en vie. Le biologiste américain Leo Buss a dit que nous devrions plutôt nous demander
comment se fait-il que les cellules et les tissus de notre corps collaborent ensemble pour
nous créer. Buss écrit : «l'évolution des formes multicellulaires de vie est caractérisée par
une sophistication croissante des cellules, des tissus, et des organes qui effectuent des
fonctions somatiques ayant une valeur pour l'individu dans son ensemble, mais qui exige des
cellules les composant de limiter leur potentiel intrinsèque de prolifération.
La propension à l'auto-réplication continuelle a été freinée pour être soumise aux
intérêts du tout (Buss, 1987, p. 53). Buss a introduit l’expression «écologie somatique»
pour l'état d’harmonie caractérisant les personnes en bonne santé.
En 1976 l'immunologiste danois Niels K. Jerne a fait une observation importante qui a
mené à un changement fondamental dans la conception du système immunitaire. Jerne a
montré que des parties des molécules d'anticorps sont interprétées en tant que «non-soi»
par l'organisme même qui les a produit. En conséquence, l'organisme produit des anticorps
contre ses propres anticorps. De tels anticorps s'appellent les anticorps anti-idiotypiques. De
plus, ces anticorps anti-idiotypiques peuvent à leur tour provoquer la production d’anticorps
anti-anti-idiotypiques, et même des anticorps anti-anti-anti-idiotypiques. Par conséquent,
comme Jerne l’a expliqué dans sa conférence de lauréat de prix Nobel : «dans son état
dynamique, notre système immunitaire est principalement auto-centré, produisant des
anticorps anti-idiotypiques contre ses propres anticorps, qui constituent la majorité écrasante
des antigènes actuels dans le corps.»(Jerne 1985)
Le réseau immunologique est basé sur des processus communicationnels : sur la
surface de chaque cellule sont localisés des millions de récepteurs capables de traduire les
messages ou les signes moléculaires extérieurs en patterns spécifiques d'activité
biochimique à l'intérieur de la cellule. À chaque instant, une cellule donnée doit faire une
interprétation pondérée de l'état collectif de ses récepteurs. Un message moléculaire donné
ne libère pas automatiquement une certaine réponse cellulaire, la réponse cellulaire
dépendra plutôt de l'histoire particulière de cette cellule, par rapport à beaucoup de
générations de cellules qui l’ont précédée dans le temps, ainsi que de son contexte
"sociologique cellulaire" du moment, c.-à-d., sa relation au système cellulaire environnant.
Bien que le système, en principe, pourrait être amplement décrit en termes moléculaires, sa
logique interne est adaptée à son type de fonctionnement communicationnel. Les
immunologistes sont de plus en plus conscients que la séparation du système immunitaire
du reste du corps, et particulièrement du cerveau, est plutôt illusoire. Non seulement les
fibres des nerfs se connectent aux organes du système immunitaire, au thymus, aux
ganglions lymphatiques, à la moelle et à la rate; mais de plus, une partie importante du
fonctionnement cérébral est maintenant reconnue comme étant modulée par de nombreux
produits chimiques en plus des neurotransmetteurs classiques.
La constatation que des récepteurs membranaires pour des neuropeptides, autrefois
censés être exclusivement trouvés dans le système nerveux, soient répandus sur les
surfaces des cellules mobiles du système immunitaire, indique l'ampleur de l'intégration des
deux grands systèmes. Les neuropeptides et leurs récepteurs englobent le cerveau, les
glandes endocrines et le système immunitaire dans un réseau de communication entre le
cerveau et le corps, représentant probablement le substrat biochimique de l'émotion (Pert et
coll. 1985). Progressivement, une nouvelle vision du couple cerveau-système immunitaire
apparaît: un organe fonctionnellement intégré dans le corps : "le cerveau flottant". Les
essaims de cellules immunitaires interagissent avec les essaims des cellules nerveuses en
maintenant l'écologie somatique. La croyance en une autorité centralisée dans le cerveau
commandant un corps ignorant, devient obsolète et est remplacée par une organisation
interactive basée sur la capacité distribuée de résolution de problèmes par des
myriades d'essaims de cellules travaillant en parallèle.