L’EUPHRATE
THOMAS VAUGHAM
Dit EUGENE PHILALETHE
Présentation de L Euphrate ou les Eaux de l’Orient
L’Euphrate sortit à Londres en 1655. C’est le tout dernier ,traité
qu’Eugène Philalèthe fit paraître. Les dernières années de osa vie se
passent sans publication (Philalèthe tient simplement (des notes
personnelles) : il perd sa femme Rebecca, avec qui il soeuvrait au
laboratoire, en 1658, et meurt lui-même en 1666, à l’âge de quarante-
quatre ans.
Le titre complet attire l’attention du lecteur : « L’Euphrate ou les Eaux
de l’Orient, bref discours sur cette Fontaine Sacrée dont l’Eau jaillit du
Feu, et qui la véhicule dans les Rayons du Soleil et de la Lune. »
Comme bien d’autres, Philalèthe va nous parler de ce mystérieux feu
philosophique. On pourra relire à cet effet l’article d’Emmanuel
d’Hooghvorst intitulé « Dieu le Feu » (Le Fil de Pénélope, t. II; pp. 247-
249). D’Espagnet qualifie ce feu ,d’ « eau de feu » ou « eau ardente »
(L’Œuvre secret de la Philosophie d’Hermès, éd. Denoël, p. 174). Ce feu
aqueux ou cette eau ignée - grâce qui dissout puis recoagule - fait germer
la graine en pierre : « L’eau dans la graine et le feu dans l’eau sont
comme l’eau de la pierre et comme la pierre de l’eau » (Le Message
Retrouvé II, 39’). « Le feu en s’éveillant dans l’eau ordonna le chaos, et
les quatre éléments engendrèrent l’esprit ‘vivant de l’univers » (id. IV,
25’). Mais quel est donc ce mystérieux « Euphrate » ?
L’Euphrate géographique, fleuve d’Asie occidentale, avec le Tigre,
délimitait la Mésopotamie irakienne, avant de se -jeter dans le Golfe
Persique. Sur son cours se dressait jadis Babylone. [456] Il existe un
Euphrate biblique, c’est le fleuve du Paradis (Genèse II, 10-14) : « Un
fleuve sortait d’Eden pour arroser le jardin, et de il se partageait en
quatre bras... Le quatrième fleuve est l Euphrate. » L’Euphrate est aussi
la limite orientale de la Terre Promise (Genèse XV, 18) : « Je donne à ta
postérité ce pays, depuis le fleuve d’Egypte jusqu’au grand fleuve, au
fleuve de l Euphrate. » C’est un fleuve dont les eaux ont des propriétés
particulières, permettant une certaine opération, préparant la route des
Rois du Levant : « Puis le sixième répandit sa coupe sur le grand fleuve
de l Euphrate, et les eaux en furent desséchées, afin de livrer passage
aux rois venant de l’Orient » (Apocalypse XVI, 12).
Il existe aussi un Euphrate mythologique, qui renvoie à un homme
nommé Euphratès, qui tua son propre fils par erreur. Reconnaissant sa
méprise, il se jeta par désespoir dans le fleuve Médos, qui prit alors le
nom d’Euphrate (P. Grimal, Dictionnaire de Mythologie grecque et
romaine). Il existe ensuite un Euphrate alchimique, selon Dom Pemety en
son Dictionnaire mytho-hermétique : « L’Euphrate est un des noms
donnés par les Chymistes Hermétiques à la matière du Grand Œuvre
parvenue à la couleur blanche. »
Il existe enfin un Euphrate étymologique, riche en enseignements.
Euphrate vient de la racine phradzo qui veut dire « mettre dans l’esprit,
faire comprendre, expliquer, indiquer par signe aussi bien que par la
parole ». Selon le dictionnaire de Bailly, Homère utilise ce verbe dans
l’Odyssée (I, 270-273 ), dans le sens d’« expliquer clairement à tous ce
qu’on veut dire » : « Il faut bien me comprendre et peser mes paroles :
convoque dès demain l’assemblée achéenne; dis-leur ton mot à tous, en
attestant les dieux » (trad. V. Bérard). Il peut s’agir aussi d’expliquer, en
parlant des maîtres qui exposent [457] quelque chose à leurs élèves, ou
d’expliquer des oracles, des rêves, des signes dans les sacrifices,
indiquant ce qu’il faut faire. Le préfixe eu suggère l’idée de noblesse, de
bien, de bonté, de justesse, d’achèvement, de perfection, de bonheur.
