offre et demande : le poulet de Namur
Monsieur R se rend sur le marché de Namur le samedi matin, envoyé par Mme R qui lui a
recommandé d’acheter un bon poulet fermier, pour les parents de madame, qui sont invités le
soir même à la maison. Monsieur R croise son bon camarade monsieur L, et comme ils ne se
sont plus vus depuis longtemps, ils s’installent à une terrasse de café pour refaire le monde et
goûter aux joies des bières d’abbaye.
Entre-temps, Mme M, ménagère modèle, se rend sur le marché et commence par réserver,
comme chaque samedi depuis 12 ans, un excellent poulet fermier à l’enseigne des « cocottes
du couvent », garantie poulets qui courent. Mme M poursuit son marché, le cœur et le cabas
légers, confiante dans la rigueur morale des petits commerçants bien de chez nous.
À 13h25, Monsieur R bondit de son siège en consultant l’horloge au clocher de l’église.
Catastrophe ! Voila un week-end qui s’annonce bien mal… D’autant qu’il y a un match de
football à la télévision, et que monsieur R compte bien essayer d’abandonner sa moitié à ses
responsabilités d’hôtesse et de fille. Il est donc très motivé à trouver un poulet d’excellente
qualité. Il se précipite au dernier étal pas encore totalement replié. Heureusement, il reste UN
poulet, à 10€. Monsieur R respire. « Je prends le poulet, madame, s’il vous plaît ». On s’en
doute, il est aux « cocottes du couvent », et la marchande ne veut pas lui vendre le poulet qui
est réservé pour Mme M. « je vous en donne 12€ ! ». Rien à faire ! Mme M est une bonne
cliente et… « 15 € !». Bien sûr, pour finir, la fidélité ayant ses limites, Mme M ayant dit
qu’elle repasserait « vers 1 heure quart », et la vie étant ce qu’elle est, Monsieur R peut
emmener son poulet à 15€ et voguer vers les délices des soirées familiales.
L’augmentation forte de la demande par rapport à une offre constante a fait monter les prix.
Admettons que, ce jour là, il ait draché sans arrêt depuis le début du marché. D’abord,
monsieur R et monsieur L ne se seraient pas installés à la terrasse, mais au comptoir. Mais ce
n’est pas le plus intéressant !
Tout se passe comme précédemment.
À 13h27, monsieur R arrive aux « cocottes du couvent ». Il reste une douzaine de poulets
invendus. Presque personne n’est venu sur le marché. La marchande est complètement
démoralisée et songe sérieusement à un troisième plan-formation. Mme M aura son poulet,
sauf qu’elle n’est pas venue non plus, parce qu’elle descend en vélo, et qu’il ne faut exagérer.
La marchande voudrait vraiment bien rentrer chez elle pour se sécher et propose à monsieur R
deux poulets pour 10€.
La baisse de la demande a fait chuter les prix.
Et si monsieur B, de chez « poulets en liberté » s’était installé à côté des « cocottes du
couvent », ce jour-là, parce qu’il n’a pas obtenu sa place habituelle sur le marché à cause des
embouteillages sur l’E411, il se pourrait bien qu’il ait proposé, pour se débarrasser de son
stock, 3 poulets pour 10€. « Sinon, je les jette ! »
L’augmentation de l’offre par rapport à une demande constante réduite aurait fait baisser
encore les prix.
Sans mécanisme régulateur, la valeur de toute chose, dans le domaine du poulet, des devises
financières, ou, malheureusement, sur le marché du travail, est définie par le rapport entre
l’offre et de la demande.