L’AFFAIRE SIXTE Emporté par son élan, notre bulletinier a parlé de conférence sur les HABSBOURG pour présenter ce qui se veut plus une causerie qu’une conférence. Parler des HABSBOURG en 45 mn serait un exploit car en comparaison ce serait tenter parler dans la même durée de sept siècles l’histoire de FRANCE de 1273 à 1918 ; je doute qu’un historien puisse relever le défi ; un metteur en scène américain peut-être ? Chacun d’entre vous connaît au moins un membre de la famille Habsbourg. (Marie-antoinette 14ème enfant de Marie-Thérèse et de François Etienne III de Lorraine) Je me bornerai pour ce soir à vous parler d’un épisode dans la vie de l’empereur CHARLES 1er, qui fut le dernier d’entre eux et qui vit son empire mis en pièces par le traité de Versailles. Pourquoi les HABSBOURG plutôt que les Hohenzollern ? Tout simplement parce qu’en sept siècles d’histoire cette dynastie comptait avec les Bourbons, les ROMANOF, parmi les trois plus importantes d’Europe continentale. Elle fut même à l’époque de CHARLES QUINT la plus importante du monde la devise de l’archimaison était alors A.E.I.O.U Austria est imperatori orbi urbi. L’origine de la famille HABSBOURG (HABITCHBOURG) 12 km d’Aarau dans le canton d’ARGOVIE en Suisse 1 La situation géographique de l’ AUTRICHE-HONGRIE en 1914 625 000km² 45 400 000 habitants La situation géographique de l’ AUTRICHE-HONGRIE en 2000 84 000 km² 7 700 000 habitants 2 DATES ET EVENEMENTS 28 juin 1914 Sarajevo- Capitale de la Bosnie : assassinat de l’Archiduc François Ferdinand D’AUTRICHE-ESTE et de son épouse la comtesse Sophie CHOTEK (mariage morganatique) par GAVRILO PRINCIP. François Ferdinand était le fils de CHARLES Louis et de Marguerite de Saxe (marie –Annuniciata de BOURBON DEUX SICILES FRANÇOIS JOSEPH 1ER empereur d’AUTRICHE (1830-1916) qui a succédé à FERDINAND LE DEBONNAIRE avait épousé Elisabeth duchesse en Bavière (1837-1898) 3ème des huit enfants du duc MAX EN BAVIERE et de LUDOVICA de BAVIERE (fille du Roi Marx 1er) RODOLPHE prince impérial 1858-1889 marié à Stéphanie princesse de Belgique (Elisabeth-Marie – Otto prince de Windischgrätz (1893 1952) est mort à Mayerling avec sa maîtresse Marie VETSERA (1871 1889) A la mort de François Ferdinand, CHARLES fils de l’archiduc Otto et de Maria Josefa de Saxe né le 17août 1887 qui était jusqu’alors l’héritier présomptif devient archiduc héritier. Il avait épousé Zita de Bourbon Parme (1882-1989) L’AFFAIRE SIXTE La situation militaire en novembre1916 Le massacre durait depuis 19 mois. Sur le front clé de l’ouest, les hostilités s’enlisaient dans la boue des Flandres, l’offensive allemande contre Verdun qui avait fait 300 000 morts et la contre-attaque alliée sur la Somme venait de se dérouler au prix d’énormes pertes, mais sans grand avantage sur le terrain. Les vastes espaces du front oriental offraient une plus grande liberté et des percées plus spectaculaires. Ainsi en juin 1917 la grande offensive de BROUSSILOV lui avait permis de capturer une armée autrichienne de 250 000 hommes avec tout son équipement et d’enfoncer le front oriental de 60 km ce qui, avec les moyens de l’époque était considérable. Du coté de l’entente les états majors calculaient qu’à la fin de 1916 ils bénéficiaient encore d’une supériorité en potentiel humain dans une proportion de cinq pour trois et que leurs réserves pour 1917 leur permettrait d’atteindre un effectif de neuf millions d’hommes. L’humeur confiante et joyeuse d’août 1914 « on passera noël à la maison » avec laquelle les troupes de toutes les nations étaient parties au combat s’était depuis longtemps évanouie. Maintenant le troisième noël s’annonçait et les soldats ne souhaitaient plus que retrouver leurs foyers à l’exclusion de toute autre considération. L’accession au trône Dès son accession au trône, dans sa première déclaration publique, CHRLES 1er s’était