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Le modèle de transplantation d’organes en Espagne
Avec un taux de 35 donneurs d’organes par million d’habitants, l’Espagne est le premier pays mondial
quant au don et transplantation d’organes au niveau mondial. L’augmentation progressive de l’activité
de transplantation, depuis la création de l’Organisation Nationale de Transplantation (ONT), dans les
années 80, a permis à l’Espagne d’être considérée comme un modèle à suivre dans d’autres pays. Le
modèle espagnol est constitué d’éléments légaux, politiques, économiques, médicaux, culturels,
communicationnels… Son succès peut être attribué à un effort coordonné et continu pour explorer
toutes les stratégies afin d’encourager la société au don, tout en préservant la confiance des citoyens
dans leur système de santé.
Dans ce but, l’ONT se charge, entre autres, de la distribution des organes, de l’organisation des
transports, de la gestion des listes d’attente, de la conception, de la diffusion des statistiques sur le don
et la transplantation. Elle a pris des mesures spécifiques - que d’autres pays n’ont pas prises - afin de
promouvoir le don d’organes. Les plus importantes sont :
1- Les mesures légales :
L’ONT est une instance médiatrice entre les coordinations hospitalières et les différentes
administrations régionales ou étatiques. Cette organisation a réalisé un travail politique important pour
dégager le terrain et détruire les obstacles judiciaires et logistiques qui sont apparus sur le parcours.
Signalons que les lois qui régulent le prélèvement et la transplantation d’organes en Espagne sont
identiques à ceux des pays qui sont eux aussi de grands promoteurs du don, comme le Portugal, la
France ou l’Italie. Ces principes de lois sont :
- Le consentement présumé du donneur cadavérique :
Dans certains pays comme les Etats-Unis, le royaume Uni, les Pays-Bas, la Grèce, le Canada, le Japon, la
Nouvelle Zélande et l’Australie, il est nécessaire d’avoir demandé à être donneur pour « entrer » dans
cette catégorie. Ces donneurs possèdent une carte de donneur ou la famille témoigne de l’accord du
défunt pour disposer de ses organes post mortem*. On a remarqué que le don présumé permet d’avoir
plus de donneurs que le modèle de consentement explicite. Signalons qu’en Espagne, l’ONT a choisi une
version soft ou « molle » du consentement présumé : aucun prélèvement n’est réalisé si la famille le
refuse, même dans les cas où le patient disposait d’une carte de donneur.
*Expression utilisée pour la simple raison qu’un mort ne donne pas.
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- Conditions légales pour la détermination de la mort :
a. La plupart des législations dans le monde reconnaissent un double standard pour déterminer la mort
humaine : la mort encéphalique et la mort cardiaque. Même si la situation la plus fréquente est de
prendre en considération simultanément les deux critères, les nouvelles techniques de réanimation
(respirateurs automatiques) et le perfectionnement des mesures de diagnostic permettent à l’heure
actuelle d’objectiver chaque type de mort. En
Espagne, la mort encéphalique est un critère
de mort humaine par faut. Mais, il faut que
tout le cerveau ait arrêté de fonctionner pour
pouvoir constater la mort encéphalique. Les
médecins ont participé à la rédaction du
Décret Royal de 1999. Ceci permet aux
professionnels de santé, qui diagnostiquent la
mort et qui communiquent le décès
encéphalique aux familles, de se sentir
appuyés par la loi, sans laisser place au doute.
b. En cas de mort par arrêt cardiaque :
Depuis les années 90, le prélèvement à cœur
arrêté est de plus en plus courant en Espagne.
Mais, il constitue toujours une source marginale d’organes pour la transplantation et une proportion
minimale du total des dons.
c. Autorisation judiciaire :
L’un des facteurs de perte de donneurs
potentiels est l’obstacle judiciaire (si le juge
demande une autopsie). Mais grâce au travail
de l’ONT, le refus judiciaire s’est réduit à moins
de 1% des causes de non prélèvement des
donneurs potentiels identifiés.
2- Les mesures économiques :
Une série de caractéristiques du système de santé espagnol ont pu établir les bases de l’implantation du
modèle espagnol de transplantation. Il s’agit des moyens techniques et humains disponibles à travers
toute l’Espagne qui ont permis d’avoir plus de chance d’obtenir des chiffres élevés en ce qui concerne le
don d’organes.
