En effet, jusqu’au XIIIe siècle, le développement
d’une optique expérimentale est à peu près nul. Un certain
renouveau apparaît dans le cercle dit école de Chartres.
Néanmoins, au XIIIe siècle, après l’introduction de l’œuvre
d’Aristote à l’université de Paris, sa confrontation avec la
cosmologie issue des travaux de Ptolémée s’épuise dans des
discussions assez stériles (averroïsme). Enfin, l’école d’Oxford,
avec Robert Grosseteste, Roger Bacon (1214-1294), s’efforce de
ranimer une tradition scientifique attachée à des principes
platoniciens. En particulier, Bacon, qui connaît bien l’œuvre
d’Alhazen, essaie de rénover une tradition expérimentale très
hésitante. Au XIVe et au XVe siècle se poursuivent des
expériences systématiques sur l’arc-en-ciel et sur la
décomposition de la lumière par le prisme de verre.
Les opinions sur la nature de la lumière vont surtout
ressusciter, à travers Aristote et saint Thomas, de très anciens
préjugés. Néanmoins, les perfectionnements de la technique
s’accélèrent. Joints à la diffusion de l’optique d’Euclide et des
travaux d’Alhazen, ils vont permettre une véritable renaissance
de l’optique expérimentale.
3. Le problème de la nature de la lumière au XVIe
siècle
Le problème de la nature de la lumière est abordé au
début du XVIe siècle suivant des perspectives très variées.
Léonard de Vinci (1452-1519), qui étudie la propagation des
rayons lumineux à l’intérieur d’une chambre obscure, s’attache
aux analogies entre la lumière et le son, à la formation des
couleurs par répartition des zones d’ombre et de lumière.
L’utilisation des lentilles de verre convexes, dont
l’origine reste mystérieuse, progresse rapidement. De fabrication
probablement artisanale, ces lentilles sont utilisées tout d’abord
de façon purement empirique et utilitaire pour corriger la vue. Le
fonctionnement de ces instruments, que connaissaient déjà Roger
Bacon et Gérôme Frascator, permet d’étudier le comportement
du cristallin. Grégoire Reisch de Fribourg (1475-1523),
F. Mauricolo (1494-1575), Giambattista Della Porta (1538-1615)
écrivent des traités dont le rôle pratique n’est pas douteux
(Magia naturalis ).
La première lunette à oculaire divergent est construite
en 1590. Galilée, au début du XVIIe siècle, utilise ces appareils
pour l’exploration du ciel et, en 1610, découvre quatre des
satellites de Jupiter. En outre, il construit l’un des premiers
microscopes, s’émerveillant des observations ainsi réalisées. On
sait la polémique que soulève l’emploi de ces instruments,
créateurs de phantasmes, origine d’illusions trompeuses.
Pourtant, en 1611, sur les conseils de Galilée, Kepler observe à
son tour les «planètes médicéennes». Dès lors, le rôle bénéfique
des instruments d’optique est reconnu. La réaction des corps
éclairés par la lumière, les lois de la réflexion et de la réfraction
(il s’agit d’une loi approchée i = n . r ), le mécanisme de la
vision reconnaissant la formation d’une image renversée sur la
rétine, le fonctionnement des lentilles convergentes et
divergentes, tout cela fait l’objet du célèbre traité de Kepler Ad
Vitellionem paralipomena (1604).
La distinction entre «rayons lumineux», sans véritable
réalité physique, et «ondes sphériques isotropes» se trouve, bien
qu’en termes sybillins, au premier chapitre, «De natura lucis», du
traité de Kepler. La lumière est une action qui se propage à une
vitesse infinie et dont l’intensité, comme un effet de surface,
décroît suivant 1/r 2.
4. Le cosmos cartésien et la nature vibratoire de la
lumière
La conception de la nature de la lumière est
inséparable, pour Descartes, de l’ensemble du cosmos.
L’existence d’un univers incompressible et plein permet les seuls
mouvements tourbillonnaires. La matière la plus subtile est ainsi
pressée, et cette pression, qui se transmet instantanément à
travers un milieu incompressible, constitue l’essence même des
phénomènes lumineux. La lumière n’est donc pas un véritable
mouvement, mais une «tendance au mouvement»: c’est une
pression. Néanmoins, les lois qui régissent les phénomènes
lumineux (réflexion, réfraction) sont analogues pour les
mécanismes «en puissance» et «en acte». Descartes va donc
établir les lois de l’optique géométrique (loi des sinus) en
utilisant les règles qui régissent une balistique des projectiles
matériels. Il en résulte que l’expérience impose à la lumière une
vitesse de propagation d’autant plus grande que les milieux sont
plus réfringents (V eau O V air). L’optique de Descartes semble
pourtant souvent sybilline puisque réflexion, réfraction,
dispersion, formation des couleurs s’expliquent par des images
empruntées à une cinématique corpusculaire, tandis que la
lumière reste essentiellement une action, une «tendance», une
pression «comme tremblante» qui, par l’intermédiaire d’un
milieu, «se redouble par petites secousses».
Selon Descartes, la lumière parvient donc en un
instant du corps lumineux à l’œil (ce qui est différent, comme il
l’observe, d’une propagation instantanée, laquelle supposerait un
agent qui se propage). «Si l’on me pouvait convaincre de
fausseté là-dessus, ajoute-t-il, j’étais tout prêt d’avancer que je ne
savais rien du tout en philosophie.» Or, vingt-cinq ans après la
mort de Descartes, Olaf Römer montrait, par l’observation des
occultations des satellites de Jupiter, que la lumière se propage