formellement engagé à rendre à ses peuples les bienfaits de la paix. 3 L’un de ses premiers actes secrets consista à tenter une ouverture personnelle auprès de l’ennemi dans l’espoir de remplir sa promesse. Cette démarche indépendante, menée par CHARLES allait s’inscrire dans l’histoire comme la célèbre affaire SIXTE, nom de l’intermédiaire principal, son beau frère SIXTE DE BOURBON-PARME. (1er août 1886 à RORSCHACH –CH- -14 mars 1934 PARIS) Il s’agit d’un récit dont les péripéties sont difficiles à suivre. Tout d’abord si nous tenons à illustrer la vie de l’homme qui nous intéresse, celle de CHARLES 1er, aucun exemple, ne saurait être plus typique, plus essentiel que celui constitué par ses incessants efforts en vue de mettre fin à la guerre. Dans son cas ceux-ci provenaient d’une combinaison de passions fervente et de froides raisons : la haine de la guerre en tant que telle et la nette perception de ce qu’elle impliquait pour son empire. Friedenskaiser, l’empereur de la paix fut le seul titre que ses successeurs républicains de 1918 ne purent lui contester. Aucun ne saurait mieux lui convenir, une démarche de canonisation a été engagée sous Jean Paul II. Qu’en adviendra t-il sous le pontificat d’un pape allemand ? Anatole FRANCE devait dire de lui : « le seul honnête homme qui émergea de cette guerre fut CHARLES d’AUTRICHE ; mais c’était un saint et personne ne l’écouta » Le prince SIXTE de BOURBON-PARME, frère aîné de Zita était l’ami de CHARLES depuis son enfance. Comme CHARLES le jeune prince de Bourbon redoutait l’hégémonie allemande qui menaçait l’Europe occidentale. Comme CHARLES, il considérait que la meilleure parade consistait à renouveler la politique de KAUNITZ qui au XVIII ème siècle durant le règne de MARIE-THERESE avait lié l’AUTRICHE à la FRANCE. Bien entendu SIXTE n’est pas politiquement neutre, il n’était ni suisse, ni suédois mais français. SIXTE et son frère Xavier résidaient à SCHWARZAU quand la guerre éclata. FRANÇOIS-JOSEPH intervint pour qu’ils puissent partir par la Suisse le 20 août 1914 ; ils vécurent donc deux semaines en territoire ennemi au tout début de la guerre. La loi de 1889 interdisant l’armée aux princes des maisons régnantes, ils effectuèrent en vain des démarches pour incorporer l’armée britannique comme interprètes. Le roi des belges, avec lequel ils étaient parents, accepta de les nommer officier dans son armée en 1915. Il est typique d’une telle famille internationale que deux autres frères se soient engagés dans l’armée austro-hongroise après avoir obtenu l’assurance qu’ils ne se battraient jamais sur le front français. Les premières initiatives en vues de contacts entre PARIS et VIENNE Furent prise sous le règne de FRANÇOIS JOSEPH. Il ne s’agissait pas de propositions formelles mais d’une recherche très nette de conversation. A la fin de 1915, SIXTE écrivit un certain nombre d’articles pour le revue Le Correspondant. Articles dans lesquels il tentait d’expliquer pour quelles raisons l’AUTRICHE Hongrie constituait un élément d’équilibre pour l’Europe et en conséquence combien était déplacée la campagne de haine déclenchée contre ce pays par la presse française ? Celleci affirmait-il aurait du être concentrée sur le véritable ennemi l’ALLEMAGNE. M. de FREYCINET ministre d’état, personnalité en vue, lui demanda de ne pas manquer de lui rendre visite. SIXTE se rendit à l’invitation, ce qui lui permit de rencontrer, outre Jules (secrétaire au ministère des affaires étrangères) et Paul CAMBON (ambassadeur à LONDRES), le président POINCARE. Toutes ces personnalités insistèrent auprès de SIXTE pour que celui-ci entrât en contact avec son beau-frère à VIENNE qui, à l’époque, n’était encore que l’héritier présomptif. 