COURS EDDU 01
Introduction à la psychologie sociale
A. PIASER
2006-2007
1 L'influence sociale
Ce processus interroge toute personne qui se trouve confrontée aux changements, aux
modifications d'attitudes, de comportement, d'opinions, etc... et qui ne peut les expliquer par une décision
qu'aurait adoptée et déclarée l'individu. Si ces modifications se produisent, il faut bien leur imputer une
cause, leur attribuer une origine.
Certains changements plus ou moins marqués sont explicables par des modifications apparentes chez les
gens (problèmes physiques qui surgissent ou qui se modifient) ou par la prise en compte de processus
bien particuliers :
- changements de statut dans une institution,
- passage par une période de formation,
- modification du rôle de l'individu dans une structure, etc...
Les premières explications concernant l'influence sociale avançaient l'hypothèse selon laquelle les
individus ont une tendance naturelle à imiter les autres : ce serait une caractéristique de l'espèce humaine
:
Ex : LE BON (1895) La contagion sociale : Opinions et émotions se communiquent et dès lors, se
multiplient et se renforcent. Autrement dit, à l'intérieur des systèmes sociaux, il existerait une circulation
des sentiments entre individus.
TARDE (1903) L'imitation : Il ne s'agit pas d'un strict décalque d'une autre conduite, d'une
simple copie. C'est une production originale qui permet aux acteurs sociaux de développer des
comportements
Avant d'aller plus avant, une digression ne sera pas inutile qui évoquera la situation qui justifie cette
lecture : de l'influence sociale durant les moments de formation. Aborder ce sujet signifie qu'on a fait le
choix de considérer la formation comme un processus de changement pour les formés (et le formateur
accessoirement).
Dans ces situations par nature instables, il est nécessaire que les formateurs soient au fait de ce qui se joue dans
la relation avec les formés, mais on peut aussi considérer comme parfaitement normal le fait que les formés eux-mêmes
aient ces informations. Cela peut en particulier éviter que le déroulement de l’activité soit confisqué par un seul individu : le
formateur ; D’un autre côté, il faut choisir son public et les raisons qui font que la rencontre a lieu : en situation de session
de formation de formateurs cela semble indispensable à un moment donné.
Pour en revenir au formateur, il doit aller contre :
- les mauvaises influences non pertinentes car allant à l'encontre de ses objectifs,
- les attitudes déviantes, rétives ou trop soumises,
- les opinions erronées.
Lutter contre ces phénomènes est censé assurer une "adaptation sociale réussie" au formé et donc une
perception optimale des contenus de formation.
Willem Doise, un psychologue social suisse propose une définition intéressante de l'enseignement :
"Enseigner c'est aussi agir sur les conduites sociales de ses élèves, ce n'est pas uniquement transmettre des
connaissances. Cette action passe chez l'enseignant par les phénomènes de communication : verbale et non verbale, et
par le recours éventuel à d'autres phénomènes telles que les stratégies d'influence par exemple."
La dynamique des relations d'influence entre individus ou groupes d'individus est problématique : on
déplore ou on se réjouit de tel ou tel changement mais on n'est pas toujours capable d'en retrouver
l'origine ni d'en expliquer le fonctionnement. La plupart du temps, on attribue le changement à la
personnalité, au rayonnement de la personne qui en est à la source. Cette explication est insuffisante.
Pour mieux en appréhender les tenants et les aboutissants, il faut interroger la discipline qui s'est
penchée le plus sur ces processus : la Psychologie Sociale.
Cette discipline étudie les relations entre individus, entre individus et groupes et entre groupes. Moscovici
la qualifie de "science des phénomènes de la communication et de l'idéologie". Le champ de la
communication est devenu d'ailleurs un champ d'étude à part entière de la discipline. Les phénomènes
d'influence ont été étudiés parmi les premiers et ont donné l'occasion à de multiples équipes de
recherches d'effectuer de nombreux montages expérimentaux.
1.1 : la comparaison sociale :
Quand les gens ne sont pas sûrs de leurs opinions ou de leurs actions ils cherchent à les valider en les
comparant aux opinions et actes de leurs différents groupes d'appartenance et/ou de référence dans le
cadre de normes communes. Si elles n'existent pas, on constate le plus souvent une création de normes
socialement acceptables.
Les expériences de SHERIF (1935)
L'effet auto-cinétique : dans l'obscurité totale, une lumière paraît se déplacer de façon erratique dans
toutes les directions aux yeux d'un observateur dépourvu de tout repère.
On va demander à un sujet d'évaluer les déplacements de ce point. Très rapidement, le sujet
adopte une norme qu'il va réutiliser pour borner lesplacements dans toutes les directions en l'absence
de valeur objective.
Si on refait l'expérience avec plusieurs sujets répondant chacun à leur tour, on constate
l'émergence d'une norme évaluative interindividuelle : les individus semblent adopter un comportement
de statisticien.
