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LE PROCESSUS ORGANISATIONNEL DE MISE EN PLACE
DES STANDARDS INTERNATIONAUX AU NIVEAU MICRO
Jamil ARIDA Chargé d’enseignement à la FGM
Antoine HARFOUCHE - Maître de Conférences à l’Université François-Rabelais de
Tours (IAE de Tours)
RESUME
Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises adoptent et implémentent des dispositifs
de gestion normalisés. L’objectif de cet article est d’étudier les processus
organisationnel d’institutionnalisation des normes ISO et IAS/IFRS au sein dune
filiale libanaise d’une multinationale. Dans ce contexte, le concept de dualité suppose
qu’une filiale peut subir deux types de pressions : pressions globales et pressions
locales. Notre objectif est d’étudier l’impact de ces deux types de pression sur le
comportement d’adoption des normes au sein d’une organisation. Ainsi, deux études
de cas ont été constituées en se basant sur des entretiens semi-directifs centrés
réalisés à trois reprises sur une période de deux ans auprès des managers et
employés de la filiale libanaise. Les résultats de cette recherche montrent que
l’institutionnalisation d’une norme peut suivre deux types de processus. Le premier
concerne les normes ISO peut être qualifié de processus d’institutionnalisation de
type PUSH. Dans ce cas, les normes ISO sont surtout imposées par la maison-mère
dans le but de se conformer aux pressions globales. Alors que dans le cas des
normes IAS/IFRS, le processus peut être plutôt qualifié de type PULL. En effet, les
normes IAS/IFRS sont imposées par les lois libanaises et résultent donc d’une
pression locale.
MOTS CLES
Théorie néo-institutionnelle ; institutionnalisation ; normalisation ; processus
organisationnel ; ISO ; IAS/IFRS
INTRODUCTION
Aujourd’hui, les dispositifs de gestion normalisés sont devenus au cœur du
fonctionnement des organisations modernes. Leur implémentation croissante au sein
des entreprises suppose un impact sur leur dynamique organisationnelle. En effet,
au-delà de la normalisation des comportements, leur mise en place suppose un
certain apprentissage collectif et un changement institutionnel et organisationnel
conséquent, ce qui modifie les relations entre les différents acteurs et les relations
intra-organisationnelles.
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L’objectif de cet article est d’étudier le processus organisationnel
d’institutionnalisation des dispositifs de gestion normalisés au sein de la filiale
libanaise d’une multinationale (MNC). Nous nous intéresserons à la manière dont la
filiale libanaise acquière et assimile de nouvelles normes tout en soulignant les
pressions globales et locales auxquelles elle est soumise. Nous soulignerons le rôle
des acteurs dans ce processus tout en focalisant le regard sur la dynamique
organisationnelle qui se crée. Ceci se fera à travers l’exemple de la mise en œuvre
des deux dispositifs normalisés ISO et IAS/IFRS au sein de la filiale libanaise. Ainsi,
dans sa position spécifique entre le global et le local, nous répondrons aux questions
suivantes: Comment une filiale réagit-elle par rapport aux pressions globales et
aux pressions locales concernant l’adoption de dispositifs de gestion
normalisés de type ISO et IAS/IFRS? Quelles sont les dynamiques
organisationnelles qui se créent autour de ces normes ? Quel est le rôle joué
par chaque acteur au sein de la filiale ? Quels sont les processus
d’institutionnalisation suivis ?
La mise en place du dispositif de gestion normalisé s’inscrit dans un contexte social,
politique et culturel précis. Ainsi nous soulignons dans cet article le rôle de la culture
et des politiques organisationnelles et environnementales dans ce processus de
mise en place des deux outils de gestion (ISO et IAS/IFRS).
Dans ce contexte, la théorie néo-institutionnelle se révèle comme un cadre utile pour
expliquer le cas d’une filiale qui subit les influences externes globales et locales et
les influences internes (Kostova et Roth, 2002). La branche étendue de cette théorie
nous permet de prendre en considération le rôle des acteurs au sein de la filiale. Ce
rôle est primordial dans la dynamique organisationnelle qui se développe avant et
durant la mise en place des normes. Notre approche du processus
d’institutionnalisation des dispositifs de gestion situe la recherche au niveau micro.
Ainsi, nous poserons un double regard sur ce phénomène : d’une part, nous
identifierons les facteurs de pressions ; d’autre part, nous observerons les différentes
phases qui constituent le processus d’institutionnalisation de ces dispositifs.
Pour analyser d’une manière dynamique le processus d’institutionnalisation, nous
utiliserons une approche qualitative longitudinale. Ce genre d’approche favorise la
confrontation de la théorie et du terrain. Ainsi, la méthodologie d’étude de cas est
apparue comme la démarche la plus pertinente pour répondre à un tel objectif.
