Rome, le 24 septembre 2004

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Institut des Filles de Marie-Auxiliatrice
Rome
N° 860
LA RECONCILIATION DIMENSION DE LA COMMUNION
Dans la circulaire commune de juin dernier, nous avons montré que la
réalisation du séminaire sur la spiritualité de communion suscite actuellement
partout enthousiasme et désir d’un engagement renouvelé pour vivre avec
cohérence les exigences de notre vocation.
Dans cette lettre, chères Sœurs, je voudrais souligner une dimension
fondamentale de la communion, qui la rend possible dans la vie des
Communautés et dans la mission : la réconciliation.
Un regard attentif sur les évènements du monde nous rend conscientes de la
propagation de la violence dans les paroles et dans les gestes ; de la division qui
bloque les Communautés locales, nationales et internationales dans la voie
d’humanisation qui devrait assurer à chaque personne, à chaque peuple, dignité
et paix.
Au cours de la rencontre internationale des Supérieures Générales (UISG) de
mai dernier, nous avons pris l’engagement de promouvoir le dialogue, la paix, la
réconciliation, disposées à payer un prix même élevé pourvu que ces biens
soient assurés.
Cela vaut aussi pour notre famille religieuse. Je remercie les Sœurs qui se font
humbles médiatrices de réconciliation entre des parties adverses, alors qu’elles
font entendre avec courage et prudence, leur voix pour défendre les intérêts des
pauvres, dénoncer les injustices, et proposer des voies alternatives à la solution
des conflits
Cependant, même dans nos Communautés, on peut rencontrer des situations qui
nécessitent une réconciliation, qui rendent moins efficace le message
évangélique, moins féconde la mission que l’Eglise confie à la vie consacrée (cf
VC n° 51) qui rendent infructueux même le séminaire sur la spiritualité de
communion.
Les réflexions sur la réconciliation que je propose aujourd’hui veulent nous
aider à réfléchir sur cette dimension qui constitue une condition pour vivre la
communion , non seulement à l’intérieur de la Communauté religieuse, mais
aussi dans la communauté éducative, dans la paroisse et en chaque type de
rapport.
Shalom, paix à vous !
C’est là le salut qui annonce l’accomplissement de la mission de Jésus.La
paix est le 1er don, le don le plus important du Ressuscité à ses disciples, à qui il
se laisse lui-même comme paix et réconciliation. Elle est communiquée avec le
don de l’Esprit. Jésus l’offre en soufflant sur ses disciples : un geste qui
renouvelle l’acte de la création, quand le souffle de Dieu tirait toutes choses du
néant.
En effet, la paix, fruit de la conciliation , est une seconde création, œuvre de
l’Esprit . Ainsi l’invitation à nous laisser réconcilier avec Dieu (2 Cor. V, 20) se
traduit en appel à vivre la vie selon l’Esprit, à accueillir chaque jour la paix que
Jésus nous donne, à entrer dans la nouvelle vision dont Il nous a donné le
témoignage : le visage de compassion et de tendresse de Dieu-communion
d’amour.
Une parabole de J. Joergensen, intitulée « Le fil d’en-haut », parle d’une
araignée qui a tissé une toile merveilleuse , en employant beaucoup de temps. A
la fin elle regarde son chef-d’œuvre avec complaisance. En se tournant vers le
haut, elle aperçoit un fil qui semble troubler la beauté de l’ensemble et elle le
coupe. La magnifique toile tombe à terre et se réduit en miettes
La parabole indique l’importance de respecter le fil porteur de l’existence. La
coupure du fil vertical influe d ’une façon négative sur l’harmonie intérieure de
la personne, sur ses rapports avec d’autres êtres humains et avec la nature.
L’expérience du rapport avec Dieu est le fil qui maintient en vie la toile
précieuse que l’Esprit tisse dans notre existence, avec des résonances de
réconciliation et de paix, dans l ‘histoire humaine et dans la création.