On a introduit dans d'autres observations des compères (sujets au courant de l'expérience et
jouant un rôle) et les processus d'influence varient. Le sujet observé aura des réponses convergeant avec
un compère du même avis, il s'éloignera par contre des positions du compère avec lequel il entretient des
divergences;
Moscovici et Neve (1971) ont modifié le protocole d'une façon intéressante pour montrer un
autre type d'influence : Si on prolonge l'interaction d'un sujet expérimental avec un compère dont les
réponses s'éloignent des siennes, la convergence diminue. Par contre, une fois le compère retiré, si on
demande au sujet de poursuivre ses interprétations de la situation, il reprend les normes impliquées dans
les réponses préalables du compère !
Moralité provisoire : insister n'est pas toujours la bonne façon d'influencer autrui. Les absents
n'ont pas toujours tort.
1.2 : L'obéissance :
On la définit habituellement comme une modification du comportement par laquelle un individu répond par
la soumission à un ordre qui lui vient d'une autorité légitime.
Ce mot légitime renvoie à l'identification de la source d'autorité : elle est institutionnellement valide dans le
cadre envisagé, elle est "normale" Ex le chef à l'armée.
Parfois elle est cependant légitime au seul regard du sujet obéissant et cela peut poser des problèmes
non négligeables. Ex l'obéissance envers le principe du port du foulard par les femmes musulmanes.
Les expériences les plus notables ont été effectuées par MILGRAM dès 1965 (cf. le film "I comme Icare"
avec Y. Montand).
Dans le cadre d'une étude de psychologie menée à l'université de Yale, des individus sont
recrutés par petites annonces, pour participer à une expérience dont le but, leur dit-on, est de tester l'effet
d'un choc électrique sur la mémoire. Le sujet et un autre volontaire (un compère) tirent au sort leurs rôles
respectifs : moniteur ou élève. Le tirage au sort est truqué : le sujet expérimental est systématiquement
moniteur. Le compère-élève est attaché sur un fauteuil, des électrodes sont fixées à son bras et on lui
applique même une pommade censée protéger des brûlures. Pour diriger l'apprentissage de son élève, le
moniteur est amené dans une salle, séparée de la première par une cloison vitrée. Il est installé devant un
pupitre de contrôle équipé de 30 boutons gradués de 15 à 450 volts. En face de chaque bouton est
indiquée une mention qui renseigne sur l'effet du courant électrique envoyé à l'élève : choc léger, choc
modéré, choc fort, choc très fort, choc intense, choc extrêmement intense, attention choc dangereux, et le
dernier : XXX
L'expérience est supposée se dérouler ainsi : le moniteur a devant lui une liste de 30 mots
associés à des adjectifs. Il devra lire les 30 couples de mots (ex: ciel-bleu) puis présenter à l'élève l'un des
mots pour qu'il retrouve l'autre. L'expérimentateur explique qu'à chaque erreur commise par l'élève, le
moniteur lui administre un choc électrique qui sera d'autant plus important que les erreurs sont
nombreuses. Le dispositif est également conçu de telle sorte que le moniteur reçoive un feed-back de la
part de l'élève chaque fois qu'il reçoit une décharge électrique : à 75 volts l'élève gémit, à 120 volts il crie
que les chocs sont douloureux, à 150 volts il refuse de continuer, à 270 volts il pousse un cri d'agonie, à
partir de 300 volts, il râle et ne répond plus aux questions. Chaque fois qu'un moniteur hésite,
l'expérimentateur lui enjoint de continuer et si après la 4e incitation le sujet refuse d'obéir, l'expérience
s'arrête.
En réalité le sujet réel de l'expérience est la capacité d'obéissance du moniteur, sa soumission à l'autorité.
Dans le cadre concerné, l'expérimentateur lui ordonne d'infliger une punition à quelqu'un qui ne lui a rien
fait : jusqu'où va-t-il obéir à l'ordre qu'on vient de lui donner ?
MILGRAM a enquêté auprès de psychiatres, d'étudiants et d'adultes de la classe moyenne en
leur demandant quelles seraient leurs réactions dans un tel cas de figure. Une très importante majorité
déclara qu'elle refuserait d'obéir et cita que seuls quelques cas pathologiques (1 à 2 %) infligerait les
chocs les plus dangereux. Pour les psychiatres, la plupart des sujets ne dépasseraient pas 150 volts, 4 %
iraient jusqu'à 300 et 1 ou 2 iraient jusqu'au bout. Ces réponses étaient basées sur l'idée que les gens
ne sont nullement enclins à faire souffrir un innocent et sur le fait qu'un individu reste le maître absolu de
sa conduite en l'absence de sanction possible.
Dans le cas de l'expérience les sujets ont donc été placés dans une situation ils étaient amenés à
adopter un comportement opposé à leurs convictions. Aucun candidat n'a refusé de participer même si
l'obéissance dont ils ont fait preuve n'allaient pas sans problème pour eux :
- La situation les mettait dans un état de tension important. Beaucoup refusaient de regarder l'élève et
quand on le leur fit remarquer ils indiquèrent qu'il leur était pénible de supporter la souffrance d'autrui.