L’Espagne a l’index de centres transplanteurs par nombre d’habitants le plus élevé au monde. La plupart
des hôpitaux espagnols équipés avec des lits de réanimation, même les plus petits, ont des
coordinateurs à temps partiel.
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Rapport centres de
transplantation/population.
Source : Council of Europe
(2006)
Centres de
transplantation
Population
(millions)
Rapport centres de
transplantation/popul.
Royaume Uni
27
59
0,45
Pologne
18
38
0,47
Allemagne
42
82
0,51
Canada
21
32
0,65
Italie
40
57
0,70
France
44
62
0,71
USA
250
300
0,83
Espagne
42
44
0,95
3- Les mesures médicales :
a. Détection des donneurs potentiels. L’excellent travail des coordinateurs intra-hospitaliers
espagnols de transplantation est l’un des mérites de ce système, reconnu mondialement. Leur
rôle principal est le recensement des donneurs potentiels. C’est l’une des clefs du succès de ce
modèle. Ce sont en même temps des médecins réanimateurs. Cela leur permet d’identifier
rapidement les cas de mort encéphalique. L’ONT espagnole a investi une grande partie de ses
efforts pour s’assurer que le processus de recensement des donneurs soit mené de façon
complète et précoce. Les coordinateurs espagnols ont une grande connaissance dans le
domaine. D’une part, ils détectent tous les patients susceptibles d’évoluer en mort
encéphalique et, d’autre part, les cas de malades en mort encéphalique qui ne sont pas des
donneurs réels.
b. Age des donneurs et des receveurs. En Espagne, l’âge moyen des donneurs est supérieur à
celui des autres pays. En Espagne, les personnes transplantées et celles inscrites en liste
d’attente sont aussi d’un âge avancé.
Organe
Pourcentage en France
Pourcentage en Espagne
Cœur
60%
63%
Foie
72%
63%
Rein
79%
68%
Pancréas
68%
70%
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4- La société espagnole est-elle d’accord avec le modèle « soft » de
consentement présumé en vigueur
L’article 10 du Décret 2070/1999 établit que « l’obtention des organes de donneurs décédés à
des fins thérapeutiques pourra se réaliser si la personne décédée, sur laquelle on prétend
extraire des organes, n’a pas exprimé son opposition à l’extraction de ses organes après sa
mort. Cette opposition, ou son accord si elle veut l’exprimer, pourra se référer à tout type
d’organes ou seulement à certains d’entre eux, et sera respectée quelle que soit la forme sous
laquelle elle s’est exprimée. » Mais, cet article ajoute que « chaque fois que les circonstances
le permettent, il faudra fournir aux proches présents dans le centre sanitaire, des informations
sur la nécessité, la nature et les circonstances de l’extraction, de la restauration, de la
conservation ou des pratiques de santé mortuaire ». Donc, les équipes sanitaires doivent
informer les proches et non obtenir leur consentement : le rôle des proches est d’offrir le
témoignage du patient, et non leur propre avis sur l’opportunité du don. Cependant, dans la
pratique, les équipes de transplantation ne réalisent aucune extraction sans le consentement
des proches. 96% des espagnols interrogés sur ce modèle estiment qu’on doit demander
l’autorisation à la famille pour le prélèvement. Cependant, la plupart d’entre eux (72%)
estiment qu’on doit respecter la volonté du défunt si elle est connue.
5- Prélèvement à cœur arrêté
Les protocoles de don après la mort cardiaque se divisent en deux types :
a. Après l’arrêt cardiaque « contrôlé »
Ce protocole est réalisé en Hollande ou en Angleterre mais pas en Espagne. Les donneurs de
ce type sont des malades hospitalisés qui souffrent d’une maladie grave et qui désirent une
limitation des thérapeutiques. Le procédé consiste à interrompre le respirateur automatique
au bloc opératoire, attendre l’arrêt cardiaque et commencer l’extraction d’organes dès que
l’on estime l’arrêt irréversible. En Espagne, on considère que ce procédé pose trop de
problèmes éthiques et que la société n’est pas assez préparée.