Grâce à l’Esprit, nous comprenons que ne sont pas excessives les demandes de
Jésus : d’aimer, de pardonner, de consentir même quand cela pourrait nous
sembler exagéré et injuste, comme présenter l’autre joue à celui qui nous frappe,
offrir notre manteau à celui que veut nous prendre la tunique, parcourir deux
mille avec celui qui demande à en parcourir un, ne pas tourner le dos : celui qui
demande un emprunt ( cf.Mat. V, 39-42)
Shalom est la salutation enracinée dans l’expérience de mort et de résurrection et
non l’idylle de qui rêve d’une réconciliation à bas prix. Dans la vie de Jésus la
trahison de ses disciples eux-mêmes est précédée par l’hostilité de ses ennemis,
par l’expérience de l’abandon apparent , même de la part de son Père, et de
remise confiante en Lui (cf Lc. 23,46) Malgré la douleur et la souffrance sur la
Croix, Jésus est en contact avec son Père, il sait qu’il est entre ses mains, qu’il se
trouve chez lui (dans sa maison) : un espace de liberté où les hommes ne
peuvent pas le blesser par leur haine et leurs offenses.
Avant de transmettre la paix à ses disciples, sa voix s’était élevée de la Croix
pour demander au Père de pardonner à ceux qui le crucifiaient. Eux, en effet
« ne savent pas ce qu’ils font » (Lc XXIII,XXIV).
Le péché, les infidélités nous placent parmi ceux qui ne savent pas ce qu’ils font
et qui ont donc besoin du pardon du Père. Si nous l’accueillons, son regard
miséricordieux nous convertit, nous permettant de revenir le regarder en qualité
de filles et de regarder la vie comme un appel au service de la communion de
tous ses fils , de toutes ses filles.
La réconciliation sacramentelle aussi est l’élément central de la commuauté
chrétienne, famille convoquée autour de « Notre Père » dont elle reçoit le
pardon et par qui elle est habilitée à l’accorder.
Nous avons besoin chaque jour du pardon comme du pain pour vivre
réconciliées et pour rendre la communion effective. Les Constitutions présentent
le sacrement du pardon comme une rencontre confiante avec la fidélité et la
miséricorde du Père qui renouvelle notre insertion dans le mystère de mort et de
résurrection du Christ et nous réconcilie avec nos frères dans l’Eglise. Il nous
aide à accepter notre pauvreté dans la paix et à poursuivre notre chemin de
libération du péché. (C. n° 41)
Parcours de réconciliation
Accepter dans la paix notre pauvreté est un don d’en Haut et, en même temps,
c’est un engagement qui demande un chemin de libération. Il s’agit de mettre en
route un processus de réconciliation qui comprenne des éléments de
connaissance, des éléments émotifs, spirituels et de comportement qui aident à
mettre de côté le droit au ressentiment , au jugement négatif, au comportement
d’indifférence et de méfiance envers ceux qui nous ont offensées, en laissant
affleurer, au contraire, des sentiments de compassion et de pardon.
Une nouvelle optique, présentée aussi dans la rencontre UISG, est l’optique des
parcours de réconciliation à partir de la victime.
La première réconciliation commence avec l’ennemi qui est à l’intérieur de
nous-mêmes. C’est une réconciliation parfois plus difficile que la réconciliation
avec l’ennemi qui est en dehors de nous. Souvent nous sommes en litige avec
nous-mêmes. Nous n’arrivons pas à nous pardonner quand nous avons commis
une erreur qui a éclaboussé notre image. Nous pouvons arriver à ne pas accepter
l’histoire de notre vie et à accuser des facteurs externes comme cause de nos
souffrances. Le refus de nous réconcilier avec notre histoire personnelle –
expériences de l’enfance, formation reçue …- conduit à ne pas nous sentir
responsables, ni de nous-mêmes, ni des autres. Nous vivons ainsi constamment
hors du banc de l’accusation ; et puisque tout dépend de l’extérieur, nous
retenons que nous ne devons rien changer en nous-mêmes.
Toutes, nous avons été blessées en quelque manière, mais nous sommes
convaincues que toute blessure peut guérir jusqu’à être transfomée en perle,
pourvu que nous regardions avec amour ce qui contredit notre image ; nous nous
réconcilions avec ce que nous avions refusé ou exclu parce que cela ne
correspond pas à la vision idéale que nous avons de nous ; nous acceptons avec
humilité et courage de descendre de la position élevée où nous pensions nous
trouver ; enfin, nous remettons au Seigneur, sans peur, nos pauvretés. Quelque
soit la chose que notre cœur nous reproche, Dieu est en effet plus grand que
notre cœur (cf I Jn, 3,20) Nos blessures, nos péchés sont effacés par la Croix du
Christ. Le baiser de paix du pardon descend de cet arbre et transforme les
blessures en perles
La réconcililation avec les autres exige, en premier, d’accepter la douleur
qu’ils nous ont causée puis de prendre de la distance pour juger la situation avec
plus d’objectivité, puis laisser son cœur devenir progressivement capable de se
détacher de la blessure jusqu’à la remettre à Dieu pour qu’Il la guérisse et nous
dispose au pardon. Tant que nous ne pardonnons pas à la personne qui nous a
offensées, nous lui accordons le contrôle sur nous-mêmes.