L’Euphrate pourrait donc signifier la bonne formulation, explication et
compréhension de quelque chose, phrasis, qui a donné « phrase », étant
l’action d’exprimer par la parole, l’élocution, le langage, le discours.
Selon le dictionnaire de Chantraine, eu-phradès signifie « qui parle avec
justesse, bien exprimé, avec éloquence » (Simplicius, Suidas, Homère).
L’Euphrate renvoie à la parole droite et vraie, à la parole sage ou
prophétique, qui révèle. Tel Homère, Philalèthe ne fait donc pas de la
littérature : il fait œuvre de poésie et de création. « L’intention des
grands poètes de lAntiquité étant la révélation, non la littérature, la
fonction des aèdes était prophétique; or, il n y a pas de poésie sans
Muse, c’est-à-dire, sans inspiration, au sens précis du mot. Le mot
‘poésie » est d’ailleurs le seul que les Grecs eussent connu pour traduire
le sens de « création. « (..) Le sujet de toute révélation, c’est la gnose de
l’or physique, ce soleil terrestre, objet de tous nos désirs. (..) Le Grand
Œuvre étant un don divin, le seul talent des hommes n’en pourrait
jamais venir à bout » (Le Fil de Pénélope, t. 1, pp. 41-43).
En éloquente parole, Philalèthe révèle la création du grand monde et du
petit monde, « la véritable création de l’homme »: « le latin « creo »
signifie engendrer, produire; dans la même famille on trouve « cresco « :
naître, croître, pousser et « concresco « : se condenser, se coaguler, se
concrétiser. Cette racine a donné son nom à Cérès, déesse qui fait croître
les moissons , et à « céréales », relatif au blé ou à Cérès. On sait qu’à
Eleusis on montrait aux initiés un épi de blé qui rappelait [458]
notamment ce mystère de la germination de l’homme » (cf. « L’édifiante
parole », Jean-Marie d’Ansembourg, Le Fil d’Ariane n° 7, p. 32).
Philalèthe va donc bien parler de la Création, c’est-à-dire du Grand
Œuvre. L’Euphrate est un traité d’Alchymie, et non une description de
l’alchimie vulgaire, que Philalèthe dénonce comme une stérile « torture
des métaux ». Il avoue lui-même s’y être laissé piéger et avoir erré en
vain pendant trois ans, faute de disposer du dissolvant et de la matière
véritables. Il invite à se méfier de l’antimoine et des métaux vulgaires. Il
convient au contraire de rechercher un corps ou métal non vulgaire, sans
avoir à creuser, car il suffit de se baisser pour le ramasser gratuitement.
Philalèthe fonde son exposé sur la connaissance expérimentale qu’il
déclare détenir. Il a pratiqué la sainte expérience il n’y a qu’une façon de
se livrer à la sainte agriculture, dit-il, c’est de « mettre la main à la
charrue ». Il n’hésite pas à révéler que « cette matière, il nous est advenu
non seulement de la connaître, mais après de longs labeurs, de la voir, de
la tenir en main et de la goûter ». Cette matière, travaillée avec le feu
vital de l’Art, avec l’eau et le feu ensemble, l’eau et l’esprit, l’eau ignée
qu’il appelle « eau chymique », « conduit à la génération et à la
régénération de toutes choses ». Autrement dit, Philalèthe nous indique
la voie du salut, et il définit la vraie religion : « La science religieuse ne
va pas sans la Nature » , ajoutant que « La philosophie ne va pas sans
Dieu ».
Ceci l’amène à préciser le rapport qu’il voit entre l’Ecriture et la Nature.
L’Ecriture, comme la Nature, dit les vérités physiques de la régénération,
du destin divin que l’homme porte en germe en lui-même. Philalèthe
parle à plusieurs reprises de cette semence, de cette particule [459]
séminale, tapie dans les os de l’homme, notamment dans un os
particulier, qui potentiellement lui permettra de ressusciter. Il insiste sur
le fait que le philosophe ne peut séparer la Nature de l’Ecriture, car c’est
qu’est inscrit le salut de l’Homme. L’Ecriture dit les mystères naturels
de l’Homme, c’est-à-dire la restitution de l’Homme en particulier, et la
rédemption de la Nature en général. L’Homme, comme la Nature,
participent de la restauration générale. Un influx de lEsprit Divin peut
tout délivrer de la chute et de la corruption, et tout restaurer en la pureté
et en la perfection originelles. Philalèthe dit que l’Ecriture permet à
l’homme déchu d’atteindre la connaissance de Dieu et de la Nature, pour
y retourner et y être réintégré. Voilà ce à quoi s’applique l’Ecriture. La
Parole de Dieu et l’Œuvre de Dieu ne sont pas différentes.