b. En arrêt cardiaque « non contrôlé »
C’est le protocole appliqué en Espagne. Il s’agit souvent d’un patient qui souffre d’un arrêt
cardiaque à domicile. Il reçoit une assistance d’urgence de la part du SAMU. Cette équipe
essaye de le réanimer in situ pendant au moins 30 minutes. Si la réanimation s’avère
infructueuse, on continue le massage cardiaque. Une fois arrivés à l’hôpital, on déclare la mort
du patient mais on continue le massage cardiaque afin de préserver les organes. Le juge est
appelé pour une demande d’autorisation afin de commencer les techniques de préservation
des organes. Ces techniques impliquent une altération de l’intégrité du cadavre. A ce moment
la famille n’a pas encore était informée du décès du patient ni de son statut de donneur
potentiel. C’est seulement quand les organes du patient sont déjà préservés au sein du corps
(avec un liquide de refroidissement), qu’on contacte la famille pour l’informer du décès et de
la possibilité du don d’organes. En cas de refus, on retire les moyens de préservation. En cas
d’accord, on procède à l’extraction.
Ambiguïté sur le statut du patient-donneur potentiel : l’équipe du SAMU ne déclare
pas la mort du patient, mais la « mort cardiaque ». Cependant, la mort cardiaque
équivaut-elle à la mort du patient ? Légalement le patient n’est pas mort car le
certificat de décès est signé lorsque le patient arrive à l’hôpital. L’ambiguïté de cet état
de « mort cardiaque » permet de réaliser simultanément des actions qui expriment un
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double intérêt : d’un côté, on continue le massage cardiaque (pratique dont la seule
justification vis-à-vis de la famille non informée serait qu’elle « puisse porter un
bénéfice individuel au patient », de l’autre, on contacte l’équipe de coordination pour
l’informer qu’« on a un donneur potentiel ».
6- Aspects économiques et rétributions :
Le modèle espagnol de transplantation est sans aucun doute rentable. La valeur de la greffe
d’un cœur, par exemple, n’a pas de prix. En Espagne, le corps médical est payé selon l’activité
réalisée (jusqu’à 70% du salaire). Cela crée des problèmes (attraits économiques, insistance
auprès des familles pour qu’elles acceptent les dons…)
Le modèle de don d’organes en Espagne s’appuie sur les principes de gratuité et d’altruisme.
La compensation, si elle a lieu, est restreinte aux frais funéraires, ou aux frais de rapatriement
du corps en cas de donneur étranger. Cependant l’article 8 du Décret 2070 /1999, relatif à la
gratuité du don établit qu’ « Aucune gratification ne pourra être perçue pour le don d’organes
humains par le donneur, ni par aucune autre personne physique ou juridique ».
7- Gestion du donneur en attente de mort encéphalique :
Cette procédure est-elle pratiquée pour maximiser les potentialités du don ? Car en Espagne,
en cas de lésion ou d’infarctus cérébraux, on continue à traiter le patient pendant un certain
temps jusqu’à ce que la réanimation cardio-pulmonaire échoue.
8- Le prélèvement sur des personnes vivantes
La régulation espagnole sur la transplantation d’organes (reins pour la plupart) d’une personne
vivante à une autre interdit de faire de la publicité personnalisée sur l’offre et la demande
d’organes. Aux Etats-Unis, on permet les publicités pour trouver le donneur compatible même
si le don doit être altruiste.
9- Conclusion
Une politique pragmatique et responsable...
La politique espagnole de transplantation est basée sur le respect d’une série de principes
éthiques et juridiques (la gratuité, l’altruisme, le respect du donneur et de ses proches, la
confidentialité, l’équité dans la distribution des greffons) et une attention aux intérêts des
receveurs d’organes.
Ses avantages…
- Le succès du modèle espagnol n’est pas basé sur le nombre d’accidents de la route.
- Le modèle espagnol réunit un ensemble de caractéristiques légales, économiques,
structurelles et éducatives qui favorisent le don et ne posent pas beaucoup de
problèmes moraux. Ces caractéristiques, dans leur ensemble, n’existent dans aucun
autre pays du monde.
Et ses inconvénients.
Plus de transparence, sur quelques aspects du modèle espagnol, est nécessaire. Un débat
public sur quelques aspects éthiques discutables devrait être promu.
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