MODIFICATIONS FONCTIONNELLES ET MORPHOLOGIQUES DE LA CELLULE ET DES TISSUS CANCEREUX I. Introduction : Fiche signalétique de la cellule cancéreuse: D’un point de vue fonctionnel on reconnaît aux cellules cancéreuses des propriétés communes qui les différencient des cellules normales : Indépendance vis à vis des signaux de prolifération provenant de l’environnement Insensibilité aux signaux anti-prolifératifs Résistance à l’apoptose Prolifération illimitée (perte de la sénescnece) Capacité à induire l’angiogénèse Capacité d’invasion tissulaire et diffusion métastatique Comme on l’a vu dans le chapitre précédent ces anomalies fonctionnelles sont l’aboutissement d’un processus multiétapes. Elles s’accompagnent de modifications morphologiques qui permettent le plus souvent de reconnaître son caractère cancéreux en l’observant au microscope optique. Mais : - Aucune de ces anomalies morphologiques n’est à elle seule spécifique. - Certaines tumeurs sont constituées de cellules morphologiquement très proches de la normale. D’autre critères sont alors nécessaires (invasion, métastase…). I.1.Modifications du noyau Noyau en mitoses : - augmentation du nombre de cellules en mitoses mitoses anormales Noyau interphasique : - anisocaryose : inégalité de taille d’un noyau à l’autre augmentation du rapport nucléo-cytoplasmique (N/C) hyperchromatisme : aspect dense et sombre du noyau lié à la condensation ou à une augmentation du nombre de chromosomes (aneuploïdie) irrégularités de forme et de contours multinucléation 1 I.2. Modifications du cytosquelette Dans la cellule cancéreuse : Le plus souvent, le cytosquelette est conservé avec des anomalies de répartition non visibles en microscopie optique. Les constituants peuvent être mis en évidence par immunohistochimie. Cette conservation est intéressante car la mise en évidence d’un type de filaments intermédiaires permet de préciser le tissu d’origine d’une cellule cancéreuse. (Expression de la kératine 20 permettant de rattacher une métastase à un primitif colique). I.3. Système sécrétoire Il existe des anomalies qualitatives et quantitatives des sécrétions, liées directement aux modifications du génome cellulaire. Aspects morphologiques - anisocytose : inégalité de taille des cellules entre elles - vacuole cytoplasmique refoulant le noyau (excès de mucus) dans les adénocarcinomes mucosécrétants. - cytoplasme clair, optiquement vide (accumulation anormale de glycogène) dans les cancers du rein à cellules claires. Aspects qualitatifs et quantitatifs - variations quantitatives des sécrétions normales : pic d'immunoglobulines monoclonales dans le myélome. - apparition de substances nouvelles: . Soit par dérépression d'une synthèse de protéines de type foetal : alpha foetoprotéine, antigène carcino-embryonnaire (ACE) . Soit par sécrétion inappropriée d'une hormone : sécrétion d'ACTH par les carcinomes neuroendocrines à petites cellules du poumon. Ces substances, considérées comme des marqueurs tumoraux peuvent être dosées dans le sérum lorsqu’elles sont sécrétées ou identifiées in situ par immunohistochimie. I.4.. Membrane cellulaire Aspects morphologiques : Les modifications morphologiques ne sont visibles qu’en microscopie électronique. Elles ne sont pas prises en compte pour le diagnostic de cancer en de cancer en routine. Aspects fonctionnels: Anomalies des récepteurs membranaires : augmentation de nombre et/ou perte de leur régulation Modifications des enzymes membranaires Augmentation des enzymes protéolytiques favorisant la dégradation de la substance intercellulaire Modifications des antigènes de membrane . Altération des antigènes normaux (Ag d'espèces, d'organes ou de tissus). . Apparition de néoantigènes : - Reexpresion d'antigènes embryonnaires : alpha foetoprotéine, antigène carcinoembryonnaire Expression anormale d'antigène de différenciation : le CD5 normalement présent uniquement sur 2 les lymphocytes T est exprimé par les lymphocytes B dans la leucémie lymphoïde chronique - Ag associés aux virus : protéine latente de membrane (LMP) de l’Epstein-Barr virus dans certains lymphomes hodgkiniens. Troubles de la perméabilité et du transport : L’augmentation de perméabilité pour différents cations (Ca+, Mg) peut modifier les fonctions