Institut des Filles de Marie-Auxiliatrice Rome N° 860 LA RECONCILIATION DIMENSION DE LA COMMUNION Dans la circulaire commune de juin dernier, nous avons montré que la réalisation du séminaire sur la spiritualité de communion suscite actuellement partout enthousiasme et désir d’un engagement renouvelé pour vivre avec cohérence les exigences de notre vocation. Dans cette lettre, chères Sœurs, je voudrais souligner une dimension fondamentale de la communion, qui la rend possible dans la vie des Communautés et dans la mission : la réconciliation. Un regard attentif sur les évènements du monde nous rend conscientes de la propagation de la violence dans les paroles et dans les gestes ; de la division qui bloque les Communautés locales, nationales et internationales dans la voie d’humanisation qui devrait assurer à chaque personne, à chaque peuple, dignité et paix. Au cours de la rencontre internationale des Supérieures Générales (UISG) de mai dernier, nous avons pris l’engagement de promouvoir le dialogue, la paix, la réconciliation, disposées à payer un prix même élevé pourvu que ces biens soient assurés. Cela vaut aussi pour notre famille religieuse. Je remercie les Sœurs qui se font humbles médiatrices de réconciliation entre des parties adverses, alors qu’elles font entendre avec courage et prudence, leur voix pour défendre les intérêts des pauvres, dénoncer les injustices, et proposer des voies alternatives à la solution des conflits Cependant, même dans nos Communautés, on peut rencontrer des situations qui nécessitent une réconciliation, qui rendent moins efficace le message évangélique, moins féconde la mission que l’Eglise confie à la vie consacrée (cf VC n° 51) qui rendent infructueux même le séminaire sur la spiritualité de communion. Les réflexions sur la réconciliation que je propose aujourd’hui veulent nous aider à réfléchir sur cette dimension qui constitue une condition pour vivre la communion , non seulement à l’intérieur de la Communauté religieuse, mais aussi dans la communauté éducative, dans la paroisse et en chaque type de rapport. Shalom, paix à vous ! C’est là le salut qui annonce l’accomplissement de la mission de Jésus.La paix est le 1er don, le don le plus important du Ressuscité à ses disciples, à qui il se laisse lui-même comme paix et réconciliation. Elle est communiquée avec le don de l’Esprit. Jésus l’offre en soufflant sur ses disciples : un geste qui renouvelle l’acte de la création, quand le souffle de Dieu tirait toutes choses du néant. En effet, la paix, fruit de la conciliation , est une seconde création, œuvre de l’Esprit . Ainsi l’invitation à nous laisser réconcilier avec Dieu (2 Cor. V, 20) se traduit en appel à vivre la vie selon l’Esprit, à accueillir chaque jour la paix que Jésus nous donne, à entrer dans la nouvelle vision dont Il nous a donné le témoignage : le visage de compassion et de tendresse de Dieu-communion d’amour. Une parabole de J. Joergensen, intitulée « Le fil d’en-haut », parle d’une araignée qui a tissé une toile merveilleuse , en employant beaucoup de temps. A la fin elle regarde son chef-d’œuvre avec complaisance. En se tournant vers le haut, elle aperçoit un fil qui semble troubler la beauté de l’ensemble et elle le coupe. La magnifique toile tombe à terre et se réduit en miettes La parabole indique l’importance de respecter le fil porteur de l’existence. La coupure du fil vertical influe d ’une façon négative sur l’harmonie intérieure de la personne, sur ses rapports avec d’autres êtres humains et avec la nature. L’expérience du rapport avec Dieu est le fil qui maintient en vie la toile précieuse que l’Esprit tisse dans notre existence, avec des résonances de réconciliation et de paix, dans l ‘histoire humaine et dans la création. Grâce à l’Esprit, nous comprenons que ne sont pas excessives les demandes de Jésus : d’aimer, de pardonner, de consentir même quand cela pourrait nous sembler exagéré et injuste, comme présenter l’autre joue à celui qui nous frappe, offrir notre manteau à celui que veut nous prendre la tunique, parcourir deux mille avec celui qui demande à en parcourir un, ne pas tourner le dos : celui qui demande un emprunt ( cf.Mat. V, 39-42) Shalom est la salutation enracinée dans l’expérience de mort et de résurrection et non l’idylle de qui rêve d’une réconciliation à bas prix. Dans la vie de Jésus la trahison de ses disciples eux-mêmes est précédée par l’hostilité de ses ennemis, par l’expérience de l’abandon apparent , même de la part de son Père, et de remise confiante en Lui (cf Lc. 23,46) Malgré la douleur et la souffrance sur la Croix, Jésus est en contact avec son Père, il sait qu’il est entre ses mains, qu’il se trouve chez lui (dans sa maison) : un espace de liberté où les hommes ne peuvent pas le blesser par leur haine et leurs offenses. Avant de transmettre la paix à ses disciples, sa voix s’était élevée de la Croix pour demander au Père de pardonner à ceux qui le crucifiaient. Eux, en effet « ne savent pas ce qu’ils font » (Lc XXIII,XXIV). Le péché, les infidélités nous placent parmi ceux qui ne savent pas ce qu’ils font et qui ont donc besoin du pardon du Père. Si nous l’accueillons, son regard miséricordieux nous convertit, nous permettant de revenir le regarder en qualité de filles et de regarder la vie comme un appel au service de la communion de tous ses fils , de toutes ses filles. La réconciliation sacramentelle aussi est l’élément central de la commuauté chrétienne, famille convoquée autour de « Notre Père » dont elle reçoit le pardon et par qui elle est habilitée à l’accorder. Nous avons besoin chaque jour du pardon comme du pain pour vivre réconciliées et pour rendre la communion effective. Les Constitutions présentent le sacrement du pardon comme une rencontre confiante avec la fidélité et la miséricorde du Père qui renouvelle notre insertion dans le mystère de mort et de résurrection du Christ et nous réconcilie avec nos frères dans l’Eglise. Il nous aide à accepter notre pauvreté dans la paix et à poursuivre notre chemin de libération du péché. (C. n° 41) Parcours de réconciliation Accepter dans la paix notre pauvreté est un don d’en Haut et, en même temps, c’est un engagement qui demande un chemin de libération. Il s’agit de mettre en route un processus de réconciliation qui comprenne des éléments de connaissance, des éléments émotifs, spirituels et de comportement qui aident à mettre de côté le droit au ressentiment , au jugement négatif, au comportement d’indifférence et de méfiance envers ceux qui nous ont offensées, en laissant affleurer, au contraire, des sentiments de compassion et de pardon. Une nouvelle optique, présentée aussi dans la rencontre UISG, est l’optique des parcours de réconciliation à partir de la victime. La première réconciliation commence avec l’ennemi qui est à l’intérieur de nous-mêmes. C’est une réconciliation parfois plus difficile que la réconciliation avec l’ennemi qui est en dehors de nous. Souvent nous sommes en litige avec nous-mêmes. Nous n’arrivons pas à nous pardonner quand nous avons commis une erreur qui a éclaboussé notre image. Nous pouvons arriver à ne pas accepter l’histoire de notre vie et à accuser des facteurs externes comme cause de nos souffrances. Le refus de nous réconcilier avec notre histoire personnelle – expériences de l’enfance, formation reçue …- conduit à ne pas nous sentir responsables, ni de nous-mêmes, ni des autres. Nous vivons ainsi constamment hors du banc de l’accusation ; et puisque tout dépend de l’extérieur, nous retenons que nous ne devons rien changer en nous-mêmes. Toutes, nous avons été blessées en quelque manière, mais nous sommes convaincues que toute blessure peut guérir jusqu’à être transfomée en perle, pourvu que nous regardions avec amour ce qui contredit notre image ; nous nous réconcilions avec ce que nous avions refusé ou exclu parce que cela ne correspond pas à la vision idéale que nous avons de nous ; nous acceptons avec humilité et courage de descendre de la position élevée où nous pensions nous trouver ; enfin, nous remettons au Seigneur, sans peur, nos pauvretés. Quelque soit la chose que notre cœur nous reproche, Dieu est en effet plus grand que notre cœur (cf I Jn, 3,20) Nos blessures, nos péchés sont effacés par la Croix du Christ. Le