L’invocation de Jésus à son Père, de pardonner aux ennemis parce qu’ ils ne
savent pas ce qu’ils font, plus que de se référer à l’inconscience de leurs
actions, indique qu’ils sont blessés au point de transmettre à d’autres leurs
blessures.
Cela arrive parfois dans nos Communautés aussi : des Sœurs qui en blessent
d’autres pour pouvoir croire à leurs propres forces, pour se sentir maîtresse
d’une situation qu’en réalité elles ne dominent pas. Si au contraire, elles
s’ouvrent au pardon au lieu de persister dans le sentiment d’être victimes, elles
interdisent à qui les a blessées de les contrôler.
Au profond de nous-mêmes, il existe un lieu de silence, un lieu où Dieu habite,
où notre moi est libre et où les blessures guérissent : c’est le lieu du pardon et de
la réconciliation, signe de force et non pas de faiblesse.
La Bible nous présente de nombreux exemples de réconciliation à partir de la
victime. Je reprends ceux qui ont été signalés à la rencontre UISG. Pour se
réconcilier avec le frère auquel il avait soustrait le droit d’aînesse, Jacob décide
d’aller à sa rencontre. Tandis qu’il avançait, il se prosterna sept fois à terre. Il ne
pouvait imaginer les dispositions intérieures d’Esaü. Celui-ci « courut à sa
rencontre, l’embrassa, se jeta à son cou, il le baisa et pleura » (Gen.33, 1-4) en
l’appelant frère.
De même l’épisode de Joseph montre que la voie décisive pour la réconciliation
est celle de partir de celui qui a été offensé. A la vue de ses frères qui s’étaient
rendus en Egypte pour lutter contre la disette, Joseph aurait pu prendre une voie
différente : se venger, les renvoyer les mains vides. Il choisit au contraire la voie
de la compassion : il pousse un cri de douleur, il révèle à ses frères son identité,
les disculpe de leur faute, interprète la situation comme une occasion permise
par Dieu pour les garder en vie. (cf Gn.. 45, 1-5)
Les épisodes cités attestent que la réconciliation commence par ceux qui ont été
offensés. Cela rachète réellement le coupable, transforme les relations en
occasion de communion et de paix.
Des exemples de ce genre se vérifient aussi dans nos Communautés. Nous
apprenons à être disponibles pour la réconciliation et, en même temps, à savoir
attendre pour laisser se calmer les sentiments et pour pouvoir regarder la
blessure sous un autre angle. Plus qu’accuser l’autre personne, nous l’informons
simplement des sentiments que son comportement a produit en nous, en lui
laissant ensuite la liberté d’accepter notre disponibilité à lui pardonner. De cette
façon, elle ne se sent pas accusée et le pardon n’a été ni vainqueur ni vaincu.
IL s’agit de parcourir de nouveaux chemins de réconciliation qui, tout en
donnant la paix, ne mortifient pas les autres ; au contraire, ils font qu’ils se
sentent entraînés dans le même mouvement. Il faut en définitive, croire à la
libéralité de Dieu, à sa compassion pour tout être humain, expression d’un
amour qui ne disparaît pas malgré nos infidélités ; un amour qui, s’il est
assimilé, devient en nous le ressort puissant du pardon, en renouvelant la pensée,
le cœur, le langage, les gestes.
Artisans de réconciliation :
Toujours au cours de la rencontre UISG, près de 800 Supérieures Générales
venant de 70 pays, en représentation d’un million de membres présents dans les
cinq continents, nous avons exprimé la conviction qu’il n’existe pas de mission
plus importante à notre époque que d’être artisans de réconciliation et
d’espérance pour le monde.
