Point de la pensée économique: David Ricardo (1772-1823) Quelques éléments bibliographiques : Né à Londres en 1722, son père, financier, l’initie très tôt à l’économie pratique .A quatorze ans, il travaille à la Bourse de Londres sous la direction de son père. L’école de Ricardo est ouverte sur le monde des affaires. Cela ne laisse guère de temps à Ricardo d’acquérir une formation universitaire. Intégré à la société anglaise, il se marie avec une protestante, fille d’un quaker, et adopte la religion anglicane qui le conduit à rompre avec sa famille attachée aux traditions hébraïques. Il doit s’établir à son compte et fait fortune par son aptitude à mener des opérations boursières. A 25 ans, il a assez d’argent pour se retirer des affaires. Dès 1809, il utilise ses rentes pour passer de la pratique aux problèmes théoriques de l’économie politique et se consacrer aux travaux de Smith et de Say . Il entre par la suite au Parlement comme libéral en 1819 et meurt en 1823. Le contexte historique et la période des Classiques : Ricardo vit dans une époque imbibée des nouvelles philosophies de type libérale : la notion de liberté individuelle apparaît dans une Europe qui s’industrialise et s’ouvre à l’économie de marché. Afin de ne pas entraver l’action des citoyens qui recherchent leur intérêt individuel sans nuire à autrui, il convient de tout faire pour permettre la liberté. L’empreinte des philosophes est importante : Locke définit une propriété fondée sur le travail, Kant développe la notion de conscience individuelle et de rationalité du citoyen, en tant qu’ individu qui calcule ses intérêts économiques, Hume prolonge Locke dans le domaine économique et formule une théorie quantitative de la monnaie qui inspirera Ricardo. Le fond commun des Classiques tient de quelques points de vue partagés : -L’enrichissement des nations tient à l’accumulation du capital. -Cette accumulation dépend du goût pour l’épargne des détenteurs de profit. -Cette épargne s’investit spontanément dans les secteurs où le taux de profit est le plus élevé, ce qui entretient le processus de croissance. -l’importance de la modélisation mathématique, utilisation de méthodes abstraites et déductives, les faits servant à illustrer une analyse. -Quelques facteurs décisifs : capital, épargne, profit. Les Classiques pensent que les lois économiques sont éternelles et que la nature détermine l’ordre social. Selon eux, il faut supprimer les règlements et les protections, le libre échange améliorant la situation des nations, l’individu est plus apte à créer des richesses et à réaliser le bien être de tous en recherchant de façon égoïste son propre intérêt. L’ordre social est en effet émergeant de a bonne conduite individuelle des affaires. Ricardo appartient à l’Ecole Anglaise, qui marque le début de la pensée classique. L’Angleterre, à l’heure de la Révolution industrielle, est un creuset pour comprendre le capitalisme en marche et le fonctionnement d’une économie de marché. Les grands traits de la pensée ricardienne : Les théories sur la monnaie : A 17 ans Ricardo écrit trois lettres à Morning Chronique où il pose de manière brève et limpide la théorie quantitative de la monnaie .Dans une période de développement accéléré des échanges, l’émission de monnaie et le dérèglement des marchés sont les grandes préoccupations des économistes. La baisse de la valeur des billets émis par la Banque d’Angleterre amène Ricardo à expliquer le prix de l’or, non par une quelconque qualité de la monnaie mais par sa quantité en circulation , à l’inverse, l’excès d’émission de billets est pour lui la seule raison du fait que les lingots d’or priment sur les billets .De même, la montée du prix des marchandises s’explique par une excessive circulation de billets par rapport à une richesse réelle. Il prend alors partie pour le Currency Principle qui veut que l’émission soit bornée de façon rigoureuse par l’encaisse métallique de la Banque Centrale, bref que les billets émis par la Banque Centrale demeurent convertibles en or à un taux de change fixe… Ainsi, la relative stabilité de l’or le pousse à privilégier ce métal pour déterminer une monnaie , à qui il confère la fonction d’étalon. L’histoire lui donne provisoirement raison, le Peel Act de 1819 et le Bank Charter Act marqueront le triomphe de la currency school.. Mais, à plus long terme, Ricardo aura manqué de lucidité. Ce sera le Banking principle (banque responsable et garante de l’émission monétaire ) qui l’emportera. Théorie sur la valeur : Il prend partie pour la valeur travail, c’est à dire que la valeur d’échange est déterminée par la difficulté de production d’un bien et de la quantité de travail dépensé (il reconnaît tout comme Smith la valeur d’utilité ou d’usage). Dans certains cas particuliers pour les biens reproductibles, la valeur subjective des biens est reconnue par Ricardo (« la valeur varie en fonction de la richesse et du désir de ceux qui cherchent à les posséder »).Cependant, mis à part ces quelques exceptions il n’empêche que Ricardo distingue le prix naturel (ou valeur des choses fondées sur le travail) et le prix courant (le prix de vente) . Le travail, comme toute marchandise, est mesuré par son prix de revient. Les salaires et les prix courants oscillent donc autour du prix naturel défini par le travail incorporé. Il va même plus loin en affirmant que « c’est le coût de production qui détermine en définitive le prix des marchandises et non, comme on l’a souvent dit, le rapport entre l’offre et la demande ». Un fondateur du raisonnement différentiel L’analyse des rendements décroissants des terres mises en