4 Mais SIXTE se récusa en arguant que cette démarche serait inutile tant que CHARLES n’aurait pas accédé au trône. Dès son accession au trône, le 22 novembre 1916, CHARLES demanda à l’impératrice ZITA d’écrire à son frère afin de savoir s’il pourrait entrer en contact avec les français et organiser une première rencontre en famille. A noël, le roi des belge avait accepté que les deux princes qui servaient dans son armée, entreprissent cette mission secrète souhaitée à la fois par VIENNE et par PARIS. Le 29 janvier 1917, ils établirent un contact préliminaire avec leur mère la duchesse de PARME qui leur avait aussi écrit à la demande de CHARLES. Elle devait simplement remettre à ses fils une lettre de leur sœur les implorant d’aider à l’œuvre de paix, lettre que l’empereur avait approuvé par quelques lignes. La duchesse dut être dépassée quand SIXTE- qui lui, était doué d’un véritable sens politique- profita de l’occasion pour consigner et faire transmettre par l’intermédiaire de sa mère ses idées personnelles sur les termes fondamentaux et préalables de l’Entente. Ceux-ci comprenaient les points suivants : 1. La restitution de l’Alsace-Lorraine à la FRANCE 2. Le rétablissement de la souveraineté du la Belgique et de ses possessions du Congo 3. La reconstitution de la Serbie augmentée de l’Albanie 4. La cession de Constantinople aux Russes. CHARLES reçut ces propositions au début de février. Le 13 février, le comte Thomas ERDÖDY était de retour en Suisse pour remettre la réponse de l’empereur aux deux princes. CHARLES acceptait sans discussion les points 1,2 et 4. Pour le point 3, il préconisait la création d’une monarchie slave moderne qui comprendrait la Bosnie Herzégovine, le Monténégro ; la Serbie et l’Albanie. La restitution de l’Alsace-lorraine intéressait évidemment les français, mais elle concernait aussi l’empereur CHARLES en tant que chef de la maison de Lorraine. Ce lien ancestral explique en partie l’estime personnelle que POINCARE, originaire de cette province, portait à l’empereur ; A ce stade, le comte Ottokar CZERNIN, nouveau ministre des affaires étrangères de CHARLES fut mis dans le secret. Il s’enthousiasma pour ce projet allant jusqu’à rédiger une note à l’intention de l’impératrice dans laquelle il demandait au couple impérial de poursuivre sans désemparer ses démarches familiale. Après avoir reçu la réponse encourageante transmise par ERDÖDY, les français commencèrent à insister auprès de VIENNE pour obtenir une déclaration formelle et si possible publique de l'empereur relative à une initiative de paix séparée de la part de l’AUTRICHE. La réponse que CZERNIN remit au comte ERDÖDY débutait par une déclaration sans équivoque « ‘l ‘alliance entre l’AUTRICHE-Hongrie, l’ALLEMAGNE, la Turquie et la Bulgarie est absolument indissoluble et la conclusion d’une paix séparée par l’un quelconque de ces états est définitivement exclue » Mémorandum non signé. Mémorandum que CHARLES après maintes hésitations décida d’envoyer tel quel mais il y rajouta quelques lignes à la main. La phrase clé du commentaire de CHARLES était l’engagement suivant : 5 « Nous soutiendrons la FRANCE et userons de tous les moyens en notre pouvoir pour faire pression sur l’ALLEMAGNE ». Pourquoi CHARLES autorisa t-il cette intervention inopportune de son ministre des affaires étrangères ? L’empereur éprouvait de la fierté à être un monarque constitutionnel et il entendait le demeurer même en temps de guerre. Il se trouvait donc dans l’obligation de soumettre ses projets à son ministre des affaires étrangères. Les notes manuscrites prouvaient que la couronne et lui-même soutenaient l’initiative et il voulait s’assurer d’un contact direct avec POINCARE. 