en sortant l’universalité de la raison ; le
monde n’apparaît qu’après nos diverses intercompréhensions.
Avec la diversité, Habermas apprécie le savoir quotidien, parce que la tradition nous fournit les
interprétations immédiates applicables aux personnes et aux événements.88 La tradition, en tant que
le savoir préalable transmis par le langage ordinaire, nous donne le monde vécu, qui est
intersubjectif ; dans le monde vécu, on peut adopter la perspective d’autrui. Ainsi, le monde vécu,
avec la culture et la langue, constitue des structures où nous pouvons vivre dans la relation
suffisamment démontrée. Le monde vécu de Habermas part par les expériences individuelles ; elles
parvenir aux performances de la subjectivité instauratrice du sens grâce à l’abstraction et la
généralisation. Différemment à la phénoménologie, le monde vécu de Habermas tente de traverser
la barrière qui sépare une description phénoménologique de la structure du monde vécu social tout
court. C’est le langage parlé qui est le seul médium dans lequel s’accomplit quotidiennement la
dialectique de l’universel et du particulier. Par le langage, le monde vécu intègre les expériences
individuelles et la structure déjà constituée de l’intersubjectivité de sujets parlant. Comme le
rappelle Habermas, « la structure des mondes vécus individuels ne peut être appréhendée que par
l’intermédiaire de communications fondées sur un usage social. »89
La diverse description, la tradition, et finalement le langage, ce sont des concepts de Gadamer
qui n’abandonne pas entièrement la structure de la raison universelle. En effet, à propos du monde
vécu, le raisonnement de Haberamas n’est pas différent de celui de Gadamer. En outre, les
situations du monde vécu ne sont pas « définies » au sens d’une délimitation rigoureuse. Le monde
vécu est aussi un horizon qui se déplace avec leur thème. Tandis que Gadamr propose la fusion
d’horizons comme l’action pratique de la raison herméneutique, Habermas présente l’horizon qui se
déplace selon le thème. La seule différence de Habermas, c’est qu’il préfère commencer par la
particularité, ajoute qu’« une situation est un découpage dans des contextes de renvois au monde
vécu, découpage choisi en fonction de thèmes et articulé selon des buts et des plans d’action ».90 Le
monde vécu de Habermas ne pré-existe jamais avant les situations. En ce sans il est reconstructif.
Avec le monde vécu reconstructif, Habermas trouve la certitude de la compréhension et se dirige
perpétuellement vers l’émancipation en considérant la tradition, l’autorité, les normes sociales, et
tout ce qui existe en tant que réels.
Malgré la différence, la similitude des raisonnements entre deux auteurs signifie le caractère de
l’universalisme chez Habermas. Bien que Habermas s’oppose à l’universalité qui impose le modèle
idéal à l’application concrète, il ne refuse pas le fondement commun entre les êtres humains. C’est
plutôt le fondement assez flexible que Habermas essaie de trouver ; alors, la raison critique de
Habermas réfléchit comment constituer le fondement. Habermas présente l’intersubjectivité qui se
trouve dans la dialectique entre l’universalité et la particularité. Dans la société, l’intersubjectivité
se manifeste dans l’accomplissement du « rôle ». On comprend son rôle dans la situation sociale ;
dans le rôle d’un individu, son interprétation du rôle et la transformation des normes en vigueur se
rencontrent. Autrement dit, chez Habermas, les normes sociales sont « traduites » ; l’individu les
transforme selon les règles transcendantales qui constituent le monde vécu social en les conventions
actives dans l’action réelle. Le processus de traduire les règles fondamentales dans le contexte du
monde vécu se relève sous la forme de pratique. Habermas croit que ces règles fondamentales de
l’interprétation ne sont rien d’autre que les règles grammaticales d’un langage, car le sujet parlant se
situe et se comprend dans les catégories du langage.91
88
Logique, p. 142.
Logique, p. 149.
90
Communicationnel II, p. 135.
91
Logique, p. 151-152.
89
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Et alors que la fusion d’horizons présuppose la coexistence et la confrontation d’horizons, le
monde vécu a besoin de rapprochement des horizons des situations. Donc, dans le monde vécu de
Habermas, si les participants de la communication transgressent l’horizon d’une situation donnée,
ils ne peuvent pas marcher dans le vide. Car ils se retrouvent aussitôt dans un autre horizon. Il est
intéressant que Habermas explique l’entourage des horizons par la même manière de la tradition de
Gadamer, tradition à laquelle nous appartenons :
Ceux qui agissent en communiquant se meuvent toujours dans le cadre de l’horizon de leur
monde vécu ; ils ne peuvent en sortir. En tant qu’interprètes, ils appartiennent eux-mêmes
avec leurs actes de langage au monde vécu, mais ils ne peuvent se rapporter à « quelque
chose dans le monde vécu » de la même manière qu’à des faits, des normes ou des
expériences vécues. Les structures du monde vécu fixent les formes de l’intersubjectivité pour
une éventuelle intercompréhension. C’est à elles que les participants de la communication
doivent leur position extra-mondaine vis-à-vis de l’intra-mondain sur lequel ils peuvent
s’entendre. Le monde vécu est quasiment le lieu transcendantal où se rencontrent locuteur et
auditeur ; où ils peuvent réciproquement prétendre que leurs énoncés coïncident avec le
monde(le monde objectif, social et subjectif) ; et où ils peuvent critiquer et confirmer ces
prétentions à la validité, régler leurs différends et viser un accord. D’un mot : envers la
langue et la culture, les participants en acte ne peuvent prendre la même distance qu’envers
l’ensemble des faits, des normes ou des expériences vécues sur lesquels il est possible de
s’entendre. 92
Alors, le monde vécu est aussi une autre prétention de l’universalité. Chez Habermas, le monde
vécu remplace le monde intelligible de Kant, tandis que les mondes objectif, social et subjectif
substituent le monde sensible. Mais Habermas résiste à définir le monde vécu comme un concept de
transcendance. Comme le rappelle Habermas, « dans le cadre de la philosophie de la conscience, le
sujet éprouvant reste le point de référence ultime de l’analyse. » 93 Mais, la phénoménologie décrit
le monde vécu sans difficulté en introduisant le monde vécu comme notion complémentaire de
l’agir communicationnel. Par contre, Habermas découvre le monde vécu en le ramenant directement
aux structures de l’intersubjectivité établie par le langage ; le monde vécu ne complète pas l’agir
communicationnel, mais plutôt celui-ci reconstitue celui-là.
Cependant, comme l’explicite Habarmas, le monde vécu est aussi quasiment un lieu
transcendantal. L’expression de lieu transcendantal implicite que l’intersubjectivité ne peut pas
complètement garantir l’entendement mutuel. Bien que le monde vécu n’est pas tout à fait
transcendantal, il est aussi un système préalablement donné. Une fois qu’une certaine
intersubjectivité se produit, elle peut survivre dans la continuité de la tradition. Comme le dit
Habermas, l’intersubjectivité produit des savoirs, et puis les nouveaux participants de la société, les
enfants, reçoivent les savoirs avant de participer au processus de l’intersubjectivité.
L’intersubjectivité se retourne finalement à la non-intersubjectivité. Donc, le monde vécu formé par
les produits de l’intersubjectivité n’est pas rien d’autre que la « fusion d’horizons » habermassienne.
De même que Gadamer ne se détache jamais à la raison, Habermas, malgré sa critique, retourne à
l’universalité. Au milieu du débat, Gadamer dit qu’il ne sait pas quoi sépare lui-même et Habermas.
Mais, lorsque le monde vécu se constitue par l’intersubjectivité, qui finalement établit un fondement
préalable, on ne sait pas quoi sépare le monde vécu de Habermas et les horizons de Gadamer.
Habermas différencie son concept de monde vécu de celui qui était considéré en tant que le
monde préalablement donné. Le monde vécu de Haberams se constitue des résultats des actions
humaines. Il ne donne pas le modèle idéal pour les actes humains, mais en revanche, il se forme au
moment où les interactions se réunissent en créant un principe commun. Habermas tente de trouver
un nouveau principe par l’intersubjectivité. Il semble qu’elle soit apte à réaliser un principe libéré
de la prétention à l’universalité, car elle est une pratique réflexive. Par la réflexion, les participants
92
93
Communicationnel II, p. 139.
Communicationnel II, p. 143.
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de la communication peuvent comprendre les autres points de vue. Et avec la compréhension
réciproque, les participants peuvent aussi se garder de tomber dans la pseudo-compréhension.
Cependant, le monde vécu renvoie Habermas à l’universalité de la raison ; de toute façon,
Habermas reste dans la sphère de la raison. Car, le monde vécu ne peut pas disparaître avec les
décès de ses premiers fondateurs. Le monde vécu produit par l’intersubjectivité se maintient et se
renouvelle par l’élimination de sa partie injustifiable et l’addition du nouveau résultat de
l’intersubjectivité. Le changement du monde vécu n’est possible que de la manière évolutive, et par
le changement, le monde vécu s’exerce son influence à travers du temps. À l’instar de la tradition,
le monde vécu devient une référence de la société humaine à la fin du compte.
b. Gadamer : Pacte avec la Raison par l’introduction de la Tradition
Contraire aux Lumières, Gadamer ne croit pas que l’être humain peut obtenir la pure intelligence.
Chez lui, l’homme n’est pas défini en tant qu’un être idéal ; il voit l’homme en tant que tel. Comme
le rappelle Gadamer, « domination et reconnaissance, savoir de la mort, et vie avec ce savoir : telle
est la base anthropologique de la liberté, qui n’est pas seulement celle des puissants, mais aussi
celle de l’homme en tant que tel. »94 C’est parce que l’être humain mène la vie dans la réalité ; il ne
vit pas entièrement selon le raisonnement. Alors, il n’accorde pas à la position de Habermas que
l’être humain peut fonder le principe de la société avec le pur raisonnement de la critique. Dans le
domaine social, il n’est pas certain que la compétence communicative et sa maîtrise théorique
peuvent abattre les barrières entre les groupes. Car le caractère contraignant entre les groupes n’est
pas si simple qu’ils arrêtent se critiquer réciproquement. Gadamer montre manifestement que le
principe exclusivement formé par les participants actuels de la société n’est pas possible. Plutôt, il
souhaite trouver un principe par la référence à l’Antiquité qui peut améliorer la société à la manière
évolutive.
α. Sortie limitée à la fois de la Transcendance et de la Tradition
Mais si l’aboutissement de l’histoire se confond, en ce sens, avec la démocratie, la souveraineté
du peuple entier, il implique aussi la fin de la dualité entre la Société et l’État, entre la vie privée et
la vie publique. La démocratie vraie, réelle, ne s’épuisera pas dans la participation épisodique à la
chose publique par l’intermédiaire d’élections ou de représentants élus, elle ne s’accomplira que par
l’unité entre le travailleur et le citoyen, par le rapprochement de l’existence populaire et de
l’empyrée politique.95
Gadamer montre la libre soumission de Helmholtz à des lois pratiques. Helmholtz pense que la
nature se déroule par la méthode inductive. Et, Hermholtz trouve la libre soumission à des lois
pratiques dans la société.96 La libre soumission est le même raisonnement selon lequel Gadamer
voit la reconnaissance dans l’autorité. Il veut établir une médiation entre les anticipations du
souhaitable et les possibilités du réalisable.97 C’est-à-dire qu’il veut reconnaitre et réaliser ce qui est
souhaitable sans perdre la balance entre-deux ; car l’homme est un être qui vise son idéal en vivant
dans la société réelle. Donc, Gadamer n’accorde pas que l’émancipation du capitalisme avancé
serait possible par la communication. Habermas propose une théorie des idéologies, au sens d’une
H. G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, traduit par Philippe Ivernel, Paris, Bibliothèque Rivages, 1996, p. 112.
R. Aron, Essai sur les libertés, Paris, Calmann-Lévy, 1976, p. 38.
96
VM, p. 24.
97
Réplique, p. 166.
94
95
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distorsion systématique de la communication. Ces distorsions du langage proviennent de son
rapport avec le travail et le pouvoir. Le phénomène de domination se produit dans la sphère de
l’action communicative. Alors, il présente le parallélisme entre psychanalyse et théorie des
idéologies, et puis la psychanalyse contient la clé pour sortir de la distorsion et pour entrer à
l’émancipation. Habermas invoque l’idéal régulateur d’une communication sans bornes et sans
contraintes.