culture l’amène à penser de façon différentielle ie de raisonner à la marge alors qu’on pensait plus en terme de moyenne. Sa théorie de la rente différentielle consiste à expliquer l’origine du prix des terres payées au propriétaire foncier lorsqu’il les donne en exploitation à autrui . L’état stationnaire de Ricardo : Sous l’effet de l’augmentation rapide de la population, Ricardo constate qu’il faut mettre un nombre croissant de terres en culture. Il appelle rente foncière le prix à payer pour l’exploitation d’une terre à un propriétaire foncier. L’origine de la rente tient à la fertilité inégale des terres. Or, la loi des rendements est décroissante en agriculture (les terres cultivées sont de plus en plus médiocres) alors que la population croît rapidement. La rente différentielle augmente par conséquent car les terres sont de plus en plus nécessaires. Comme les employés touchent des salaires fondé sur la seule notion de travail et que leur nombre est croissant, la masse salariale augmente à cours terme. Par voie de vases communiquant, le profit va être laminé. Or, pour Ricardo, le profit est un solde. En période longue, le profit va tendre vers zéro. L’état atteint est dit stationnaire. Cependant, une découverte qui réduit le coût des moyens de subsistance relance les profits, mais à nouveau on atteindra par le même mécanisme un nouvel état stationnaire. De cette théorie naît l’idée notamment de Malthus, qu’il faut limité à long terme l’accroissement de la population borné par la quantité de nourriture disponible afin de préserver le profit . L’intérêt tout particulier que porte Ricardo à l’égard de l’agriculture s’explique par le fait qu’il pense que « ce sont les profits de l’agriculture qui commandent les profits des autres activités », cette hypothèse est partiellement vrai dans le contexte d’une Angleterre très rurale au XVIIIème siècle mais est l’une des limites de cette théorie. Le théoricien clef de l’analyse du commerce international : les avantages comparatifs Chaque Etat recherchant son intérêt va se spécialiser de telle façon que la production et la consommation de l’ensemble soient maximales. En se spécialisant, un pays peut donc tirer le maximum d’avantages des domaines où il excelle (c’est à dire là où il possède un avantage comparatif) et, en échange, obtenir au meilleur coût les biens pour lesquels il est moins compétitif. C’est le fameux exemple du vin et des draps entre le Portugal et le Royaume Uni. Il ne faut pas perdre de vue que ce concept s’inscrit dans un contexte politique particulier avec la domination britannique des mers et le commerce privilégié avec de nombreuses colonies. Ainsi, Ricardo en vient à justifier la suprématie britannique par cette approche qui incite au commerce et justifie la politique étrangère de l’Angleterre. L’approche libérale En affirmant le primat de la difficulté de production dans la détermination des rapports d’échange, Ricardo considère que dans une économie de libre concurrence, le marché est subordonné aux conditions de production. Les écarts entre prix de marché et prix naturels se résorbent sous l’effet de la concurrence et entraîne un alignement progressif. Il met en évidence les vertus du libre échange pour un pays qui dispose d’une compétitivité importante dans l’industrie : la protection y devient inutile car est assurée la liberté du commerce. En 1815 paraît son Essai sur l’Influence du bas prix du blé sur les profits, où il s’interroge sur la répartition des revenus dans l’économie et le rôle des profits dans la croissance. Il confère à l’économie politique une finalité autre que celle assignée par la Richesse des nations : la détermination des règles qui président la répartition du revenu en salaires, profits et rente entre les travailleurs, les capitalistes et les propriétaires fonciers. Il prend position dans la législation des Blés (Corn Laws), en combattant les propriétaires fonciers et leur logique de rentiers protectionnistes (importer du blé serait faire baisser ses revenues propres). Il considère que le poids de la fiscalité ne doit pas gêner l’offre. Une fiscalité trop élevée frappant les entrepreneurs risque de limiter l’accumulation et l’efficacité économique et par la même d’appauvrir le pays et le gouvernement. L’héritage de Ricardo La pensée de Ricardo va longtemps demeurer l’archétype du modèle de pensée des économistes classiques. Avec les années 1860 et la montée en puissance du « néo-classicisme », une large partie des théories ricardiennes seront remise en cause ( la valeur-travail, analyse globale, état stationnaire). Cependant, il laisse un héritage considérable à la pensée économique. Ainsi, Marshall prolongera les concepts de calcul à la marge, l’étude du commerce international, le concept de coût comparatif. Il inspirera les marginalistes en inventant le raisonnement à la marge (bien que refusant l’approche subjective de la valeur). Ricardo est probablement l’ancêtre des modèles de croissance moderne ayant prévu l’avenir du capitalisme au moyen de quelques variables. De plus, Ricardo préfigure d’une certaine manière Schumpeter qui verra en l’épuisement du progrès technique la fin de toute croissance. Aussi, la place majeure de la théorie de la valeur est attestée par l’importance que lui ont accordée Marx, Hollander et d’autres. Ses œuvres principales : - Principes d'économie politique (1817), chef d’œuvre d’analyse économique The High Price of Bullion, a Proof of the Depreciation of Bank Notes (le Prix élevé de l'or, preuve de la dépréciation des billets de banque), 1809. - l’Influence du bas prix du blé sur les profits, 1815 (Essai)