Lumière

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Histoire de l’étude de la lumière
L
a Lumière : elle apparaît évidence et simplicité : mais qu’est-elle réellement ?
Corps ou mouvement d’un corps
Substance spécifique ou mouvement spécifique
Jusqu’au XVIIIe siècle, les hypothèses sur la nature ondulatoire ( de onde) ou corpusculaire ( de corps) de la
lumière, sur son mode de propagation par l’émission de corpuscules ou par vibrations n’étaient aucunement
essentielles. La lumière était considérée :
 soit comme un milieu continu, « feu artiste » susceptible d’un mouvement d’ensemble
 soit comme une structure corpusculaire donc discontinu
Du continu au discontinu, ce n’est qu’une affaire d’échelle, et ce n’est alors pas primordial
Puis certaines contradictions vont apparaître (voir apposition entre les Principe de moindre action (Maupertuis)
et Principe de moindre temps (Fermat)).
Dès lors apparaît la notion de dualisme onde corpuscule
Extrait de l’Encyclopædia Universalis :
LUMIÈRE - Histoire des idées
La lumière est facilement associée à une notion
d’évidence et de simplicité dont elle reste le symbole. La Genèse
affirme que la lumière fut créée le premier jour, précédant ainsi
largement une complexité du monde sans cesse accrue.
Pourtant ce phénomène, le plus directement associé
aux manifestations du monde sensible et aux perceptions
visuelles immédiates, se révèle bientôt très mystérieux. «Nous
saurions beaucoup de choses, affirmait Louis de Broglie, si nous
savions ce qu’est un rayon lumineux.»
Si l’on essaie de formuler les questions qui se posent
actuellement sur la nature de la lumière, on constate bien vite que
la forme même des questions ne peut se transposer dans le passé
sans d’essentielles modifications. Dès que les notions de
corpuscule et de milieu prirent un sens précis, au XVIIe siècle,
on a pu, en effet, se demander si la lumière était un corps, ou
bien, au contraire, le mouvement d’un corps; s’il s’agissait d’une
substance spécifique ou bien d’un mouvement spécifique. Dans
l’Antiquité, cette distinction n’avait pas beaucoup de sens car la
notion de milieu, support de vibrations, mais dépourvu lui-même
de mouvement d’ensemble, était à peu près inconnue. C’est dire
que, jusqu’au XVIIIe siècle, les hypothèses sur la nature
ondulatoire ou corpusculaire de la lumière, sur son mode de
propagation par l’émission de corpuscules ou par vibrations
n’étaient aucunement essentielles. On pouvait parfaitement
concevoir la lumière comme un milieu continu, comme un «feu
artiste», susceptible de déplacement d’ensemble. On pouvait
aussi lui attribuer une structure corpusculaire, réduction non
spécifique d’un objet macroscopique avec toute sa diversité. Les
notions de continu et de discontinu se rattachent alors à une
question d’échelle, mais ne sont pas primordiales. De même, le
mode de propagation n’est pas essentiel tant que l’on ignore les
propriétés d’un milieu.
Au fur et à mesure que se précisent les notions de
milieu et de vibrations, la question de la nature de la lumière –
substance spécifique ou mouvement spécifique – se pose avec
plus d’acuité. Il est remarquable que, dans cette évolution, la
lumière ne cesse de se présenter comme un phénomène
d’exception : ses manifestations les plus simples, les phénomènes
de réfraction, montrent qu’elle ne se comporte pas comme une
particule matérielle usuelle: dans un milieu plus dense, les rayons
lumineux se rapprochent de la normale alors qu’une pierre, jetée
dans l’eau, s’en écarte. Une vue plus approfondie de la situation
conduit à de profondes difficultés dès qu’on veut rapprocher le
principe de la moindre action (Maupertuis) appliqué à un
projectile matériel d’un principe du moindre temps (Fermat).
Finalement, au début de ce siècle, la lumière semble
bénéficier d’un célèbre dualisme: elle se manifeste tantôt comme
onde, tantôt comme corpuscule. C’est un tel dualisme que la
mécanique ondulatoire va étendre à la propagation de toute
particule matérielle.