5 et 18 mars 1917 SIXTE revit POINCARE ; le Président de la République jugea la note de CZERNIN comme « totalement inadéquate et dont on ne saurait tenir compte » mais il en allait autrement en ce qui concernait les quelques lignes de l’empereur. POINCARE écrit à son sujet au tsar de Russie, au roi Georges V et à Lloyd George le nouveau premier ministre anglais. Par ailleurs à la demande pressante de CHARLES et avec l’approbation du gouvernement français SIXTE se prépare à un voyage à VIENNE. L’affaire SIXTE quitte la chronique familiale pour entrer dans l’histoire. 23 mars 1917. 7h du matin, les éléments sont déchaînés, il neige depuis deux jours au château de LAXENBURG dans la plaine au sud-est de VIENNE. A la grille du château quatre hommes descendent de voiture, emmitouflés, ils donnent le mot de passe au capitaine de la garde qui les conduit vers une petite porte dérobée pratiquée dans l’enceinte du château. Cette porte conduit directement aux appartements privés du souverain. Les quatre passagers sont le comte ERDÖDY, le colonel commandant la police autrichienne sur la frontière suisse et évidemment les princes SIXTE et XAVIER, au cœur de l’hiver et de la guerre ils foulent un sol ennemi et pourtant amical. L’impératrice ‘n’assista à l’entretien que pendant une quinzaine de minutes. Le comte CZERNIN arriva au château les véritables conversations allaient commencer. L’empereur souligna la nécessité de la paix avant que l’ensemble du continent se fut détruit dans une vaine quête de victoire totale. Il répéta que chef de la maison de Lorraine et descendant des comtes d’ALSACE, il appuierait la restitution de ces provinces à la FRANCE comme préalable essentiel au retour à la paix. Le rétablissement de la souveraineté de la BELGIQUE et la reconstitution d’un royaume serbe pourvu d’une façade maritime furent admis sans autres réserves par le ministre des affaires étrangères. L’empereur souligna que momentanément, il n’était pas question d’accorder des concessions territoriales à l’ITALIE. Quant à la revendication tsariste de CONSTANTINOPLE, il fut admis qu’elle pouvait attendre, d’autant que la révolution venait d’éclater en Russie. 24 mars 1917, A la demande de ses beaux-frères CHARLES rédigea une longue lettre qui répondait aux exigences fondamentales de tous les ennemis de l’empereur à l’exception de la RUSSIE dont la phrase la plus importante était représentée par le passage où CHARLES s’engageait à œuvrer pour la restitution de L’ALSACE-LORRAINE. Comprenant qu’il n’avait pas de temps à perdre pour tenter d’attendrir ses alliés allemands qui en fin de compte faisaient les frais de ses libéralités envers la FRANCE, il télégraphie le 28 mars à GUILLAUME II pour proposer une rencontre au Grand Quartier Général à BAD HOMBURG VOR HÖHE le 3 avril. 6 Le but de ce voyage n’était pas d’annoncer à GUILLAUME qu’une démarche avait été entreprise auprès du camp adverse il en avait été informé en février 1917. CHARLES lui avait confié qu’il venait de profiter d’une occasion pour entrer en contact avec l’Entente afin de trouver une solution possible à la guerre ; GUILLAUME avait demandé le nom de l’interlocuteur ce à quoi CHARLES lui avait répondu « je ne puis vous dévoiler son identité mais je puis vous garantir sa discrétion » Guillaume accepta cette explication et répondit « entendu ! continuez, je suis d’accord ». CHARLES s’efforça de convaincre ses interlocuteurs que s’ils n’abandonnaient pas l’Alsace-Lorraine aucun espoir de paix ne pouvait subsister. En contrepartie, , il s’engagea d’œuvrer pour le rattachement à l’ALLEMAGNE du royaume polonais et proposait de créer et d’ajouter à ce nouvel état la province autrichienne de Galicie. Sans être déclinée, l’offre ne fut pas acceptée. CHARLES quitta ses alliés allemands en sachant qu’il lui faudrait agir seul. Pourtant l’idée de félonie ou de trahison ne l’effleura pas, l’objectif qu’il continuait à viser demeurait celui d’un règlement de paix général. Ce ne serait qu’en dernier ressort, que CHARLES serait prêt à envisager de dénoncer purement et simplement son alliance avec BERLIN et de retirer la seule