Wacheux (1996) définit cette méthode comme « une analyse spatiale et temporelle
d’un phénomène complexe par les conditions, les évènements, les acteurs et les
implications ». Cette méthode constitue donc le format le plus adapté pour restituer la
complexité de la mise en place des outils de gestion normalisés ISO et IAS/IFRS.
Deux études longitudinales ont été réalisées :
- La première étude est relative à la mise en place des normes ISO au sein de
la filiale libanaise et sera d’une durée de 23 mois.
- La deuxième considère la mise en place des normes IAS/IFRS au sein de la
même filiale et sera d’une durée de 18 mois.
Les durées des études de cas ont été fixées selon l’agenda de la filiale libanaise. Les
deux cas ont été constitués suite à l’analyse d’entretiens semi directifs centrés
(ESDC) réalisés avec les principaux acteurs de cette mise en place.
Le contexte de cette recherche la rend intéressante et originale pour plusieurs
raisons :
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- La recherche traite le cas de la filiale d’une multinationale. Ce qui nous
permettra de prendre en considération les deux types de pressions globales et
locales. Ceci ajoute donc des pressions peu présentes dans le cas des autres
organisations locales (entreprises nationales, PME/PMI, organisations publiques,
etc.). Nous avons choisi le cas d’une filiale, car selon Farashahi, Hafsi et Molz
(2005), avec la mondialisation, l’environnement des affaires devient de plus en plus
global donnant ainsi de plus en plus d’importance aux multinationales. Leur étude
devient cruciale dans l'analyse institutionnelle de l'organisation. Dans le cas de la
filiale H, les managers doivent raccommoder les exigences de leur maison-mère et
les contraintes et exigences locales. Souvent, ces deux types de pressions ne vont
pas dans le même sens. Il est donc intéressant d’explorer la manière dans laquelle
les différents acteurs vont réagir face à ce contexte.
- Nous comparons la mise en place de deux types de normes : les normes ISO
et les normes IAS/IFRS. Ces normes ne possèdent pas les mêmes caractéristiques.
Dans le cas des multinationales, les normes ISO sont souvent imposées par la
maison-mère. Alors que les normes IAS/IFRS sont souvent imposées par les lois
locales. Ces deux cas nous permettront de comparer la dynamique qui se crée
autour de chaque type de norme.
- Nous comparons les perceptions, attentes et comportements des
responsables/ managers aux ceux des employés/ouvriers. Par cette comparaison qui
intègre différents niveaux d’analyse, nous souhaitons présenter une vision, la plus
globale possible, sur la mise en place des normes au sein d’une entreprise.
- Ces deux études se déroulent au Liban. Elles restent très rares les études
effectuées dans ce pays. De nouvelles dimensions culturelles et politiques peuvent
donc être prises en compte. Ceci permet d’enrichir le contexte de cet article. En effet,
le Liban est considéré comme un carrefour entre l’Occident et l’Orient. Dans ce pays
paradoxe, le local se mélange avec le global dans un contraste unique dans son
genre. Le rôle des forces politiques confessionnelles et tribales est important et pèse
énormément sur le choix des organisations. En effet, ces forces ont réussi à créer
un régime unique dans son genre fondé sur le clientélisme et le sectarisme (Karam
et Catusse, 2009 ; Corm, 2008). Cette atmosphère pèse sur le management des
filiales des multinationales.
Ces quatre spécificités ajoutent plus d’originalité sur un sujet à la base original. En
effet, si les recherches qui s’intéressent au processus d’institutionnalisation des
normes au niveau macro sont nombreuses, elles restent rares celles qui cherchent à
étudier en profondeur l’adaptation de ces normes par une entreprise en particulier.
En effet, la majorité des recherches sur le processus d’institutionnalisation se fait
dans un secteur d’activité précis ou au sein d’une économie précise. Mais
l’institutionnalisation en interne qui correspond à la mise en place des normes au
sein d’une seule organisation reste très peu étudiée.
Dans ce qui suit, nous commencerons par les apports de la branche étendue de la
théorie néo-institutionnelle sociologique et le rôle de l’entrepreneur institutionnel et
des autres acteurs au sein de l’organisation. Ensuite, nous présenterons la spécificité
du cas des filiales. Et nous terminerons la partie théorique de cet article par un
résumé des contraintes auxquelles font face les filiales libanaises. La partie pratique
présentera la méthodologie de cette recherche ainsi que les résultats de nos deux
études terrain. Ces résultats montrent qu’il existe deux types de processus qui seront
comparés dans la dernière partie de cet article.