Dans son Avis au Lecteur, Philalèthe évoque sa quête des mystères
philosophiques et confesse « qu’il n’y a rien ici d’affirmé qui ne soit le
fruit de (son) expérience. » Il confirme et témoigne de l’expérience
relatée par Jamblique : « Dieu à un certain moment remit aux prêtres et
aux prophètes anciens une certaine matière en des visions bénies, et il la
communiqua à l’usage de l’homme. » Ayant trouvé, ou plutôt reçu, la
chose, il reste à en connaître l’emploi, qu’il faut « mendier des mains de
Dieu », car c’est un don qu’Il accorde, et qui implique de recevoir Sa
visite.
En son Euphrate, Philalèthe peut donc « parler avec précision d’une
chose bien précise », comme dit Philippe Petit dans son article intitulé
« Parler sans ambages » (Le Fil d’Ariane 21, pp. 5-15).
Paradoxalement, son style peut parfois surprendre, mais il ne nous
appartient pas d’en juger, d’autant qu’en la matière, prudence et
discrétion obligent. Ce qui compte est la chose révélée. Or Philalèthe
donne une clé [460] importante de son œuvre : son amour de Dieu. Il
aimait Dieu et Dieu l’aimait, l’amour étant « le secret du bien écrire et le
secret du bien lire » (cf. article indiqué ci-dessus). Au lecteur donc de se
retrouver dans les mêmes dispositions que Philalèthe, pour faire œuvre
de saintes poésie et création : « Le sommet de l’amour, c’est découvrir
Dieu dans l’homme et le feu dans l’eau » (Le Message Retrouvé VI, 26).
Voilà qui peut expliquer l’Euphrate, qu’il soit allégorique ou non. Quant
aux « eaux de l’Orient », Philalèthe nous dit ici qu’une certaine eau est la
matière première, rejoignant ainsi la philosophie naturelle des Anciens.
En ce qui concerne l’Orient, c’est de que vient « le porte-lumière, le
véhicule de la manifestation du Messie » (Le Fil de Pénélope, t. 1, pp.
300-301). C’est « d’Orient que les Mages apportent les trois substances
à l Enfant-Roi dans sa crèche : l’or pour le corps, l’encens pour l’esprit
et la myrrhe pour le sens qui unit l’esprit au corps » (id, p. 217).
C’est enfin d’Orient que vient l’Intelligence ou l’Euphrasie, la
connaissance en bonne compréhension et explication, en paroles justes et
vraies, la connaissance bien transmise (cf. Le Fil de Pénélope, t. 1, p. 295,
Histoire juive 11). En hébreu, le même mot kedem signifie aussi bien
Orient qu’Ancien, et Philalèthe ne clinerait pas cette invitation : « Qui
sera le Prochain de cet Homme-là, de cet Ancien ? » [461]
L’EUPHRATE OU LES EAUX DE L’ORIENT
Londres, 1655 (éd. Waite)
Avis au lecteur
J’ai, lecteur, je suppose que ceci ne t’est pas inconnu, ces quelques
dernières années, en plusieurs petits traités, livré mon jugement sur la
philosophie. Je dis bien sur la philosophie, car -l’alchimie - en son
acceptation courante et en tant que torture des métaux - je n’y ai jamais
cru, et encore moins l’ai-je étudiée. Sur ce point mes livres, lus
attentivement, t’en donneront la preuve, car je t’y réfère à un sujet qui est
universel, le fondement de toute la Nature, la matière de laquelle toutes
choses sont faites, et dont étant faites, elles se nourrissent. Celle-ci, je
présume, ne peut être un métal, et j’ai par conséquent toujours décrié
l’alchimie au sens vulgaire, si bien que j’ai pen qu’il convenait de la
faire connaître aux alchimistes, de peur que, en la lecture attentive de
mes écrits, ils ne se mettent à mal interpréter certains passages qui ne
sont pas conformes au jugement de leur auteur. De là tu peux voir
quelles étaient mes conceptions lorsque j’ai commencé à écrire. Et je dois
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