Frédéric Lenoir : Socrate, Jésus, Bouddha
2/ Raisons objectives
Socrate, Jésus et le Bouddha ont en commun quelque chose qui les distingue des autres grands
penseurs ou fondateurs de religion. Ils sont en effet en rupture profonde avec leur propre
tradition. Pour eux, il est essentiel que l’individu fasse un travail qui l’autonomise par rapport
au groupe et à l’institution. Ils ont été des révolutionnaires qui ont tellement dérangé qu’ils en
mourront. Il était en effet dangereux de critiquer la religion dans un monde où les traditions
étaient très fortes, où il était essentiel pour l’individu de faire partie d’un groupe religieux (car
la religion crée du lien social), et où les pouvoirs temporels et spirituels étaient extrêmement
mêlés.
Le Bouddha va critiquer les rites et sacrifices des brahmanes, prêtres issus d’une caste
supérieure. Pour lui, la vraie liberté est celle que chaque être humain doit acquérir en
combattant ses passions, ses désirs qui sont les chaînes qui le lient à la roue du samsara ou
cycle infernal des renaissances. Chaque individu doit trouver le moyen personnel de faire un
chemin intérieur de connaissance de soi qui va lui permettre de sortir de l’ignorance pour se
libérer de ses chaînes et accéder à la connaissance véritable. Ainsi à l’Eveil, il ne se
réincarnera plus et accédera au Nirvana, état de béatitude et de paix suprême.
Pour le Bouddha, la vraie spiritualité ne consiste pas à accomplir des rites reçus de la tradition
mais à se transformer soi-même.
C’est exactement la même ligne que suit et prône Socrate. S’il respecte la religion, il explique
qu’elle n’est pas suffisante. Chaque être humain doit faire un chemin de connaissance de lui-
même. « Se connaître soi-même » permet de découvrir la vérité, de sortir de l’ignorance qui
est à l’origine de tous les maux, de faire grandir l’âme. C’est à travers la raison, qui est le bien
commun de tous les êtres humains, que peut se faire ce travail intérieur.
Pour Socrate, la vérité, la connaissance de la vraie nature des choses et de nous-mêmes est
enfouie au fond de nous, mais nous l’oublions en naissant. Il nous invite à les redécouvrir à
travers le travail philosophique. Il n’aura de cesse que de faire accoucher les esprits, la
maïeutique, à travers un questionnement qui ébranle les certitudes acquises et qui permet de
progresser dans la connaissance.
Jésus est né aussi dans un monde très religieux. Il fait partie du peuple juif qui a le sentiment
d’avoir été choisi par Dieu pour témoigner de l’unicité et de la gloire de Dieu. Mais ce peuple
élu vit un drame politique puisqu’il est colonisé par les Romains. Il cherche à retrouver sa
liberté et vit très fortement son identité à travers sa religion. Or, Jésus va être très critique vis-
à-vis de sa religion. Il dénonce le formalisme religieux des prêtres et le détournement de la loi
de Dieu qui doit être vécue dans l’esprit et non respectée à la lettre. Jésus incite ses disciples à
aller vers eux-mêmes, à chercher Dieu et la vérité au plus profond de leur cœur et de leur
conscience, et non pas simplement à travers l’observance du rite.
On retrouve chez le Bouddha, Socrate et Jésus, une émancipation de l’individu par rapport au
groupe. Pour eux, la religion collective n’a de sens que si chaque individu mène une quête
spirituelle personnelle et ils relativisent le poids du groupe et de la tradition. En cela, ils sont
très différents de :
- Confucius, pour qui l’individu ne doit pas menacer le groupe qui l’emportera toujours. On
peut même sacrifier un individu pour l’intérêt du groupe ;
- Moïse, qui a une vision collective de la religion ;
- Mohamed, qui fonde une cité de croyants. Dans l’Islam, le politique et le spirituel sont
complètement mêlés.