RuralSruc note JC segmentation 2

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RuralStruc
Note 3 (JC)
Mai 2006
Note sur la segmentation
Le terme de segmentation est polysémique. Il s’applique à des objets différents (les structures
de production, les types de produits et les types de marché). Et il est aussi utilisé dans des
descriptions, parfois divergentes, des effets de la concurrence internationale et de la
libéralisation sur les revenus, les emplois, les productions agricoles et les activités non
agricoles pouvant servir d’exit options pour les ruraux.
Il faut notamment distinguer la segmentation de l’offre, la segmentation de la demande, la
segmentation des marchés (des facteurs et des produits)
I - La segmentation de l’offre
Celle-ci est le fait des écarts croissants de compétitivité dans le secteur agricole (différences
de volumes produits, de capacité à produire, de coûts, de qualités, de services joints). Ils sont
visibles tant entre les productions agricoles que dans la commercialisation des produits
agricoles (les filières « modernes » bénéficiant de la « supermarketisation »). Ces différences
de compétitivité (dues aux différences de productivité, de coûts des facteurs, d’efficacité de la
commercialisation) sont la forme de segmentation la plus citée dans le texte de présentation
de RuralStruc. Celui-ci souligne qu’au-delà d’une certaine différence de compétitivité (celleci peut, dans les filières agricoles, aller de 1 à 1000), il est imprudent, ou même impossible, de
supposer que les producteurs locaux soumis à la concurrence sont en mesure de devenir ou de
redevenir compétitifs dans le produit ou dans le secteur.
Au-delà d’un certain seuil (qui paraît dépassé dans le cas de certains produits agroalimentaires), la concurrence mondiale risque de ne plus être stimulante pour les concurrents
les plus mal placés. La concurrence dans la production et le commerce d’un secteur n’incite
pas ceux-ci à réagir dans la production et la commercialisation du secteur. Elle les oblige à
sortir de ce secteur (qu’il y ait ou non des opportunités de sortie) ou à être intégrés dans les
entreprises ou les filières qui ont la maîtrise de la production, de la commercialisation, ou du
financement de la filière. Ce cas de la segmentation de l’offre est au cœur de la problématique
« segmentation, intégration, exit options » de RuralStruc.
Hypothèse 1 - Les acteurs économiques contraints par la concurrence de quitter leur secteur
d’activité trouvent toujours des opportunités de sortie (exit options)
La théorie classique et néoclassique le considère comme certain. Les producteurs agricoles et
les commerçants agricoles qui sont contraints de changer d’occupation le font en respectant
les nouveaux avantages comparatifs. Car, selon cette théorie, il existe toujours des avantages
comparatifs, ce qu’elle tend à démontrer (voir note sur les Avantages comparatifs).
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Cette hypothèse est souvent acceptée sans inventaire et même sans donner d’exemples
concrets des reconversions possibles. Or, dans la pratique, nombre d’observateurs des pays
pauvres à la fois en revenus, en ressources naturelles, en qualifications et en infrastructure ne
parviennent pas à prévoir des spécialisations possibles (notamment pour les petits pays
enclavés sans ressources différenciées). Et il n’est pas rare que l’on voie les experts et les
politiques accepter implicitement ou même conseiller de remplacer la recherche de nouvelles
activités locales par des migrations à l’extérieur du pays.
Hypothèse 2 – le plein emploi existe avant et après l’ajustement
L’autre hypothèse fréquente pose comme allant de soi que l’on était en situation de plein
emploi avant que ne se produisent les effets de concurrence et que l’on se retrouvera en
situation de plein emploi après l’ajustement.
Il est sans doute admis qu’il existe une période plus ou moins longue de transition au cours de
laquelle il y aura des pertes d’emploi, faute d’apparition immédiate d’emplois nouveaux. Mais
le constat de ce chômage de transition n’est pas accompagné de doutes sur le retour du plein
emploi. En d’autres termes il n’existerait pas de chômage structurel : toute suppression d’un
emploi ferait naître d’autres emplois et il y aurait toujours des exit options pour le travail et le
capital « libéré » (exit options internes ou externes). Il suffirait d’assurer la liberté de
reconversion, la flexibilité des emplois, etc., pour parvenir à une nouvelle situation d’équilibre
de plein emploi. Le chômage ne serait que de transition.