Ainsi, la lumière s’affirme comme un phénomène
d’exception: en relativité, les trajectoires des rayons lumineux
définissent le cône isotrope délimitant le passé et le futur de
chaque observateur. En mécanique ondulatoire, les théories de la
lumière ont servi de modèle pour prévoir l’existence d’une «onde
associée» au mouvement de chaque particule. Néanmoins, la
coexistence de l’onde et du photon a soulevé maints problèmes.
Ainsi, la simplicité primitive de la «lumière du
premier jour» devient la complexité qui accompagne les
fondements mêmes de la physique et rassemble, en grande partie,
ses difficultés.
1. Les théories archaïques
Les théories archaïques concèdent à la lumière une
sorte de prédominance mythique. Il s’agit alors d’un Feu qui
constitue la forme primitive de la lumière. Dans la physique
d’Héraclite d’Éphèse (VIe siècle av. J.-C.), ce feu réalise l’unité
de toute chose; il constitue la règle des transformations de la
matière et préside à ses bouleversements.
Pour les pythagoriciens, la lumière permet une
harmonisation de la connaissance; c’est un feu visuel adapté à la
diversité du monde qu’il permet d’explorer.
Les théories archaïques vont bientôt se fragmenter en
plusieurs courants, sans cesser de constituer des théories de la
vision beaucoup plus que des théories sur la nature de la
lumière. La question qui se pose est en effet
«Comment
voyons-nous?» et non pas «Quelle est la nature de l’agent qui
nous permet de voir?». Selon la réponse à cette première
question, on peut distinguer trois types de théories: la lumière
peut, en effet, avoir sa source dans les objets eux-mêmes
(théories du feu externe), dans l’œil qui voit (théories du feu
visuel), ou bien dans les deux à la fois. Notons que dans toutes
ces conceptions, la nature continue ou discontinue de la lumière,
son mode de propagation (mouvement spécifique d’un milieu ou
émission de corpuscules) ne jouent qu’un rôle très accessoire.
Théories du feu externe
Empédocle d’Agrigente propose un cosmos fondé sur
la présence de quatre éléments (feu, air, eau, terre). Le premier
d’entre eux, le plus subtil, s’apparente à la lumière sans toutefois
se confondre avec elle. Plus tard, Aristote essaiera de rattacher
les propriétés de la lumière à la propagation du feu dans le
diaphane, à ses altérations spécifiques au sein des milieux
transparents. Ces modifications vont-elles conduire déjà à
supposer des mouvements de type vibratoire? L’ambiguïté de la
physique d’Aristote permet difficilement de souscrire à une
opinion aussi tranchée que soutiendront plus tard de nombreux
disciples.
D’autre part, dès l’époque de Leucippe de Milet
(VIe siècle av. J.-C.), certaines théories du feu visuel avaient
décomposé ce feu en micro-objets, les eidola , images fidèles et
réduites des corps matériels. Cette miniaturisation qui conserve
au corpuscule lumineux les multiples qualités de l’objet s’affirme
chez Épicure, dont la théorie sera vulgarisée plus tard par
Lucrèce. Les «simulacres» qui produisent alors la vision et même
les phantasmes des rêves possèdent toutes les qualités des corps
dont ils proviennent.
Au contraire, ces micro-objets vont se fragmenter,
soit d’après un atomisme des qualités (chaque micro-objet
correspond alors à une propriété, couleur, odeur, etc.,
déterminée: ce sont les «homéories» d’Anaxagore), soit d’après
les seuls critères de l’étendue et du mouvement. Tels sont les
atomes de Démocrite, atomes dépourvus de toute autre qualité
sensible. La vision résultera ainsi de la collision entre ces
atomes, mais ces derniers ne sont pas spécifiques du seul feu
externe.
Théories du feu visuel
Les théories du feu visuel affirment, au contraire, que
l’œil, et non pas les objets vus, est le siège d’une émission
spécifique permettant la vision. Cette opinion est admise par une
part importante de l’école pythagoricienne (Aechytas de
Tarente), mais son représentant le plus brillant reste certainement
Euclide.
Il n’est pas étonnant que le fondateur de l’école
d’Alexandrie, auteur de l’optique géométrique et de la
catadioptrique, ait déduit des conséquences aussi remarquables et
aussi rigoureuses d’une théorie du feu visuel: le principe du
retour inverse de la lumière autorise toutes les constructions
d’Euclide, fondées seulement sur la notion de rayon lumineux et
de propagation rectiligne. Bien mieux, ce principe les simplifie et
les facilite.
