les limites légales controversées de la loi dépénalisant l`euthanasie

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LES LIMITES LÉGALES CONTROVERSÉES DE LA LOI DÉPÉNALISANT
L’EUTHANASIE MÉDICALE EN BELGIQUE
Dr Marc Englert
Prof. à l’ULB (hon.)
LE REFUS D’EUTHANASIE
Une étude réalisée en 2009 auprès de médecins généralistes par le Groupe « Zorg rond het levenseinde »
de la VUB et de l’Université de Gand a mis en évidence qu’en Flandre 48% des demandes d’euthanasies
ont été honorées, 5% ont été refusées par le médecin, 10% ont été retirées par le patient et dans 23% des
demandes, le patient est décédé avant que l’euthanasie ne soit pratiquée. Il est vraisemblable qu’en
communauté française de Belgique, le nombre de demandes honorées est nettement moindre mais nous ne
disposons pas de données.
Comment remédier à cette situation ?
Deux options ont été proposées ; une clinique pour la fin de vie ou l’obligation pour le médecin qui refuse
une demande d’euthanasie de désigner un confrère consentant.
UNE CLINIQUE POUR LA FIN DE VIE
Cette solution pose de multiples problèmes et paraît difficile à concrétiser actuellement en Belgique.
Si l’expérience est réalisée prochainement aux Pays-Bas et qu’elle s’avère positive, il est possible que
cette option devienne un jour envisageable. Mais elle sera à revoir ultérieurement
L’OBLIGATION MORALE POUR LE MÉDECIN QUI REFUSE UNE DEMANDE D’EUTHANASIE DE DÉSIGNER
UN CONFRÈRE CONSENTANT
Une obligation juridique de désigner un confrère consentant paraît exclue pour de multiples raisons
légales et déontologiques. La position préconisée par la KNMG aux Pays-Bas paraît pouvoir s’appliquer
en Belgique. Elle est rappelée ci-dessous.
Lorsqu’un médecin n’est pas disposé à prendre lui-même en considération une demande d’euthanasie de
son patient, il ne doit pas initier la procédure. Il a à mettre le patient dans la possibilité d’entrer en
contact avec un collègue qui n’a pas d’objections de principe à la pratique de l’euthanasie et du suicide
assisté. Il n’est nullement question d’une obligation juridique mais bien de la responsabilité morale et
professionnelle de fournir à temps au patient une aide pour lui permettre de trouver un médecin (par
exemple dans le même groupe de travail) qui n’a pas d’opposition de principe à l’euthanasie et au
suicide assisté.
Lorsque le médecin n’a pas d’opposition de principe à la pratique de l’euthanasie ou du suicide assisté
mais ne peut pas (ou ne peut plus), en raison de problèmes personnels, entreprendre de mettre fin à la
vie, il a la responsabilité d’expliquer au patient les raisons pour lesquelles il ne peut honorer sa demande
bien que toutes les conditions légales sont probablement satisfaites. Le transfert en temps voulu du
patient à un collègue est alors tout particulièrement indiqué.
LES MINEURS D’ÂGE
L’âge fixé par la loi est celle de la capacité légale (18 ans). Un mineur ne peut en bénéficier que s’il
est légalement émancipé. La solution adoptée aux Pays-Bas pourrait sans doute être transposée à la
Belgique mais exigerait une modification de la loi.
L’INCAPACITÉ PERMANENTE D’EXPRIMER SA VOLONTÉ
L’incapacité physique est prise en compte par la loi belge puisque la demande peut être transcrite sous
certaines conditions par un tiers. Par contre l’incapacité psychique de s’exprimer ne permet pas
l’euthanasie puisque la loi repose sur le principe du respect de la volonté du patient ce qui implique une
demande effective, lucide et répétée.