Cette vision suppose ainsi comme négligeables :
- les multiples descriptions connues du chômage structurel dans les pays en
développement ;
- le besoin de création d’emplois créé par le taux élevé de croissance de la population et
de l’urbanisation ;
- les difficultés, déjà citées, d’incertitudes sur l’apparition de nouveaux avantages
comparatifs ;
- les pays où des processus de chômage de transition se produisent à un rythme tel que
l’équilibre de plein emploi est sans cesse retardé. Il suffit pour cela que la vitesse des
changements entraînant des destructions d’emplois soit supérieure à la vitesse des
reconversions.
II - La segmentation de la demande
Il y a segmentation de la demande si coexistent des demandes trop différenciées pour être
étudiées comme une seule et même demande. Cette segmentation de la demande peut être est
le résultat des différences de choix entre les demandeurs. Il existe des couches de demandeurs
qui, pour des raisons sociales, régionales, de revenus, etc. ont une évaluation différente des
prix, des qualités, des origines (nationales ou régionales). Leurs demandes n’obéissent ni aux
mêmes stimulations, ni aux mêmes contraintes.
Cette segmentation de la demande est un instrument bien connu des stratégies de
« concurrence monopolistique » des offreurs. Ceux-ci différencient les produits agroalimentaires, créent des nouvelles marques, insistent sur l’origine des produits, etc. Il s’agit,
en somme de modeler les préférences des consommateurs en différenciant, réellement ou
apparemment, les produits alimentaires vendus. C’est une segmentation de la demande créée
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par les offreurs pour contrôler le marché. Cette stratégie monopolistique tend notamment à
utiliser et à créer les différenciations sociales entre les clientèles et à utiliser ou à créer leur
volonté de différentiation. Enfin par cette stratégie, le vendeur crée ou renforce sa propre
image (installation ostentatoire de magasins - y compris de supermarchés -, modes de
promotion commerciale et de ventes produits d’appels, prix fixés sans marchandages,
localisation, horaire, réputations sociales, etc.).
La segmentation de la demande n’est pas seulement le fait des stratégies monopolistiques du
secteur le plus productif. Elle peut aussi exister au profit des productions locales. Il y a de
multiples cas de persistance des consommations traditionnelles, notamment dans le domaine
alimentaire. Les études sur la dépendance alimentaire, sur la sécurité alimentaire et sur la
souveraineté alimentaire ont montré que la structure des consommations alimentaires, même
urbaines, n’a pas partout connu les changements annoncés. Les consommations locales sont
résilientes : elles persistent et même se développent malgré la faible productivité apparente
des filières locales. Les circuits de distribution des produits agricoles locaux se sont
maintenus et ils se sont même organisés développés et adaptés dans le secteur formel et,
encore plus spectaculairement, dans le secteur informel.
Il y a des lieux, ruraux ou même urbains, où le secteur à productivité élevée ne pénètre pas ou
ne prend qu’une partie du marché. Les méthodes de la distribution (notamment les
supermarchés) sont loin d’avoir pénétré tous les pays, même dans les villes. Et la concurrence
entre le commerce moderne et le commerce informel persiste même dans les villes où les
filières productives ont pénétré. Car le secteur moderne n’est pas le seul à jouer à la fois sur
les prix et sur les images pour attirer ou conserver la clientèle.
Plus généralement il est apparu fréquemment, dans la réunion de M’bour, qu’il convenait
d’observer, par delà la segmentation de l’offre et la segmentation de la demande, la
segmentation des marchés.
III - La segmentation des marchés
La segmentation des marchés, telle qu’elle a été développée à propos du marché du travail
(notamment à propos de la concurrence entre la main-d’oeuvre locale et les travailleurs
émigrants) est un phénomène visible pour tous les facteurs et tous les produits. La
segmentation des marchés permet la coexistence (durable ou provisoire) de marchés qui
diffèrent par les prix, les rémunérations, les qualifications réelles ou supposées, les
localisations, les règles du jeu, les contrats, les rapports de pouvoir, les aspirations des parties
contractantes, la qualité des informations, les asymétries d’information, les coalitions
explicites ou informelles, les solidarités affirmées et ressenties, la proximité géographique des
participants, etc.