cellulaires et favoriser la prolifération. Troubles de l'adhérence cellulaire : Ils sont en rapport avec des anomalies concernant les molécules d’adhérence (cadhérines, famille des immunoglobulines de surface, intégrines et sélectines) Ces anomalies sont mieux vues in vitro : les cellules cancéreuses se caractérisent par : - Une perte de l’inhibition de contact Les cellules normales cessent de se multiplier lorsqu'elles arrivent à confluence, les cellules transformées continuent de se diviser et s'empilent sur plusieurs couches. - Une perte d'adhérence des cellules vis à vis du tissu conjonctif (facilite l’invasion) II. Le stroma tumoral Le stroma(composante non maligne de la tumeur) sert de charpente à la tumeur et assure ses apports nutritifs. Il est sous la dépendance du tissu tumoral dont les cellules peuvent, par exemple, élaborer des substances qui vont favoriser la pousse des vaisseaux. NB : Il est d'usage de réserver le terme de stroma au support conjonctif des tumeurs malignes et de ne pas l'utiliser dans le cas des tumeurs bénignes, mais rien ne s'y opposerait conceptuellement. II.1. Variations quantitatives C’est dans les carcinomes invasifs que le stroma est le plus nettement individualisé. Il y a cependant un stroma dans les sarcomes, constitué notamment des vaisseaux. Les variations morphologiques du stroma sont parfois caractéristiques d’un type tumoral donné et auront donc une valeur séméiologique. - Lorsqu’il est relativement peu abondant, la tumeur sera molle, souvent nécrosée, semblable macroscopiquement à du tissu cérébral. tumeur « encéphaloïde ». -A l’inverse, lorsqu’il est abondant, riche en collagène, la tumeur sera dure et rétractée squirrhe II.2. Variations qualitatives - III. Cancer et Angiogenèse Une tumeur ne peut pas croître au-delà de 1 mm3 sans l’aide d’une riche vascularisation sanguine. III.1. Définitions et situations physiologiques 3 3.2. Angiogenèse et tumeurs Le stroma vasculaire des cancers n’est pas homogène. Il est commode de distinguer, au sein des cancers, la vascularisation: 3.2.1. Périphérie Dans la zone périphérique d’invasion tumorale, la prolifération des cellules endothéliales est active et produit de nouveaux vaisseaux anormaux. - La prolifération vasculaire est particulièrement vigoureuse (index de prolifération 100 fois plus élevé que pour les mêmes cellules endothéliales des tissus normaux). - Les vaisseaux créés au sein de la tumeur sont anormaux : canaux à paroi mince de type veinulaire, irrégulièrement anastomosés avec de nombreux culs-de-sac. Ils ont tendance à former des shunts artério-veineux ; bordure endothéliale généralement incomplète ; membrane basale souvent absente ; cellules satellites (péricytes et cellules musculaires lisses) raréfiées. De nombreux espaces vasculaires sont bordés directement par les cellules tumorales. Il n’y a pas de vaisseaux lymphatiques néoformés caractérisés, mais des anastomoses avec le réseau lymphatique préexistant. - Ces vaisseaux ne sont pas contrôlables par les mécanismes locaux habituels - L’efficacité de perfusion est médiocre. Courts-circuits artério-veineux. Le flux est chaotique avec des inversions et une stase. - Le drainage des fluides interstitiels est déficient (excès de perméabilité et absence de drainage lymphatique fonctionnel). - Cette vascularisation est inégalement répartie au sein de la tumeur. 3.2.2. Centre A mesure de la croissance tumorale, les marges s’incorporent dans le centre de la tumeur, mêlant néovascularisation et vascularisation d’origine de l’hôte. Les cellules tumorales s’adaptent à l’hypoxie en activant la glycolyse anaérobie. Les cellules endothéliales activent la fabrication des molécules du stress hypoxique (VEGF…) et des inhibiteurs de l’apoptose (bcl-2). 3.2.3. Composante exophytique La partie exophytique d’un cancer dépend entièrement de l’angiogenèse. L’angiogenèse est un phénomène très précoce dans les papillomes (vessie), elle est augmentée dans les adénomes colorectaux exophytiques mais pas dans les adénomes plans. L’inhibition de l’angiogenèse a prouvé son efficacité sur la composante exophytique de la croissance cancéreuse. 