Habermas trouve la possibilité de l’émancipation dans le traitement de la psychanalyse. Il porte à
l’attention la communication entre médecin et patient qui élimine la déformation mentale de malade.
Mais, Gadamer résume que la prétention de la critique de l’idéologie tente d’appliquer le traitement
psychanalytique de la perte d’identité aux affaires de l’État et de la société :
Quant à ce qu’elle promet de réaliser, on est constamment renvoyé à la psychanalyse en
tant que modèle, c’est-à-dire à la suppression psychanalytique de telles pertes d’identité. Or
la prétention de la critique de l’idéologie, c’est de pouvoir y parvenir aussi dans l’État et
dans la société. Par la réflexion, par l’accomplissement des Lumières, dans le discours dénué
de violence, les répressions et les déformations sociales seraient à abolir – avec pour but,
selon la formule par exemple de Habermas, la compétence communicationnelle de sorte que
l’on soit à nouveau en mesure – par-delà toutes les différences – de communiquer, de parler
ensemble, et de parvenir par l’intelligence à l’entente.98
Différemment à Haberamas, le traitement de la psychanalyse n’est pas applicable au niveau de la
société. Gadamer s’oppose à l’analogie entre la psychanalyse et l’émancipation. Il est vrai que
l’intervention de la compétence psychanalytique représente un facteur de perturbation dans le
rapport social. Cependant, il est aussi vrai que la situation herméneutique dans la relation de
partenaires sociaux se distingue de celle de la relation psychanalytique. Avec le traitement du
psychanalyste, le patient apprend à dissoudre les complexes refoulés et à les surmonter en les
rendant conscients. Habermas propose qu’il soit possible dans le domaine social aussi, de pénétrer
et dissoudre par la critique de l’idéologie la contrainte inaperçue des rapports de domination dans la
société. Mais, Gadamer pense que le psychanalyste ne ferait que perpétuer une pseudocompréhension sur la base des préjugés sociaux régnants. La tradition à laquelle nous appartenons
peut empêcher les participants de la société de percevoir la situation qui les impose la pseudocommunication. Sous cette condition, les participants prennent souvent la pseudo-communication
pour la véritable communication. On ne peut jamais arriver à la communication parfaite parce que
dans la société, il n’y a pas de psychanalyste qui peut nous mène à la vérité. Tous les membres dans
la société vivent, agissent, parlent dans le domaine de sa société. Il n’y a pas de tierce personne qui
peut assurer la vraisemblance de la communication sauf les consensus qui sont conçus acceptables
avant le dialogue.
Empiriquement, comme le rappelle Gadamer, il est difficile de trouver le même déroulement de
la communication dans la société que celle dans la psychanalyse. Dans le traitement de la
psychanalyse, la souffrance et le désir de guérison du patient donnent un support à l’action
thérapeutique du médecin. Le médecin peut résoudre les problèmes pathologiques par mettre en jeu
son autorité et par inciter sans contrainte à élucider les origines des malades mentales. Ainsi, dans la
guérison de la psychanalyse, implicitement et explicitement, la subordination volontaire du patient
au médecin donne la base de récupérer l’état normal. Au contraire, la communication entre deux
sujets adversaires se situe à la relation opposée dans la vie sociale. La résistance de l’adversaire et la
résistance à l’adversaire sont habituellement la forme élémentaire de conflits sociaux. On ne peut
pas convoquer le médecin qui a l’autorité sur les disputes sociales. Ici, nous pouvons trouver
l’aspect plus radical chez Gadamer que la théorie critique chez Habermas. Il pense que les
différentes opinions des groupes proviennent des différents fondements de la vision du monde.
Tandis que Habermas croit que l’on peut dépasser ces différences par l’intersubjectivité, Gadamer
98
H. G. Gadamer, Langage et vérité, traduit par J-C. Gens, Paris, Gallimard, 1995, p. 292.
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ne voit pas la possibilité de réconcilier les différences entre groupes.
Alors, Gadamer perce à jour la limite du modèle de la psychanalyse ; il ne va pas aussi loin que
la prétention de la critique de l’idéologie. Parce que la psychanalyse vise à la réinsertion de celui
qui est perturbé dans une société donnée. C’est-à-dire que le traitement, qu’admire Habermas, n’est
pas rien d’autre que la resoumissions d’un membre au groupe. Bien que le malade soit guéri du
problème mental, la société où il doit retourner ne change pas. La critique de Habermas est aussi
une sorte de soumission qui est destinée à l’émancipation du capitalisme avancé. Aux yeux de
Gadamer, la prétention de la critique de l’idéologie se rattache à l’utopisme. Le but de la réflexion
émancipatrice est la suppression de non-identité provoquée par la communication déformée, et puis
la réflexion vise au rétablissement de l’identité. Cependant, même la langue, qui représente le
véritable en commun et le véritable communicationnel, serait déformée par les intérêts pour la
domination.99 Chez Gadamer l’utopie n’est ni l’esquisse de buts pour l’action, ni le conducteur vers
le moment de l’action. Gadamer définit l’utopie une sorte d’allusion critique à distance. Elle n’est
pas d’abord un projet d’action, mais une critique du présent.100 Quant à Gadamer, l’achèvement du
Bien se réalise par la différente manière que la raison critique. Lorsque l’on se concentre sur le sujet
de l’homme, l’être humain fait un pas décisif vers l’humanisation de l’homme. C’est le moment du
dépassement de la simple conservation de soi, but naturel de tout vivant. Gadamer appelle ce
dépassement « transcendance ».101
Et encore, Gadamer critique Habermas pour la mal-compréhension de la pseudo-communication.
Selon Habermas, l’activité sociale ne se constitue que dans la communication au moyen du langage
ordinaire. Et en même temps, le langage est aussi un médium de la domination et du pouvoir social.
Donc, pour Habermas, l’émancipation se produit lorsque l’on enlève le caractère de l’intérêt pour la
domination au langage. Il désigne à l’intersubjectivité la tâche de retrouver la communication non
déformée. Mais, selon Gadamer, la pseudo-communication est une situation politique. La
domination continue de survivre jusqu’au moment où le système de la domination n’est éliminé. Et
la domination d’un groupe de la société se relève après la concurrence entre les groupes. Les
conflits sociaux ne signifient donc pas une perturbation de la compétence communicative, mais des
divergences d’opinions insurmontables. Alors, Gadamer voit, aussi bien que Habermas, la
différence des intérêts et la diversité des expériences dans des oppositions insurmontables entre des
groupes sociaux ou politiques. Les oppositions contraignantes se révèlent par le dialogue, par
conséquent la réconciliation entre les groupes sociaux n’est réalisable que par le changement du
système de la domination. La communication intersubjective n’est pas la cause de l’état de
l’émancipation, mais l’effet de l’émancipation. Gadamer réaffirme la compétence de
l’herméneutique philosophique ; « en revanche l’herméneutique philosophique me semble toujours
avoir raison quand elle tient que le sens réel de la communication consiste à mettre réciproquement
à l’épreuve les préjugés, et quand elle s’en tient à une telle réciprocité même en face de la
transmission culturelle des textes. »102
Gadamer cherche également la clé de l’accès au Bien dans le langage dans lequel nous
grandissons, nous parlons et nous nous entendons les uns avec les autres, en agissant sur nousmêmes et sur notre monde. Avec la relation interpersonnelle, le langage suscite le dialogue ;
pouvoir parler signifie pouvoir s’élever au-dessus de ses propres limites à travers les frontières des
groupes sociaux, des États, et des régions culturelles. Le dialogue vient de se voir par la perspective
sociale qui lie l’individu à la société. 103 Comme l’indique K. O. Apel, Heidegger et Gadamer
partent par le concept de monde en tant que la « préstructure ». Pour arriver à la compréhension
mutuelle, il faut que l’on dépasse la limite de sa connaissance. La structure précède à toute entente
99
H. G. Gadamer, Langage et vérité, p. 292.
H. G. Gadamer, Langage et vérité, p. 293.
101
H. G. Gadamer, L’héritage de l’Europe, p. 111.
102
Réplique, p. 165.
103
H. G. Gadamer, « La philosophie dans la société moderne » in Herméneutique et philosophie, Paris, Beauchesne,
1999, p. 9.
100
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mutuelle actuelle et elle la rend possible.104 Mais, on peut affirmer que Habermas est sorti de la
préstructure ? Le monde vécu n’est pas une autre sorte de la préstructure ? Et Gadamer ne rate pas
cette contradiction. Gadamer perce à jour le non-sens de la critique de l’idéalisme de
l’herméneutique. Bien que chez Apel, chez Habermas et chez Giegel, la réflexion herméneutique
soit conçue comme une science explicative et idéaliste, l’universalisme idéal, en effet, se trouve
dans le rôle exemplaire que ces auteurs attribuent à la psychanalyse. La psychanalyse dans
l’entretien thérapeutique tente de reconduire le patient à l’état normal. Aussi bien que la
psychanalyse, la théorie de l’agir communicationnelle demande les participants de récupérer l’état
« normal ». Pour Gadamer, la suggestion de Habermas est toujours une certaine anticipation de la
vie droite.105
β. Fusion d’horizons qui remplace la Raison universelle
Gadamer entend le mot critique à la manière différente de Habermas ; « la réflexion qu’effectue
une herméneutique philosophique serait, par exemple, critique, en ce qu’elle dévoile l’objectivisme
naïf ». 106 La critique de Gadamer réfléchit la compréhension de soi en contestant la prétention
philosophique naïve, et en ce sens la réflexion herméneutique est en même temps philosophique.
Par cette définition de la critique, il se défend contre l’accusation, posée par K. O. Apel, de
l’exigence de l’herméneutique. Selon Gadamer c’est précisément la compréhension de soi
objectiviste des sciences compréhensives en face desquelles exige l’application herméneutique. Il
affirme que l’herméneutique philosophique est certainement « normative », car elle vise à remplacer
une mauvaise philosophie par une philosophie meilleure.107 Dans cette réplique, on peut trouver le
concept de préjugé ne finit pas par la simple acceptation de la diversité d’idées pré-jugées ; dans la
fusion d’horizons, les mauvais préjugés sont remplacés par le jugement. Qui juge ? c’est bien
évidemment la raison herméneutique. Gadamer se rattache plus fortement à la raison
transcendantale qui se combine avec le Bien que Habermas.
Bien que Gadamer ne définit pas la fusion d’horizons en tant qu’une sorte du raisonnement, elle
est définie une structure ouverte qui renferme les multiples types de connaissances. Dans la mesure
où l’horizon est une sphère que forment les divers savoirs, il peut englober toutes les expériences de
l’être humain. Donc, on trouve la sagesse gréco-romaine, la raison de l’Aufklärung, et la
méthodologie pratique parmi les horizons. Ce que l’on ne peut pas trouver, c’est la classification
hiérarchique entre les horizons. Différemment au traditionalisme, Gadamer ne donne pas la
supériorité à la sagesse antique et mystique. Encore, face à l’Aufklärung, il ne prend pas
l’Aufklärung pour un dogme absolu. C’est la même raison pour laquelle il s’oppose à la théorie
positiviste qui réduit les affaires humaines aux explications physiques et naturelles en soumettant la
théorie fondamentale à la méthodologie. Gadamer remplace donc le jugement de la raison par le
dialogue entre les diverses connaissances, et il la définit la fusion d’horizons. De même que
Habermas propose la Critique en tant que nouvelle façon de raisonnement, Gadamer définit aussi la
raison comme la perspective. La raison gadamérienne ne se définit pas purement un raisonnement
scientifique, mais elle obtient le caractère pratique. La raison gadamérienne ne se situe pas dans un
certain horizon, mais au moment de la fusion d’horizons. Elle est une perception pratique qui
réfléchir les expériences humaines dans la continuité du temps(tradition) et dans la relation entre les
hommes(traduction). Par conséquent, la raison gadamérienne est raison herméneutique ; et
naturellement elle est réflexive et constitutive.
