Le 24 septembre 2009 Socrate, Jésus, Bouddha : trois maîtres de

Frédéric Lenoir : Socrate, Jésus, Bouddha
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Le 24 septembre 2009
Socrate, Jésus, Bouddha : trois maîtres de vie
d’après la conférence de Frédéric Lenoir, philosophe, directeur du Monde des Religions.
Socrate, Jésus, Bouddha : l’assemblage peut paraître étrange. Pourquoi avoir voulu réunir ces
trois personnages ?
1/ Raison personnelle et subjective
Ce sont les trois maîtres spirituels qui ont le plus marqué Frédéric Lenoir et qui ont formé sa
pensée.
À l’adolescence, il lit le Banquet de Platon et découvre Socrate. À un âge l’on se pose
beaucoup de questions sur le sens de la vie, c’est une révélation pour lui. Il apprend ainsi la
clé du message de Socrate « connais-toi toi-même » et la nécessité du travail d’introspection.
Cette expérience du travail d’intériorité, Frédéric Lenoir la découvre grâce au bouddhisme et
à la méditation qui permet d’apaiser les tensions du corps pour écouter ce que nous dit notre
esprit. Toujours en quête spirituelle, Frédéric Lenoir s’intéresse alors à toutes les religions. À
19 ans, il lit les évangiles et vit une expérience très forte. Il s’aperçoit que la parole du Christ
a une force extraordinaire et responsabilisante. Si Socrate et le Bouddha sont des maîtres pour
Frédéric Lenoir ; Jésus joue un rôle différent : il est une présence. Jésus, par sa parole, a
permis à Frédéric Lenoir de continuer son cheminement intellectuel, mais en plus il a touché
son cœur.
Frédéric Lenoir se considère comme un chrétien atypique puisqu’il pratique la méditation
bouddhiste et qu’il se sent avant tout philosophe gardant toujours une réflexion critique par
rapport à lui-même et à sa foi.
La quête philosophique par excellence est celle de la vérité. Or les démarches spirituelles
bouddhiste et chrétienne sont aussi des quêtes de la vérité. C’est le premier point commun
entre Socrate, Jésus et le Bouddha. Ils sont venus nous dire ce qui est essentiel pour l’être
humain : se mettre en marche pour chercher la vérité. Même s’ils n’ont pas tout à fait la même
conception de la vérité, ils ont en commun cette démarche, cette quête : on ne doit pas rester
assis dans ses certitudes. Chaque individu doit se remettre en question.
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2/ Raisons objectives
Socrate, Jésus et le Bouddha ont en commun quelque chose qui les distingue des autres grands
penseurs ou fondateurs de religion. Ils sont en effet en rupture profonde avec leur propre
tradition. Pour eux, il est essentiel que l’individu fasse un travail qui l’autonomise par rapport
au groupe et à l’institution. Ils ont été des révolutionnaires qui ont tellement dérangé qu’ils en
mourront. Il était en effet dangereux de critiquer la religion dans un monde les traditions
étaient très fortes, où il était essentiel pour l’individu de faire partie d’un groupe religieux (car
la religion crée du lien social), et les pouvoirs temporels et spirituels étaient extrêmement
mêlés.
Le Bouddha va critiquer les rites et sacrifices des brahmanes, prêtres issus d’une caste
supérieure. Pour lui, la vraie liberté est celle que chaque être humain doit acquérir en
combattant ses passions, ses désirs qui sont les chaînes qui le lient à la roue du samsara ou
cycle infernal des renaissances. Chaque individu doit trouver le moyen personnel de faire un
chemin intérieur de connaissance de soi qui va lui permettre de sortir de l’ignorance pour se
libérer de ses chaînes et accéder à la connaissance véritable. Ainsi à l’Eveil, il ne se
réincarnera plus et accédera au Nirvana, état de béatitude et de paix suprême.
Pour le Bouddha, la vraie spiritualité ne consiste pas à accomplir des rites reçus de la tradition
mais à se transformer soi-même.
C’est exactement la même ligne que suit et prône Socrate. S’il respecte la religion, il explique
qu’elle n’est pas suffisante. Chaque être humain doit faire un chemin de connaissance de lui-
même. « Se connaître soi-même » permet de découvrir la vérité, de sortir de l’ignorance qui
est à l’origine de tous les maux, de faire grandir l’âme. C’est à travers la raison, qui est le bien
commun de tous les êtres humains, que peut se faire ce travail intérieur.