Tous ces paramètres, qui sont apparus explicitement ou implicitement dans les discussions de
M’bour à propos des marchés agricoles, ont pour résultat de ne plus limiter la compétition au
niveau de productivité. La segmentation des marchés peut être même être un instrument de
survie et parfois d’expansion locale des producteurs et commerçants locaux. Elle peut freiner
les tendances à l’intégration du local à l’économie internationale et parfois même à
l’économie nationale.
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La diversité et la multiplicité des facteurs de segmentation des marchés
La diversité et la multiplicité des facteurs de segmentation des marchés sont aussi apparues,
sans être explicitement développées, dans les discussions de M’bour. Il a été beaucoup
question, dans les débats, de la segmentation ou tout au moins de la pluralité des marchés des
produits agricoles (notamment à propos du Nicaragua) et ces exemples ont montré que
l’intégration internationale pouvait se heurter à de multiples formes de segmentation interne
des marchés.
Ont notamment été évoqués :
-
la segmentation des marchés par le pouvoir politique (national ou régional), puisque
les Etats peuvent tenter de segmenter l’espace international par la protection
commerciale tarifaire ou non tarifaire aux frontières (et parfois entre les régions). Il
peut s’agir d’un instrument concerté entre l’Etat et les lobbys pour éviter que la
concurrence et, plus encore, la compétitivité excessive des importations soit la cause
de destruction de productions locales. Dans la période des ajustements structurels, il y
a eu un mouvement contraire de réductions de cette segmentation internationale par
les protections aux frontières. Il faudra en traiter même s’il en a été peu question dans
les débats.
-
la segmentation des marchés liée à une protection naturelle résultant de la
géographie. Elle s’exprime par les coûts de transport, les coûts de l’enclavement
(Mali), l’état des moyens de communication, les accidents du relief (Nicaragua) .Il
existe des productions et des commerces géographiquement abrités. Faudrait-il parler
de « segmentation géographique » à propose de l’isolement régional ?
-
la segmentation de type social et/ou culturel, puisque les catégories sociales se
distinguent par leurs revenus et leurs exigences sur la qualité, sur l’origine, sur la
présentation (éventuellement sur la marque). Il en résulte pour chaque groupe social
des conventions sur les opérations économiques qui sont considérées comme légitimes
et une anticipation des sanctions que provoque toute infraction à ces conventions.
Chaque marché fonctionne avec des normes qui diffèrent selon les groupes sociaux
comme l’ont souligné les études « institutionnalistes » (les marchés urbains et les
marché ruraux peuvent, dans un même pays, avoir des normes différentes.
-
enfin la segmentation des marchés, déjà citée, entre une économie formelle et
informelle est un exemple de segmentation durable de marchés différant par leurs
techniques,leurs conventions et leurs normes.
Les discussions sur l’évolution du secteur agroalimentaire pendant les débats ont confirmé la
polysémie de la notion de segmentation. Elle est utilisée pour désigner des faits très divers qui
sont parfois éloignés de la conception à laquelle fait référence le projet RuralStruc : la
segmentation des structures de production et d’offre qui assure la domination économique et
le pouvoir sociopolitique des producteurs et distributeurs à productivité élevée.
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Certains de ces faits, notamment la concurrence monopolistique, renforcent le pouvoir de
cette offre à productivité élevée. D’autres faits, notamment les segmentations de marchés,
peuvent au contraire rendre plus complexes et parfois plus lents les effets de la segmentation
de l’offre sur la dynamique économique et sociale. Il est, dans les deux cas, nécessaire de les
observer pour répondre à l’interrogation initiale de RuralStruc, ne serait-ce que pour éviter les
effets pervers que pourrait avoir la polysémie du terme si elle n’était pas explicitée.
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