Or, chacun des interlocuteurs vit à l’intérieur d’un horizon ; donc, l’entente herméneutique se
réalise par la fusion des horizons. Lorsque, dans la dimension horizontale, l’écart linguistique est
écourté, nous surmontons la distance historique dans la dimension verticale :
K. O. Apel, Penser avec Habermas contre Habermas, traduit par Marianne Charrière, Paris, L’éclat, 1990, p.8.
Réplique, p. 162-163.
106
Réplique, p. 150-151.
107
Réplique, p. 157.
104
105
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Nous étions partis de l’idée qu’une situation herméneutique est déterminée par les
préjugés que nous apportons avec nous. En ce sens, ils forment l’horizon d’un présent, car ils
représentent ce au-delà de quoi on n’est plus capable de voir. Mais il s’agit maintenant
d’éviter l’erreur qui consisterait à croire que l’horizon du présent est déterminé et délimité
par un ensemble bien établi d’opinions et d’appréciations, et que l’altérité du passé se
détache sur lui comme sur un fond assuré … Quand la tradition l’emporte, cette fusion ne
cesse pas de se produire. Car l’ancien et le nouveau ne cessent pas de s’y conjoindre pour
s’imposer de manière vivante, sans même se distinguer expressément l’un de l’autre.108
Le principe de Gadamer est la tradition qui comprend l’autorité et le préjugé. La tradition peut
être comprise comme raison accumulée. Car, chez Gadamer, il semble que la raison soit déjà
comprise dans la tradition. Et aussi, je pense que celle-ci est formée par l’expérience du passé qui
n’est rien d’autre que le résultat de l’activité de la raison. Gadamer choisit la tradition en tant que le
résultat de l’activité rationnelle et qu’il voudrait fonder la société sur la tradition qui assure la vérité.
Sans doute, Habermas n’appréciera pas la fusion d’horizons qui intègre la tradition et la raison.
Car c’est un compromis qui accepte toujours la soumission à la raison. C’est notamment le concept
d’autorité qui rend manifeste la négociation entre la liberté et la soumission : on se soumet à ce qui
est raisonnable. Pour Habermas, ce n’est qu’une déculpabilisation de s’asservir au système
dominant. Il explique la fonction de « la violence légitimée » pour démasquer le compromis. Selon
lui, le principe universel et transcendantal produit l’autorité qui suscite l’intériorisation des normes.
Et ensuite, l’intériorisation des normes introduit des préjugés ; ils sont à leur tour les conditions de
possibilité de la connaissance. L’acte de la reconnaissance médiatisée ne contredit pas au préjugé de
la société dans la mesure où les participants sont obsédés par les normes qui ont produit les
préjugés.109
Gadamer répond à Habermas avec la puissance de la réflexion herméneutique ; la tâche de la
réflexion est de rapprocher les participants à la compréhension de la tradition. Par l’herméneutique
des profondeurs, ils peuvent revoir la signification de la tradition. Dans ce processus, Habermas ne
voit qu’une seule face de la reconnaissance. Gadamer explicite que la reconnaissance de la raison
justifie l’autorité existante. Et par là, il n’est pas difficile de supposer que la raison peut nier
l’autorité qui n’est pas raisonnable. La réflexion herméneutique peut au contraire devenir pratique.
Comme le dit Gadamer, la réflexion herméneutique « rend suspecte toute idéologie, en rendant
conscient des préjugés. 110 Pour Gadamer, la pratique et la particularité sont inséparables. Une
chose devient « particulière » lorsque l’herméneutique l’interprète « pratiquement ». Les
expériences du passé deviennent la tradition par la réflexion herméneutique, mais elle examine
chaque expérience en particulier.
Ce qui est important, c’est chacun ne peut pas se trouver le principe indépendant.
L’herméneutique nous conduit à la compréhension ontologique, mais elle ne répond pas à la
question : on peut changer notre société ? En revanche, la critique se fond sur l’observation moins
profonde que l’herméneutique. Celle-là ne peut pas accéder à la réponse ontologique, qui est le
propre sujet de la philosophie, non des sciences sociales. C’est la raison pour laquelle Habermas
peut fonder la théorie de la communication sur la compréhension de l’herméneutique, même si c’est
compréhension mal faite. Pour devenir une théorie des sciences sociales, l’herméneutique a besoin
de la critique. Pour devenir une théorie profonde, la critique a besoin de l’herméneutique.
3. Sens commun : Réponse de Vico au Débat
108
VM, p. 327-328.
Logique, p. 214.
110
Réplique, p. 158-159.
109
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Comparaison de Vico et Kant – la séparation entre monde intelligible et monde
sensible se situent à la frontière du monde naturel(non-intelligible) et monde
humain(intelligible) – verum-factum
Berlin ---Certum et la multiple description
Mais dans cette épaisse nuit de ténèbres qui recouvre l’antiquité première, si éloignée de nous,
apparaît la lumière éternelle, qui ne s’éteint jamais, de cette vérité qui ne peut d’aucune façon être
mise en doute : ce monde civil a certainement été fait par les hommes, et par conséquent on peut,
parce qu’on le doit, trouver ses principes à l’intérieur des modifications de notre propre
esprit[mente] humain. Et quiconque y réfléchit ne peut que s’étonner de voir comment tous les
philosophes ont appliqué leurs efforts les plus sérieux à parvenir à la connaissance du monde
naturel, dont Dieu seul, parce qu’il l’a fait, a la science, et comment ils ont négligé de méditer sur le
monde des nations, ou monde civil, dont les hommes, parce que ce sont les hommes qui l’ont fait,
peuvent acquérir la science. Cette absurdité est venue de la misère, relevée dans les Dignités, de
l’esprit humain, qui, immergé et enseveli dans le corps, est naturellement incliné à sentir les choses
du corps et doit faire un effort trop grand et trop pénible pour se comprendre lui-même, de la même
façon que l’œil corporel qui voit tous les objets extérieurs à lui a besoin du miroir pour se voir luimême.111
Et ils auraient dû commencer par la métaphysique, puisque cette dernière cherche ses preuves
non pas dans le monde extérieur, mais dans les modifications de l’esprit même de celui qui médite,
car, puisque le monde des nations a certainement été fait par leshommes, c’est à l’intérieur de ces
modifications qu’il aurait fallu, comme nous l’avons déjà dit, chercher ses principes ; et la nature
humaine, dans ce qu’elle a de commun avec celle des animaux, a pour propriété de ne pouvoir
connaître les choses que par la voie des sens.112
Les poètes ayant certainement été antérieurs aux historiens vulgaires, la première histoire doit
avoir été l’histoire poétique.113
Que la raison pour laquelle les peuples grecs se disputèrent autant sa patrie et le voulurent
presque tous comme leur citoyen, est que ce sont les peuples grecs eux-mêmes qui furent
Homère.114
Les traditions vulgaires doivent avoir un fond public de vérité, qui leur a donné naissance et leur
a permis de se conserver pendant de longs espaces de temps.115
Ce sera une autre grande tâche de cette Science que de retrouver ce fond de vérité, qui, avec
l’écoulement des années et le changement des langues et des coutumes, nous est parvenu recouvert
de fausseté.116
111
G. Vico, La science nouvelle(1744), traduit par Alain Pons, Paris, Fayard, 2001, § 331.
G. Vico, La science nouvelle(1744), traduit par Alain Pons, Paris, Fayard, 2001, § 374.
113
G. Vico, La science nouvelle(1744), traduit par Alain Pons, Paris, Fayard, 2001, § 813.
114
G. Vico, La science nouvelle(1744), traduit par Alain Pons, Paris, Fayard, 2001, § 875.
115
G. Vico, La science nouvelle(1744), traduit par Alain Pons, Paris, Fayard, 2001, § 149.
116
G. Vico, La science nouvelle(1744), traduit par Alain Pons, Paris, Fayard, 2001, § 150.
112
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Par conséquent, notre Science en vient dans le même temps à décrire une histoire idéale éternelle
que parcourent dans le temps les histoires de toutes les nations dans leur naissance, leur progrès,
leur maturité, leur décadence et leur fin.117
Cette dignité est un grand principe, qui établit que le sens commun du genre humain est le critère
enseigné aux nations par la providence divine pour définir ce qui est certain dans le droit naturel des
gentes ; les nations acquièrent cette certitude en reconnaissant les unités substantielles de ce droit,
sur lesquelles elles s’accordent toutes avec différentes modifications. De là provient le dictionnaire
mental qui permet de donner leurs orgines à toutes les différentes langues articulées, et au moyen
duquel est conçue l’histoire idéale éternelle qui nous donne les histoires dans le temps de toutes les
nations ; nous proposerons plus loin les dignités propres à ce dictionnaire et à cette histoire.118
Le débat – c’est les deux façons de s’opposer au dogme de la prétention de la comprehension
parfaite. Gadamer n’accepte pas la comprehension claire. Habermas propose une autre type de
clairance. Pour Vico, deux dimensions coexistent : cerum pour Gadamer, et Providence pour
Habermas
Comment le principe verum-factum se répand à la sphère des savoirs universels ? Comment
Vico ne tombe pas dans le petit domaine de ce que l’on a fait lui-même. Pour répandre les savoirs, il
faut surpasser la limite de ce que l’on a fait lui-même. ------------réponse :
1. l’homme en tant que la collectivité
2. verum et en même temps, certum(il faut le lier au concept de pratique)
L’homme en tant qu’acteur------------I. Berlin, « Vico and Herder » in Three critics of the
enlightenment, Princeton, Princeton university press, 2000, p. 47-48.
---------Intégrerer les contenus dessous. !!!!!!!!!!!!!!!!
1) Sens commun et les vertus
Comme nous avons vu, la raison transcendantale voit le monde entier par une seule optique de la
morale transcendantale. Mais, elle n’aperçoit pas les diverses expériences de l’homme à cause de sa
rigueur. Et puis, la raison scientiste se fonde sur une hypothèse qu’il n’y a pas de principe. Cette
117
118
G. Vico, La science nouvelle(1744), traduit par Alain Pons, Paris, Fayard, 2001, § 349.
G. Vico, La science nouvelle(1744), traduit par Alain Pons, Paris, Fayard, 2001, § 145.
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hypothèse, cependant, est une prétention imaginative dans la mesure où même la méthode des
sciences de la nature commence par la certaine précompréhension. Alors, Gadamer critique la
raison scientiste en proposant une autre raison tandis que Habermas tente de surpasser la raison
universelle par sa théorie critique. Maintenant, il faut recourir à une synthèse de Vico qui est
oubliée pendant longtemps, et qui comprend le monde par la notion de sens commun.
a. Sens commun en tant que Praxis
α. Des Rites quotidiens à la Conscience spirituelle
Pour trouver la synthèse entre Gadamer et Habermas, il faut introduire Giambattista Vico qui a
proposé une autre forme de principe ; c’est le sens commun. Le sens commun est un jugement sans
aucune réflexion, senti en commun par tout un ordre, par tout un peuple, par toute une nation ou par
le genre humain tout entier. 119 Mais il n’est pas un concept donné a priori. Si la raison
transcendantale nous donne la morale de haut en bas, le sens commun se lève de bas en haut. Il est
organisé par trois coutumes, la religion, le mariage solennel, et l'ensevelissement. Vico trouve les
trois coutumes dans toutes les sociétés humaines ;
Nous observons que toutes les nations, barbares aussi bien que civilisées, quoiqu’ayant été
fondées séparément, éloignées qu’elles étaient les unes des autres par d’immenses distances
d’espace et de temps, gardent les trois coutumes humaines suivantes : toutes ont quelque
religion, toutes contractent des mariages solennels, toutes ensevelissement leurs morts ; et,
chez les nations, si sauvages et grossières soient-elles, aucune action humaine n’est célébrée
avec des cérémonies plus recherchées et des solennités plus sanctifiées que les rites religieux,
les mariages et les sépultures. En effet, en vertu de la dignité selon laquelle « des idées
uniformes, nées chez des peuples inconnus les uns des autres, doivent avoir un fond commun
de vérité », il doit avoir été dicté à toutes les nations que l’humanité a commencé chez elles
toutes avec ces trois choses et que, par conséquent, elles doivent les garder très
religieusement, afin que le monde ne s’ensauvage pas et ne retourne pas à nouveau dans les
forêts.120
Le sens commun n’est pas un concept purement théorique ; il se compose des trois coutumes qui
se trouvent dans la vie quotidienne. Chez Vico, l’humanité commence avec les trois coutumes, non
avec la morale transcendantale. Par conséquent, le sens commun est défini en tant que la base
élémentaire sur laquelle se fonde la civilisation de l’homme.
