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e sentiment dominant au crépuscule de la présidence de George W. Bush
est celui de son échec et de l’impuissance des élites politiques face à l’ac-
cumulation des problèmes et des crises la guerre en Irak, une récession
économique sur fond de déplacement de l’économie mondiale vers l’Asie,
et la dégradation de la situation en matière de santé, dinégalités sociales et de chan-
gement climatique. Dans le même temps, à l’instar de la France, s’est soulevé un fort
désir de changement dans l’opinion publique, dont témoigne la mobilisation popu-
laire, militante et médiatique sans précédent autour de cette élection.
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Après Nicolas Sarkozy, Barack Obama a su incarner et projeter le changement. Bien
que John McCain se réclame lui aussi du changement, un choix clair entre des can-
didats aux profils et aux visions fortement contrastés s’offre aux Américains. Mais
cette élection se présente surtout comme un référendum sur la nature et la portée du
changement, et sur la personnalité de son champion. Une tension s’est installée entre
le désir et la peur du changement, comparable à celle qui avait précédé l’élection de
Nicolas Sarkozy. Avant même le vote et l’installation du nouveau président, c’est le
contexte politique et économique américain tout entier qui se trouve d’ores et déjà
transformé. Cela suffira-t-il pour autant à permettre l’élection du premier président
noir de l’histoire américaine ?
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L’élection présidentielle américaine s’affiche comme la plus importante depuis des
décennies. L’une des raisons en est qu’elle se place résolument sous le signe du
changement.
PatrIck chaMoreL
Professeur à l’université Stanford
3ème trimestre 2008
Contrairement à ce qui s’est passé pour Ronald Reagan et pour Bill Clinton, la cote
de popularité de George W. Bush, avec moins de 25 % dopinions favorables, n’a pas
connu de rebond au terme de son second mandat. Cela n’a pas pour autant une très
grande importance politique car, pour la première fois depuis 1952, ni le président
sortant ni son vice-président nest candidat. Cest cette table rase qui a permis aux
républicains de croire une victoire possible, à condition que John McCain parvienne
à se démarquer suffisamment du bilan de George Bush. Néanmoins, la dynamique
du changement est aux États-Unis du côté de l’alternance politique, ce qui nétait pas
le cas dans la France de 2007.
Le rejet de Bush facteur puissant en toile de fond de cette élection s’est aujourd’hui
étendu bien au-delà des opposants de la première heure. Sa réélection en 2004 était
due au souvenir encore frais des attentats du 11 septembre 2001 et à la mobilisation
spectaculaire de la droite religieuse menée par Karl Rove, le stratège présidentiel. La
descente aux enfers de Bush est ensuite passée par trois étapes successives : louragan
Katrina à la Nouvelle-Orléans en 2005, l’enlisement militaire en Irak et, plus récem-
ment, la détérioration de la conjoncture économique qui, avec la chute de l’immobi-
lier, le resserrement du crédit et la flambée du prix de l’essence, frappe de plein fouet
l’ensemble des Américains.
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Depuis 2007, l’Amérique est confrontée simultanément à deux guerres à l’issue
incertaine et à une économie au bord de la récession. Or l’histoire nest pas tendre
pour les partis au pouvoir dans de telles circonstances. Limpopularité de la guerre
de Corée a facilité l’alternance entre Truman et Eisenhower en 1952 ; le bourbier
vietnamien avait dissuadé Lyndon Johnson de se représenter en 1968, laissant le
champ libre à Richard Nixon ; et en 1980, la crise des otages américains en Iran
a fait le jeu de Ronald Reagan face à Jimmy Carter, le président sortant. D’après
les projections des modèles économétriques, le retournement de l’économie suffi-
rait à lui seul à envoyer un démocrate (en théorie, n’importe quel démocrate !) à la
Maison-Blanche. La stagflation et la pénurie de pétrole avaient amplifié la défaite
de Carter, et la récession de 1991 explique celle de George Bush père en 1992. A
l’inverse, Reagan, Clinton et George W. Bush ont été réélus dans le contexte d’une
économie tournant à plein régime.