baiser de paix du pardon descend de cet arbre et transforme les blessures en perles La réconcililation avec les autres exige, en premier, d’accepter la douleur qu’ils nous ont causée puis de prendre de la distance pour juger la situation avec plus d’objectivité, puis laisser son cœur devenir progressivement capable de se détacher de la blessure jusqu’à la remettre à Dieu pour qu’Il la guérisse et nous dispose au pardon. Tant que nous ne pardonnons pas à la personne qui nous a offensées, nous lui accordons le contrôle sur nous-mêmes. L’invocation de Jésus à son Père, de pardonner aux ennemis parce qu’ ils ne savent pas ce qu’ils font, plus que de se référer à l’inconscience de leurs actions, indique qu’ils sont blessés au point de transmettre à d’autres leurs blessures. Cela arrive parfois dans nos Communautés aussi : des Sœurs qui en blessent d’autres pour pouvoir croire à leurs propres forces, pour se sentir maîtresse d’une situation qu’en réalité elles ne dominent pas. Si au contraire, elles s’ouvrent au pardon au lieu de persister dans le sentiment d’être victimes, elles interdisent à qui les a blessées de les contrôler. Au profond de nous-mêmes, il existe un lieu de silence, un lieu où Dieu habite, où notre moi est libre et où les blessures guérissent : c’est le lieu du pardon et de la réconciliation, signe de force et non pas de faiblesse. La Bible nous présente de nombreux exemples de réconciliation à partir de la victime. Je reprends ceux qui ont été signalés à la rencontre UISG. Pour se réconcilier avec le frère auquel il avait soustrait le droit d’aînesse, Jacob décide d’aller à sa rencontre. Tandis qu’il avançait, il se prosterna sept fois à terre. Il ne pouvait imaginer les dispositions intérieures d’Esaü. Celui-ci « courut à sa rencontre, l’embrassa, se jeta à son cou, il le baisa et pleura » (Gen.33, 1-4) en l’appelant frère. De même l’épisode de Joseph montre que la voie décisive pour la réconciliation est celle de partir de celui qui a été offensé. A la vue de ses frères qui s’étaient rendus en Egypte pour lutter contre la disette, Joseph aurait pu prendre une voie différente : se venger, les renvoyer les mains vides. Il choisit au contraire la voie de la compassion : il pousse un cri de douleur, il révèle à ses frères son identité, les disculpe de leur faute, interprète la situation comme une occasion permise par Dieu pour les garder en vie. (cf Gn.. 45, 1-5) Les épisodes cités attestent que la réconciliation commence par ceux qui ont été offensés. Cela rachète réellement le coupable, transforme les relations en occasion de communion et de paix. Des exemples de ce genre se vérifient aussi dans nos Communautés. Nous apprenons à être disponibles pour la réconciliation et, en même temps, à savoir attendre pour laisser se calmer les sentiments et pour pouvoir regarder la blessure sous un autre angle. Plus qu’accuser l’autre personne, nous l’informons simplement des sentiments que son comportement a produit en nous, en lui laissant ensuite la liberté d’accepter notre disponibilité à lui pardonner. De cette façon, elle ne se sent pas accusée et le pardon n’a été ni vainqueur ni vaincu. IL s’agit de parcourir de nouveaux chemins de réconciliation qui, tout en donnant la paix, ne mortifient pas les autres ; au contraire, ils font qu’ils se sentent entraînés dans le même mouvement. Il faut en définitive, croire à la libéralité de Dieu, à sa compassion pour tout être humain, expression d’un amour qui ne disparaît pas malgré nos infidélités ; un amour qui, s’il est assimilé, devient en nous le ressort puissant du pardon, en renouvelant la pensée, le cœur, le langage, les gestes. Artisans de réconciliation : Toujours au cours de la rencontre UISG, près de 800 Supérieures Générales venant de 70 pays, en représentation d’un million de membres présents dans les cinq continents, nous avons exprimé la conviction qu’il n’existe pas de mission plus importante à notre époque que d’être artisans de réconciliation et d’espérance pour le monde. Notre dernier Chapitre reconnaissait que la communion est le rêve de Dieu sur l’humanité ; la déclaration UISG affirme que la