Ce qui est le plus important, c’est que le concept de sens commun lie la vie quotidienne à la
Providence solennelle. Le sens commun ne demeure pas toujours au niveau quotidien, mais il
s’approche à l’état universel dans lequel il peut expliquer les phénomènes dans le cadre théorique.
Les trois coutumes montrent manifestement que l’être humain se trouve dans la synthèse entre la
conscience spirituelle et les actes empiriques. C’est-à-dire que le sens commun dévoile les visages
fondamentaux de l’être humain par la différente façon de Kant. Celui-ci soumet le monde sensible
au monde intelligible tandis que Vico trouve l’essence de la vérité dans les coutumes de l’homme.
Différemment à Kant, le sens commun n’est pas donné a priori du ciel. Vico l’a trouvé après avoir
observé les habitudes des nations, et à partir des coutumes, il s’approche à la conscience religieuse
de l’homme. Alors, Il accède à la synthèse selon la direction opposée à Kant.
Gadamer distingue aussi la thèse de Vico de la doctrine de l’Aufklärung. Il valorise le concept de
Vico, dont le sens commun est une notion de la vraisemblance, non la vérité. Dans la position de
Vico, Gadamer trouve une différente universalité de celle de Kant. Gadamer trouve que le caractère
119
120
SN, § 142.
SN, § 333.
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obligatoire du commandement est universel ; le commandement est strict parce qu’il exige
l’application de la loi morale à la volonté humaine. C’est un jugement transcendantal qui oblige à
l’homme la morale. Mais différemment à la raison transcendantale, le sensus communis fournit
l’usage logique universel de la faculté de juger qui n’oblige pas le commandement rigide. C’est
parce que le sens commun de Vico ne tire pas son origine de la morale qui est a priori
donnée. Ainsi, Vico propose une universalité concrète, non-universalité abstraite de la raison. Et
Vico la trouve partout où se trouve la communauté humaine : un groupe, un peuple, une nation ou
l’ensemble du genre humain. Vico propose un autre principe que celui de Kant. Différemment à
Vico, Kant présente la doctrine du « sentiment moral ». En se soumettant à la philosophie morale, le
sentiment perd le concept de sensus communis.121
Le concept de Verum-Factum se produit dans le même chemin de la vie quotidienne à la
Providence. La notion de Verum-Factum se fonde sur l’idée que l’on peut comprendre
fondamentalement ce qu’il a fait. 122 Alors, le seul Créateur peut expliquer complètement les
phénomènes de la nature, alors que les êtres humains peut expliquer les expériences dans la société
humaine. Et le mystère insurmontable de la nature conduit les hommes à réfléchir les affaires
humaines en les distinguant du mécanisme naturel. Tandis que Kant s’efforce de trouver le seul
principe qui règne l’univers tout entier, Vico demande de fixer le regard plus concrètement sur les
expériences humaines. En outre, il démontre que les coutumes de la société humaine se dirigent
finalement vers l’entendement de la Providence qui est le principe universel. Ainsi, le concept de
sens commun est déjà une combinaison de deux conceptions ; il renferme les actions réelles et les
consciences spirituelles. Et le sens commun amène Vico à un autre principe de la société qui n’est
pas a priori donné.
β. Sens commun, concept Pratique
Pour valoriser l’herméneutique, Gadamer introduit la conception de la praxis qui contient à la
fois la théorie et la méthode. Gadamer veut reprendre la praxis chez Aristote pour surpasser la
séparation rigide entre la théorie et la méthode, séparation imposée par le positivisme. Il trouve la
notion de la philosophie pratique chez Aristote, notion expressément distinguée de la science
théorique. Il est vrai que la méthode de la recherche demande l’étude objective et raisonnable et que
la logique de la méthodologie est aussi importante que la théorie. Mais la séparation entre la théorie
et la méthode provoque l’hypothèse illusoire de la méthode neutre. Comme nous avons vu dans le
concept de « paradigme » de Kuhn, la méthode et la théorie s’exercent réciproquement les
influences depuis le processus de l’expérimentation. Si on estime la méthode purement neutre, cette
attitude n’est pas une position scientifiquement impartiale, mais la croyance aveugle en
méthodologie. La méthode ne peut pas se dissocier de la théorie, et en revanche, la théorie ne peut
pas s’écarter la méthode non plus. Elles s’accompagnent et s’engage l’un à l’autre. En ce sens, la
philosophie pratique n’attache pas son regard sur la science des règles comme technologies de la
grammaire et de la rhétorique. Elle nous conduit à réfléchir l’essence générale et théorique dans les
expériences techniques et banales. Dans la réflexion, Gadamer voit les « connaissances générales
sur le comportement humain et les formes de son existence politique ».123
Alors, on peut facilement trouver que le sens commun est un concept pratique. Le sens commun
est une notion pratique, car il renferme, comme nous avons vu, à la fois la théorie de la Providence
et la méthode des trois coutumes. D’abord, Gadamer trouve la diversité des perspectives dans la
rhétorique de Vico ; celui-ci présente un concept de copia qui signifie la richesse des points de vue.
Et Gadamer dit que Habermas ne comprend pas la rhétorique, car celui-ci affirme que la rhétorique
a un caractère contraignant qu’on doit abandonner au profit du dialogue rationnel sans contrainte. 124
121
VM, p. 49-50.
G. Vico, De l’antique sagesse de l’Italie, traduit par Jules Michelet, Paris, GF-Flammarion, 1993, p. 71-72.
123
Réplique, p. 149-150.
124
Réplique, p. 171.
122
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Habermas explique le concept de la pratique chez Gadamer. Selon Gadamer, la compréhension
herméneutique conduit au savoir applicable. Et le savoir pratique est un concept d’Aristote.
Gadamer indique trois caractères du savoir pratique ; ce sont la réflexivité, l’intériorité et la
globalité. Le savoir pratique est réflexif parce qu’il est un savoir de soi. Et il est une sagesse
intériorisée qui fixe des impulsions et des passions dans le concept rationnel. Par conséquent, la
sagesse ne demeure pas seulement dans la science académique, mais aussi dans le processus de
socialisation. Ainsi, le savoir pratique est une conception de savoir éthico-politique qui se distingue
à la fois de la science et de la technique. Mais, différemment à Gadamer qui accepte le savoir en
tant que tel, Habermas comprend le savoir pratique comme théorie de l’agir communicationnel. Le
savoir pratique, qui est politico-éthique, envisage directement les fins de l’action. Dans les fins de
l’action, le savoir pratique analyse la forme de vie sociale qui se constitue par l’activité
communicationnelle. Ainsi, le savoir pratique guide les sujets par l’intermédiaire des règles de
l’interaction.125
Le caractère pratique garde le sens commun de se rendre rigide comme la tradition du
conservatisme. Et il le préserve aussi de tomber dans la simple exécution des trois coutumes. Pour
rendre manifeste la pratique du sens commun, Gadamer met en lumière l’aspect politique du sens
commun :
L’universalité dont on crédite le jugement n’est nullement quelque chose d’aussi commun
que Kant le pense. La faculté de juger est comme telle moins une capacité qu’une exigence
qui doit s’imposer à tous. Tous les hommes ont assez de « sens commun » c’est-à-dire de
jugement pour que l’on exige d’eux qu’ils fassent preuve de solidarité, de véritable
solidarité morale et civile, c’est-à-dire de jugement sur ce qui est bien et ce qui ne l’est pas,
de même que de souci de l’« utilité commune ». Voilà ce qui est si important dans la
référence de Vico à la tradition humaniste … face à la « logicisation » du concept de
Gemeinsinn, il lui conserve toute la richesse de contenu de ce qui était vivant en lui dans la
tradition latine du mot(et qui caractérise encore aujourd’hui la latinité). De même la
manière dont Schaftesbury reprend le concept se rattache-t-elle aussi, comme on l’a vu, à la
tradition politique et sociale de l’humanisme. Le sensus communis est un aspect de l’être
civil et moral.126
Le sens commun était considéré comme la faculté de juger les affaires sociales selon le critère
imposé par la société. C’est une compréhension du sens commun à la manière dépolitisée ; par la
dépolitisation du sens commun, il a perdu la signification critique. On peut retracer l’aspect
politique du sens commun dans le mot de « civil et moral ». De même que le sens commun est une
notion qui emploie une autre vision du monde différente de celle de Kant, on peut rencontrer une
suggestion politique de Vico, suggestion différente de la politique morale de Kant. Le sens commun
décrit la politique avec l’observation du changement de la vertu et la formulation de telle vertu dans
le système politique. À la différence de la politique morale qui soumet la politique à la morale, le
sens commun contemple la tension entre la vertu et le système ; chez Vico, la morale abstraite
s’incarne dans la vertu concrète selon la situation, et la politique s’exprime par les événements
sociaux, à l’exemple de guerres, révolutions, etc.
Ici, on rencontre une clé d’imaginer le conseil de Vico sur le débat entre Gadamer et Habermas.
Car, la tension entre la vertu et le corps politique se lie directement à la question de trouver le
principe de la société. De même que nous avons vu, deux auteurs du débat tentent de trouver le
principe de la société. Et pour préciser le principe, ils recherchent la dernière source de la vérité qui
peut garantir la méthode raisonnable et en même temps qui peut guider à l’achèvement du Bien. Il
est évident que le savoir du Bien est différent du savoir du genre de la technè. Cependant, malgré la
différence, le savoir pratique intègre le savoir du Bien et celui de la technique. La philosophie
pratique ne se borne pas dans une situation donnée, mais elle surpasse la limite de la réalité
125
126
Logique, p. 207.
VM, p. 48-49.
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empirique. C’est le processus que l’on peut trouver dans concept de sens commun. Vico décrit la
convergence qui se réalise entre le savoir théorique et l’expérience technique dans les expériences
politiques de Rome sous la forme de dialectique entre la vertu et le corps politique.
b. Sens commun, un concept politique
À l’origine, le sens commun est défini en tant que les coutumes spécifiques : la religion, le
mariage solennel, et l'ensevelissement. Les trois coutumes sont en effet des habitudes partagées par
toutes les communautés humaines. Et Vico trouve les éléments nécessaires à la société humaine
dans l’existence générale de ces coutumes. Les trois coutumes sont des rites de définir la relation
entre l’être humain et Dieu(la religion), entre les êtres humains(le mariage solennel), et entre ce qui
est mort et ce qui est vivant(l’ensevelissement) ; évidemment, toutes les trois coutumes s’exécutent
selon le respect de la Providence. Ainsi, pour Vico, c’est le sens commun par lequel nous pouvons
construire la société. Mais, le sens commun ne fonctionne pas seulement au moment où la nation
s’établit, mais il effectue sa marche dans la condition concrète de la société en tant que praxis.
Alors, Vico représente l’histoire de Rome selon le changement du sens commun.
α. Vertu dans la fondation de la nation
Pour retracer le commencement de la communauté humaine avec le sens commun, il faut
rappeler que le sens commun se lie spontanément au concept du Bien. Vico démontre la validité du
sens commun qui encourage le Bien dans la fondation de la nation. Dans la première phase de
l’établissement de pays, le Bien se concrétise par la vertu de l’héroïsme. Précisément, il explique la
naissance de la société par le fait d'un antagonisme entre les « forts » et les « violents ». Au cours de
l'âge des dieux, on trouve d'un côté, les forts(forti), qui se sont déjà regroupés entre eux dans les
familles ; de l'autre, les violents(violenti) qui sont restés dans l’état non-civilisé et qui harcèlent les
« misérables » (miseri). Les forts sont résolument pieux, ils repoussent les attaques des bêtes
sauvages et arraisonnent les terres pour y planter des graines. Les violents demeurent en revanche
impies, ils ne détiennent pas le savoir du ciel et continuent d'errer. Le viol des terres détermine les
forts à pourchasser les violents et à protéger au contraire les misérables. Les misérables trouvent
paix et sécurité au sein des familles de forts en étant renommés famoli.127 Après l'extension des
familles, les forts établissent la nation comme un type de coalition des familles. Dès lors, Vico
donne aux forts le nom de pères, et aux misérables le nom de plébéiens.
