II) Encadrer les marchés est apparu progressivement comme un mode d’intervention plus
efficient
Depuis les années 1970, des vagues de privatisation accompagnées de nouvelles réglementations ont fait de
l’encadrement des marchés le mode dominant de l’intervention publique sur les marchés inefficaces. Cette
réorientation s’est appuyée sur des travaux économiques plaidant pour l’encadrement de préférence aux
nationalisations.
II-A) Les effets pervers des nationalisations…
L’école du « Public Choice » abat le mythe de l’Etat bienveillant. Les choix de l’Etat sont dictés par les
intérêts des décideurs politiques, qui ne reflètent pas forcément les préférences collectives (J. Buchanan & G.
Tullock, The Calculus of Consent, Logical Foundations of Constitutional Democracy, 1962). La détermination
des préférences collectives est d’ailleurs dans l’absolu problématique (N. Condorcet, Essai sur l'application de
l'analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix, 1785). Ces critiques s’adressent
potentiellement à toute forme d’intervention publique, mais lorsqu’il s’agit de nationalisation, l’opportunisme du
décideur et sa capture par des lobbies ont aussi des conséquences budgétaires.
L’analyse économique de la bureaucratie (W. Niskanen, « Deficits, Government Spending and Inflation :
What is the Evidence », Journal of Monetary Economics, 1978) dégage les causes de l’inefficacité dispendieuse
du secteur public nationalisé. Les citoyens, représentés par les décideurs politiques, sont dans une relation
d’agence avec les bureaucrates. Les citoyens et les décideurs politiques connaissent la valeur d’usage des
services publics, mais pas leur coût de production, mieux connu des bureaucrates. Les bureaucrates peuvent
exploiter cette asymétrie d’information. Si on considère que l’utilité des bureaucrates croît avec le niveau de la
production de service public et leur budget discrétionnaire dégagé par la différence entre le budget alloué et le
coût de production réel, alors la nationalisation aboutit à une surproduction et à l’extraction d’une rente par les
bureaucrates au détriment des usagers.
Les gaspillages du secteur public nationalisé tiennent aussi au comportement des consommateurs. La
nationalisation peut conduire à la surconsommation, par exemple à la surconsommation médicale lorsqu’elle est
prise en charge par la protection sociale. La « tragédie des communs » (G. Hardin, Science, 1968) a ainsi été
résorbée par les enclosures, c’est-à-dire par la privatisation des pâturages.
II-B) … ont motivé privatisations et ouverture à la concurrence…
Les monopoles naturels et les biens collectifs peuvent donner lieu à des délégations de services publics.
L’objectif de maximisation du profit pousse le monopole privatisé à réaliser des gains de productivité, tandis
qu’un cahier des charges peut garantir les intérêts des usagers en fixant la qualité, voire le prix des prestations.
Déjà ancienne pour certains services publics comme l’eau en France, la délégation s’est fortement étendue avec
les privatisations après les Trente Glorieuses. En France une partie des services de réseaux, les grandes banques
et les grandes entreprises publiques de l’industrie sont privatisées à partir de 1986. Ces marchés sont également
déréglementés et ouverts à la concurrence. L’échec de la loi Savary en 1984 met un terme au projet de service
public unifié de l’éducation et sanctuarise la coexistence d’écoles publiques et privées.
Cependant ce processus de privatisation et d’ouverture à la concurrence montre que l’équilibre concurrentiel
n’est pas naturel, spontané, mais résulte d’un encadrement institutionnel. C’est d’ailleurs dans les secteurs
déréglementés que les entorses à la concurrence les plus conséquentes ont été sanctionnées au cours des
dernières décennies : prix prédateurs dans le transport aérien américain dans les années 1980, entente sur la
téléphonie mobile en France en 2005, sur les taux Euribor et Libor entre banques européennes l’an dernier. Le
laissez-faire tend à la monopolisation, poursuivie par les stratégies des entreprises.
La délégation de service public instaure une relation d’agence entre l’Etat / principal et l’entreprise privée
chargée de mission de service public / agent. L’entreprise privée dispose généralement d’une expertise, d’une
information de meilleure qualité que l’Etat. J. Tirole a modélisé ces problèmes découlant de la privatisation et de
l’ouverture à la concurrence. Ces modèles suggèrent qu’il n’y a pas de « one best way », de solution optimale
partout. L’arbitrage entre nationalisation et encadrement, le degré et les formes d’encadrement sont à adapter aux
spécificités de chaque activité. Les choix publics sont d’ailleurs évolutifs et devenus plus gradualistes. Après les