PHYSICO-CHIMIE DE L'EAU
Paul Caro
Cité des Sciences et de l'Industrie
75930 Paris Cedex 19
L'eau était pour les Anciens l'un des quatre éléments fondamentaux. Elle a perdu ce statut en
Juin 1783, lorsque Lavoisier et Laplace ont démontré par synthèse, lors d'une expérience
publique célèbre, que l'eau contenait 85% en poids d'un gaz baptisé plus tard oxygène et
15% en poids d'un autre gaz baptisé plus tard hydrogène. Ce résultat devait être confirmé par
Meusnier lors d'une expérience inverse de décomposition en 1784. En 1800, grâce à la pile
électrique de Volta, on obtiendra la composition volumétrique : 72 volumes d'oxygène pour
143 volumes d'hydrogène. La route était donc ouverte vers la formule : H2O.
Comme beaucoup de substances, l'eau se présente sous les trois états : solide, liquide, gaz.
Chacun d'eux a des propriétés physiques et chimiques particulières. La température moyenne
à la surface de la planète Terre est particulièrement bien adaptée à la co-existence de ces
trois états, le point triple de l'eau étant fixé à 273,16 degrés kelvin soit, par définition,
centigrade (la pression de la vapeur d'eau en équilibre avec le solide et le liquide est alors de
6,1 millibar). Il est donc facile, avec une dépense d'énergie réduite, de faire passer l'eau d'un
état à un autre en exploitant des cycles thermodynamiques qui jouent sur la température et la
pression. En raison de la répartition des températures sur la croûte terrestre continentale ou
océanique, l'état le plus fréquent, à l'exception des extrémités du monde et des sommets, est
l'état liquide. Cependant, il y a toujours une tension de vapeur (une certaine proportion de
vapeur d'eau dans la phase gazeuse) au dessus de l'eau liquide ou gelée dont la valeur
dépend naturellement de la température, mais qui n'est jamais nulle. C'est la cause physique
des échanges de matière qui se font sur la Terre entre les océans, les continents et
l'atmosphère et qui alimentent notamment les systèmes pluviométriques lorsque la vapeur
accumulée dans l'air se condense en gouttes de liquide.
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On sait que la matière est formée d'atomes et/ou de molécules. En général, atomes et
molécules s'assemblent en grandes collectivités d'individus, identiques ou différents, serrés
les uns contre les autres et reliés fermement entre eux par des liaisons chimiques ou des
attractions électriques. Ce sont les solides et les liquides. Le plus souvent, dans un solide
(comme la glace), ces arrangements se font sur une longue distance selon une géométrie
rigoureuse : c'est le monde du cristal. Mais pour les liquides et d'autres types de solides, les
verres et les amorphes, l'empilement se fait un peu au hasard, n'importe comment, et on ne
reconnaît pas de géométrie bien nette, sauf peut-être dans l'environnement immédiat d'un
atome ou d'une molécule. Pour le liquide, les atomes (dans un métal liquide par exemple) ou
les molécules (comme dans l'eau) sont toujours en mouvement les uns par rapport aux autres,
les positions respectives changent d'autant plus rapidement que la température est plus
élevée. Le flux d'atomes ou de molécules qui s'échappent de la surface de la matière
condensée contribue à maintenir la concentration de ces espèces dans la phase gazeuse.
Normalement, lorsque le système est en équilibre, le nombre des espèces atomiques ou
moléculaires qui se condensent sur la surface est égal au nombre de celles qui s'en
échappent. Cela n'est vraiment possible que si le système est isolé (une enceinte fermée par
exemple). Si les départs sont plus importants, la masse condensée entière peut être
consommée (on peut sublimer la glace si l'on pompe constamment l'air à la surface). Dans la
vapeur, atomes et/ou molécules sont écartés les uns des autres parce qu'ils se dispersent dans
l'espace de la phase gazeuse ou dans le vide. Dans cette situation, ils ne s'influencent pas
trop réciproquement et on peut donc établir une description de l'atome ou de la molécule
isolée et analyser ses propriétés.
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La structure de la molécule
L'analyse chimique a établi que la molécule d'eau est formée de deux atomes d'hydrogène et
d'un atome d'oxygène. De là la formule H2O. La question que se posent les chimistes
structuralistes est de savoir quel est l'arrangement de ces trois atomes dans la molécule. C'est
une information qui ne peut être obtenue qu'indirectement : on ne peut pas (encore) "voir"
les molécules d'eau (par des techniques de microscopie électronique ou à effet tunnel), on
doit donc déduire la structure de mesures qui sont particulièrement sensibles à sa géométrie.
Ces mesures sont celles des vibrations mécaniques de l'ensemble formé par les trois corps de
poids très différents qui forment la molécule. Le système mécanique peut être imaginé sous
la forme de trois boules, une grosse et deux petites, reliées entre elles par des ressorts
souples. Les boules s'écartent et se rapprochent régulièrement les unes des autres (ce sont les
élongations), ou l'ensemble se tord autour du plan formé par les trois atomes (ce sont les
torsions), ou encore les boules tournent par rapport à l'axe de la liaison (ce sont les
rotations). L'analyse mathématique de ces mouvements, à partir d'un modèle géométrique et
avec l'aide de la théorie des groupes, permet de les décomposer en un nombre réduit de
fréquences propres. Les énergies associées peuvent être mesurées avec une extrême
précision parce qu'elles correspondent au domaine infrarouge du spectre électromagnétique
de la lumière et que par conséquent, une source de lumière "blanche" infrarouge permettra
de repérer les absorptions correspondant à ces énergies. Il est très facile d'obtenir pour l'eau
dans sa vapeur des spectres d'absorption infrarouges formés de raies très fines et très
nombreuses (2500 entre les longueurs d'onde 1,25 et 1,41 microns). Un calcul de mécanique
à partir d'un modèle permet de trouver la forme de la molécule qui donne lieu à ce spectre
par sa reproduction parfaite (sa simulation), à la fois en ce qui concerne la position
énergétique des raies et leur intensité. Ainsi, en 1956, la forme de la molécule d'eau a pu être
déterminée.
