Trace d`apprentissage: Réflexion sur la visite d`un laboratoire

Trace d'apprentissage: Réflexion sur la visite d'un
laboratoire pharmaceutique et applications en pratique
courante.
Auteur: Camille URBEJTEL, 3e semestre
Tuteur: Michel NOUGAIREDE
Date: 11/05/2010
Compétences illustrées:
Compétence 7- Prendre des décisions fondées sur les données actuelles de la science adaptées aux
besoins et au contexte
Compétence 9- Se préparer à l'exercice professionnel
1_VISITE DE LABORATOIRE: UN EXEMPLE CONCRET
Visite du laboratoire Schering-Plough au cabinet: Présentation de l'ézetimibe (EZETROL°).
Un sympathique représentant introduit sa visite par l'importance du contrôle du LDL cholestérol et
du respect des objectifs dans le cadre de la maladie cardiovasculaire. Pour cela, l'ezetimibe permet
une diminution de l'absorption intestinale du cholestérol, contrairement à une statine qui rappelons
le inhibe sa synthèse hépatique.
Ce que défend le laboratoire, c'est que malgré la prise d'une statine, les objectifs de réduction du
LDL ne sont pas atteints la plupart des cas.
Les études montrent une réduction d'environ 18% du cholestérol total et 13% du cholestérol LDL
versus placebo, et une réduction significative du cholestérol total en association avec une statine.
Le laboratoire vend un profil de tolérance plutôt bon. La prise se fait par un comprimé de 10mg par
jour.
Nous en restons là dessus après une petite discussion sur l'importance relative du régime avant de
prescrire un hypocholestérolémiant.
Subjectivement, ce discours laissait à penser que ce médicament était sans discussion une bonne
alternative et une bonne solution pour régler une hypercholestérolémie. De plus, le représentant
avec son écharpe jaune fluo hypnotisante paraissait bien sympathique, surtout le matin au « réveil ».
En pratique, quelques vérifications s'imposent.
Nous avons fait un petit tour des caractéristiques du produit.
Quelles sont les indications au juste?
Traitement adjuvant au régime dans le cadre:
d'une hypercholestérolémie primaire ou une dyslipidémie mixte lorsque ces patients ne sont
pas controlés par une statine seule, en association à une statine OU
Intolérance aux statines dans ce cas on pourra recourir à une monotherapie.
Service médical rendu (ASMR) jugée important par le rôle nocif de l'hypercholestérolémie sur les
accidents cardiovasculaires.
MAIS: aucune étude n'a fait le lien entre la prise de ce médicament et la réduction effective des
accidents cardiovasculaires++
Quels sont les effets indésirables de ce médicament?(le profil de tolérance est-il si bon?)
Les études de tolérance ont en fait été faites sur 8 à 14 semaines ce qui limite l'interprétation des
résultats. Il a été rapporté comme pour les statines des cas de rhabdomyolyse, majorées dans le
cadre d'une association statine+ezetimibe.
Quel est le cout journalier de ce médicament?
42 euros la boite.
Pour indication:
ELISOR (pravastatine) 9 euros la boite (médicament génériqué)
ZOCOR: SIMVASTATINE génériquée 16 à 24 euros la boite (statine de référence)
Que retenir de ce médicament après recueil des informations?
Ce médicament semble donc utile dans le cadre des recommandations ci dessus sur la diminution du
cholestérol total et LDL, mais aucune étude clinique ne montre l'effet sur la diminution des
accidents cardiovasculaires. L'AMM date de 2004, probablement que d'autres études auront lieu
dans ce but.
On comprendra la conclusion HAS: « Il n’y a donc pas lieu de prescrire Ezetrol® avant d’avoir
éprouvé l’efficacité et la tolérance d’une statine en monothérapie, si besoin à la plus forte dose
autorisée. On préférera les statines ayant prouvé leur efficacité sur la morbimortalité
cardiovasculaire, en ayant recours parmi elles, si nécessaire, aux molécules les plus puissantes sur
la baisse du LDL-C. »
Comment traite-t-on l'hypercholestérolémie en pratique clinique?
Pour rappel, les objectifs ciblés du taux de LDL dépend des facteurs de risque cliniques:
2,2 si aucun
<1,9 si 1 FDR
<1,6 si 2 FDR
<1,3 si 3 ou plus
La catégorie dite à « haut risque » nécessite un contrôle de LDL<1 g/L(accident avéré)
La découverte d'une hypercholestérolémie suscite un traitement d'épreuve par régime seul réévalué
à 3 mois, tout en traitant les autres facteurs de risque cardiovasculaires.
Puis, si ca ne suffit pas, on prescrit une statine à dose minimale, puis augmentation progressive si
insuffisant.