Dans la fondation de la nation, la différence entre les forts et les violents n’est rien d’autre que la
vertu. À la différence de celle des violents, la violence des forts s'appelle l'héroïsme, car elle naît en
réponse aux agressions de ceux qu'ils considèrent comme une multitude impie. L'héroïsme est une
sorte de représentation du sens commun que les forts et les misérables acceptent. Il y a des
inégalités entre eux, mais ce qui importe est que leur famille ne peut pas exister sans l’accord et la
volonté réciproque. Les pères sont un groupe qui gouverne la cité, et leur l’héroïsme dirige
légitimement le sens commun, visiblement les trois coutumes. Il dirige les trois coutumes en évitant
le danger de la décadence. Les forts se distinguent des autres, les violents qui errent hors de la cité
et les misérables qui habitent dans la cité, mais qui ne sont pas les détenteurs de l'héroïsme. Et
depuis le début, la vertu de l’héroïsme maintient la dignité des nobles, qui sont les héritiers des
forts. Tant que la vertu de l’héroïsme tient son importance, les nobles gardent les légitimités de leur
société. Vico n'accepte pas le désir de dominer les autres parce que la naissance de la nation est le
résultat du fait d'être dirigé par l’humanité : « ce n'est donc pas la soif de domination qui fonda les
premiers règnes du monde, mais le sentiment d'humanité qui pousse à protéger les faibles en butte à
la violence ».128 Les famoli s'assujettissent volontairement à l'héroïsme des pères, car les « forts »
127
128
O. Remaud, Les archives de l'humanité, p. 323-324.
G. Vico, Origine de la poésie et du droit, traduit par C. Henri et A. Henry, Paris, Café Clima, 1983, p. 224.
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sont prudents, puisqu'ils font des sacrifices pour comprendre les auspices, et prendre des conseils de
Jupiter ; ils étaient tempérants.129 Cette action, à la fois offensive pour les violents et défensive pour
les misérables, caractérise la définition politique de l'héroïsme.130 C'est la violence qui joue le rôle
fondateur de la nation, mais la question n'est pas la possession de la violence. La question
essentielle est l'exécution correcte de la violence. Les violents qui sont impies ne peuvent pas
proprement contrôler leur violence, et ils ne peuvent pas établir la nation. Les forts ont réussi à
convertir la violence à la vertu.
Après la fondation de la nation, les deux groupes, les pères et les plébéiens, demeurent séparés,
car l'héroïsme n'exige pas l'unification ou l’égalité entre les membres de la société. L'héroïsme rend
solide la distinction entre ceux qui l’ont et ceux qui ne l'ont pas. Bien que Vico décrive la victoire
des forts en valorisant leur vertu de vaincre les violents pour les plébéiens, les pères se situent à la
position du dominateur et les plébéiens demeurent à l’état dominé. En tant que les dominateurs, les
pères prennent la fonction du sacerdoce qui est le plus important dans la cité ; le sacerdoce est une
sorte de divination par l’auspice. Et l’auspice divin fait étendre la mission des pères sur le domaine
du droit, de la science et, par conséquent, de l'administration. D’abord, les pères prennent la
fonction du sacerdoce qui est le plus important dans la cité ; le sacerdoce est une sorte de divination
par auspice. 131 Les plébéiens sont privés de religion tandis que les pères ont acquis l'humanité
depuis longtemps par la mémoire vive de l'éclair et l'usage des trois coutumes. Par contre, et
naturellement, les plébéiens ne peuvent pas avoir les privilèges des citoyens. Pour eux, il ne reste
que les travaux de fournir du travail pour les pères ; les plébéiens doivent se contenter de
l'obéissance et le service au dominateur.132 Ainsi, selon l’explication de Vico, la fondation de Rome
est conçue comme la systématisation de la vertu de l’héroïsme en tant que la légitimité de la
domination.
C’est ici où l’on rencontre le concept de sens commun dans la mesure où l’auspice est la religion
que mentionne Vico. La divination par l’auspice est un acte de chercher l’ordre divin et le résultat
de l’auspice devient la réponse de Dieu à la question de l’homme. Bien évidemment, l’auspice n’est
pas une bonne méthode de décider le problème de la société humaine pour nous qui ne croyons pas
Dieu. Mais, tant qu’une société trouve la légitimité sociale au sein de Dieu, il est raisonnable que
les membres de telle société suivent la divination. Il est nécessaire de comprendre la divination était
aussi un genre de la religion parce qu’elle s’exécute par la croyance de Dieu ou des dieux. Et puis,
la religion des forts organise toute la société par donner le titulaire de la domination aux forts. Le
rite de la religion renferme l’ordre politique même dans le simple problème de choisir les personnes
qui opèrent le rite. En gardant le titre de pratiquer l’auspice, les forts justifient leurs dominations sur
tous les domaines dans la cité ; ils peuvent avoir le mariage solennel et l’ensevelissement standard.
La séparation entre le dominateur et le dominé se rend manifeste par la possession des coutumes,
plus précisément, par l’usage du sens commun. Ainsi, le concept de sens commun apparaît sous
forme du droit politique. Donc, comme le dit Gadamer, le sens commun est un titre à la fois civil et
moral. Car il définit le groupe qui jouit le droit des coutumes, et en même temps, il appartient à un
groupe dominant qui montre leur vertu dans la fondation de la nation.
Vico, cependant, n’arrête pas la description du sens commun jusqu’à la confirmation des droits
privilégiés des pères. La vertu, qui concrétise le principe de la société, s’altère avec le changement
de la société ; l’héroïsme des pères est remplacé par l’égalité des plébéiens. Au moment où le
principe précédant est remplacé par le principe suivant, le sens commun remarque la tension entre le
passé et le présent. Les nouveaux titulaires du sens commun affrontent la résistance des anciens
titulaires ; et le conflit se révèle dans le processus de modifier les affaires sociales. Il est
remarquable que Vico indique l’aspect politique des mythes et des poètes dans ce conflit. Depuis la
fondation de la nation, les mythes ont la charge d'affirmer l'héroïsme des forts. Les mythes ont pour
la tâche l’éducation non-officielle de respecter la vertu des forts pour justifier le droit des privilèges.
129
SN, § 14.
O. Remaud, Ibid, p. 324.
131
SN, § 15.
132
G. Vico, Origine de la poésie et du droit, p. 229.
130
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Vico, donc, assure qu'il faut analyser les mythes pour constater l'histoire et la société antique. C’est
le même cas que les poètes ne gardent pas seulement l'histoire, mais aussi un dogme de la cité : «
après l'avoir prise dans la réalité, ils(les poètes) l'exaltent jusqu'à l'incroyable et y conforment leur
héros. »133
β. Changement de la vertu et l’exécution du sens commun
Vico montre que le changement politique est la transformation de principe de la société.
L’héroïsme, le principe des pères, est remplacé par l’égalité, le principe des plébéiens ; la
transformation s’accomplit par la réinterprétation du Bien et celle de la logique de comprendre le
Bien. Chez Vico, la réinterprétation se révèle par l’attitude de comprendre le sens commun. Et le
nouveau titulaire du sens commun opère la réinterprétation ; on peut la constater dans le
mouvement des plébéiens qui demande l’élargissement du sens commun. Vico explique
concrètement le déroulement du sens commun dans l’histoire de Rome. Ici, il faut bien regarder
l’explication par Vico à propos du déclin des pères et de l’émergence des plèbes. C’est là où Vico
rend le sens commun capable d’intégrer la tradition et le moderne. Grâce au concept du sens
commun, Vico explique l’histoire dans une conjonction de la tradition et le moderne. Dans la
mesure où le sens commun se compose de trois coutumes principales, il transmet le noyau de la
tradition au temps présent. Mais, le possesseur des trois coutumes n’est pas fixe dans l’histoire
humaine. Le sens commun est réinterprété à chaque époque en se liant à l’ordre politique et social.
Avec ces trois groupes, les forts, les violents, et les misérables, Vico décrit la chronologie des
nations comme celle des changements qui répartissent les pouvoirs entre les trois. La question
centrale, pour Vico, ce serait de découvrir l'opération du sens commun dans l'histoire.
Bien que les plébéiens se trouvent sous la condition que les pères détiennent le monopole du sens
commun, les plébéiens acquièrent pas à pas les droits des trois coutumes. Les plébéiens peuvent «
prendre conscience de la vanité de cet héroïsme », et comprendre qu'elle est « d'une nature humaine
égale à celle des nobles. »134 Ils visent l'égalité de droit pour que les plébéiens ne fussent plus
accablés des abus des pères. Et puis la demande de l’égalité minimale se développe jusqu’à la
revendication du droit au mariage solennel. La vertu de l’égalité obtient le mariage solennel qui
signifie la citoyenneté ; les plébéiens parviennent finalement à élargir la civitas. 135 Mais les
plébéiens ne se contentent pas de gagner le même droit que les pères. Il veut soumet l’héroïsme à
l’égalité. Donc, finalement, en passant par la réussite de conquérir les pouvoirs politiques, ils
accèdent les sacerdoces, c’est-à-dire la dernière source de la légitimité de la société romaine. 136 Par
accéder jusqu’aux sacerdoces, les plébéiens obtiennent le titre du sens commun. Et lorsqu’ils
atteignent aux trois coutumes, les interprétations de trois coutumes sont modifiées. L’accès aux trois
coutumes arrive à réinterpréter le système politique, puisque le sens commun et la société humaine
se reflètent réciproquement. Car, l’ordre politique décide comment et par qui le sens commun est «
réinterprété ». Et, en même temps, l’exercice du sens commun admet cet ordre et le renforce dans la
société.
En ce sens, la réinterprétation du sens commun n’est pas seulement une compréhension
anthropologique, mais une décision de l’ordre politique. Au moment de la réinterprétation, ce qui
était normal est examiné par la nouvelle optique. Les gens choisissent une idéologie justifiable aux
yeux du sens commun et la modifient selon leur situation. La société se souvient de l’histoire de
même que l’individu se souvient de la mémoire. On se rappelle le passé dans le contexte du présent.
Par l’optique du présent, l’expérience du passé, c’est-à-dire l’histoire, se rend évoquée, oublie, et
retrouvée. L’héroïsme est la vertu principale des pères et l’égalité est celle des plébéiens. Lorsque la
vertu d'un certain groupe est assez forte pour obtenir l'appréciation d'autres groupes, ce groupe
133
G. Vico, De l'antique sagesse de l'Italie, p. 121.
SN, § 1101.
135
O. Remaud, Ibid, p. 346.
136
G. Vico, Origine de la poésie et du droit, p. 325.
134
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devient le peuple régnant et d'autres groupes forment le peuple sujet. Les pères et les plébéiens
essayent de réaliser leurs idéals selon leurs vertus, l’héroïsme et l’égalité ; de plus, la vertu choisit
aussi la façon d'opérer les trois coutumes. L'héroïsme des pères s'exprime par la férocité, et l'égalité
des plébéiens s'exprime par la généralité. Alors, la vertu, qui incarne le principe de la société,
choisit la forme de la société par définir comment et par qui les trois coutumes sont exécutées.
Donc, s'il y a un changement fondamental dans la cité, il y a aussi une altération de la vertu
principale, et le changement de la vertu sociale conduit à la modification de la manière de
comprendre le principe de la société.
Ainsi, on peut constater l’interaction dialectique entre la tradition et la critique pour redéfinir la
méthode de comprendre et exécuter le principe de la société chez Vico. En outre, la nouvelle
méthode de l’interprétation du principe amène aussi même le changement du principe ; on peut le
voit extérieurement dans le changement de la vertu sociale. Vico montre comment s’unissent la
réinterprétation réflexive de la tradition et l’émancipation provoquée par la critique de l’état actuel.