Notre dernier Chapitre reconnaissait que la communion est le rêve de Dieu sur
l’humanité ; la déclaration UISG affirme que la réconciliation est le rêve de
Dieu pour le monde. Cette coïncidence d’orientations nous aide à comprendre
que la communion demande comme condition nécessaire, la réconciliation et
reconnaît en même temps qu’elle en est le fruit. En tant que rêve de Dieu, elle a
ses racines en Lui, Source de guérison et de pardon.
Pour être artisans de réconciliation, nous devons donc demeurer en Dieu, vivre
de l’Esprit, nous laisser convertir le cœur par Lui. La réconciliation, en effet,
avant d’être une action est une spiritualité. Elle requiert écoute quotidienne de la
Parole, disponibilité à la prière du coeur, valorisation de l’Eucharistie et du
Sacrement du pardon.
Intérieurement réconciliées, Dieu nous confie le ministère de la réconciliation
(cf 2 Cor V, 17-20). Il nous rend signes et porteuses de réconciliation aux
autres, dans les situations concrètes de la vie où se manifeste la mentalité
nouvelle, fruit de l’assimilation des béatitudes, de l’intériorisation du « Notre
Père ».
Quels sont les lieux où s’exprime la réconciliation ? Par quels moyens
s’exprime-t-elle ? Je crois que nous devons, avant tout, partir des pensées et des
émotions qui influencent le milieu où nous vivons jusqu’à parfois le polluer. Si
nous examinons attentivement, nous pouvons rencontrer en nous des préjugés
qui nous font lire la réalité d’une façon déformée. Cela est source de
malentendus, cela porte à étiqueter les personnes à cause de paramètres
purement subjectifs ; cela crée de la méfiance, rend inauthentique la prière qui
devrait exprimer un unique mouvement d’amour envers Dieu et envers le
prochain (cf C. 38).
IL est de plus nécessaire de cultiver un langage qui réconcilie, en abandonnant
celui qui offense, qui divise, qui blesse. Nous devons expérimenter une nouvelle
façon de parler qui unisse et pacifie, qui communique à chacun la certitude
d’être écouté et compris, qui renouvelle en un certain sens le miracle de la
Pentecôte. L’Esprit, en effet, est communion, contrairement au diable qui est
par définition celui qui divise. Nous avons besoin d’apprendre à communiquer
en profondeur, de savoir prononcer des paroles vraies, des paroles simples que
tous puissent comprendre, des paroles de vie qui entraînent sur le plan
existentiel.
Etre des artisans de réconciliation requiert aussi des actions concrètes qui la
promeuvent. A la rencontre UISG, plusieurs ont été présentées :
Travailler en collaboration avec d’autres associations, pour la justice, la solution
des conflits, la fin de toutes guerres et des différentes formes de violence,
communiquer des épisodes, des histoires, des expériences de réconciliation,
promouvoir des initiatives de dialogue, de compréhension et de réconciliation
entre les différentes cultures et religions, développer des relations de réciprocité
entre femmes et hommes, intensifier les efforts pour extirper la traite des
femmes et des enfants, promouvoir l’éducation des femmes et des petites filles,
favoriser la paix et la sauvegarde du créé.
La réconciliation s’exprime aussi par le moyen de gestes symboliques : du
partage du pain quotidien et de la table eucharistique vécu avec une plus grande
conscience, aux rituels de la réconciliation, par exemple, la bénédicton
réciproque, le geste d’allumer une lampe et de la placer en un lieu significatif
pour exprimer la disponibilité à l’action de l’Esprit, le fait de planter un arbre
qui soit un témoignage d’espérance, se regrouper autour de la croix et de se
signer d’un geste lent et convaincu. La Croix, en effet, plus que tout autre
symbole, rappelle la voie de notre salut et le prix de toute vraie victoire.
Comme nouvelle création, la réconciliation demande de « naître d’en-Haut (cf
Jn III, 11-3), c’est-à-dire de naître de la Croix. La maternité de Marie est née
sous la croix. C’est à elle que nous voulons confier l’effort de vivre réconciliées
et de promouvoir ce style de vie dans les lieux de notre mission. Nous rendrons
ainsi témoignage de l’esprit de compassion et de miséricorde, de respect et
d’espérance du Dieu-Amour qui nous appelle à la communion.
Rome, le 24 septembre 2004
Avec affection, votre Mère
Sr. Antonia Colombo
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