Les disciples d’Euclide, Hipparque (vers 150 av. J.C.) puis, au Ier siècle de notre ère, Claude Ptolémée et Héron
d’Alexandrie vont admettre des principes analogues et
développer leurs conséquences avec succès. Dans la seconde
moitié du IIe siècle, Galien de Pergame étudie la structure de
l’œil sans en déduire un mécanisme de la formation des images.
Théories mixtes
Les théories mixtes ont une double origine: la
doctrine des quatre éléments (Empédocle) et l’hypothèse d’un
feu visuel spécifique. La vision résulte ainsi d’une nécessaire
interaction de ces deux courants. Selon Platon, la vision naît
d’une adaptation réciproque de l’agent et du patient.
D’une manière plus précise, les couleurs sont
produites par des modalités particulières de cette réciproque
adaptation: si le feu externe est constitué par des particules plus
étendues que celles du feu visuel, le feu externe rassemble le feu
visuel et produit la sensation de noir. Si le feu externe, au
contraire, comporte des particules plus petites, il en résulte
l’impression de blanc. Les autres couleurs découlent de
proportions diverses et de mélanges variés. D’une manière
ingénieuse, une théorie mixte permet d’interpréter les
caractéristiques des images obtenues par réflexion, en particulier
l’inversion droite et gauche de ces images par rapport à l’objet
après réflexion sur les miroirs plans ou concaves.
2. Le Moyen Âge
Les premiers siècles de notre ère laissent subsister des
courants très divers, issus de conceptions rudimentaires,
superficielles, que ne viennent étayer que de très rares et très
insuffisantes vérifications expérimentales. Il faut attendre ensuite
le XIe siècle pour qu’une optique expérimentale renaisse en
Égypte; elle est l’œuvre de physiciens arabes, et surtout d’Ibn alHaytham, plus connu sous le nom d’Alhazen (965-1039).
Alhazen attribue à la lumière une origine extérieure à
l’œil, mais, surtout, il imagine diverses expériences destinées à
mettre en évidence l’influence de la lumière sur l’œil, se servant
par exemple d’un dispositif de chambre obscure. D’autre part, il
reprend le concept de rayon lumineux, qui avait fait le succès de
l’optique d’Euclide, et l’utilise pour préciser une correspondance
biunivoque entre chaque point de l’image et chaque point de
l’objet. Le phénomène de la vision est ainsi décomposé en
processus élémentaires et la formation de l’image est déterminée
par la position du cristallin.
Enfin, Alhazen propose de très nombreuses
expériences de réflexion et de réfraction, utilisant des miroirs ou
des lentilles planes ou sphériques. Il montre l’interdépendance
des rayons lumineux qui se croisent sans être altérés. Il étudie
même la diffusion de la lumière par les corps opaques.
L’optique d’Alhazen est remarquable en ce sens
qu’elle constitue un travail expérimental dépourvu de préjugés.
Diffusée partiellement par Witelo (1271), elle constitue une
tentative certes fragmentaire, mais dont l’inspiration quasi
moderne est alors tout à fait exceptionnelle.
En effet, jusqu’au XIIIe siècle, le développement
d’une optique expérimentale est à peu près nul. Un certain
renouveau apparaît dans le cercle dit école de Chartres.
Néanmoins, au XIIIe siècle, après l’introduction de l’œuvre
d’Aristote à l’université de Paris, sa confrontation avec la
cosmologie issue des travaux de Ptolémée s’épuise dans des
discussions assez stériles (averroïsme). Enfin, l’école d’Oxford,
avec Robert Grosseteste, Roger Bacon (1214-1294), s’efforce de
ranimer une tradition scientifique attachée à des principes
platoniciens. En particulier, Bacon, qui connaît bien l’œuvre
d’Alhazen, essaie de rénover une tradition expérimentale très
hésitante. Au XIVe et au XVe siècle se poursuivent des
expériences systématiques sur l’arc-en-ciel et sur la
décomposition de la lumière par le prisme de verre.