Au-delà de la conjoncture, les bouleversements structurels de léconomie américaine
au cours des dix dernières années ont alimenté une anxiété croissante chez de nom-
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breux Américains confrontés à des salaires en baisse, à la précarité de l’emploi et à un
système de soins inaccessible. Le sentiment s’est répandu que la mondialisation pro-
fite désormais davantage à d’autres pays et régions qu’aux États-Unis eux-mêmes,
ses coûts sont de plus en plus apparents. La concomitance de la chute du dollar,
du sauvetage des banques par des fonds arabes et asiatiques et la flambée des prix
du pétrole soulignent dans lopinion la perte de puissance du pays, déjà illustrée par
le fiasco irakien et la perspective d’un Iran doté de la bombe atomique. Rien déton-
nant donc que pour 82 % des Américains, le pays fasse fausse route ! Or, au regard
de l’économie, principal sujet de préoccupation pour eux, largement devant l’Irak, les
démocrates et Obama sont plus crédibles que leurs adversaires.
L’accumulation des problèmes et l’incapacité de l’administration Bush à y faire
face ont bouleversé le contexte préélectoral. Alors que les affiliations républicaines
avaient enfin rattrapé celles des démocrates en 2004, ces dernières ont repris plus
de dix points d’avance depuis la réélection de Bush. La dynamique des conversions
partisanes favorise Obama et une nouvelle poussée démocrate au Congrès. Cest
pourquoi McCain ne peut espérer gagner sous les seules couleurs de son parti.
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La campagne électorale elle-même a reflété les mouvements de fond de lopinion.
Comme les Français en 2007, les Américains manifestent un regain d’intérêt pour
la politique et une confiance renouvelée dans leur démocratie. En témoignent les
records de mobilisation militante, de participation électorale dans les primaires et de
levée de fonds chez les démocrates, ainsi que la couverture des médias. Il faut sans
doute remonter aux primaires démocrates de 1968 et à la candidature avortée de
Robert Kennedy en pleine contestation contre la guerre du Vietnam pour retrouver
une effervescence comparable. Cette campagne est la première où une femme et un
Noir ont été en position de devenir président(e) des États-Unis. Une telle perspec-
tive a suffi à réconcilier les Américains avec leur système politique, et le reste du
monde avec l’Amérique.
Comme en France l’année dernière, les candidats du changement ont remporté
l’investiture de leur parti. Hillary Clinton et Barack Obama ne se distinguaient
pas par leurs programmes, ni par leur originalité en tant que femme et que Noir.
Simplement, Obama a davantage incarné le changement par son âge, sa nouveauté
sur la scène politique nationale et sa position doutsider par rapport aux élites
washingtoniennes. Ses qualités dorateur et une meilleure campagne ont fait le reste.
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Avant lui, Carter, Reagan et Clinton avaient exploité les mêmes atouts. Cela a suffi
à faire d’Hillary Clinton la candidate du passé et de la polarisation de l’électorat.
Quant à John McCain, il est apparu malgré, son âge, comme le candidat rebelle face
à Rudy Giuliani et Mitt Romney, restés dans le sillage de Bush.
Les victoires d’Obama et de McCain dans la campagne
des primaires ont été remportées contre l’establishment
de leurs partis. En cela, ces candidats ne se distinguent
en rien de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal. Un
Noir quasi inconnu a eu raison du clan Clinton, qui
régnait en maître sur le Parti démocrate depuis 1992.
McCain fut le rival de Bush et la victime de ses attaques
en 2000, puis son principal critique républicain sous sa
présidence ; son indépendance d’esprit en a toujours fait
une sorte de renégat au sein du Parti républicain. Tous
deux ont gagné sur la gauche de leurs partis respectifs,
reflétant en cela la force du rejet de Bush et de ses politiques. Il est à noter que
Sarkozy et Royal avaient suivi le mouvement inverse, car l’espace politique et les
idées de changement étaient à droite de Jacques Chirac et sur le flanc droit du Parti
socialiste.