Néanmoins, ils ont continué à lui administrer des décharges en cas d'erreur.
- Certains sujets fournissaient visiblement un gros effort psychologique pour accepter la situation et
généralement dévalorisaient la victime pour s'en sortir. Dans les cas insoutenables, certains sujets ont
refusé d'obéir.
Les résultats montrent que 65 % des sujets (hommes ou femmes) ont été obéissants jusqu'au bout, c'est
à dire jusqu'à ce qu'on leur dise qu'ils pouvaient arrêter. Ils ont suivi les ordres jusqu'à la fin. 18 variantes
de l'expérience ont été réalisées et les résultats successifs sont venus confirmer les résultats préalables
dans chaque cas.
Dans un protocole différent, les résultats sont intéressant au regard de l'influence sociale.
Si l'expérience se déroulait avec trois sujets dont 2 étaient complices de l'expérimentateur, on
obtenait des résultats très différents : Le 1er complice refusait de continuer à administrer des chocs
électriques au-delà de 150 volts; Le 2e cessait au-delà de 210 volts. Dès lors, en présence de personnes
qui osaient défier l'autorité, seuls 10 % des sujets sont allés jusqu'à 450 volts.
Pour en revenir au premier protocole de l'expérience, cela signifie que dans la grande majorité des cas,
les individus n'ont pas tendance à résister aux exigences d'une autorité même lorsqu'ils croient qu'elle a
tort. Dès lors, on ne peut plus expliquer ces comportements en terme de psychologie individuelle en
invoquant le sadisme ou l'agressivité. Il s'agit de savoir comment des gens normaux peuvent obéir
aveuglement à un ordre en occultant toute conscience, toute morale personnelle.
MILGRAM a recours à 3 facteurs pour expliquer cela :
1. Les conditions de la socialisation :
- l'intériorisation de la soumission :
Les individus ont intériorisé un état d'obéissance aux supérieurs du fait de leur intériorisation de l'ordre
social. Dans la situation expérimentale, les sujets sont arrivés avec l'idée que quelqu'un dirigeait les
choses, ils l'ont identifié comme l'expérimentateur et ont accepté les ordres qu'il donnait.
- "l'état agentique" :
Dans la situation expérimentale, les sujets ne se sont plus sentis responsables de leurs actes, ils ne sont
plus considérés que comme des agents de la volonté d'autrui. Ils se sont départis de leurs jugements
personnels laissant l'autorité seule capable d'évaluer la situation.
Ces mécanismes font que l'individu se sent enga vis à vis de l'autorité mais ne se sent pas
personnellement responsable des actes prescrits par elle. En même temps, l'autorité devient source de
reconnaissance et juge moral du sujet : c'est en elle qu'il va chercher la bonne image de soi.
2. Les facteurs de changements de l'obéissance :
MILGRAM et d'autres chercheurs ont essayé de définir quels seraient les facteurs qui, une fois modifiés
pourraient réduire la tendance à obéir aveuglément.
- La proximité de la "victime" :
- toucher proche ‹ 30 % d'obéissance,
- élève et moniteur dans la même pièce ‹ 40 %,
- conditions équivalentes à celles de MILGRAM ‹ 60 % environ,
- élève dans une pièce séparée et non visible ‹ 70 %.
- La proximité de l'autorité :
L'expérience réalisée avec l'expérimentateur qui donnait ses ordres au moniteur par téléphone a impliqué
une obéissance dans 40 % des cas. De plus, de nombreux sujets ont menti : ils disaient donner des chocs
d'une intensité croissante mais ils n'infligeaient que les chocs les plus faibles.
- La légitimité de l'autorité :
MILGRAM a refait son expérience en dehors de l'université de Yale, dans un immeuble labré et il a
présenté l'expérience comme une demande d'une firme privée. Le niveau d'obéissance n'a pas dépassé
48 %.
3. La faiblesse de la résistance humaine :
Le taux élevé d'approbation aux ordres montre une faiblesse des gens devant une source d'autorité non
contestée. Cela n'est pas allé sans problèmes psychologiques ; chez les personnes qui ont obéi, il y a eu
une restructuration des valeurs en fonction de l'attente de l'autorité. En cas de conflit devant l'attitude à
adopter, ce sont les valeurs édictées par cette autorité qui sont choisies : vis à vis de celui a qui l'on doit
obéir, on essaie de donner une bonne image de soi.
1.3 : La conformité :
C'est le premier type de comportement résultant d'une influence sociale.
C'est une modification d'un comportement par laquelle l'individu répond aux pressions d'un groupe, en
cherchant à se mettre en accord par l'adoption des normes qui lui sont proposées ou imposées.
1.3.1 : 1ères recherches ; interprétation de la conformité :
L'effet ASCH. (1951) :
Problème : Déterminer les conditions qui amènent un individu à adopter les positions d'autres individus ou
d'un groupe, en dehors de toute pression ?
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