Un traitement à tout prix?
J'ai du chercher les indications précises du médicament sur le site de l'HAS, le laboratoire me le
présentait comme médicament unique, sans parler de l'association à une statine (qui est pourtant le
cas le plus fréquent).
Le représentant affirmait la nécessite absolue d'un contrôle du taux de LDL cholestérol. (il était
mince, jeune et probablement sportif)
Tout cela représente des associations présumées entre la biologie et la clinique. Le contrôle de
l'hypercholestérolémie est reconnu certes, mais qu'en est-il de l'adéquation au régime? Faut-il
élargir notre panoplie thérapeutique alors que l'on sait que les patients ne sont pas compliants pour
la plupart aux règles hygiénodiététiques? L'ajout d'un médicament apparaît davantage comme une
solution permettant l'abandon de ces mesures restrictives que sont les régimes hypolipémiants,
associés au sport et tant qu'à faire à l'arrêt du tabac.
L'éducation du patient prend du temps et de l'énergie, l'évaluation des pratiques professionnelles
demande du temps et de l'argent sans bénéfice pharmaceutique immédiat.
L'Assurance maladie a décrit en 2004 une augmentation des traitement hypolipémiants pour les
patients présentant un risque cardiovasculaire faible:
« L'analyse des pratiques d'instauration des médicaments hypolipémiants a montré un
élargissement très important de l'utilisation de ces produits, bien au-delà des recommandations des
agences. La population traitée présentait un niveau de risque cardiovasculaire faible, alors même
que l'efficacité des hypolipémiants repose sur des études dans des populations à haut risque
cardiovasculaire »
En conclusion: Toujours prendre le temps pour l'explication des bénéfices et des risques d'un
traitement pour le patient, et mettre l'accent sur l'éducation pour un contrôle de facteurs de risques
optimaux. Utiliser à bon escient les nouvelles molécules mais toujours dans leur indication
respective.
II- DE L'UTILITE DISCUTEE DE LA VISITE MEDICALE
Comment les médecins actualisent-ils leur connaissance de nos jours? Quelle place attribuent-
ils à la visite médicale?
3 à 5% des médecins ont décidé de ne pas recevoir de visiteurs médicaux. D'un extrême à l'autre,
30% des médecins reçoivent au minimum 7 visiteurs médicaux par semaine.
L'IGAS détermine 4 profils de prescripteurs:
19% de médecins « pro visite pro médicament » qui sont les plus gros prescripteurs.
51% de profils dits « moyens » (écoute simple)
18% d' »autonomistes critiques »: informations sur internet et logiciels indépendants.
12% de « petits prescripteurs » (anti-médicament quoiqu'il arrive)
Des sources -voulues- neutres d'informations existent: HAS et AFFSAPS.
Il existe des revues totalement indépendantes comme la revue Prescrire.
Visiteur Médical: En quoi consiste la profession?
Il s'agit d'une profession vieille de 100 ans, créée initialement pour présenter les produits de
multiples petites entreprises pharmaceutiques à l'époque ou les grands groupes n 'existaient pas.
A partir de la création d'une Sécurité Sociale collective, les groupes ont fusionné, la santé est
devenue un besoin de masse et la prescription est vite devenue une demande, et par cela un enjeu
commercial.
Aujourd'hui, 15000 personnes exercent ce métier en France pour 350 groupes pharmaceutiques.
Jusqu'en 1988 ils étaient embauchés sans formation particulière, puis en 1993 est devenue
obligatoire une formation de 500 heures homologuée par l'Éducation Nationale (2 ans post BAC, en
université ou école privée).
Leur rôle officiel est d' assurer « l'information médicale auprès des professionnels de santé pour
développer les ventes des produits et promouvoir l'image de l'entreprise et le bon usage du
médicament dans le respect de l'éthique » . Ils auraient aussi un rôle de pharmacovigilance en
signalant à l'entreprise un éventuel effet indésirable déclaré par le médecin.
Le salaire moyen est de 1800 euros par mois, avec des primes selon le bénéfice obtenu par la firme
sur le médicament en question, en rapport avec le volume de prescription.
Depuis 2004 ils sont tenus à une « charte de la visite médicale » qui expose tant le contenu du
discours que la forme. Il est stipulé qu'il est « interdit aux entreprises de proposer ou de procurer des
avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte.
Il est également interdit aux professionnels de santé d’en recevoir »( site des Entreprises du
Médicament LEEM). On peut imaginer que si les professionnels de santé acceptent des cadeaux,
c'est qu'on leur en a proposé. Une problématique de poule et d'œuf bien connue.
Quelle est leur place dans l'industrie pharmaceutique actuellement?