C'est celle d'un compas dont l'axe de rotation est occupé par le noyau de l'atome lourd
(l'oxygène) et dont les pointes supportent les noyaux des deux atomes d'hydrogène à une
distance de 0,9572 +/- 0,003 angströms (l'angström est une unité de mesure fréquemment
utilisée par les cristallographes car elle correspond bien aux distances interatomiques, elle
vaut 10-10 mètres). L'angle d'ouverture du compas est de 104°,52 +/- 0°,05.
L'eau dans sa vapeur
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La structure électrique
La forme ainsi déterminée implique un déséquilibre. En effet, les charges électriques
négatives associées à l'atome d'oxygène se concentrent vers l'axe du compas alors que les
charges électriques positives associées aux deux atomes d'hydrogène se répartissent sur un
arc de cercle entre les deux branches du compas. Lorsque dans une molécule, les charges
électriques sont ainsi séparées, elles forment un petit dipôle qui produit un champ électrique.
Mathématiquement, ce champ peut être décrit par une expansion en série de Taylor. Le
premier terme de cette expansion, le terme linéaire, est caractérisé par un coefficient qui est
le moment dipolaire. Il a une valeur très élevée pour l'eau par rapport à d'autres molécules. Il
vaut : 1,8546 +/- 0,0004 debye (pour la vapeur d'eau).
La structure électronique
Les chimistes théoriciens ont beaucoup travaillé pour reproduire la forme de la molécule
d'eau à partir de calculs a priori. Ces calculs sont très complexes et exigent des ordinateurs
puissants, car ils doivent prendre en compte les états fortement excités de l'eau. Ceux-ci
correspondent à des changements de nombres quantiques des électrons dans les
configurations électroniques de base des trois atomes et donnent lieu à des absorptions dans
l'ultraviolet lointain (1650 angströms). Cette très grande différence d'énergie explique la
transparence de l'eau pour la lumière solaire. A l'état liquide, sous forte épaisseur, l'eau
parait bleue car les harmoniques des états vibrationnels correspondants aux mouvements
mécaniques de la molécule absorbent un peu vers le rouge. Sous irradiation ultraviolette, la
vapeur d'eau peut se photodissocier, se décomposer en hydrogène et oxygène, ce qui est un
moyen de produire de l'hydrogène (un gaz qui brûle en reformant de l'eau !). Cette
possibilité a incité les chercheurs à travailler de multiples cycles exploitant l'énergie gratuite
qu'est la lumière solaire, ou des combinaisons chimiques, pour tenter d'obtenir un
combustible à partir de l'eau. Ces essais n'ont jamais pu déboucher sur des procédés
réellement économiques ... Les calculs reproduisent bien la forme, les distances et les
angles, mais ils ont beaucoup plus de difficultés à localiser les charges électriques et à
reproduire le moment dipolaire. La répartition des 10 électrons dans la molécule (8 pour
l'oxygène, 2 pour les hydrogènes), reste un sujet de vives disputes entre les spécialistes qui
notamment discutent de l'existence de "paires libres" (électrons non échangés avec un autre
noyau) sur le "dos" de l'atome d'oxygène, .
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Les polymères de l'eau
Puisque la molécule d'eau est un dipôle avec un côté "plus" et un côté "moins", on imagine
qu'il est facile de les "coller" l'une à l'autre tête bêche, le plus du côté du moins et ainsi de
suite. C'est bien ce qui arrive. Il est très facile de produire des dimères, trimères, etc... de
l'eau (il suffit de faire passer des molécules d'eau dispersées dans un gaz à travers un petit
orifice à une vitesse supersonique et de détendre à la sortie le "jet" moléculaire ainsi produit
dans un vide poussé). Le dimère (H2O)2 a été très étudié, il offre une très grande variété de
structures (au moins 8 !), séparées par des différences d'énergie très faibles, si bien que cette
molécule peut se déformer constamment en empruntant simplement l'énergie nécessaire au
milieu ambiant la température ordinaire). Cette flexibilité est la marque d'une
extraordinaire souplesse des liaisons des molécules d'eau entre elles, caractérisées par une
très grande facilité de déformation. Le trimère et les autres associations connues sont dans le
même cas. Il existe des espèces chargées formées d'agrégats de molécules d'eau. La capture
d'un proton (le noyau de l'atome d'hydrogène) pour donner une espèce positive est très
fréquente car la molécule d'eau a une très grande affinité pour le proton (l'énergie de liaison
est de 167 kcal. par mole). On a étudié des ions qui sont des protons hydratés et qui forment
une série : H3O+(H2O)n. Ce sont les ions principaux dans l'atmosphère raréfiée (103
particules par cm3) de la région D de la mésosphère terrestre, une zone dont l'altitude est
comprise entre 60 et 90 km au dessus du sol. Les ions de n=0 à n=4 dominent, mais dans la
couche froide (- 93° C) vers 85 km d'altitude, n peut atteindre une valeur de 10. Ces protons
hydratés jouent un rôle important dans le transport du courant électrique par l'eau liquide et
aussi, on les retrouve à l'état solide dans des structures cristallines comme celles des
hydrates d'acides organiques. Les agrégats de molécules d'eau peuvent également capturer
un électron pour former des espèces négatives et ces associations sont d'autant plus stables
que le nombre de molécules d'eau dans l'agrégat est plus élevé (de 32 à 64).
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