Jeudi 23 octobre 2008 USA 2008 : les enjeux d`une élection d`après

USA 2008 : les enjeux d’une élection
Nicole Bacharan 1
Jeudi 23 octobre 2008
USA 2008 : les enjeux d’une élection
d’après la conférence de Nicole Bacharan, historienne, politologue, consultante à Europe 1.
En 1961, année de la naissance de Barack Obama, le Sud des Etats-Unis vivait sous un régime
de ségrégation, imposé avec énormément de brutalité. Cette année-là, un unique étudiant noir,
James Meredith, envoya sa candidature à l’université du Mississippi. L’université refusa de
prendre son dossier en considération. Meredith, soutenu par une organisation de défense des
droits civiques, porta l’affaire devant les tribunaux.
D’appel en appel, l’affaire parvint devant la Cour suprême qui, en juin 1962, confirma le droit
de Meredith de s’inscrire à l’université. Ross Barnett, alors gouverneur du Mississippi, décida
de s’opposer lui-même à cette inscription, la considérant comme « notre plus grande crise
depuis la Guerre de Sécession… Il n’y a pas d’exemple dans l’histoire que la race blanche ait
survécu à l’intégration… ». Le président Kennedy intervint et, par l’intermédiaire de la
télévision, s’adressa à la nation : « les Américains ont le droit de désapprouver la loi, mais pas
de lui désobéir… ».
Mais le 1er octobre 1962, jour prévu pour l’inscription de Meredith, l’université s’était
transformée en champ de bataille. Une foule menaçante et armée s’était rassemblée autour des
bâtiments. Plusieurs centaines de policiers fédéraux étaient chargés d’assurer la protection de
l’étudiant noir. Toute la nuit, l’émeute fit rage : voitures incendiées, coups de feu, gaz
lacrymogènes, rien n’y manqua. La bataille fit deux morts et des centaines de blessés. Au petit
matin, Robert Kennedy, alors ministre de la Justice, envoya l’armée. Et quelques heures plus
tard, James Meredith était inscrit à l’université, escorté à son premier cours par des hommes
en armes. Il en fut ainsi jusqu’à la fin de l’année universitaire.
Le 25 septembre 2008, deux candidats, un Blanc et un Noir, en lice pour la présidence des
Etats-Unis, ont débattu de l’économie et de la politique étrangère dans le grand amphi de cette
université du Mississippi. Tout le pays était angoissé par la crise financière. Personne, ou
presque, n’avait le loisir de penser à la folie qu’aurait représenté, il y a seulement 47 ans,
d’oser rêver d’un tel débat. Et cela, c’est une victoire pour tout le pays.
Les Etats-Unis sont un pays fondé sur deux piliers aussi importants que contradictoires :
- la déclaration d’indépendance, la constitution, l’affirmation des libertés démocratiques,
- l’esclavage et la négation du statut d’être humain des Noirs.
Le fait de voir qu’aujourd’hui, le président des Etats-Unis pourrait être noir, est à saluer.
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1/ Le premier grand enjeu de ces élections : l’évolution profonde de la société américaine
A travers ces élections, nous allons savoir ce qu’est devenu ce pays.
Sous l’administration Bush, on a pu avoir le sentiment que l’Amérique et l’Europe
divergeaient de plus en plus sur leur vision du monde. Aux USA, le mouvement conservateur
très fort a donné l’image d’un pays, agressif, arrogant, intolérant et replié sur lui-même.
Cependant, si en 2004, 20% des électeurs ont bien élu George Bush sur les valeurs morales
(l’opposition à l’avortement ou au mariage des homosexuels…), 80% ont voté pour d’autres
raisons, en particulier la sécurité qui a sûrement été le facteur clé de ces élections. Aussi,
lorsqu’en août 2005, rien n’a éfait pour faire face à la catastrophe provoquée par l’ouragan
Katrina, George Bush a perdu toute crédibilité dans ce domaine et sa présidence ne s’en est
jamais relevée.
Dans les premiers mois de la campagne 2008, les valeurs morales semblaient reléguées à la
sphère privée et ne pas devoir jouer un grand rôle dans les élections. Mais en choisissant
comme colistière Sarah Palin, John McCain a cherché à mobiliser la droite chrétienne qui ne
vote que sur ces questions morales. Du coup, ces élections sont devenues des élections « test »
sur l’état réel de la société américaine. Elles vont montrer dans quel sens évoluent les
Américains : vers plus de tolérance ? de métissage ? de respect entre leurs choix individuels et
la volonté de l’imposer à d’autres ? Elles permettront bien sûr de tester aussi la capacité des
Américains à accepter ou non un président noir.
Aujourd’hui, 89% des Américains critiquent le bilan de Bush. On est sorti du clivage
droite/gauche. Les Républicains modérés se sentent trahis par l’équipe Bush et espèrent
reprendre le pouvoir à l’intérieur de leur parti. Colin Powell en est l’illustration ; haut gradé et
républicain, il a annoncé qu’il soutenait Obama.
2/ L’enjeu économique
L’enjeu de l’économie américaine est un enjeu international. Or, cette économie va mal.
Quelles sont les stratégies des deux candidats en matière d’économie et quel impact cela
aurait sur notre système global ?
McCain est un ultra libéral. Liberté, concurrence, régulation sont ses maîtres mots.
Cette position est plus difficile à défendre en ce temps de crise. S’il est élu, il est
certain qu’il participera aux tentatives mises en place par l’Europe de refonder le
système financier international mais il le ferait en contradiction avec sa philosophie
profonde et avec le désir de mesures minimales et pour pas trop longtemps.