Les opinions sur la nature de la lumière vont surtout
ressusciter, à travers Aristote et saint Thomas, de très anciens
préjugés. Néanmoins, les perfectionnements de la technique
s’accélèrent. Joints à la diffusion de l’optique d’Euclide et des
travaux d’Alhazen, ils vont permettre une véritable renaissance
de l’optique expérimentale.
3. Le problème de la nature de la lumière au XVIe
siècle
Le problème de la nature de la lumière est abordé au
début du XVIe siècle suivant des perspectives très variées.
Léonard de Vinci (1452-1519), qui étudie la propagation des
rayons lumineux à l’intérieur d’une chambre obscure, s’attache
aux analogies entre la lumière et le son, à la formation des
couleurs par répartition des zones d’ombre et de lumière.
L’utilisation des lentilles de verre convexes, dont
l’origine reste mystérieuse, progresse rapidement. De fabrication
probablement artisanale, ces lentilles sont utilisées tout d’abord
de façon purement empirique et utilitaire pour corriger la vue. Le
fonctionnement de ces instruments, que connaissaient déjà Roger
Bacon et Gérôme Frascator, permet d’étudier le comportement
du cristallin. Grégoire Reisch de Fribourg (1475-1523),
F. Mauricolo (1494-1575), Giambattista Della Porta (1538-1615)
écrivent des traités dont le rôle pratique n’est pas douteux
(Magia naturalis ).
La première lunette à oculaire divergent est construite
en 1590. Galilée, au début du XVIIe siècle, utilise ces appareils
pour l’exploration du ciel et, en 1610, découvre quatre des
satellites de Jupiter. En outre, il construit l’un des premiers
microscopes, s’émerveillant des observations ainsi réalisées. On
sait la polémique que soulève l’emploi de ces instruments,
créateurs de phantasmes, origine d’illusions trompeuses.
Pourtant, en 1611, sur les conseils de Galilée, Kepler observe à
son tour les «planètes médicéennes». Dès lors, le rôle bénéfique
des instruments d’optique est reconnu. La réaction des corps
éclairés par la lumière, les lois de la réflexion et de la réfraction
(il s’agit d’une loi approchée i = n . r ), le mécanisme de la
vision reconnaissant la formation d’une image renversée sur la
rétine, le fonctionnement des lentilles convergentes et
divergentes, tout cela fait l’objet du célèbre traité de Kepler Ad
Vitellionem paralipomena (1604).
La distinction entre «rayons lumineux», sans véritable
réalité physique, et «ondes sphériques isotropes» se trouve, bien
qu’en termes sybillins, au premier chapitre, «De natura lucis», du
traité de Kepler. La lumière est une action qui se propage à une
vitesse infinie et dont l’intensité, comme un effet de surface,
décroît suivant 1/r 2.
4. Le cosmos cartésien et la nature vibratoire de la
lumière
La conception de la nature de la lumière est
inséparable, pour Descartes, de l’ensemble du cosmos.
L’existence d’un univers incompressible et plein permet les seuls
mouvements tourbillonnaires. La matière la plus subtile est ainsi
pressée, et cette pression, qui se transmet instantanément à
travers un milieu incompressible, constitue l’essence même des
phénomènes lumineux. La lumière n’est donc pas un véritable
mouvement, mais une «tendance au mouvement»: c’est une
pression.
Néanmoins, les lois qui régissent les phénomènes
lumineux (réflexion, réfraction) sont analogues pour les
mécanismes «en puissance» et «en acte». Descartes va donc
établir les lois de l’optique géométrique (loi des sinus) en
utilisant les règles qui régissent une balistique des projectiles
matériels. Il en résulte que l’expérience impose à la lumière une
vitesse de propagation d’autant plus grande que les milieux sont
plus réfringents (V eau O V air). L’optique de Descartes semble
pourtant souvent sybilline puisque réflexion, réfraction,
dispersion, formation des couleurs s’expliquent par des images
empruntées à une cinématique corpusculaire, tandis que la
lumière reste essentiellement une action, une «tendance», une
pression «comme tremblante» qui, par l’intermédiaire d’un
milieu, «se redouble par petites secousses».
