La " structure fine " de la théorie de la relativité restreinte

La " structure fine " de la théorie de la relativité restreinte
Yves Pierseaux
Préface
Cette étude minutieuse des articles fondateurs de la théorie de la relativité apporte un éclairage inédit sur le
bouillonnement intellectuel qui a marqué le début du vingtième siècle. Après les découvertes expérimentales des
rayons X en 1895, de la radioactivité en 1895 et 1898 et de l'électron en 1897, la période qui va de 1900 à 1905 a vu
se produire les avancées décisives qui ont conduit à la théorie quantique et à la théorie de la relativité. Yves
Pierseaux s'est concentré sur la théorie de la relativité restreinte, mais son étude l'a conduit à déborder ce thème et à
considérer les multiples relations que cette théorie entretient avec, entre autres, la mécanique quantique et la
thermodynamique statistique ; de même son analyse ne s'arrête pas aux articles de 1905, elle porte aussi sur des
travaux d'Einstein, mais aussi ceux de Planck ou de Minkowski, qui ont prolongé ceux de " l'Annus Mirabilis ".
Le premier résultat que l'on peut mettre à l'actif d'Yves Pierseaux est de fournir des moyens fiables pour dépasser la
polémique stérile concernant la priorité à accorder à Poincaré ou à Einstein. Son analyse très serrée, aux plans
historique, épistémologique et scientifique, montre qu'il existe bien une " structure fine " de la théorie de la relativité
restreinte, c'est-à-dire que Poincaré et Einstein ont élaboré de manière quasi simultanée et indépendamment l'un de
l'autre, deux théories de la relativité restreinte, qui se contredisent sur certains aspects mais qui ont chacune une
cohérence propre. La théorie développée par Poincaré n'est pas un état inachede celle développée par Einstein,
mais c'est bien une théorie de la relativité restreinte à part entière. La comparaison des deux théories est éclairante :
primauté du continu, existence de l'éther, variable cachée (" temps vrai "), chez Poincaré, primauté du discontinu,
non existence de l'éther, absence de variable cachée chez Einstein. Cette comparaison fait dire à l'auteur : " s'il y a
une structure fine de la relativité restreinte c'est que la frontière classique/quantique, la plus importante de la
physique du 20ème siècle, passe entre les deux relativités. "
C'est justement sur la contribution d'Einstein à l'émergence de la théorie quantique que porte l'autre grand résultat de
la thèse d'Yves Pierseaux. On sait que les trois articles de 1905, l'Annus Mirabilis d'Einstein revêtent chacun une
importance historique : celui sur les quanta de lumière parachève l'article de Planck en 1900 et marque la fondation
de la théorie quantique, celui sur " l'électrodynamique des corps en mouvement " introduit la théorie de la relativité,
et celui sur le mouvement brownien transforme l'hypothèse atomique en une authentique conception scientifique.
Pour les besoins de son argumentation sur l'existence d'une structure fine de la relativité restreinte, Yves Pierseaux a
dû se pencher sur la cohérence de la pensée du jeune Einstein, et il a pu discerner des lignes de force communes aux
trois articles. En premier lieu, il note l'influence profonde qu'a eue sur Einstein la thermodynamique statistique de
Boltzmann. Cette théorie a été considérée par Einstein comme l'archétype d'une théorie " à principes ", et elle lui a
servi de modèle épistémologique dans son élaboration de la théorie de la relativité restreinte. Reprenant les travaux
de Planck, eux aussi fortement influencés par la thermodynamique statistique, Einstein formule l'hypothèse
révolutionnaire des quanta de lumière qui a frayé la voie à tous les développements consécutifs en théorie quantique.
Hypothèse de l'existence d'une structure granulaire de la lumière, abandon du modèle de l'éther, conception selon
laquelle la lumière n'est pas une onde portée par un milieu, mais un véritable objet matériel (voir la notion de
complexe de lumière) dont l'énergie a de l'inertie, voici trois idées qui sont évidemment compatibles et qui sont si
intimement liées qu'il est bien difficile de décider laquelle a précédé les autres dans la pensée d'Einstein. A la
proportionnalité de l'énergie et de la fréquence des quanta de lumière répond, comme un écho, l'isomorphisme des
lois de transformation de l'énergie et de la fréquence des complexes de lumière. Un très grand mérite d'Yves
Pierseaux est d'avoir su discerner le rôle décisif du concept d'événement dans les trois articles de 1905 : événements
consécutifs indépendants pour la conception de l'entropie en termes de probabilité temporelle dans l'article sur les
quanta de lumière, prise en compte, dans la cinématique relativiste, des événements ponctuels qui, dans la
terminologie développée ensuite par Minkowski, devaient devenir des " points d'espace-temps ", rôle des
événements de fluctuation qui, par l'intermédiaire du mouvement brownien, mettent en évidence la réalité des
atomes. Notons aussi, comme le fait Yves Pierseaux, l'existence, à côté du principe de relativité et du principe
d'invariance de la vitesse de la lumière, d'un principe d'identité des moyens de mesure, qui reste implicite mais qui
est essentiel et qui " appelle " la théorie quantique.
Alors que nous entrons dans la période des centenaires de toutes ces découvertes qui ont profondément marqué la
science contemporaine, je ne doute pas que la thèse d'Yves Pierseaux sera un outil particulièrement efficace aux
mains des historiens et des philosophes des sciences ainsi que de tous ceux, scientifiques ou non, qui s'intéressent
aux grands moments de la pensée humaine. Gilles Cohen-Tannoudji
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