AUTRICHE de la guerre. Et il ne se résolut à cette triste extrémité que lorsque la Maison des HABSBOURG s’effondra. Le 6 avril 1917, les Etats-Unis à la suite des attaques sous-marines que BERLIN avait lancées finirent par déclarer la guerre à l’ALLEMAGNE mais non à l’AUTRICHE-Hongrie. Début avril 1917, CHARLES envoie un long mémorandum, exceptionnellement signé par CZERNIN, exposant les vues de l’AUTRICHE sur la guerre, à Guillaume au GQG. Ce mémorandum était assez inquiétant, mais le passage le plus alarmant était ainsi libellé « il est absolument évident que notre force militaire arrive à épuisement. Je tiens à éviter une perte de temps à votre majesté en m’abstenant de lui exposer tous les détails. Je me contenterai de lui rappeler la pénurie de matières premières pour la production de munitions ; l’extrême fatigue de notre potentiel humain et par dessus tout, le morne abattement et le désespoir engendrés par la sous-alimentation dans toutes les couches de la population et qui nous rendent incapables de supporter plus longtemps le fardeau de la guerre. Il nous faut en finir à n’importe quel prix avant l’automne 1917. » Ce texte se terminait se terminait par ce conseil brutal et prophétique «si les souverains des empires centraux se révèlent incapables de conclure la paix au cours des prochains mois leurs peuples s’en chargeront en leur lieu et place » Cette note qui devait restée ultra confidentielle avait été remise par le comte LEDOCHOWSKI à GUILLAUME. Le soir même le comte entendait sa teneur discutée à table par l’état-major. La réaction allemande se manifesta deux jours plus tard par la réponse de GUILLAUME qui se bornait « à exprimer sa foi en la victoire finale ». CHARLES avait envoyé un SOS, on lui répondait par une fanfaronnade. 31 mars 1917 SIXTE remet là POINCARE la lettre de CHARLES. Le président écrit personnellement au roi GEORGES V afin de lui communiquer le résumé de le lettre de CHARLES. On convint de visites ministérielles en ANGLETERRE pour des entretiens ultérieurs approfondis. 7 Le gouvernement était tombé et le cabinet de BRIAND qui pendant toute la guerre se montra un ardent défenseur de l’AUTRICHE et de la Maison impériale avait été remplacé le 19 mars par celui de M. Alexandre RIBOT. Ce dernier personnage falot et dénué d’imagination ne partageait guère l’enthousiasme déployé par son prédécesseur qui courtisait VIENNE afin d’affaiblir BERLIN. Dès l’instant où RIBOT prend les commandes, on sent qu’un coup de frein est donné aux ouvertures de paix autrichiennes et ce coup de frein devait s’accentuer au fil des semaines. RIBOT se rendit en ANGLETERRE et salua le premier ministre en ces termes Savez-vous pourquoi je suis venu ? J’apporte une lettre de l’empereur d’AUTRICHE ; Alors c’est la paix s’écria LOYD GEORGES Pas si vite répondit RIBOT ; le ton était donné. En effet pas si vite car l’ITALIE que leurs deux pays avaient soudoyé deux ans auparavant devait être consultée. Arrivé à ce moment de l’exposé il faut faire un retour en 1915 sur les conditions du revirement et du changement d’alliance de l’ITALIE. qui au début de la guerre faisait partie de la triple alliance. Par le Traité de LONDRES d’Avril 1915, l’ITALIE s’était vue promettre, pour prix de sa défection, (à part les îles du Dodécanèse -Rhodes- prises à la TURQUIE et quelques miettes en Afrique) le TRENTIN jusqu’au col du BRENNER (BOZEN) et ses 250 000 habitants allemands et autrichiens, le grand port austro-hongrois de TRIESTE –le poumon de l’empire-, l’ISTRIE jusqu’au KVARNER (RIJEKA) et une poignée d’îles proches des côtes. Pour une ITALIE victorieuse, ayant écrasé l’Empire, une telle exigence eût paru impitoyable ; mais en avril 1917, alors qu’aucun soldat italien n’avait posé le pied sur un de ces territoires, elle frisait le ridicule. Ridicule ou non, la FRANCE et la Grande Bretagne étaient