Selon Descartes, la lumière parvient donc en un
instant du corps lumineux à l’œil (ce qui est différent, comme il
l’observe, d’une propagation instantanée, laquelle supposerait un
agent qui se propage). «Si l’on me pouvait convaincre de
fausseté là-dessus, ajoute-t-il, j’étais tout prêt d’avancer que je ne
savais rien du tout en philosophie.» Or, vingt-cinq ans après la
mort de Descartes, Olaf Römer montrait, par l’observation des
occultations des satellites de Jupiter, que la lumière se propage
avec une vitesse finie n’excédant pas 300 000 km par seconde.
Ajoutons que dès la première moitié du XVIIe siècle
Pierre de Fermat, postulant que la lumière se propage suivant un
principe de moindre temps, avait montré que les actions
lumineuses se propagent plus vite dans le vide que dans tout
autre milieu.
Les théories issues directement du cartésianisme ont
tout naturellement conduit à attribuer à la lumière une nature non
pas substantielle, mais cinétique: la lumière n’est pas une
substance spécifique qui se propage; c’est une action , un
mouvement spécifique au sein d’un milieu éthéré.
Il importe de noter que la conception de la lumière
comme action spécifique est inséparable de l’idée de milieu :
celui-ci (éther) est un support de mouvement, mais il ne participe
pas au mouvement d’ensemble, sinon la théorie se réduirait à une
émission. Il est comparable à l’eau qui demeure, en moyenne,
immobile, tandis que les rides créées par la chute d’une pierre
progressent à sa surface. L’idée la plus simple consiste à
accentuer le caractère tremblant de la pression cartésienne. Les
vibrations lumineuses s’exercent alors autour d’une position
moyenne, dans le sens même de la propagation: il s’agit donc de
vibrations longitudinales. Telle est l’hypothèse de Malebranche.
Il faut remarquer que ce postulat, qui devait, deux siècles plus
tard, se révéler inexact, avait l’avantage de mettre l’accent sur la
fréquence des vibrations plutôt que sur leur amplitude (alors
confondue avec la direction même du mouvement). C’est donc la
fréquence d’une vibration que Malebranche va associer à une
couleur déterminée. Cette conclusion pertinente devait rester
isolée et souvent ignorée jusqu’au XIXe siècle.
En 1685 paraît le livre du père Grimaldi qui met en
évidence une nouvelle propriété de la lumière: les phénomènes
de diffraction . En traversant des ouvertures étroites, en
rencontrant des obstacles très fins (fils, cheveux), la lumière peut
cesser de se propager en ligne droite: les régions correspondant à
l’ombre géométrique présentent alors des bandes lumineuses,
tandis que les régions normalement éclairées montrent des raies
obscures.
Ces phénomènes conduisent le père Grimaldi à
supposer que la lumière est une substance dont la propagation est
susceptible de modalités ondulatoires. Sa nature ne peut être
purement cinétique, mais les corps transparents sont capables
d’infléchir sa trajectoire et de la détourner, de façon périodique,
de part et d’autre de la ligne droite.
Les modalités de ces ondulations, leur formation, leur
lien avec la production de couleurs sont encore fort imprécises.
Robert Hooke suppose que la lumière est formée par
des ondulations transversales , c’est-à-dire perpendiculaires à la
direction de propagation. Une certaine obliquité des vibrations
par rapport à la direction permet, selon lui, de diversifier «la
force» de la vibration. Selon qu’il est impressionné par une
vibration d’abord faible puis forte, ou bien l’inverse, l’œil perçoit
le bleu ou le rouge.
Une mécanique systématique des vibrations est
d’ailleurs explicitée dans les travaux du père Pardiès et du père
Ango. Les notions de «vibration» et d’«ondulation» y sont
nettement distinguées: les premières sont analogues au
mouvement de haut en bas des molécules d’eau après la chute
d’une pierre, les secondes à la propagation horizontale des rides.
Ainsi des vibrations longitudinales peuvent-elles engendrer les
ondulations transversales qui permettent d’interpréter les
modalités des phénomènes lumineux.
On constate que le modèle ondulatoire se précise et se
complique. Toutefois, il faut remarquer que, en cette fin du
XVIIe siècle, le père Ango propose les modèles ondulatoires
pour expliquer les propriétés de la lumière, mais non pas pour en
examiner la nature. Selon Aristote, physique et mécanique sont
ici disjointes et, si les propriétés se résolvent en mouvements,
elles ne sauraient exprimer ce qu’est la lumière en soi.
