réel, sans pour autant trop s’en éloigner. Si le public, pour une raison ou
pour une autre, ne croit plus au déroulement logique de l’action, il ne va
plus pouvoir s’identifier aux personnages. La tragédie est donc obligée
d’introduire le surnaturel de façon moins pertinente dans l’action : lorsqu’il
est question de fatalité, de destin ou de divinité, c’est souvent parce que le
personnage, incapable d’assumer seul ses erreurs, a recours à un tragique
de la fabulation, qui le rend victime. En accusant ainsi la fatalité des dieux,
ce n’est plus sa faute, mais celle commise par une puissance surnaturelle
malveillante. Il s’agit bien évidemment d’une forme de lâcheté, et de
mauvaise foi, qui n’existe que dans l’imagination du personnage. Dans
Britannicus, Néron affirme qu’une certaine hérédité pèse sur lui, depuis que
sa mère a commis des crimes. Il n’empêche qu’au début de la pièce, il règne
vertueusement sur Rome. Mais, dans ces pièces, l’acception mystique perd
de son ampleur, car elle n’est qu’évoquée de façon détournée, pour que le
public adhère au spectacle.
La tragédie traditionnelle, et le théâtre médiéval ne se passent guère
de la présence du surnaturel dans leur représentation. Mais, lorsque
qu’Artaud propose sa définition, il utilise le mot « théâtre » : il s’agit d’un
genre à part entière, qui comprend de multiples types. Ce qu’Artaud semble
nous définir c’est donc seulement le type tragique, et non comique. En effet,
la comédie n’emploie que des aventures ordinaires, dont les sujets sont
empruntés à la vie quotidienne. Molière dresse d’après ses comédies un
tableau assez détaillé et ressemblant de la vie à son époque. Les événements
ne font donc que mettre en valeur les travers et des vices que nous
connaissons bien : avarice, pédantisme, hypocrisie. Ils racontent en général
une journée de l’existence d’un individu, avec tout ce qui s’y mêle. Il n’y a
pas d’apparition surnaturelle dans l’action, ni d’allusion aux dieux. La
fatalité n’a rien à voir avec la situation, puisque les personnages sont pour
la plupart soit aveuglés par leurs maniaqueries, soit lucides de leurs tares. Il
ne peuvent s’en prendre qu’à eux. Il en va de même chez des dramaturges
plus modernes, comme Ionesco. Dans La Cantatrice Chauve, l’auteur nous
raconte seulement une journée banale chez les Smith, comme il en existe
tant d’autre. Il n’y a pas besoin de faire intervenir les mythes ou la religion
pour faire rire le spectateur. Ces exemples, qui sont plus que nombreux,
permettent de constater qu’Artaud ne nous définit par un genre, mais un
type. Il impose une vision très réductrice du théâtre, qui ne se préoccupe de
son caractère tragique.
Artaud propose une définition du théâtre trop limitative, qui refuse
d’allier le mystique au psychologique, et qui considère seulement le type
théâtrale tragique. Ce nuancement de ses opinions remet en question la
possible acception mystique du théâtre.
Malgré les limites auxquelles se trouve confrontée l’acception
mystique du théâtre, ce dernier apparaît fortement lié au sacré, mais pas de
façon aussi essentielle qu’Artaud veut nous le faire entendre. Il est vrai qu’il