3.3. Métastases et maladie cancéreuse résiduelle Les cellules malignes qui migrent à distance de la tumeur principale sont capables de s’implanter et de croître sans l’aide d’une angiogenèse. Néanmoins, sans angiogenèse, les nodules métastatiques restent sensibles à l’apoptose. (C’est un des mécanismes invoqués pour expliquer l’efficacité expérimentale des agents anti-angiogeniques sur la croissance des nodules métastatiques). On y relie aussi la corrélation positive entre un index de densité de microcirculation de la tumeur primitive élevé et la fréquence des images d’invasion vasculaire péri-tumorale et des métastases ganglionnaires. 4 NB :Il est probable que le traitement de la maladie cancéreuse résiduelle puisse bénéficier de thérapeutiques visant à détruire la vascularisation tumorale en ciblant des molécules exprimées en abondance à la surface des cellules endothéliales activées de l’angiogenèse et faiblement activées au sein des cellules endothéliales normales. IV Immunité anti tumorale Les mécanismes d’immunosurveillance sont-ils efficaces pour empêcher le développement des tumeurs malignes ? Manifestement non. Les patients immunodéprimés présentent une augmentation importante de la fréquence des cancers. Mais il faut remarquer que les cancers sont plutôt des proliférations lymphoïdes, B ou T, qui pourraient paradoxalement être la conséquence de proliférations anormales des cellules immunes en réponse aux stimulations antigéniques bactériennes ou virales. En revanche ces patients ne présentent pas d’augmentation franche des tumeurs solides habituelles. Dans beaucoup de cas, les cellules cancéreuses ressemblent suffisamment aux cellules normales pour ne pas susciter une réaction de destruction de la part du système immunitaire. Enfin on a décrit des mécanismes de protection acquis par les cellules tumorales pour détruire les cellules du système immunitaire ou inhiber leur action. IV.1. Statuts immunologique des cancers La résistance au rejet immunitaire des cancers procède plutôt d’un échec de la reconnaissance ou de l’activation immunitaire. Le génome modifié des cellules cancéreuses produit à leur surface des antigènes qui peuvent différer qualitativement ou quantitativement de ceux des cellules normales. Les tumeurs s’adaptent à la surveillance immunitaire par sélection des sous-clônes tumoraux. Illustration : Jusqu’à 50% des tumeurs humaines n’expriment plus un ou plusieurs de leurs allotypes HLA de classe I, ce qui les rend transparentes à la surveillance immune des dérives tumorales mutationnelles du phénotype CMH I. Cette suppression de l’expression d’allotypes de CMH I n’est jamais complète, puisque dans ce cas les cellules tumorales deviendraient trop sensibles à la cytotoxicité naturelle des cellules NK, qui sont capables de détruire les cellules dépourvues du signal CMH I. Certaines cellules tumorales expriment des molécules (Fas-ligand) qui pourraient provoquer l’apoptose de certains sous-types de lymphocytes T. IV.2. Stratégies thérapeutiques - Utilisation de vaccins pour prévenir les cancers viro-induits (hépatite B et hépatocarcinome) - Utilisation des anticorps (injection d‘ anticorps dirigés contre une protéine membranaire de la cellule tumorale et qui bloquent sa fonction et/ou activent l’action cytotoxique des lymphocytes T) Utilisation de l’immunité à médiation cellulaire (BCG thérapie et cancer de la vessie, IL2 et métastase des cancers du rein ou des mélanomes) - Autres … 5 En pratique bien que des cellules T et des anticorps spécifiques des tumeurs puissent être détectés chez des patients atteints de cancers, ces réponses immunitaires ne sont pas actuellement suffisamment efficaces pour éliminer la maladie, dans tous les cas où celle-ci est détectable cliniquement. 6 Annexe : Les schéma ci-dessous sont tirés d’un article concernant les voies de la cancérogénèse : PDF en libre accès sur internet. Hananan D., Weinberg R.A. Hallmarks of cancer : the next generation. Cell Volume 144, Issue 5, 4 March 2011, Pages 646-674 Le 1er schéma correspond aux 6 caractéristiques que présentent les cellules cancéreuses au cours de leur évolution. Elles ont été décrites par les auteurs dans un 1er travail paru en 2000. Cet article reste une des références en la matière Le 2ème schéma est tiré de l’article paru en 2011. Il décrit de nouvelles caractéristiques. 7