Pour Socrate, la vérité, la connaissance de la vraie nature des choses et de nous-mêmes est
enfouie au fond de nous, mais nous l’oublions en naissant. Il nous invite à les redécouvrir à
travers le travail philosophique. Il n’aura de cesse que de faire accoucher les esprits, la
maïeutique, à travers un questionnement qui ébranle les certitudes acquises et qui permet de
progresser dans la connaissance.
Jésus est aussi dans un monde très religieux. Il fait partie du peuple juif qui a le sentiment
d’avoir été choisi par Dieu pour témoigner de l’unicité et de la gloire de Dieu. Mais ce peuple
élu vit un drame politique puisqu’il est colonisé par les Romains. Il cherche à retrouver sa
liberté et vit très fortement son identité à travers sa religion. Or, Jésus va être très critique vis-
à-vis de sa religion. Il dénonce le formalisme religieux des prêtres et le détournement de la loi
de Dieu qui doit être vécue dans l’esprit et non respectée à la lettre. Jésus incite ses disciples à
aller vers eux-mêmes, à chercher Dieu et la vérité au plus profond de leur cœur et de leur
conscience, et non pas simplement à travers l’observance du rite.
On retrouve chez le Bouddha, Socrate et Jésus, une émancipation de l’individu par rapport au
groupe. Pour eux, la religion collective n’a de sens que si chaque individu mène une quête
spirituelle personnelle et ils relativisent le poids du groupe et de la tradition. En cela, ils sont
très différents de :
- Confucius, pour qui l’individu ne doit pas menacer le groupe qui l’emportera toujours. On
peut même sacrifier un individu pour l’intérêt du groupe ;
- Moïse, qui a une vision collective de la religion ;
- Mohamed, qui fonde une cité de croyants. Dans l’Islam, le politique et le spirituel sont
complètement mêlés.
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Le Bouddha, Socrate et Jésus ne se désintéressent pas de la société mais ils renversent la
problématique. Ils s’adressent à l’individu qui, parce qu’il va se transformer de l’intérieur et
grandir dans la justice et la connaissance de lui-même, sera capable de construire une société
plus juste. Ils proposent des voies spirituelles universelles qui mettent l’individu directement
en contact avec la transcendance. Il est donc tout à fait légitime de les réunir.
3/ Des maîtres de vie
Le Bouddha, Socrate et Jésus vont jouer un rôle de libération politique de l’individu puisqu’ils
cherchent à l’émanciper du groupe. Mais cette libération politique n’a de sens que si elle
favorise une libération intérieure. Cela ne sert à rien de libérer un esclave du joug de son
maître s’il reste esclave de ses passions.
Si exister est un fait que l’on n’a pas choisi, vivre est un art. Le Bouddha, Socrate et Jésus
sont des maîtres de vie car ils nous enseignent avant tout à vivre. Leur message est exigeant
mais ils nous indiquent une route : atteindre la liberté intérieure, c'est-à-dire être capable de se
connaître et de se maîtriser. Pour eux, il est essentiel de se connaître, de se transformer grâce à
la méditation pour le Bouddha, la maïeutique philosophique pour Socrate ou la prière pour
Jésus.
Dans la mesure il s’adresse à l’individu et se veut universel, l’enseignement du Bouddha,
de Socrate et de Jésus implique une dimension égalitaire : tout être humain peut effectuer un
chemin spirituel, chercher la vérité, devenir libre, accéder à la connaissance véritable et au
salut ; nous sommes tous égaux face à l’énigme de l’existence, face à la mort, face à la
nécessité et aux difficultés de se connaître et de travailler sur soi. C’est un bouleversement par
rapport aux conceptions de leurs époques. Pour eux, tous les êtres humains sont égaux en
dignité avec un bémol pour le Bouddha et Socrate qui ont une petite méfiance par rapport aux
femmes !
4/ Leur vie
Siddhârta Sakyamuni, plus connu sous le titre de Bouddha, est un aristocrate qui a vécu au VIe
siècle avant Jésus-Christ, en Inde. Il mène une existence oisive et protégée. A trente ans, il
comprend qu’il vit dans l’illusion et que sa riche condition ne le protègera jamais de la
vieillesse, de la maladie ou de la mort. Il abandonne son palais, sa femme et son fils et part en
quête de la vérité qui, seule, pourra le libérer. Une nuit, Siddhârta accède à l’Eveil : il
comprend le mystère de la vie et le moyen d’aider les humains à se libérer du samsara, la
ronde infernale des renaissances. Il est désormais le Bouddha et enseigne les quatre nobles
vérités :
1- la vie est souffrance ;
2- l’origine de la souffrance est la soif, c’est-à-dire le désir ;
3- il y a un remède à la souffrance : c’est la cessation de cette soif en y renonçant ;
4- le Bouddha donne les moyens pratiques, le chemin aux huit éléments justes, qui conduit au
détachement et à la cessation de la souffrance.