Les plébéiens mènent leurs vies dans la continuité de la tradition de l’héroïsme. Cependant,
lorsqu’ils considèrent l’état de la soumission injustifiable, ils commencent la critique de la
domination des pères. Avec la critique, ils renoncent à la reconnaissance de l’autorité des pères. En
même temps, ils examinent le préjugé qui leur exige la soumission aux pères. Finalement, la
réinterprétation de la tradition démontre que les pères ne sont plus reconnaissables pour opérer les
trois coutumes. Avec la nouvelle désignation du titulaire du sens commun et enfin avec la
réinterprétation du sens commun, les plébéiens transforment le système politique de la cité. Ici, la
critique de la tradition se combine à la réflexion de la tradition, et vice-versa, la réinterprétation
réflexive du passé renforce la critique de la doctrine existante.
Ce qui est intéressant, c’est l’aspect psychanalytique que l’on voit dans le mouvement des
plébéiens. Cet aspect explicite comment fonctionne la critique de la tradition durant le changement
du principe. La lutte des plébéiens contre les pères s’affronte aux institutions sociales ; de plus, ils
rencontrent aussi les obstacles non-institutionnalisés. Les plébéiens révèrent et craignent trop les
pères qui leur apparaissent comme des « vivantes images de Dieu ». 137 Car, l'image des forts reste
vivante par l’exécution des rites et par les rites, les pères gardent l’image du fondateur puissant et
féroce. Cette image éduquée est un symbole de l'héroïsme qui donne aux pères le droit de tenir les
trois coutumes. Les plébéiens donc attaquent l’image sublime des pères avec les institutions et les
systèmes pour les pères. Et l’assaut contre les pères rappelle le complexe d’Œdipe. Selon S. Freud,
la légende d’Œdipe témoigne de la pulsion de tuer le père. Dans l’observation de l’enfance,
l’homme se détache du complexe d’Œdipe en se soumettant aux tabous et moraux de la société, la
prohibition du parricide et l’inceste.138 Néanmoins, comme le dit Gadamer, l’acte du groupe social
n’est pas identique à celui d’un individu. Il est beaucoup plus facile de tuer les pères de la société
que tuer le père de la famille. Par briser l’image et les privilèges des pères, les plébéiens se rendent
autonome ; ils deviennent adultes à la manière différente de l’individu dans la famille. Il est
intéressant que Vico emploie l’analyse psychanalytique sans réfléchir, et que Habermas souligne
aussi la tâche de la psychanalyse pour l’émancipation du capitalisme avancé. C’est parce que le
changement de la société n’est possible que sous la condition que le nouveau groupe remplace le
groupe dominant. L’archétype d’Œdipe se sert à l’explication du changement politique chez Vico,
et chez Habermas.
§§§§§§§§§2) Providence, Sens commun, et les vertus
Il faut examiner comment se représente le principe du sens commun dans la société. C’est parce
que le sens commun de Vico est capable d’expliquer le changement social avec la relation
137
138
O. Remaud, « Conflits, lois et mémoire » in Revue philosophique, nº 1/1999, p. 53.
S. Freud, Leçons d’introduction à la psychanalyse, traduit par André Bourguignon, Jean-Gilbert Delarbre, etc., Paris,
PUF, 2000, p. 348
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réciproque de la tradition et la critique. Donc, si le principe de Vico se rend manifeste, on peut
préciser à quel point se situe la synthèse entre la raison herméneutique et la raison critique.
Néanmoins, il n’est pas possible de trouver le principe exact, car le principe de la société n’existe
pas sous la forme fixe chez Vico. Il est en effet inutile de percevoir un certain principe inflexible
dans la société qui se change continuellement. Le principe est défini dans le contexte concret de la
société ; ce qui est important pour nous, c’est plutôt de comprendre la fonction du principe par
rapport à la réalité sociale et au projet partagé par les membres de la société. Ici, la nouvelle façon
se révèle pour lire le débat entre Gadamer et Habermas. La synthèse entre deux peut se produire par
la « perspective » de trouver le principe de la société, non par la précision du principe. Pour
comprendre la perspective de Vico, il faut préciser la relation entre la Providence, le sens commun,
et les vertus.
a.
α. L’élévation du Sens commun à la Providence
En fait, Vico ne précise pas la relation entre les trois notions : la Providence, le sens commun, et
les vertus – l’héroïsme et l’égalité. Et il est aussi difficile de désigner le principe parmi ces trois
concepts. Bien évidemment, Vico ne conceptualise pas les trois notions sous la forme du principe.
Mais, il faut rappeler que le principe de la société n’existe pas seulement sous la forme manifeste,
mais aussi sous la forme de la perspective et le sentiment. C’est la même raison pour laquelle
Gadamer et Habermas se concentrent sur le raisonnement lui-même. Pour Gadamer, le
raisonnement s’approche à la réalité sociale avec la fusion d’horizons entre le présent et le passé ;
en revanche, Habermas propose le raisonnement intersubjectif qui construit le monde vécu et qui
réalise la communication non déformée. En ce sens, le principe n’est pas une certaine tradition, ou
un certain dialogue intersubjectif. Il est le processus lui-même par lequel on arrive à la
compréhension du monde et à la réalisation du Bien. Dans la mesure où le principe de la société
signifie le raisonnement et le sentiment commun et dominant de la communauté humaine, Vico
suppose un principe selon lequel s’expliquent les expériences humaines dans l’histoire romaine. Et
le principe de Vico se trouve dans la relation entre la Providence, le sens commun, et les vertus
concrètes.
Il explicite dans l’« Idée de l’œuvre » de la Science nouvelle, que la science nouvelle étudie « la
nature commune des nations à la lumière de la providence divine ».139 Néanmoins, il est difficile de
trouver l’activité de la Providence dans la chronologie de Rome écrite par Vico. Par contre, l’on
trouve souvent la fonction du sens commun dans l’explication des événements politiques. Donc, ici,
ce qui importe, c’est la relation entre la Providence et le sens commun. C’est parce que cette
relation est l’ancienne opposition entre l’Aufklärung et le positivisme : on a vu le conflit sous la
forme du conflit entre la raison transcendantale et la raison scientiste. Et aussi c’est parce que le
débat se révèle au moment où Gadamer et Habermas situent le principe entre deux pôles. La
Providence est un concept universel dont projet est une tentative d’expliquer l’univers entier selon
la volonté de Dieu. D’ailleurs, le sens commun se conceptualise des coutumes quotidiennes : il
commence par l’observation empirique à l’instar de la méthodologie du positivisme. Chez Vico, il
faut remarquer que la distance n’est pas si loin qu’irréconciliable sont les deux pôles : l’universalité
abstraite et la particularité quotidienne. L’approche des deux pôles est conditionnée par la nouvelle
signification que donne Vico au concept du sens commun.
Le sens commun, en tant que praxis, s’élève à la Providence par renfermer l’aspect religieux. Les
trois coutumes du sens commun, la religion, le mariage solennel, et l’ensevelissement se lient
directement à la compréhension de Dieu. Pour les nations chrétiennes, la compréhension de Dieu se
rassemble sous le nom de la Providence. Le sens commun aperçoit le caractère divin dans la vie
139
SN, § 31.
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quotidienne, et en revanche, la tâche de la Providence dans les coutumes humaines. Le sens
commun renferme donc les deux aspects religieux et banal : ou, les aspects universel et particulier.
En conséquence, bien que Vico admette la valeur suprême de la Providence, elle ne peut se réaliser
que par l’exécution du sens commun. La Providence règne l’univers entier comme l’explique la
théologie traditionnelle, mais le sens commun dirige effectivement la vie humaine en tant que la
praxis. La Providence existe, mais il ne s’exerce pas. En revanche, le sens commun exerce son
influence réellement dans la société humaine, mais il ne tente pas remplacer la Providence. C’est
ainsi que, selon Vico, le sens commun « est celui qu'enseigne la providence divine ».140
La relation entre la Providence et le sens commun s’applique à la compréhension des trois
natures de l’être humain. Et par cette compréhension, on trouvera aussi la valeur des vertus,
l’héroïsme et l’égalité :
La première nature, par une puissante illusion de l’imagination, qui est particulièrement
robuste chez ceux qui sont particulièrement faibles de raisonnement, fut une nature poétique
ou créatrice que nous pouvons appeler divine, qui donna aux corps l’être de substances
animées qui étaient des dieux, et cela d’après l’idée qu’elle se formait d’elle-même. Cette
nature fut celle des poètes théologiens, qui furent les plus anciens sages de toutes les nations
païennes, quand toutes les nations païennes étaient fondées sur la croyance qu’avait chacune
en certains dieux qui lui étaient propre … La deuxième fut une nature héroïque, dont les
héros croyaient qu’elle était d’origine divine ; en effet, comme ils croyaient que les dieux
faisaient tout, ils se considéraient comme des fils de Jupiter, du fait qu’ils avaient été
engendrés sous les auspices de Jupiter …La troisième fut une nature humaine, intelligente, et
donc modeste, bienveillante et raisonnable, reconnaissant pour lois la conscience, la raison,
le devoir.141
Dans ce passage, Vico explicite que la première et la deuxième nature sont attachées à la
croyance en Dieu. Dans les savoirs poétiques et créateurs découvre-t-il la nature divine par laquelle
les corps reçoivent les substances. La nature divine est définie comme l’origine de toutes les vérités
ou vérité elle-même ; par conséquent, elle n’a pas besoin d’autre concept de se justifier, mais elle se
forme d’elle-même. La deuxième nature, la nature héroïque, est aussi dépendante de la croyance en
Dieu, dans la mesure où les héros tirent leur légitimité de la sublimité divine. Donc, pour les deux
natures, l’origine de leurs légitimités est la croyance en Dieu. Cependant, la troisième nature ne tire
pas sa légitimité de la foi en Dieu ; c’est la nature humaine. Elle se lie à la compréhension des
coutumes de l’homme. Elle donne la base de former la notion de sens commun.
Alors, les trois espèces de la nature sont en fait regroupées en deux : celle de Dieu et celle de
l’homme. La nature divine se caractérise par l’aspect transcendantal. Par conséquent, elle est juste
et véridique par elle-même ; l’être humain construit la cité humaine selon la nature divine transmise
par l’auspice. Mais l’être humain existe aussi en tant que tel ; il mène la vie autant selon la nature
divine que selon la nature humaine. La nature divine et la nature humaine s’exercent les influences
à la manière réciproque. Dans ce cas, il est important de trouver la relation entre la nature divine et
la nature humaine. Pour fondamentalement comprendre les coutumes humaines, il faut les lier à la
Providence, autrement dit, il faut lier la transcendance et les affaires empiriques ; c’est la tâche du
sens commun. Vico, d’abord, observe les habitudes humaines, et puis il sélectionne les trois
coutumes : la religion, le mariage solennel, et l’ensevelissement. Ils sont tous des rites qui ne sont
pas séparables de la croyance en Dieu, ou dieux. Ainsi, Vico propose le concept de sens commun
pour trouver l’aspect religieux dans les coutumes banales.
Et maintenant, après avoir étudié tout particulièrement dans ce cinquième livre le cours des
choses humaines civiles, réfléchissons aux rapprochements qui ont été faits tout au long de cet
140
141
SN, § 348.
SN, § 916-918.
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ouvrage, sur de nombreux sujets, entre les premiers temps et les derniers temps des nations
anciennes et modernes. On aura, déployée entièrement devant nous, non pas l’histoire particulière
dans le temps des lois et des faits des Romains ou des Grecs, mais, en vertu de l’identité en
substance de leur signification à travers la diversité de leurs modes d’expression, l’histoire idéale
des lois éternelles que suivent dans leur course les faits de toutes les nations, dans leur naissance,
leur progrès, leur maturité, leur décadence et leur fin, et qu’ils suivraient même si (ce qui
certainement faux) de l’éternité naissaient de temps en temps des mondes en nombre infini. C’est
pourquoi nous ne pouvons nous empêcher de donner à notre œuvre le titre qui exite l’envie de
Science nouvelle, parce que c’eût été trop injuste de la priver du droit qu’elle possédait à juste titre
sur un sujet aussi universel que celui qui touche à la nature commune des nations, en vertu de la
propriété que possède toute science parfaite dans son idée et que Sénèque nous explique dans sa
grandiose expression : « Pusilla res hic mundus est, nisi id, quod quaerit, omnis mundus
habeat »(Ce monde est une petite chose, si le monde entier ne peut y trouver ce qu’il cherche)142
β. Vertus, pratiques du Sens Commun
Par la compréhension des trois natures, on trouvera aussi la valeur des vertus, l’héroïsme et
l’égalité. Les vertus se manifestent au cours de l’élévation du sens commun à la Providence. Pour
lier les coutumes banales à la foi en Dieu ou dieux, il faut pratiquer les coutumes par certains
groupes et selon certaines manières. Les coutumes sont pratiquées par le groupe dominant selon la
façon de renforcer la solennité des coutumes et l’autorité du groupe dominant. Pour le début, un
groupe devient le groupe dominant en rendant leur propre vertu dominante ; c’est ce que Habermas
appelle l’idéologie. Dans l’histoire de Rome, Vico trouve l’héroïsme en qualité de vertu des pères
alors qu’il constate l’égalité pour la vertu des plébéiens. Chaque vertu établit la façon d’opérer les
coutumes en confirmant la domination des pères et celle des plébéiens. L’interprétation du sens
commun décide la méthode de lier les coutumes quotidiennes, les expériences de l’homme, à la
transcendance divine. C’est la vertu selon laquelle le groupe dominant pratique les coutumes. Alors,
la vertu est la manière d’interpréter la relation entre le sens commun et la Providence.