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LES NORMES A L’AUNE DES THEORIES NEO-
INSTITUTIONNALISTES
En dehors de la vision déterministe néo-institutionnelle, la branche étendue du néo-
institutionnalisme sociologique propose une vision volontariste qui suppose que les
entrepreneurs institutionnels jouent un rôle crucial dans le changement
organisationnel (DiMaggio, 1988). En effet, le néo-institutionnalisme sociologique
étendu réintroduit les attentes et les besoins des acteurs au cœur de
l’institutionnalisation (Huault et Leca, 2009). Cette nouvelle branche considère que
les institutionnalistes ne doivent pas continuer à s’intéresser uniquement aux
situations qui sont ignorées par les rationalistes et les behavioristes, c'est à dire,
celles dans lesquelles les acteurs ne poursuivent pas leurs propres intérêts
(DiMaggio, 1988). Elle cherche ainsi à inclure tous les types de comportement au
sein de l’institutionnalisme, y compris ceux motivés par les intérêts personnels et par
le pouvoir (Holm, 1995). Ainsi, selon cette théorie, les entrepreneurs institutionnels
se désencastrent (Beckert, 1999) et introduisent le changement au sein de
l’organisation en adoptant des innovations managériales (Zimmerman et Zeit, 2002).
Cette adoption peut changer les méthodes de travail au sein de l’organisation et
conduit ainsi les autres acteurs à résister car leur comportement et leur rationalité
sont conditionnés par les anciennes institutions (Scott, 2001). Notre article cherche à
étudier l’impact des pressions de l’environnement sur le comportement des acteurs
au sein des organisations. Notre vision doit prendre en considération le
comportement volontariste des entrepreneurs institutionnels mais également le
comportement de résistance des autres acteurs. Nous nous intéresserons donc à
cette dynamique organisationnelle qui sera créée autour du paradoxe
changement/résistance qui accompagne une décision de mise en place d’un
nouveau dispositif de gestion.
Le néo-institutionnalisme étendu : Le rôle de l’entrepreneur institutionnel et
des autres acteurs
DiMaggio et Powell (1991) ont introduit plus de volontarisme dans l’analyse
institutionnaliste en intégrant le rôle stratégique des agents. En effet, selon la
branche étendue du néo-institutionnalisme, certains des acteurs au sein de
l’organisation peuvent agir pour modifier les règles du jeu de leur environnement
(Hoffman et Ventresca, 2002) et deviennent ainsi des entrepreneurs institutionnels.
D’autres peuvent rester encastrés dans leur contexte socio-politique et continuer à
protéger leurs habitudes devenues ‘taken-for-granted’.
Cette vision étendue redonne de l’importance aux acteurs au sein d’une théorie néo-
institutionnelle qui selon Allouche et Huault (2003) les a gligés du moins dans ses
fondements. En effet, Hasselbladh et Kallinikos (2000) considéraient que les
explications de la théorie néo-institutionnelle étaient relativement désincarnées dans
la mesure les attentes et les besoins des acteurs étaient considérés comme une
boîte noire à côté des facteurs inter-organisationnels et institutionnels qui rythment
les comportements organisationnels. Le courant étendu a été donc introduit dans le
but de combler ces lacunes en remettant les agents au cœur du processus
d’institutionnalisation des innovations managériales.
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Figure 1. Les choix stratégiques des acteurs selon la théorie néo-
institutionnelle
Mais malgré le progrès que ce nouveau courant a conduit, les tentatives
d’introduction du rôle des acteurs au sein du processus d’institutionnalisation ne
concernaient que les managers susceptibles d’exploiter les institutions à leurs profits
(Bourgeois, 2007). Nous considérons qu’il faut réintégrer le rôle de tous les autres
acteurs et non seulement celui des entrepreneurs institutionnels, surtout celui des
autres managers qui refusent de s’allier aux entrepreneurs institutionnels et aussi
celui des employés qui résistent au changement. En effet, la prise en considération
de l’ensemble des acteurs au sein de l’organisation (managers et employés)
permettrait de mieux comprendre la dynamique organisationnelle qui se crée suite à
l’introduction des normes surtout au niveau intra-organisationnel. Cette nouvelle
vision du néo-institutionnalisme étendu permettra donc de traduire la dynamique
intra-organisationnelle à l’œuvre dans la filiale ce qui permet de mieux expliquer le
comportement des différents acteurs et de relier les actions individuelles aux
influences macro-sociales (Huault, 2002).
Le rôle de l’entrepreneur institutionnel
Des études récentes montrent que certains cadres d’une organisation sont
susceptibles d’institutionnaliser des pratiques et de désinstitutionnaliser d’autres pour
accroître ou maintenir leur pouvoir ou leur profit (Huault et Leca, 2009). Selznick
(1957) l’avait affirmé il y a cinq décennies en stipulant que le processus
d’institutionnalisation peut être appréhendé par une démarche volontariste de la part
des décideurs au sein de l’entreprise. DiMaggio (1988) a approfondi cette idée dans
son article séminal de 1988. Selon ce dernier, le processus d’institutionnalisation est
souvent déclenché par des agents organisés qui disposent du pouvoir et des
ressources. Pour des raisons stratégiques, ou parfois influencés par des contraintes
exogènes ou externes, ces derniers connus sous le nom d’entrepreneurs
institutionnels décident à un moment donné de changer les règles du jeu
(Zimmerman et Zeitz, 2002). Ils agissent ainsi en discordance avec les normes
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