CATINO Christelle
MODULE OPTIONNEL PRE-CAPES (LICENCE DE LETTRES)
M. TASSEL
COMPOSITION FRANCAISE N° 3
DEVOIR A RENDRE LE LUNDI 11 DECEMBRE
SUJET :
Dans sa conférence du 10 décembre 1931, "La Mise en
scène et la Métaphysique" (reprise dans Le Théâtre et son
double), Antonin Artaud ambitionne de " nous détourner de
l'acception humaine, actuelle et psychologique du théâtre, pour en
retrouver l'acception religieuse et mystique dont notre théâtre a
complètement perdu le sens ".
Vous commenterez ces propos en vous appuyant sur des
exemples précis.
Depuis les années vingt déjà, commencent à se manifester des
tendances modernistes dans le monde du théâtre. De nombreuses
révolutions se préparent, mais ce n'est qu'avec Antonin Artaud et son
théâtre de la cruauté que le projet trouve sa véritable dimension. En effet, ce
dernier affirme, dans sa conférence du 10 décembre 1931, qu'il ambitionne
de "nous détourner de l'acception humaine, actuelle et psychologique du
théâtre". En tant qu'écrivain, metteur en scène et acteur français, Antonin
Artaud semble vouloir nous livrer une définition de ce qu'il pense être le
théâtre, comme le laisse supposer l'emploi répété du terme "acception". Il
s'inscrit tout d'abord en faux contre le théâtre psychologique, voire
philosophique, qui s'attache à l'étude morale des caractères humains. Au
contraire, l'objectif d'Artaud est de "retrouver l'acception religieuse et
mystique dont notre théâtre a complètement perdu le sens". Il ne faut bien
sûr pas prendre les termes qu'il emploie dans leur sens premier : Artaud
n’est pas un sacristain. Il entend par « religieux » et surtout « mystique »
tout ce dont le caractère est exalté et les idées absolues, c'est-à-dire tout ce
qui se comprend d'une manière plus passionnelle que rationnelle.
La démonstration d'Artaud se veut d'abord péremptoire, comme en
témoigne l'emploi de l'adverbe "complètement". Antonin Artaud oppose de
manière radicale deux sortes de théâtre : sa vision est celle d'un théâtre non
seulement libéré de la littérature et de la psychologie, mais qui retrouverait
son efficacité originelle et magique, dans un retour du théâtre des origines.
Mais, est-il vraiment nécessairement que le théâtre soit catégoriquement
déchiré entre une acception psychologique et une acception mystique ? Ces
deux conceptions sont-elles réellement incompatibles ?
Certes, le théâtre, depuis les origines, a partie liée avec le religieux et
le surnaturel. Il obéit aux lois d’une force supérieure à l’homme, qu’elle soit
de nature religieuse ou inexplicable. Néanmoins, nous serons amenés à
nuancer l’extension abusive de cette définition, qui limite les possibilités de
la représentation théâtrale. Aussi tenterons-nous de revenir avec Artaud sur
l’existence présumée d’un lien fondamental entre le théâtre et le sacré.
Certains genres semblent presque religieux de nature. Alors que le
roman par exemple accorde peu de place aux dieux, d’autres genres, comme
la tragédie paraissent obsédés par la présence du surnaturel. Notre théâtre
était d’ailleurs d’abord tourné vers une vocation religieuse ; puis il a
développé petit à petit le sentiment d’une force supérieure aux hommes ;
enfin il lui arrive même d’accréditer directement l’existence d’un dieu.
L’acception religieuse du théâtre est au cœur de la pratique théâtrale
dès le moyen-âge. Le drame liturgique et les mystères sont les deux
premières formes de théâtre de l’époque ; et elles sont directement intégrées
au culte chrétien. Leur représentation sert d'accompagnement au culte, et
édifie la religion. La mise en scène fait donc partie intégrante de
l'endoctrinement, puisque, dans les limites du possible, elle a lieu avant la
messe à l'intérieur même de l'église. Les Mystères, comme les liturgies, ont
pour sujet principal l’histoire entière de la chute et du salut de l’homme. Il
va de soi que les épisodes les plus poignants et les plus intéressants de
l’histoire sainte sont ceux de la Passion du christ. Ainsi, le Mystère du
Palatinus, qui commence par l’entrée du Christ à Jérusalem, et qui s’achève
au dimanche de Pâques, avec la découverte de la résurrection par les trois
Maries. Dès ses débuts, le théâtre est donc plus qu’en relation avec le
religieux. Si les propagateurs chrétiens de l’époque médiévale choisissent la
représentation théâtrale pour révéler l’Histoire Sainte, c’est parce que le
théâtre permet l’exaltation religieuse, et le contact avec le public. Ce n’est
pas le décor, ou le dialogue qui compte dans la mise en scène d’un Mystère,
c’est l’émotion qui règne chez les acteurs et les spectateurs. Depuis
toujours, le théâtre est considérée comme une forme privilégiée pour
délivrer une réflexion, ou une idéologie : il possède une capacité
démonstrative par excellence.