En outre, la manière de pratiquer les coutumes, c’est-à-dire l’interprétation du sens commun,
élabore le système de la société. Vico s’intéresse surtout à l’organisation politique parce que le droit
de pratiquer le sens commun signifie la puissance politique ; il définit le mécanisme de la politique
avec la relation entre le commandement du groupe dominant et l'obéissance des groupes dominés
dans les cités.143 Il faut rappeler que, comme nous avons vu, le sens commun est un concept à la
fois civil et moral. Le groupe dominant construit le système de la société avec la légitimité sociale,
par exemple la citoyenneté, et selon l’idéologie pertinente à leur morale. Alors, la légitimité civile et
la vertu morale collaborent à un système politique favorable à l’intérêt du groupe dominant. Dans ce
cas, le rôle de la vertu est indispensable parce que la vertu transforme leur propre intérêt en la
morale de la société entière, de la même manière que la propagande dans la politique contemporaine.
Lorsque la vertu d'un certain groupe est assez forte pour obtenir l'appréciation d'autres groupes, ce
groupe devient le peuple régnant et d'autres groupes forment le peuple sujet. Avec la vertu acceptée
par les groupes dominés, le groupe dominant consolide sa domination sur les autres membres de la
société. Les membres dominés, à l’inverse, se soumettent au groupe souverain qui garde la vertu de
la société.
L’héroïsme organise le système politique des pères manifestement sous la forme de
l’aristocratie ; la forme aristocratique est décidée au cours de la formation de la nation. Les pères
établissent la nation comme un type de coalition des familles. Les pères sont tous égaux, parce
qu’ils conservent toujours la violence de vaincre les étrangers même après l’établissement de la
142
143
G. Vico, La science nouvelle(1744), traduit par Alain Pons, Paris, Fayard, 2001, § 1096.
SN, § 629.
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nation. Le résultat de l’extension de la famille, dans ces conditions, est l'aristocratie. Ici, il faut
indiquer que la violence des pères joue le rôle fondateur de la nation. Mais la question n'est pas
seulement la possession de la violence ; le point décisif est le contrôle de la violence. L’héroïsme
interdit l’abus de la violence, mais encourage la violence vers l’extérieur ; la violence se convertit à
la vertu selon le guide de l’héroïsme. Alors, la violence réside à la base de l’héroïsme. Les pères,
cependant, ne l’exercent pas par la manière directement visible dans la cité, mais ils l’insèrent sous
la forme de l’image dans les mythes, les poésies, etc. La vertu forme des mémoires avec les mythes,
les rites, etc. ; ces mémoires stabilisent la société et conservent l'ordre de la cité. Par les mémoires
formées par l’héroïsme, les pères prennent la suprématie de la cité en opérant les coutumes
religieuses à titre des représentants vis-à-vis de Dieu. À titre du groupe souverain, les pères ont le
droit des trois coutumes qui signifie la citoyenneté. La traduction de l’auspice(la religion), le droit
de former une famille légitime d’hériter les biens aux fils(le mariage solennel), la mort
religieusement reconnue(l’ensevelissement) sont entièrement permis aux pères.
La deuxième vertu de l’histoire romaine, l’égalité, s’attache aussi indissolublement à la
possession du sens commun. Car les plébéiens se révoltent contre les pères pour obtenir la
possession des trois coutumes, le sens commun. Vico explique le mouvement des plébéiens avec le
développement de l’humanité qui prend conscience de la vanité de cet héroïsme. Dès lors, les
plébéiens comprennent qu'ils sont égaux aux pères.144 Ils commencent de revendiquer le même droit
d’accès au sens commun. Ils ne sont plus faibles parce qu’ils deviennent nombreux, et ils font peur
aux pères qui sont peu nombreux. Cependant, dans le chemin vers le sens commun, les plébéiens
rencontrent la violence institutionnalisée sur laquelle se fonde l’autorité des pères. C’est la loi que
choisissent les plébéiens pour le moyen de contrecarrer la violence des pères. Et le processus de
modifier les lois pour l’intérêt des plébéiens est aussi violent, car l’amendement des lois se produit
par le conflit entre les pères et les plébéiens. Et, quand ils commencent à édicter des lois sans
l'autorité des sénats, les républiques aristocratiques se transforment en républiques populaires.145
Lorsque les plébéiens atteignent aux trois coutumes grâce à l'égalité, les interprétations de trois
coutumes sont modifiées. Le désir des plébéiens naît d'une modification globale du régime.
b.
Pourquoi il faut référer à la pensée de Vico ?
2) Vico, Tradition de l’herméneutique et la critique
a. Vico de l’herméneutique
144
145
SN, § 1101.
SN, § 1006.
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b. Vico de la critique
3) Principe en tant que perspective
a. Perspective qui englobe la Topique et la Critique
α. Transformation du conflit entre l’ancien et le moderne en celui de la discipline et
la réflexion
Boudihhisme -------Sun et Kyo
b. Principe vivant
Par rapport à la compréhension herméneutique de la tradition, l’éducation, c’est-à-dire la
transmission du principe, est un sujet important. La société maintient son principe par l’éducation
des enfants. Comme l’indique Gadamer, l’éducation introduit les nouveaux membres dans la société
existante. Quant à Vico, le principe est le sens commun en tant que l’optique du raisonnement qui
renferme les procédures habituelles et la conscience spirituelle. Alors, il suppose que l’éducation
englobe aussi à la fois les observations empiriques de la société humaine et les réalisations de la
Providence. Cependant, il n’est pas facile de fournir les deux connaissances en même temps, car
l’observation produite par le nouveau raisonnement s’oppose souvent à l’instruction traditionnelle,
et celle-là élimine, à cause du doute de celle-ci, les connaissances non systématisées, c’est-à-dire le
vraisemblable. C’était la situation où se trouve Vico : entre la topique antique et la critique
moderne. Pour libérer la topique et la critique de l’opposition, et pour jeter un pont entre elles, Vico
montre que la connaissance véridique n’est atteinte qu’à la condition que les deux positions
s’entraident.
Donc, différemment au préjugé que Vico est un traditionaliste qui s’oppose à la modernité
entière, il a revalorisé la connaissance non formulée dans les arts poétiques et en même temps, a
accepté le nouveau raisonnement capable d’expliquer les affaires humaines par l’exactitude de la
raison :
C’est pourquoi les deux méthodes de raisonnement sont défectueuses, celle des adeptes de
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la topique, parce qu’ils acceptent souvent le faux, celle des adeptes de la topique, parce qu’ils
acceptent souvent le faux, celle des adeptes de la critique, parce qu’ils refusent d’accueillir
aussi le vraisemblable. Pour éviter l’un et l’autre défauts, je serais donc d’avis d’enseigner
aux jeunes gens tous les arts et les sciences en formant leur jugement de façon complète, afin
que la topique enrichisse leur répertoire de lieux communs et que, tout en même temps, ils se
fortifient, grâce au sens commun, dans la prudence et l’éloquence, et s’affermissent, grâce à
l’imagination et à la mémoire, dans les arts qui reposent sur ces facultés de l’esprit. Qu’ils
apprennent ensuite la critique, et qu’ils jugent alors, sur nouveaux frais et avec leur propre
jugement, les choses qu’on leur a apprises, et s’exercent à raisonner sur elles en soutenant les
deux thèses opposées.146
Comme le dit Habermas, Vico a consacré son ouvrage de la Scienza Nuova, pour « la
réconciliation des études classiques et modernes ». 147 Par la comparaison entre l’antiquité et le
moderne, on peut concevoir les avantages et les inconvénients de l’un et de l’autre. Et les avantages
et les inconvénients nous rendent capables de trouver la balance égale entre nous et les anciens.
C’est pourquoi il admire la poésie d’Homère ; et pourquoi il s’accorde à la thèse de F. Bacon en
réfutant celle de R. Descartes. Il est remarquable que Vico oppose le vrai et le vraisemblable.
Autant que la critique soit une tentative pour le vrai, la rhétorique se concentre plutôt sur le
vraisemblable. Dans la mesure où le vrai est un, et où le vraisemblable est multiple, il nous rappelle
de la multiple description de Gadamer. L’image de la tradition n’est pas la doctrine autoritaire. La
tradition reconnait par Vico n’est pas le dogme de la Providence, car la Providence n’exerce pas
dans la vie quotidienne. La tradition est les résultats des actes du sens commun ; elle est l’ensemble
des coutumes qui sont pratiquées selon la direction du sens commun. En conséquence, la tradition
est caractérisée par l’aspect de la diversité. Sous la condition de la diversité, la frontière importante
ne se situe pas à la séparation entre les savoirs académiques et les connaissances artistiques, mais
elle se trouve au moment du jugement qui décide ce qui est reconnaissable et ce qui ne l’est pas
parmi les vraisemblables. Selon Vico, c’est la critique moderne avec laquelle on examine les
vraisemblables et trouve la science nouvelle qui est à la fois vrai et vraisemblable.
Dans cette interaction entre la tradition et le moderne, on voit la « fusion d’horizons » qui
discerne ce qui est reconnaissable de ce qui ne l’est pas. Alors, Vico offre l’archétype de la « fusion
d’horizons ». L’exemple de la fusion d’horizons donnée par Vico, c’est la revalorisation des poètes
antiques, notamment Homère. Il explicite que les poètes, comme Homère, recherchent aussi le vrai
non moins que les philosophes. Le poète, à l’instar du philosophe enseigne les devoirs en décrivant
les mœurs des hommes, et tous les deux, « l’un et l’autre incitent à la vertu et détournent des
vices. » Il pense que les anciens poètes étaient des physiciens, car ils ont expliqué les causes
naturelles des choses mêmes s’ils ont choisi la manière différente des physiciens modernes.148 Tout
comme Gadamer, Vico met ainsi en valeur les sagesses non formulées.
Habermas entend aussi le concept de vraisemblable comme la probabilité. Selon lui, Vico oppose
la science à l’intelligence pratique : tandis que la science vise des « vérités éternelles »,
l’intelligence pratique ne s’occupe que du « probable », c’est-à-dire le vraisemblable. Malgré le
manque d’exactitude précisée, la probabilité atteint dans la pratique une grande certitude. Vico
donne pour exemple la rhétorique qui utilise de façon convaincante le pouvoir de la phronesis et les
arguments topiques. 149 Ainsi, Vico évite le dogmatisme de la sagesse antique et mystique en
formulant le différent type de connaissance : le vraisemblable. En outre, le vraisemblable institue la
dualité de la vérité avec le vrai. Cette dualité de la vérité provient de la coexistence de la Providence
et le sens commun ; les deux notions tirent les origines des différentes sources –la Providence
ordonnée par Dieu, et le sens commun pratiqué par les hommes. Néanmoins, la Providence et le
146
G. Vico, « La méthode des études de notre temps » in Vie de Giambattista Vico écrite par lui-même, traduit par
Alain Pons, Paris, Grasset et Fasquelle, 1981, p. 229.
147
J. Habermas, Théorie et pratique, p. 78.
148
G. Vico, Ibid, p. 246-247.
149
J. Habermas, Ibid, p. 77.
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sens commun ne sont pas inconciliables, mais ils se lient à la manière réciproque.