Enfin, l’optique de Christiaan Huygens tente de
préciser la formation des ondes lumineuses au sein d’un éther.
Dans un éther élastique, chaque centre d’ébranlement émet une
onde sphérique et chaque point de cette onde est lui-même
source d’un ébranlement nouveau. L’enveloppe de toutes ces
«ondelettes» constitue le phénomène qui va se propager.
En adoptant un tel mécanisme d’ondes-enveloppe,
Huygens va réussir à interpréter, avec un modèle ondulatoire, les
lois de la réflexion, de la réfraction, et même de la double
réfraction découverte, en 1669, par Érasme Bartholin. Huygens
possède ainsi, sans le savoir, l’explication adéquate des
phénomènes de diffraction: les ondelettes peuvent transporter
une part de l’énergie dans la zone d’ombre géométrique.
Huygens s’applique à montrer, au contraire, que cette énergie est
négligeable, remettant à plus tard, jusqu’à Fresnel,
l’interprétation correcte des phénomènes de diffraction par une
propagation ondulatoire de la lumière.
5. Les travaux d’Isaac Newton
Les premiers travaux de Newton sur l’optique datent
de 1666. C’est alors qu’il construit un télescope à réflexions
multiples. Pourtant, l’ensemble de ses recherches sur la théorie
de la lumière et des couleurs ne paraîtra qu’en 1704 et elles
seront donc influencées par les résultats des études sur
l’attraction et aussi par les polémiques diverses qu’avaient
suscitées ses travaux.
Le 8 février 1672, dans une communication à la
Royal Society, Newton avait attribué à la lumière une nature
corpusculaire, se basant sur la complexité de la lumière blanche
que manifestent les phénomènes de dispersion. Les couleurs,
pense-t-il, préexistent au sein de la lumière blanche, substance
complexe, et ne sont pas engendrées par l’influence des milieux
diaphanes.
Cette opinion avait entraîné de nombreuses
controverses, en particulier les critiques de Hoocke et de
Huygens. «Je savais fort bien, conclut Newton, que les propriétés
de la lumière peuvent se comprendre non seulement par
l’hypothèse qui m’est attribuée, mais par une infinité d’autres.
En conséquence, j’ai pris le dessein de les éviter toutes.»
Newton va donc éviter systématiquement de se
prononcer sur la nature de la lumière. Il s’efforcera de partir
d’une définition strictement positive du rayon lumineux, de
rattacher la formation d’anneaux d’interférences (anneaux de
Newton) à des dispositions périodiques de facile réflexion ou de
facile transmission. Ces «accès» sont caractérisés par une
longueur fondamentale définie quantitativement par l’expérience.
Leur genèse hypothétique n’a donc pas besoin d’être explicitée.
Toutefois, dès 1675, Newton est amené à développer
une théorie mixte de la lumière: des corpuscules spécifiques
pourraient exciter les ébranlements de l’éther. Cette idée, selon
Newton, n’est destinée qu’à jouer le rôle des figures au milieu
d’un texte obscur. Néanmoins l’introduction d’un éther semble
favoriser l’interprétation des accès.
Sans être hostile à l’introduction d’un éther, Newton
reste cependant fidèle à l’interprétation corpusculaire et n’ira
jamais au-delà d’une théorie mixte. Les raisons de cette
préférence sont nombreuses: la nature corpusculaire explique
plus intuitivement la propagation rectiligne, elle permet
d’interpréter les phénomènes de diffraction par le bord des fentes
et des écrans au moyen d’une attraction entre une lumière
pesante et la matière située en son voisinage. Enfin Hooke,
adversaire déclaré de Newton, est considéré comme le défenseur
attitré d’un éther.
Notons d’ailleurs que la formation des accès et la
présence d’une périodicité est parfaitement compatible avec une
nature strictement corpusculaire de la lumière. Il suffit de
postuler, comme le fera plus tard Malus, l’existence de particules
ellipsoïdales ou «polaires» reproduisant périodiquement une
même configuration. La diversité des couleurs serait due ellemême aux différences de grosseur et de densité des particules
lumineuses spécifiques.
Néanmoins, Newton s’efforce de maintenir une
attitude prudente: «Nous sommes certains que la lumière est une
substance, mais il est plus difficile de déterminer ce qu’est cette
substance [...]. Je ne veux pas mélanger ce qui est certain avec ce
qui est incertain.»