Le théâtre traditionnel, et plus particulièrement le tragique, entretient
des rapports constants avec un autre monde, aussi inexplicable que
qualifiable. Il s’agit d’une sorte de convention avec le spectateur, qui
accepte de croire vrai ce qu’il sait pertinemment être faux. Ainsi, le théâtre
use de multiples procédés surnaturels, sans que la logique de la pièce n’en
soit véritablement affectée. Au début du Cid par exemple, Chimène ressent
une peur effroyable à l’idée de ne pas pouvoir épouser son bien-aimé.
Aucun obstacle pourtant ne semble pour le moment s’opposer à ses vœux,
et elle n’a pas de raison de s’en faire. Elle a pourtant l’intuition que quelque
chose va arriver. Ce pressentiment fait figure de prémonition, comme si une
force quelconque avertissait la jeune fille du drame à venir. Mais, le théâtre
tragique ne se gêne pas toujours pour affirmer ouvertement cette idée de
surnaturel. Les personnages raciniens notamment proclament sans cesse
l’existence d’une fatalité toute-puissante, qui guide tous leurs faits et gestes
et les assignent au malheur. Dans Andromaque, le personnage d’Oreste fait
sans arrêt allusion aux dieux, qu’il affirment être les principaux coupables
du malheur qui s’abat sur lui. Le héros considère que son destin est déjà
tout tracé et qu’il n’a qu’à le suivre : s’il doit mourir, il ne lui sert à rien de
se révolter.
Le théâtre se charge même parfois d’affirmer ouvertement
l’existence de dieu, en faisant entrer le surnaturel dans la composition
même de l’action. Dans Iphigénie de Racine, la pièce repose toute entière
sur le sacrifice qu’Agamemnon veut faire aux dieux avant de partir en
guerre contre les troyens. Le sujet de l’action n’a donc en lui-même aucun
sens, puisqu’il se base sur une croyance personnelle, non avérée. Le roi est
prêt à sacrifier sa propre fille, pour s’assurer le concours d’une force
supérieure, dont l’existence réelle est plus qu’incertaine. Mais, ce procédé
qui consiste à organiser l’action des personnages autour de l’existence d’un
dieu est toute aussi valable dans notre théâtre contemporain, même s’il est
formulé de manière plus implicite. Dans En attendant Godot, Beckett parle
d’un Dieu absent. Mais, cette absence signifie tout autre chose que
l'inexistence : on pense à un absent, on peut fictivement s'adresser à lui, on
l'attend ; par contre l'inexistant n'éveille rien, et pas même l'indifférence.
Chez Beckett, Dieu est absent, c'est-à-dire qu'il se manifeste de l'intérieur
comme un manque. Les personnages de Beckett se sentent abandonnés dans
une solitude qu'ils considèrent comme une injustice. L'œuvre se développe
ainsi dans une atmosphère de revendication et de plainte, elle affirme le
néant tout en s'emportant contre ce néant : " Le salaud! il n'existe pas "
s'écrie étrangement Clov. Ce qui, par excellence, devrait exister, trahit en
n'existant pas : Dieu est donc une absence " active " qui hante et encombre
l'esprit, interdisant la paix et la jouissance de soi.
Le théâtre, depuis ses origines jusqu’à nos jours, semble avoir du mal
à se passer du thème du surnaturel. Mais, si cette acception mystique
occupe une place primordiale dans le théâtre traditionnel, elle n’est pas pour
autant essentielle.
La vision d’Artaud est bien trop manichéiste, et réductrice : d’un
côté l’acception mystique traditionnelle ; de l’autre l’acception
psychologique actuelle. D’abord, le théâtre traditionnel, qui accorde une
place importante au sacré, ne renie en aucun cas pour autant la psychologie
de ses personnages. D’autre part, l’acception purement mystique et
religieuse ne convient pas à un théâtre qui se veut réaliste. Enfin, Artaud ne
définit pas un genre, mais un type, ici le tragique.