Obama est sur ce terrain un vrai démocrate (c'est-à-dire qu’il se situe entre un Nicolas
Sarkozy et un Dominique Strauss-Kahn !) Pour lui, l’Etat doit, pour revitaliser
l’économie, s’impliquer en répartissant mieux les impôts, lancer des travaux publics et
des programmes sociaux. S’il est élu, il participera avec enthousiasme aux efforts pour
refonder le système financier mondial et jouerait un rôle moteur.
Nous avons tous conscience que nous sommes dans une crise longue et difficile. Et l’élection
américaine ne va pas redonner une santé florissante à des structures malades de l’intérieur.
Néanmoins, l’élection d’Obama représenterait un message très positif dans le monde et
pourrait redonner confiance.
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3/ Les enjeux internationaux
Le message que représenterait l’élection d’Obama ou de McCain n’est pas du tout le même.
On a tous une opinion sur ces élections et l’immense majorité du monde souhaite voir la
victoire de Barack Obama. Non pas parce qu’on a l’assurance qu’il sera un bon président mais
parce qu’il représente un symbole fort.
Si McCain est élu, les EtatsUnis seront perçus comme un pays qui tourne le dos à la
modernité et au reste de la planète.
Si les USA choisissent comme président un homme jeune, en partie noir, qui a des attaches
profondes avec son pays mais aussi avec l’Afrique et l’Asie, cela redonnerait au
gouvernement américain, tellement discrédité par les années Bush, une stature morale et une
sorte de prestige qui aurait un impact certain sur les relations internationales.
La marge de manœuvre de l’un ou l’autre sera de toutes les façons très étroite car le futur
président héritera d’une situation économique et internationale calamiteuse.
D’autre part, il n’y a pas de divergence si fondamentale entre les deux candidats : parce qu’ils
sont tous les deux américains, qu’ils vont défendre avant tout les intérêts de leur pays et qu’ils
ont une vision du monde qui est américaine. Aussi, même si Obama peut arranger des choses,
il ne va pas révolutionner la planète.
Sur l’Irak
McCain a toujours soutenu l’intervention en Irak comme une réponse adéquate au 11
septembre. Favorable à l’intervention, il n’a pas cessé d’en critiquer la conduite sous
la direction des civils du Pentagone. Son but reste « la victoire » même s’il sait qu’il
va falloir à terme envisager un retrait.
Obama est le chef de file des anti-guerres. Il déclarait en 2002 : « Je ne suis pas contre
toutes les guerres. Je suis contre les guerres stupides.» L’urgence maintenant est de la
terminer le plus vite et le moins mal possible. Il a préparé un plan de retrait progressif
en seize mois approuvé par les autorités irakiennes.
Sur l’Afghanistan
Tous les deux pensent que l’Afghanistan est le principal terrain de la guerre contre le
terrorisme, et qu’il faut un engagement militaire de longue durée. McCain comme Obama
veulent augmenter le nombre des troupes présentes en sollicitant davantage l’OTAN. Quel
que soit le futur président élu, il devrait y avoir un travail en bonne intelligence entre les
Européens et les Américains.
Sur l’Iran
La position des deux candidats n’est pas très différente de celle de l’Europe ou d’Israël. Tout
doit être tenté sur les plans diplomatique, économique et politique pour ne pas arriver à un
conflit. Mais si l’Iran accède à l’arme nucléaire et démontre l’intention de s’en servir, il
faudra intervenir.
Obama est prêt à pousser plus loin la diplomatie en ouvrant des discussions directes et
bilatérales avec les responsables iraniens.
Sur la Russie
McCain et Obama ont une vision commune de la Russie et prennent en compte le
durcissement du régime de Poutine. Ils ont aussi conscience que ce pays a ses faiblesses. Les
relations avec la Russie devraient osciller entre bras de fer et concertation. La capacité à
construire en motus vivendi avec la Russie est dans l’ambition de l’un et l’autre : lequel des
deux en sera le plus capable ?
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Sur la Chine
Ils ont tous les deux conscience que la Chine est à la fois une rivale et une alliée économique
et qu’elle est un élément clé dans le système financier américain. Ils ont un but totalement
partagé avec les Européens : que la Chine se comporte en grande puissance. C'est-à-dire
qu’elle ne soit pas uniquement centrée sur le développement chinois mais qu’elle participe à
l’équilibre global de la planète en faisant pression sur la Corée du Nord ou le régime birman
par exemple.
Sur l’Afrique
Les deux candidats disent qu’ils vont augmenter les aides, s’investir davantage pour trouver
une solution au Darfour mais ils seront de toutes les façons limités par leur budget.
Il est sûr que l’élection d’Obama ouvrirait une nouvelle ère dans les relations avec l’Afrique.
Il est déjà une super star au Kenya !
Aujourd’hui les bureaux de vote sont déjà ouverts. Un tiers du corps électoral se sera en fait
prononcé avant le 4 novembre, c'est-à-dire qu’il aura voté dans le contexte actuel sur fond de
crise économique.
Obama est donné favori dans tous les sondages. Il a un énorme atout qui est de passer après
un président publicain dont la politique est totalement discréditée. Aussi, s’il n’est pas élu,
ce serait d’abord le plus bel échec de tous les instituts de sondage ! Cela indiquerait aussi que
la société américaine ne va pas vers plus d’ouverture et que la question raciale et les valeurs
morales auront fortement pesé dans ces élections.
Ces élections seront donc extrêmement instructives.
Bibliographie
Le petit livre des élections américaines - Editions du Panama - 2008
Les Noirs américains : Des champs de coton à la Maison Blanche - Edition du Panama - 2008
Faut-il avoir peur de l’Amérique ? - Editions du Seuil - 2005
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