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Gabriele VENEZIANO
Synthèse de la leçon inaugurale
Le début du XXe siècle a été le témoin de deux grandes révolutions dans notre
compréhension de la nature.
La première, pour laquelle nous célébrons cette année le centenaire des premiers travaux
d’Einstein, est la théorie de la relativité restreinte : elle marqua la fin de l’espace et du temps
comme entités universelles et immuables. La seconde, développée pendant le premier quart
du siècle, est la mécanique quantique : elle signifia la fin du déterminisme classique en faveur
d’une incertitude intrinsèque et inévitable. A chacune de ces révolutions fut associée une
nouvelle quantité fondamentale en physique, une vitesse maximale pour la relativité, une
incertitude minimale pour la mécanique quantique.
Notre compréhension du monde naturel a grandi à partir de ces deux révolutions. D’une part,
la relativité restreinte fut élargie, en 1916, à ce qu’Einstein appela relativité générale, qui
deviendra bientôt la théorie incontestée des phénomènes gravitationnels, englobant et
surpassant celle de Newton. De l’autre, un processus bien plus long aboutira, dans les
années soixante-dix, à ce qu’on appelle aujourd’hui le modèle standard des particules
élémentaires, qui est une description très réussie de tous les phénomènes non
gravitationnels, fondée sur la combinaison des principes de la relativité restreinte et de la
mécanique quantique. Lorsqu’on les applique séparément chacune à dans son domaine,
aussi bien la relativité générale que le modèle standard, offrent une description des données
pratiquement sans faute, au moins jusqu’à présent. On serait même tenté de croire, comme
c’était le cas à la fin du XIXe siècle, que la théorie ultime était déjà dans nos mains et qu’il
suffisait d’améliorer nos outils de calcul pour faire encore des progrès.
Est que l’histoire va se répéter ? Les révolutions du début du siècle dernier sont sorties de
certains problèmes conceptuels et, en même temps, de certaines énigmes expérimentales.
L’existence d’une vitesse maximale amena Einstein à redéfinir les concepts mêmes d’espace
et de temps. La stabilité observée des atomes, un mystère pour la physique classique,
amena les physiciens à découvrir la mécanique quantique.
Aujourd’hui nous sommes peut-être dans une situation similaire. Un problème conceptuel très
sérieux confronte nos théories : les principes de la relativité générale et ceux de la mécanique
quantique semblent être incompatibles. Ce n’est pas un problème tant qu’on les applique
séparément à des problèmes différents. Il y a toutefois une branche de la physique où ces
deux disciplines interviennent en même temps et d’une façon inextricable : la cosmologie.
Pour décrire l’univers entier, sa naissance et son évolution, on a besoin de la RG pour définir
sa structure géométrique et du modèle standard pour décrire son contenu en matière. Se
limiter à un traitement classique du premier et quantique du deuxième est à la fois inélégant
et inadéquat, particulièrement quand on veut comprendre l’histoire la plus ancienne de
l’univers, le big-bang lui-même. Nous pensons aujourd’hui, par exemple, que les grandes
structures de l’univers, galaxies ou amas de galaxies, ont leurs origines dans de petites
fluctuations primordiales d’origine quantique. Un grand nombre d’énigmes sont toujours dans
l’attente d’une réponse, la nature de la matière sombre et celle de l’énergie sombre étant les
exemples les mieux connus.
Il est fort possible que la solution de ces problèmes passe par une approche vraiment unifiée
des phénomènes gravitationnels et non gravitationnels. En effet, depuis les années 60, nous
connaissons un bon candidat pour ce cadre unifié : la théorie des cordes. Ses propriétés,
presque magiques, nous donnent beaucoup d’espoir pour la solution de problèmes encore
irrésolus en physique des particules, en gravitation quantique, en cosmologie. Extraire les
conséquences physiques de la théorie des cordes est une entreprise excitante –mais en
même temps très difficile– depuis ces 40 années. « Un morceau de physique du XXIe siècle
tombé trop tôt sur nous », comme le disait un collègue, il y a 35 ans. Le moment donc est
venu d’y réussir!