L'industrie pharmaceutique consacre chaque année 3 milliards d'euros pour promouvoir ses
molécules dont les ¾ sont attribués à la visite médicale.
Un rapport de l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) de 2007 a estimé le surcout à 25
000 euros par médecin généraliste par an.
Une polémique!
Avant la création de la charte éthique, le nombre de bénéfices secondaires à la visite médicale et à la
prescription orientée allait croissant: Cadeaux, restaurants, et autres voyages... entravant
l'objectivité du médecin.
Un bilan de contrôle publié en 2009 par la HAS au sujet de l'application de cette charte montre une
diminution des remises de cadeaux et échantillons. Il serait toutefois décrites de nouvelles formes
biaisées de démarchage comme l'utilisation de mails ou de propositions de participation rémunérées
à des études. L'organisme affirme en conclusion qu'il « n'y a pas de démonstration sur l'amélioration
du contenu du message oral délivré» ni sur la remise des documents de transparence. La remise de
bénéfices directs ou indirects est en pratique difficile à prouver...
Si la visite médicale ne peut-être correctement régulée par une charte et si des moyens
d'informations neutres existent, pourquoi continuer de recevoir les visiteurs médicaux?
Une reconnaissance? La revue Prescrire cite :
« Si on décide de consacrer du temps à recevoir les visiteurs médicaux, c'est pour tout autre chose
que pour l'information : le plaisir de la "pause", de voir quelqu'un qui n'est pas malade, qui ne se
plaint pas, qui nous fait des compliments, qui ne nous critique pas, qui nous dit qu'on fait partie des
meilleurs, qui nous donne des tuyaux pour avoir l'air d'être "dans le coup" sur le plan
thérapeutique, sans effort personnel de formation, sans investissement financier particulier. Sans
parler des petits ou grands cadeaux, qui tendent à faire passer de la convivialité à la connivence,
poussant certains à la compromission, voire d'autres carrément au racket. »
Une récréation? Aux Etats-Unis, un témoignage d'un ancien visiteur médical déclamant un mode de
communication jouant sur la séduction dans le sens propre du terme:
« Ce business, c’est du donnant-donnant par excellence ». « Ce qui implique les dîners bien arrosés
ou alors le paiement d’une « hôtesse » pour tenir compagnie à tel médecin en manque d’humanité
et frustré par les malheurs que les patients déversent à longueur de journée »
Moins ironique, la visite médicale pourrait selon certains être une fenêtre sur le discours des firmes
et amener à se renseigner sur les nouvelles molécules qui sortent. Dans le cas présent, je ne me
serais peut-être pas posée la question de l'utilité de ce médicament si on ne m'en avait pas parlé. Les
laboratoires savent nous mettre à l'épreuve en se mettant à la place du patient: Quand il est marqué
sur le visuel « meilleure efficacité, meilleure tolérance, simplicité d'utilisation », n'est ce pas
anticiper la demande de nos patients? Dans ce cas il serait intéressant de se poser la question pour
pouvoir leur répondre que parfois la simplicité ne suffit pas, savoir leur exposer les effets
indésirables non dits ou la réelle efficacité de ces molécules. C'est quand je lis « Trucoxib° est plus
efficace que Machinprophène° » que je me demande si c'est vrai ou pas! Et dans quelle indication?
Ou est l'arnaque? Et etc...
Quoiqu'il en soit, recevoir des visiteurs médicaux n'est en rien obligatoire. Forger son sens critique
en revanche, que ce soit sur une molécule présentée par un labo ou non, c'est savoir utiliser des
sources d'informations indépendantes et savoir chercher les failles quand elles ne le sont pas, et c'est
fondamental.
Je ne sais pas si je recevrai des visiteurs médicaux quand je serai installée. J'avoue avoir peur que
Monsieur Machin me demande du Supertrucophène° parce que ca a bien marché chez sa sœur, (et
non substituable parce que de toute façon ca ne l'est pas!) sans m'être posée la question de son
utilité au moment ou c'est sorti sur le marché.
Faut-il que l'information sortant fraichement des firmes (ou la désinformation pour certains) passe
uniquement par les instances dirigeantes puis par le généraliste installé ou par tous en sollicitant le
sens critique (ou la naïveté) de chacun?
Sources:
http://www.esculape.com/medicament/ezetimibe,.html
Revue Prescrire sur l'Ezetrol°: http://www.prescrire.org/bin/ryo/?id=23695 article 2004 24:(251)
405-409
Indications HAS: www.HAS.fr
AFFSAPS: http://afssaps-
prd.afssaps.fr/php/ecodex/frames.php?specid=60981789&typedoc=N&ref=N0062309.htm
De l'instauration d'un régime hypolipémiant: www.AMELI.fr : Revue médicale de l'assurance
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