La liaison se réalise par la pratique des trois coutumes qui reflètent la croyance divine ; la
synthèse de la Providence et le sens commun se produit au cours de la pratique des coutumes
banales. Le jugement de la tradition est aussi porté par la critique au milieu de la fusion des
vraisemblables. La critique moderne reconnait ce qui est toujours valable parmi les traditions. Alors,
pour Vico, la tradition n’est pas une structure fermée, mais la sphère des vraisemblables ; la critique
récolte seulement les vraisemblables reconnaissables. Les connaissances véridiques se manifestent
dans le courant du jugement pratique qui lie la tradition et la critique. Et la tradition n’indique pas
seulement les coutumes concrètes, mais en essence, la vision du monde créée par la sagesse
antique ; également, la critique de Vico n’est pas étroitement la méthode de l’Aufklärung, mais le
raisonnement réflexif qui est ouvert à tous les genres du savoir. En ce sens, la tradition et la critique
de Vico contiennent le prototype de la raison herméneutique et la raison critique. De plus, il montre
que la seule praxis peut réconcilier les deux principes.
Conclusion
Le débat entre Gadamer et Habermas a apparu lorsque l’herméneutique est introduite à la sphère
des sciences sociales en tant que la dimension de la recherche. Par l’optique herméneutique,
Gadamer soutenait que la compréhension a son origine dans des contextes non scientifiques. Il a
trouvé la valeur inépuisable de la tradition dans la vie quotidienne, l’histoire, l’art et la littérature,
etc. L’herméneutique gadamérienne a pour tâche d’élucider des processus de compréhension
ordinaire qui était sous-estimée par rapport à la compréhension systématiquement et académique.
Alors, l’herméneutique philosophique proposée par Gadamer, n’était pas une doctrine de la théorie,
mais une perspective ou le paradigme de la recherche au sein des sciences sociales. Face au
élargissement de l’herméneutique, Habermas a critiqué l’herméneutique gadamérienne et il l’a
limitée à une simple technique pour comprendre les expériences du passé. Par conséquent, il n’était
pas d’accord avec Gadamer sur la valeur de la tradition soutenue par la nouvelle définition de
l’autorité et du préjugé. Car, à la différence de Gadamer qui voyait la reconnaissance dans la
tradition, Habermas a dévoilé les intérêts qui s’opposent et qui empêchent la communication nondéformée. Jusqu’à ici, le débat avait l’air du conflit entre la tradition et le moderne ; c’est ce que fait
Ricœur dans la formulation dichotomique du débat, qui oppose notamment le concept d’horizon de
Gadamer à celui d’intérêt de Habermas.
Les deux points communs des deux auteurs donnent cependant une clé de comprendre le débat à
la manière différente. C’est, tout d’abord, la critique de l’Aufklärung. Pour Gadamer, l’Aufklärung
impose une limite à la raison ; avec cette limite, l’Aufklärung élimine la valeur de la sagesse antique
et mystique. La critique par Gadamer est conduite par les essais de trouver l’essence de l’homme
dans les grandes sagesses de la tradition. La raison de l’Aufklärung n’est pas un possesseur exclusif
de la raison entière. Gadamer rencontre d’autres formes de connaissance véritable en dehors de la
science. D’ailleurs, Habermas trouve le problème de l’Aufklärung dans l’idéalisme qui présuppose
le modèle idéal avant les perceptions des affaires réelles. L’idée que la règle existe a priori enlève à
l’être humain la liberté de réfléchir le monde avec son propre raisonnement.
Le deuxième point commun est la critique du positivisme. Le positivisme se définit par la
méthodologie empirique : il se fonde sur l’hypothèse que la méthode des sciences de la nature peut
aussi se servir à expliquer les phénomènes de la société humaine, et que l’observation juste soit
possible et capable d’expliquer la société humaine. C’est ces prétentions elles-mêmes que Gadamer
met en question. Il affirme que la science séduite jusqu’à l’aveuglement ne peut pas comprendre la
dispute sur les fins véritables de la société humaine ou l’interrogation sur l’être humain. Il semble
que le positivisme soit une tentative d’échapper à l’effort pour achever le Bien par exclusivement
souligner le processus et la neutralité de l’observation. D’autre part, Habermas se concentre sur la
séparation entre la connaissance et la méthodologie dans l’influence de l’analyse empiriste du
langage.
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Pour contrecarrer ces deux positions, Gadamer et Habermas font attention au concept de la
pratique. Cependant, les propositions de la pratique ne se limitent pas seulement à la façon d’éviter
les dogmatismes de l’Aufklärung et le positivisme. Chez Gadamer et Habermas, les concepts de la
pratique renferment principalement les présuppositions de deux auteurs pour trouver les nouveaux
principes différents de la raison transcendantale de l’Aufklärung et la raison scientiste incarnée dans
le positivisme. Lorsque le débat est compris comme recherche de trouver l’autre principe, il n’est
plus le conflit entre la tradition et le moderne. C’est un discours entre deux raisons : raison
herméneutique et raison critique. D’un côté, Gadamer propose la raison herméneutique qui
renferme la tradition de la raison moderne et celle de la sagesse antique ; il combine deux manières
du raisonnement par la fusion d’horizons. Donc, Gadamer présente une synthèse de la réalisation du
Bien et la légitimité du processus en remplaçant le jugement de la raison de l’Aufklärung par la
diversité corrigée par la fusion d’horizons. De l’autre, Habermas propose un nouveau type de la
raison en reprochant le modèle idéal qui se trouve préalablement et qui donne la source de la vérité
et le jugement du Bien. Sa thèse se manifeste sous la forme complète dans Théorie de l’agir
communicationnel où il propose le monde vécu composé par l’entendement intersubjectif.
Donc, le débat se concentre sur la possibilité de fonder le nouveau principe hors de la raison
transcendantale et de la raison scientiste. Et ici, on trouve que la position de Gadamer et celle de
Habermas doivent se définir à la manière différente des regards précédents. Gadamer est toujours
fidèle à la raison et il tente de la renforcer par répandre le domaine de la raison jusqu’à la sagesse
mystique qui était auparavant exclue par l’Aufklärung. Il n’est pas du tout traditionaliste qui situe la
tradition habituelle sur la raison réformatrice, mais il soutient la raison réflexive qui accepte la
valeur de la tradition. Par contre, Habermas n’accepte pas la prétention à l’universalité qui réside au
noyau de la raison ; il veut prouver la possibilité de sortir de l’universalité préalablement définie par
la communication intersubjective. Donc, il propose le monde vécu pour donner le nouveau
fondement de la vérité, monde vécu composé par les diverses communications des participants de la
société. En conséquence, le raisonnement de Habermas n’est pas la raison, mais la critique qui crée
un fondement tout à fait nouveau. En ce sens, Habermas se considère plus loin de la raison que
Gadamer. D’ailleurs, ce qui est intéressant, c’est le fait qu’il n’y a pas la différence claire entre le
concept de monde vécu et celle de la fusion d’horizons ; bien que le monde vécu soit construit par
les multiples dialogues intersubjectifs entre les participants, le monde vécu existe en tant que
système préalable pour les nouveaux membres de la société de même que les horizons existent
avant que les hommes les aperçoivent. Il semble que, de toute façon, le projet de Habermas retourne
au système universel, malgré son accentuation de la pluralité. Alors, le critique de Habermas n’est
pas seulement critique, mais raison critique.
La confrontation des deux principes rend plus difficile de trouver la synthèse entre deux auteurs
que confrontation entre la tradition et le moderne. Et cette difficulté nécessite d’introduire le
concept de sens commun de Vico. Car, le sens commun éclaire le point synthétique entre la raison
transcendance et la raison scientiste. Ces deux principes se fondent sur la dualité entre le Bien et le
processus. Comme l’indiquent Gadamer et Habermas, il faut recourir à la notion de la praxis pour
les lier à la manière réciproque. Le concept de sens commun que propose Vico est un modèle de la
pratique. Le sens commun se compose de trois coutumes que trouve Vico dans les nations : la
religion, le mariage solennel, et l’ensevelissement. Ce qui compte dans ces trois coutumes, c’est
l’aspect divin. C’est-à-dire que Vico découvrit les caractères divins dans les coutumes habituelles,
et à partir de là, il retrace l’influence de la Providence sur la vie humaine. D’abord, il explique la
fondation de la nation par l’héroïsme, la vertu des forts qui représente la providence dans
l’exécution du sens commun. Et puis, Vico analyse le changement politique par le mouvement des
plébéiens dirigé selon la guide de l’égalité. Dans chaque phase, le groupe dominant interprète la
Providence selon sa propre manière de pratiquer le sens commun. Ainsi, pour expliquer l’histoire
romaine ; avec le sens commun, il constate l’interaction entre l’exigence du Bien et les institutions
existantes soutenue par la légitimité systématisée de la cité.
Ce que montre Vico, c’est la tentative de trouver la transcendance dans les actions de l’homme,
non l’application de la Providence aux coutumes humaines. C’est une façon de lier la transcendance
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et la réalité empirique. En ce sens, le concept de sens commun est la pratique et en même temps la
perspective ; la perspective peut présenter le principe changeable en évitant de tomber dans la
prétention à l’universalité et aussi dans l’empirisme positiviste. Lorsque l’on définit le principe
changeable la perspective de lier la transcendance et les réels empiriques, se produit la synthèse
entre la raison herméneutique et la raison critique. Et le principe en tant que perspective met en
valeur le vraisemblable à l’instar du vrai. Tant que le principe ne se définit pas selon une seule
vérité de la société, les diverses valeurs coexistent dans le chemin vers la réalisation du Bien qui est,
selon Vico, la réalisation de l’humanité.
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Bibliograhie
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De l'antique sagesse de l'Italie, traduit par J. Michelet(1835), présentée et annotée par
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Origine de la poésie et du droit, traduit par C. Henri et A. Henri, Paris, Café Clima, 1983.
2. Livres et Articles
AGUIRRE ORAA J. M., Raison critique ou raison herméneutique?, Paris, Cerf et Eset, 1998.
RICŒUR P.
Du texte à l’action, Paris, Seuil, 1986.
Le conflit des interprétations : essais d’herméneutique, Paris, Seuil, 1969.
Lecture 3 : Aux frontières de la philosophie, Paris, Seuil, 1994.
KANT E.
« La critique de la raison pure » in Œuvres philosophiques I, traduit par J.-L. Delamarre et
F. Marty, Paris, Gallimard, 1980.
« Histoire générale de la nature et théorie du ciel » in Œuvres philosophiques I, traduit par
François Marty, Paris, Gallimard, 1980.
« Critique de la raison pratique » in Œuvres philosophiques II, traduit par L. Ferry et
H. Wismann, Paris, Gallimard, 1985.
« Fondements de la métaphysique des mœurs » in Œuvres philosophiques II, traduit par V.
Delbos, Paris, Gallimard, 1985.
« Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique » in Œuvres philosophiques II,
traduit par L. Ferry, Paris, Gallimard, 1985.
« Réponse à la question : qu’est-ce que les lumières » in Œuvres philosophiques II, traduit par H.
Wismann, Paris, Gallimard, 1985.
« Projet de paix perpétuelle » in Œuvres philosophiques Ⅲ, Paris, Gallimard, 1986.
HEIDEGGER M., De l’essence de la liberté humaine, traduit par E. Martineau, Paris, Gallimard,
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PHILONENKO A., La théorie kantienne de l’histoire, Paris, J. Vrin, 1986.
L’œuvre de Kant I, II, Paris, J. Vrin, 1969.
FŒSSEL M., Kant et l’équivoque du monde, Paris, CNRS, 2008.
ARENDT H., Le concept d’amour chez Augustin, traduit par A-S. Astrup, Paris, Payot&Rivages,
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KUHN T. S., La structure des révolutions scientifiques, traduit par Laure Meyer, Paris,
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1983.
APEL K. O., Penser avec Habermas contre Habermas, traduit par Marianne Charrière, Paris,
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ARISTOTE, Topiques, traduit par Jacques Brunschwig, Paris, Les belles lettres, 1967.
REMAUD O.
Les archives de l'humanité : essai sur la philosophie de Vico, Paris, Seuil, 2004.
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