Pendant plus de quarante ans, il va transmettre son enseignement et fonder des communautés
monastiques.
Socrate a vécu au IVe siècle avant Jésus-Christ. Il appartient à la classe moyenne aisée
d’Athènes. Sa mère était sage-femme et son père sculpteur. Il a reçu une éducation ouverte. Il
est marié et le restera jusqu’à sa mort.
Jésus est issu d’un milieu populaire et est resté célibataire.
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Tous les trois ont eu une vie itinérante à l’image de leur pensée qui est toujours en
mouvement. Ils étaient des marcheurs infatigables. Même Socrate qui n’a quitté Athènes que
deux fois, arpentait les rues de la cité toute la journée. Il y a une similitude entre leur manière
de vivre et le fond de leur pensée : on ne se repose pas, il faut marcher, se remettre en
question, rencontrer des gens…
De même, ils ont tous les trois fui les honneurs et les richesses. Ils avaient un profond
détachement vis-à-vis des biens matériels mais sans pour autant mépriser les riches. Ils ne
condamnent pas la richesse en tant que telle mais ils condamnent l’âpreté aux gains ainsi que
le refus du partage.
Tous les trois ont donné un enseignement incessant mais ils ont refusé d’écrire. Il est vrai que
dans l’Inde du Bouddha, l’écriture était réservée à l’administration. Mais Socrate et Jésus
étaient dans une culture du livre. Leur désir de se limiter à un enseignement oral n’est sans
doute pas anodin. Ce qui compte pour eux, c’est de toucher leur interlocuteur, de transmettre
un enseignement personnel en s’adaptant à la personne qui est en face de soi. Leur intention
est de garder un message vivant et non figé dans le marbre. Dans ce désir de ne pas écrire, ils
détruisent dès le départ tout fondamentalisme qui va prendre la parole à la lettre. Ces paroles
personnelles seront ensuite compilées par leurs disciples.
Pour les trois, notre existence terrestre doit se comprendre dans une perspective plus large qui
implique une vie après la mort. Même si cette immortalité dont parlent le Bouddha, Socrate et
Jésus n’est pas exactement de la même nature.
L’amour est aussi au cœur de leur message. L’amour et la compassion sont même pour le
Bouddha et Jésus plus importants que la justice, vertu suprême pour Socrate.
Ces trois maîtres de vie sont d’une extrême modernité et actualité.
Modernité car ils sont les lointains promoteurs de la laïcité, de la séparation du politique et du
religieux, de l’égalité des êtres humains…
Actualité, car la crise que nous traversons n’est pas seulement économique. C’est aussi une
crise de société et de civilisation. Le modèle occidental fait de la consommation le moteur du
progrès. Le progrès, c’est posséder plus et la publicité ne fait que décliner cette croyance sous
toutes ses formes. Or, l’être humain peut-il être heureux et vivre en harmonie avec autrui dans
une civilisation entièrement construite autour d’un idéal de l’« avoir » ? L’homme a besoin
d’entrer dans une autre logique que celle de l’« avoir » pour être satisfait et devenir
pleinement humain : celle de l’« être ». Il doit apprendre à se connaître et à se maîtriser, à
appréhender le monde qui l’entoure et à le respecter. La réussite d’une vie ne se mesure pas à
l’accumulation de richesses. La réussite d’une vie, c’est la capacité de s’aimer soi-même et
d’être en relation de manière juste et bonne avec les autres. C’est savoir gérer ses émotions,
ses peurs, son rapport à la souffrance et à la mort. C’est la capacité de dialoguer, d’écouter, de
se remettre en question. Le message du Bouddha, de Socrate et de Jésus est centré sur l’être
individuel et sa croissance, sans jamais nier sa nécessaire inscription dans le corps social. Il
propose un savant dosage de liberté et d’amour, de connaissance de soi et de respect des
autres. Il est plus que jamais d’actualité.
Bibliographie :
Bonté divine - Albin Michel 2009
Le Christ philosophe - Plon 2007
La promesse de l’ange - Albin Michel 2004
L’oracle della luna - Albin Michel 2006
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