tenues de respecter cet engagement. L’obstacle devait être franchi et on organisa donc une rencontre entre les deux premiers ministres et le baron SONNINO, ministre italien des affaires étrangères, elle se tint dans un wagon de chemin de fer en gare de ST JEAN DE MAURIENNE le 19 avril. RIBOT et LLYOD GEORGE se trouvaient dans une position gênante car ils avaient fait le serment à SIXTE de ne pas révéler l’existence de la lettre de CHARLES.. Les possibilités de paix avec l’AUTRICHE furent donc évoquées d’une façon très générale ; on utilisa des rumeurs d’ouverture russe auprès de VIENNE pour aborder la question. Mais l’ITALIE avait infiniment plus à gagner en se tenant aux termes des accords secrets de 1915 que par tout compromis avec l’AUTRICHE qui à l’époque bénéficiait d’une position militaire solide tout le long de son front méridional Dès que la question fut abordée, SONNINO opposa son veto en arguant qu’une paix séparée avec l’AUTRICHE « l’ennemi héréditaire » ; rendrait difficile d’obtenir du peuple italien qu’il continuât la guerre contre l’ALLEMAGNE. A l’instigation de RIBOT qui commençait à adopter la position italienne la formule négative suivante fut adoptée pour résumer les entretiens « Mr LLOYD GEORGE, M. RIBOTet le baron SONNINO ont discuté d’éventuelles démarches que l’AUTRICHE pourrait être amenée à faire auprès d’une ou plusieurs des puissances alliées en vue d’obtenir une paix séparée. D’un commun accord, ils ont conclu, qu’il ne serait pas opportun de participer à des conversations qui, dans les circonstances actuelles, seraient particulièrement dangereuses et risqueraient d’affaiblir l’étroite unité des alliés, unité plus que jamais indispensable. » Indiscutablement les perspectives de paix s’assombrissaient. 8 Mais un élément d’espoir pour VIENNE vint d’ITALIE. Cette tentative ne venait ni du baron SONNINO, ni de son cabinet. Elle trouvait son origine chez le commandant en chef de l’armée italienne, le général CADORNA, dont les motifs étaient simplement ceux d’un soldat ; le moral de ses troupes était au plus bas ; il risquait de s’effondrer sous la pression de l’importante offensive autrichienne prévue pour le printemps. Le général n’agissait pas seul, certains des rivaux politiques de SONNINO semblent avoir encouragé cette démarche et l’on croit savoir que le roi VICTOR EMMANUEL lui avait accordé son appui. Un officier de l’état-major du GQG italien est envoyé à BERN où il rend visite à l’attaché militaire de l’ambassade d’ALLEMAGNE. Il était autorisé à déclarer que l’ITALIE désirait conclure une paix immédiate avec l’AUTRICHE et ne demandait aucune compensation autre que la cession du TRENTIN et d’AQUILEE –ville sur le golfe Adriatique-. Les allemands auraient-ils la bonté d’intervenir pour engager leurs alliés autrichiens à accepter ? CHARLES qui ne voulait pas compromettre ses ouvertures de paix avec l’Entente dont il préférait attendre la réponse, tenait à jouer franc-jeu et ne voulait pas éveiller les soupçons de la FRANCE et de l’ANGLETERRE en entamant des tractations avec l’ITALIE derrière leur dos. Il ne savait pas qu’à PARIS, RIBOT était déjà résolu à bloquer les pourparlers. L’offre de CADORNA ne fut pas prise au sérieux et elle fut rejetée purement et simplement. A la demande de l’empereur, le 4 mai, le comte ERDÖDY était de retour en Suisse. Il était porteur de deux plis adressés à SIXTE. Le premier rédigé en allemand par l’empereur lui disant qu’il était absolument essentiel qu’il revînt à VIENNE, le second rédigé par l’impératrice dont ce fut la seule collaboration politique. Il était ainsi libellé : « Il y a de nouveaux développements qui ne sont pas clairs. l’ITALIE essaie d’obtenir davantage par votre intermédiaire que ce qu’elle nous a demandé directement ». SIXTE revint à LAXENBURG et les discussions portèrent sur les revendications