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Enfin, tout comme Sarkozy, Obama et McCain transcendent les frontières habi-
tuelles de leurs partis. McCain a toujours été populaire parmi les indépendants
en embrassant des causes telles que le financement des campagnes électorales, la
déontologie du lobbying et des contrats de défense, l’immigration ou le traitement
des prisonniers accusés d’actes terroristes. Obama a fait campagne sur le thème de
l’unité des Américains pour se démarquer d’Hillary Clinton et de Bush et transcen-
der les divisions raciales. McCain supporte d’autant moins le défi d’Obama qu’il est
convaincu dêtre le plus réformiste des deux. En fait, Obama et McCain chassent sur
les mêmes terres, avec pour cibles privilégiées les ouvriers blancs dans le Midwest,
les Hispaniques dans l’Ouest, et les classes moyennes dans les banlieues des grandes
villes. Contrairement à celle de 2004, gagnée à droite, cette élection se jouera au
centre.
Les repositionnements des deux candidats ont pour conséquence une certaine fra-
gilité vis-à-vis de la base électorale traditionnelle de leurs partis. Dans les primaires
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démocrates, Barack Obama a réalisé ses meilleurs scores parmi les intellectuels, les
jeunes et les catégories aisées, tandis qu’Hillary Clinton a attiré davantage les ouvriers
blancs, les personnes aux revenus modestes, les Hispaniques et les retraités. Or cest
en s’adossant trop exclusivement sur l’aile intellectuelle du parti, au détriment de
l’aile populiste, qu’Adlai Stevenson, Eugene McCarthy, George McGovern, Gary
Hart, Michael Dukakis et John Kerry avaient échoué dans la course à la Maison-
Blanche. Néanmoins, Obama peut toujours compter sur la crise économique pour
rallier les ouvriers blancs ; sur les menaces des républicains en matière dimmigration
pour s’attirer les Hispaniques ; sur la défense des retraites pour séduire les seniors ; et
sur l’opposition de McCain à l’avortement pour mobiliser les femmes.
Il faut remonter à la fin de l’ère Nixon et au feuilleton tragique du Watergate pour
trouver un Parti républicain aussi démoralisé qu’aujourd’hui. Bush s’est aliéné les
partisans de la libre entreprise en laissant le Congrès républicain dépenser à tout-va
et creuser le déficit budgétaire, il a perdu les faucons en politique étrangère en raison
de son échec en Irak, et a même fini par irriter une partie de la droite religieuse. Ces
bases électorales républicaines sont rognées par la montée du populisme économique
et du protectionnisme, par la réticence à venir à recourir à l’armée pour résoudre les
conflits, et par l’adoption par les intégristes religieux de nouvelles priorités à côté
de la lutte contre l’avortement et le mariage homosexuel, telles que le changement
climatique et la pauvreté dans le monde thèmes susceptibles de rendre le Parti
démocrate plus compétitif au sein de cet électorat. En fait, la coalition républicaine
formée de ces trois composantes est en voie déclatement. Parmi les candidats dans
les primaires, ni Rudy Giuliani, le faucon antiterroriste, ni Mitt Romney, le partisan
de la libre entreprise, ni Mike Huckabee, le pasteur intégriste, n’a pu séduire au-delà
de son pré carré. Le principal défi pour McCain consiste à mobiliser suffisamment
la droite religieuse, dont étaient issus 40 % des électeurs républicains aux élections
du Congrès de 2006. Véritable défi, en effet, car McCain manque de réseaux dans
ces milieux qui ne lui ont jamais accordé pleinement leur confiance.
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Ainsi, les fondamentaux de l’élection favorisent nettement l’alternance. Mais ils se
heurtent à une incertitude de taille, liée au métissage racial du candidat porteur du
changement tant souhaité. Par définition, aucun précédent ne permet de prédire
la façon dont les Américains s’apprêtent à fusionner ou dissocier, dans leur com-
portement électoral, l’aspiration à l’alternance d’une part, et le bouleversement que
représenterait l’élection du premier président noir des États-Unis d’autre part. Ce
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