La demande anticipée ne résout pas la question car dans la loi belge actuelle la « déclaration anticipée
d’euthanasie » ne permet l’euthanasie qu’en cas d’inconscience irréversible. L’ambiguïté du terme
« inconscience » ne permet que des interprétations étroites. Quant à remplacer dans le texte de la
déclaration anticipée le terme « inconscience » par « perte de la conscience de sa personnalité » élargirait
le champ d’application de la déclaration mais exige une modification de la loi qui paraît n’avoir
actuellement aucune chance d’aboutir.
LE SENTIMENT DE VIE ACCOMPLIE
La loi belge impose explicitement la présence d’une affection incurable grave. Il s’agit donc d’une loi
essentiellement médicale. Les gens très âgés souffrent fréquemment de multiples affections incurables
dont la gravité résulte des multiples souffrances qu’elles provoquent, ce qui rend l’euthanasie médicale
fréquemment possible dans ce groupe d’âge.
Rendre possible l’euthanasie pour une raison personnelle d’un sentiment de « vie accomplie » ressenti
comme tel par une personne d’âge très avancé mais exempte de toute pathologie est sans doute une
éventualité respectable mais n’est envisageable que par une décision de société, peu vraisemblable dans le
contexte actuel.
SÉDATION PALLIATIVE ET EUTHANASIE
La technique qui consiste à « endormir » le malade prétend répondre à la demande de mourir tout en
respectant l’interdit de mettre « activement » fin à la vie. On estime qu’elle est utilisée sous une forme ou
une autre dans plus de 10% des décès.
Mais le procédé est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît et ses implications humaines, médicales,
éthiques et juridiques sont extrêmement ambiguës et posent de graves questions. Contrairement à la
sédation temporaire, le sommeil est poursuivi jusqu’à la mort ; l’assistance respiratoire, les antibiotiques,
l’alimentation artificielle et l’hydratation ne sont alors plus administrés. Comme il s’agit d’un sommeil
peu profond (dans le cas contraire, il nécessiterait la mise sous assistance respiratoire), les doses
d’hypnotique doivent constamment être ajustées en fonction de l’état du patient ; des drogues
supplémentaires doivent parfois être ajoutées, en particulier des morphiniques, s’il existe une
symptomatologie douloureuse. La mort survient après une période qui peut s’étendre sur plusieurs jours
ou même une ou deux semaines en fonction de l’état du malade au moment où la sédation a été instaurée ;
elle est due soit aux troubles métaboliques liés à la déshydratation et à l’inanition, soit à une complication
infectieuse intercurrente, soit à l’évolution de la maladie, soit à une combinaison de plusieurs de ces
facteurs. Ce procédé est utilisable seulement en extrême fin de vie et ne garantit pas l’absence de
souffrance. Des complications dramatiques de tous ordres peuvent survenir pendant cette période
(hémorragies, convulsions). Enfin, pour beaucoup de familles, une telle prolongation de l’agonie
constitue une épreuve qui peut être extrêmement traumatisante, voire cruelle.
Les promoteurs de cette technique la présentent comme induisant une mort « naturelle » sous prétexte que
les drogues injectées ne sont pas létales. Et si les drogues administrées accélèrent le décès, ils se réfugient
derrière la règle hypocrite du « double effet » puisque « la mort n’a pas été voulue ».
L’idée d’un sommeil paisible prolongé menant au décès n’est donc en réalité qu’une fiction. La sédation,
même quand elle est utilisable, est loin d’assurer une « mort douce » : contrairement à l’euthanasie qui
permet au malade de choisir le moment des adieux, elle est une agonie délibérément entretenue pour
satisfaire les conceptions philosophiques ou religieuses de soignants soucieux de répondre aux demandes
d’aide à mourir de leurs patients tout en préservant à tout prix le dogme d’une mort « naturelle », c’est-àdire une mort soumise aux aléas de la maladie plutôt qu’à une libre décision humaine.
On ne peut donc considérer la sédation comme éthiquement acceptable que si, en réponse à une demande
de mourir, elle est le choix d’un patient dûment informé, notamment sur la différence entre cette
technique et une euthanasie correctement conduite.
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