réconciliation est le rêve de Dieu pour le monde. Cette coïncidence d’orientations nous aide à comprendre que la communion demande comme condition nécessaire, la réconciliation et reconnaît en même temps qu’elle en est le fruit. En tant que rêve de Dieu, elle a ses racines en Lui, Source de guérison et de pardon. Pour être artisans de réconciliation, nous devons donc demeurer en Dieu, vivre de l’Esprit, nous laisser convertir le cœur par Lui. La réconciliation, en effet, avant d’être une action est une spiritualité. Elle requiert écoute quotidienne de la Parole, disponibilité à la prière du coeur, valorisation de l’Eucharistie et du Sacrement du pardon. Intérieurement réconciliées, Dieu nous confie le ministère de la réconciliation (cf 2 Cor V, 17-20). Il nous rend signes et porteuses de réconciliation aux autres, dans les situations concrètes de la vie où se manifeste la mentalité nouvelle, fruit de l’assimilation des béatitudes, de l’intériorisation du « Notre Père ». Quels sont les lieux où s’exprime la réconciliation ? Par quels moyens s’exprime-t-elle ? Je crois que nous devons, avant tout, partir des pensées et des émotions qui influencent le milieu où nous vivons jusqu’à parfois le polluer. Si nous examinons attentivement, nous pouvons rencontrer en nous des préjugés qui nous font lire la réalité d’une façon déformée. Cela est source de malentendus, cela porte à étiqueter les personnes à cause de paramètres purement subjectifs ; cela crée de la méfiance, rend inauthentique la prière qui devrait exprimer un unique mouvement d’amour envers Dieu et envers le prochain (cf C. 38). IL est de plus nécessaire de cultiver un langage qui réconcilie, en abandonnant celui qui offense, qui divise, qui blesse. Nous devons expérimenter une nouvelle façon de parler qui unisse et pacifie, qui communique à chacun la certitude d’être écouté et compris, qui renouvelle en un certain sens le miracle de la Pentecôte. L’Esprit, en effet, est communion, contrairement au diable qui est par définition celui qui divise. Nous avons besoin d’apprendre à communiquer en profondeur, de savoir prononcer des paroles vraies, des paroles simples que tous puissent comprendre, des paroles de vie qui entraînent sur le plan existentiel. Etre des artisans de réconciliation requiert aussi des actions concrètes qui la promeuvent. A la rencontre UISG, plusieurs ont été présentées : Travailler en collaboration avec d’autres associations, pour la justice, la solution des conflits, la fin de toutes guerres et des différentes formes de violence, communiquer des épisodes, des histoires, des expériences de réconciliation, promouvoir des initiatives de dialogue, de compréhension et de réconciliation entre les différentes cultures et religions, développer des relations de réciprocité entre femmes et hommes, intensifier les efforts pour extirper la traite des femmes et des enfants, promouvoir l’éducation des femmes et des petites filles, favoriser la paix et la sauvegarde du créé. La réconciliation s’exprime aussi par le moyen de gestes symboliques : du partage du pain quotidien et de la table eucharistique vécu avec une plus grande conscience, aux rituels de la réconciliation, par exemple, la bénédicton réciproque, le geste d’allumer une lampe et de la placer en un lieu significatif pour exprimer la disponibilité à l’action de l’Esprit, le fait de planter un arbre qui soit un témoignage d’espérance, se regrouper autour de la croix et de se signer d’un geste lent et convaincu. La Croix, en effet, plus que tout autre symbole, rappelle la voie de notre salut et le prix de toute vraie victoire. Comme nouvelle création, la réconciliation demande de « naître d’en-Haut (cf Jn III, 11-3), c’est-à-dire de naître de la Croix. La maternité de Marie est née sous la croix. C’est à elle que nous voulons confier l’effort de vivre réconciliées et de promouvoir ce style de vie dans les lieux de notre mission. Nous rendrons ainsi témoignage de l’esprit de compassion et de miséricorde, de respect et d’espérance du Dieu-Amour qui nous appelle à la communion. Rome, le 24 septembre 2004 Avec affection, votre Mère Sr. Antonia Colombo