italiennes telles qu’elles étaient formulées par la FRANCE et l’ANGLETERRE. CHARLES déclara « qu’il était prêt à consentir les sacrifices nécessaires à l’ITALIE mais que ceuxci devaient s’en tenir rigoureusement à une juste répartition et en conséquence se limiter aux territoires italiens de cœur et de langue. Le sentiment populaire devait être pris en considération et il ne conviendrait pas de tracer des frontières arbitraires sur la carte pour délimiter des pays » Il souhaitait une compensation : la Silésie ou une possession allemande d’outre-mer. Le prince suggéra que l’une des colonies de l’ITALIE pourrait convenir, telle que la Somalie, et il ajouta avec une belle méconnaissance des problèmes ultérieurs du xxème siècle «un noir est une valeur plus sûre qu’un irrédentiste» Le souverain autrichien qui ignorait le traité de LONDRES et auquel l’offre de CADORNA tintait toujours aux oreilles, croyait par ce geste ouvrir la voie à la paix. CZERNIN qui assista à la fin de l’entretien souhaita que la prochaine et ultime entrevue eût lieu entre diplomates professionnels. Tous avaient l’impression que la colombe de la paix avait enfin été capturée. L’empereur rédigea une lettre dans laquelle faisant référence à la proposition de CADORNA, il acceptait de céder la partie du Tyrol de langue italienne. CZERNIN rajouta une note non signée pour demander quelles seraient les garanties quant à l’intégrité de la monarchie. Il refusait par ailleurs toute concession unilatérale. 9 A partir de ce moment, l’affaire SIXTE, lancée par CHARLES auprès de PARIS par l’intermédiaire d’un français et adressée à des dirigeants français est virtuellement reprise par le premier ministre de Grande Bretagne. RIBOT, croyant que la FRANCE était attirée dans un dangereux cul de sac s’efface délibérément. Il remit même en question les trois résultats de base déjà obtenus au cours des contacts secrets (L’Alsace-Lorraine, la Belgique, et la Serbie). Il ne voulait rien accorder qui s’opposât à la prise de position intransigeante de SONNINO. Sa seule proposition positive fut que le roi d’ITALIE pourrait être consulté. Cette suggestion devait apporter un retard supplémentaire, peut-être voulu. A partir de ce moment, du côté de l’Alliance, LLYOD GEORGE tenta seul d’aboutir à une paix séparée avec l’AUTRICHE. Une conférence internationale se tint à PARIS. « Si un coup suffisamment sévère était porté à l’AUTRICHE, elle se trouverait dans une position qui obligerait son gouvernement à accéder à la majeure partie des revendications italiennes. » Les généraux français FOCH et PETAIN qui assistaient à cette conférence s’alignèrent sur les positions de l’état-major britannique qui venait d’obtenir l’autorisation de lancer la grande offensive dans les Flandres. 1er septembre : 100 pièces d’artillerie sont envoyées sur le front italien ; Le 21 septembre le général CADORNA cesse brutalement l’offensive et prépare ses quartiers d’hiver devant Trieste. L’artillerie lourde française est ramenée d’ITALIE. La réaction ennemie se termina par la stupéfiante défaite de CAPORETTO. Le 10 juin 1918 dernier coup de dés d’HINDENBURG (troupes allemandes à 60 km de PARIS) JOFFRE dit avec désespoir « Nous aurions du traiter avec l’AUTRICHE, l’année dernière. Après quoi l’ALLEMAGNE aurait été obligé de céder » Ultime recours « poursuivre seul » fut tenté à nouveau en septembre 1918 quand il était trop tard pour arrêter ou sauver quoi que ce soit. En 1917, il aurait pu faire sienne la pensée de Pindare « Le moment favorable est le maître de toute chose » mais même un moment favorable exige des hommes favorables. Sources bibliographiques : Histoire de l’empire des Habsbourg Les Habsbourg Le dernier Habsbourg « L’impératrice Zita parle » Zita Impératrice courage 10 Jean Bérenger Michel Géoris Gordon Brook-Shepherd Jean Sévilla CHARLES 1er de HABSBOURG 11