Malgré ce que semble vouloir dire Artaud, l’acception mystique du
théâtre traditionnel va souvent de pair avec l’acception psychologique, qui
survit toujours plus ou moins dans l’action. Il ne faut pas oublier que, selon
les principes mêmes de la dramaturgie classique, la conception d’une
solution préétablie pour le problème dramatique est en contradiction
absolue avec le statut du personnage instauré à l’époque, qui repose sur une
volonté libre et active. Les pièces raciniennes confirment parfaitement cette
survivance de la psychologie : le destin n’est pas un personnage de la
tragédie ; il n’existe qu’en paroles. Toute initiative de la part d’un
personnage est justement une affirmation de son libre-arbitre. Au début de
Britannicus, Néron n’est pas encore un être méchant et un tyran. C’est
précisément lorsqu’il laisse éclater sa colère devant son adversaire
Britannicus, qu’il bascule dans le mal. Il est le seul à faire ce choix, tout
comme Britannicus lorsqu’il ose s’opposer violemment à l’empereur, en
toute connaissance des conséquences. Ce sont donc bien les choix
successifs de chacun des personnages qui font rebondir l’action, et qui la
conduisent au dénouement. Mais, si le personnage possède un tel libre-
arbitre, pourquoi… ?
La tragédie, à laquelle aspire Artaud, doit présenter une dimension
extraordinaire, qui dépasse le commun des mortels. Mais, cette absence de
vraisemblance dans l’action rend difficile la crédibilité des faits. Le
spectateur a du mal à y croire, et ne prend pas au sérieux la pièce. Or, pour
une tragédie, qui est censée inspirer la terreur et la pitié, la réaction du
public est la chose la plus importante. Le problème du théâtre, qui se veut
mystique, réside donc essentiellement dans cette obligation de dépasser le
réel, sans pour autant trop s’en éloigner. Si le public, pour une raison ou
pour une autre, ne croit plus au déroulement logique de l’action, il ne va
plus pouvoir s’identifier aux personnages. La tragédie est donc obligée
d’introduire le surnaturel de façon moins pertinente dans l’action : lorsqu’il
est question de fatalité, de destin ou de divinité, c’est souvent parce que le
personnage, incapable d’assumer seul ses erreurs, a recours à un tragique
de la fabulation, qui le rend victime. En accusant ainsi la fatalité des dieux,
ce n’est plus sa faute, mais celle commise par une puissance surnaturelle
malveillante. Il s’agit bien évidemment d’une forme de lâcheté, et de
mauvaise foi, qui n’existe que dans l’imagination du personnage. Dans
Britannicus, Néron affirme qu’une certaine hérédité pèse sur lui, depuis que
sa mère a commis des crimes. Il n’empêche qu’au début de la pièce, il règne
vertueusement sur Rome. Mais, dans ces pièces, l’acception mystique perd
de son ampleur, car elle n’est qu’évoquée de façon détournée, pour que le
public adhère au spectacle.
La tragédie traditionnelle, et le théâtre médiéval ne se passent guère
de la présence du surnaturel dans leur représentation. Mais, lorsque
qu’Artaud propose sa définition, il utilise le mot « théâtre » : il s’agit d’un
genre à part entière, qui comprend de multiples types. Ce qu’Artaud semble
nous définir c’est donc seulement le type tragique, et non comique. En effet,
la comédie n’emploie que des aventures ordinaires, dont les sujets sont
empruntés à la vie quotidienne. Molière dresse d’après ses comédies un
tableau assez détaillé et ressemblant de la vie à son époque. Les événements
ne font donc que mettre en valeur les travers et des vices que nous
connaissons bien : avarice, pédantisme, hypocrisie. Ils racontent en général
une journée de l’existence d’un individu, avec tout ce qui s’y mêle. Il n’y a
pas d’apparition surnaturelle dans l’action, ni d’allusion aux dieux. La
fatalité n’a rien à voir avec la situation, puisque les personnages sont pour
la plupart soit aveuglés par leurs maniaqueries, soit lucides de leurs tares. Il
ne peuvent s’en prendre qu’à eux. Il en va de même chez des dramaturges
plus modernes, comme Ionesco. Dans La Cantatrice Chauve, l’auteur nous
raconte seulement une journée banale chez les Smith, comme il en existe
tant d’autre. Il n’y a pas besoin de faire intervenir les mythes ou la religion
pour faire rire le spectateur. Ces exemples, qui sont plus que nombreux,
permettent de constater qu’Artaud ne nous définit par un genre, mais un
type. Il impose une vision très réductrice du théâtre, qui ne se préoccupe de
son caractère tragique.
Artaud propose une définition du théâtre trop limitative, qui refuse
d’allier le mystique au psychologique, et qui considère seulement le type
théâtrale tragique. Ce nuancement de ses opinions remet en question la
possible acception mystique du théâtre.
Malgré les limites auxquelles se trouve confrontée l’acception
mystique du théâtre, ce dernier apparaît fortement lié au sacré, mais pas de
façon aussi essentielle qu’Artaud veut nous le faire entendre. Il est vrai qu’il
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