Les disciples de Newton ne garderont pas une telle
réserve. Après le succès de la théorie de l’attraction universelle,
on essaiera d’introduire des lois de ce type dans tous les
domaines. L’attraction sera le processus destiné à interpréter
réflexion, réfraction, diffraction d’une substance lumière par la
matière. Avec l’influence de Voltaire, le développement de la
théorie de Boscovitch, le newtonianisme va étendre à l’optique
les processus attractionnaires; le corpuscule lumineux, doué
implicitement d’une masse propre, est soumis aux forces de
gravitation.
Au cours du XVIIIe siècle, Leonhard Euler
revendique pourtant l’héritage de Huygens, critique les
conséquences de la théorie newtonienne (en particulier la
proportionnalité entre dispersion chromatique et déviation par
réfraction, ce qui exclurait la possibilité de réaliser des appareils
achromatiques). Il esquisse un retour à une parenté entre lumière
et son, mais cet apport reste isolé.
En même temps, et dans l’esprit du XVIIIe siècle, se
développent les principes d’économie naturelle (Leibniz,
Maupertuis) qui, au moyen d’erreurs compensatrices,
parviennent à faire bénéficier la lumière d’un traitement
applicable aux seuls corpuscules matériels.
6. Ondes lumineuses et champ électromagnétique
Le début du XIXe siècle est marqué par le
développement de nombreux travaux expérimentaux: découverte
de la polarisation de la lumière en relation avec la double
réfraction et la réflexion partielle (L. Malus); étude des
phénomènes d’interférence (Young).
Ces découvertes n’ont pas une incidence immédiate
sur des hypothèses au sujet de la nature de la lumière. Malus est
encore favorable à une interprétation corpusculaire de type
newtonien, appliquée à des particules lumineuses polaires.
Young (1773-1829) suppose, au contraire, que les interférences
exigent une nature purement cinétique de la lumière.
C’est Augustin Fresnel qui, multipliant les
expériences sur les phénomènes de diffraction, montre qu’une
interprétation ondulatoire de la lumière paraît s’imposer. De la
lumière ajoutée à la lumière peut produire l’obscurité. La théorie
des ondes élémentaires permet de prédire l’existence d’un point
brillant au centre de l’ombre géométrique produite par un écran
circulaire (Poisson) et c’est bien un tel résultat que vérifie
l’expérience. Après la séance d’avril 1819 de l’Académie des
sciences, la structure ondulatoire de la lumière paraît
définitivement acquise.
De plus, s’il en est besoin, une «expérience cruciale»
vient bientôt départager les théories concurrentes: en adoptant
une hypothèse corpusculaire, il faut conclure que la lumière se
propage plus vite dans l’eau que dans l’air (Descartes, Newton).
D’après une théorie ondulatoire, ces résultats sont inversés. En
1838, Arago déclarait que l’une des deux théories devait
forcément succomber devant le verdict de l’expérience. Celle-ci
est réalisée par Foucault, en 1850: la vitesse de la lumière, plus
faible dans l’eau, assure le triomphe de la théorie des
ondulations. Seul J. B. Biot soutiendra jusqu’à la fin du
XIXe siècle les principes d’une théorie corpusculaire.
La lumière, de nature vibratoire, va devenir bientôt un
cas particulier des vibrations électromagnétiques. La théorie de
Maxwell donnera mathématiquement les modalités de son action
et tentera de les interpréter mécaniquement par des modèles
d’éther (cf. LUMIÈRE - Optique).
Enfin, par un renversement inattendu, la présence de
discontinuités dans le rayonnement émis par le corps noir devait
renouveler, au début du XXe siècle, une hypothèse favorable à
des agglomérats énergétiques. Néanmoins, l’énergie de ces
nouveaux «quanta» (Einstein) ou «photons» s’exprime
nécessairement en fonction de la fréquence de l’onde associée.
Ce double aspect corpusculaire et ondulatoire de la lumière va
être étendu, par Louis de Broglie, à toute particule matérielle
(1924).
Ainsi, la nature de la lumière, phénomène
d’exception, constitue encore la pierre angulaire de la
construction des théories relativistes et quantiques de la physique
moderne.
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