Les lois du Chaos et la géométrisation de la pensée
David PEAT
traduction de la page http://www.fdavidpeat.com/bibliography/essays/oril.htm
surlignements (et commentaires) par Didier Seban
La place du chaos en psychologie
A - Introduction
Un grand nombre de livres et d’articles de revues de vulgarisation sont parus au cours des dernières
années sur la théorie du chaos, qui est devenue de plus en plus populaire. Quelques psychologues sont peuttre en
difficulté avec les détails mathématiques de la théorie, ils sont néanmoins informés de ses grandes lignes et
concepts généraux. Ainsi, par exemple, l'image de l'"effet papillon" est elle souvent utilisée pour parler de la
sensibilité aux conditions initiales des systèmes complexes. Une sensibilité tellement extraordinaire qu’une
perturbation aussi petite que le battement des ailes d'un papillon produit un changement à grande échelle du
comportement de ces systèmes. La théorie du chaos soutient que de tels systèmes demeurent strictement
déterministes, ils sont toutefois si complexes que les détails exacts de leur comportement sont, dans la pratique,
imprévisibles même à l'aide des plus gros ordinateurs.
D'autre part, ces systèmes sont soumis à leur attracteur étrange : bien que les détails de leurs fluctuations
semblent être aléatoires, leur chaos est toutefois contenu dans un espace limité particulier de tous les
comportements possibles. Leur dynamique peut, par exemple, montrer une structure fractale dans laquelle des
motifs semblables sont répétés à des échelles de en plus petites de l'espace et des intervalles de temps. Par
exemple, il est impossible de prévoir la valeur exacte d'une part particulière sur le marché des actions à une date
future précise, mais on peut prédire globalement quelquechose au sujet de son modèle général de fluctuation au-
dessus d'un mois, d’un jour ou même d'une heure. Donc la théorie du chaos n'est pas l'étude des systèmes dans
lesquels l'ordre est le fruit de l’aléatoire pur mais plutôt de ceux qui montre des degrés d'ordre extrêmement élevés
impliquant des comportements très sensibles et subtils. La description complète de tels systèmes exigerait une
énorme, potentiellement infinie quantité d'informations. D'autre part, le comportement fortement complexe peut
parfois être simulé de façon très simple par la répétition constante de processus itératifs tels que la transformation
du boulanger de Prigogine ou la rétroaction non-linéaire liée à la dimension variable des populations d'insectes.
Bien que la théorie du chaos et les descriptions fractales soient capables de simuler une grande variété de
processus naturels, il reste une question en suspens quant à savoir si de telles théories offrent réellement un exposé
complet des fonctionnements intérieurs de la nature et de la société. Par exemple, le fait que de multiples itérations
puissent produire des résultats complexes ne signifie pas pour autant que de telles itérations fassent partie des
processus génératifs réels de la nature elle-même. Une autre question se pose sur la part de l’aléatoire absolu et de
celle du chaos déterministe dans les phénomènes qui se produisent dans l'univers. Bien que la théorie du chaos soit
purement déterministe, peut-il quand-même exister certains processus naturels qui soient essentiellement non-
déterministes et aléatoires? La théorie quantique semble être un choix qui s’impose; le temps que met un noyau
radioactif à se désagréger est, selon la théorie quantique, absolument indéterminé - c'est une question de pur
hasard. David BOHM, cependant, a produit une version déterministe de la théorie quantique qui explique
parfaitement tous les résultats et prévisions empiriques de la théorie sans faire appel à l’aléatoire pur. (notons que la
mécanique statistique étudie comment des phénomènes en apparence aléatoires à un faible niveau créent certains
phénomènes déterminés et prévisibles à un niveau supérieur) Un autre domaine dans lequel l'aspect aléatoire
intrinsèque se produit est l'ordre des chiffres d'un nombre irrationnel. Mais quelle est la base ontologique de tels
nombres dans la nature? Sont-ils une manifestation d'un aspect aléatoire intrinsèque dans l'univers ou représentent-
ils les limites abstraites des processus qui impliquent une quantité infinie d'informations? Actuellement, il ne semble
y avoir aucun argument décisif en faveur du hasard et de l'aspect aléatoire pur comme jouant un rôle dans le
cosmos, pas plus qu’en faveur d’un déterminisme total de tous les systèmes naturels.
B. Chaos, non-linéarité et géométrie
La théorie du chaos est elle-même une branche de domaines d’étude plus généraux qui incluent la
dynamique non linéaire et la théorie générale des systèmes. De celles-ci viennent des concepts importants tels
que, par exemple, les points de bifurcation - une région de l'espace des phases (ou de l'espace des
comportements possibles) dans laquelle un changement minuscule des conditions extérieures peut produire un
changement qualitatif global du comportement d'un système (à rapprocher des points singuliers dans la théorie des
catastrophes de René THOM). La dynamique non linéaire traite également des cycles limites et des comportements
quasi-périodiques; c'est-à-dire, des systèmes qui s'installent dans des comportements résistant de façon
stable à de fortes perturbations externes. Des solitons peuvent également être produits dans les systèmes non
linéaires, ce sont des entités localisées qui se déplacent comme des particules et sont apparemment indépendantes
alors qu’elles prennent leur origine dans la dynamique du système dans son ensemble.
Une caractéristique significative des dynamiques non linéaires et chaotiques est que la théorie
fondamentale puisse être abordée d'une façon purement formelle, employer des équations abstraites et se prêter à
une expression facilement visualisable en termes de mouvement d'un système par un paysage de vallées,
collines, arêtes de montagne, selles et autres variétés topologiques. Bien que les espaces impliqués puissent en fait
être des espaces des phases multidimensionnels - l’espace des phases d’un système contenant tous ses
comportements possibles- on gagne beaucoup en terme de compréhension d'une manière purement visuelle et
géométrique. Ainsi, par exemple, la description mathématique d'un cycle limite peut-elle être facilement
conceptualisée en termes de système dont les déplacements ne peuvent pas sortir des confins d'une vallée
circulaire profonde. On peut également imaginer qu’un système perché sur une arête de montagne peut descendre
soit sur un versant, soit sur l’autre par l’effet du vent le plus léger. Grâce aux simulations sur ordinateur, il est
également possible d'explorer la nature du mouvement chaotique par la forme à ses différentes échelles - de
son attracteur étrange. (un attracteur étrange a une structure fractale)
Cette introduction des images et figures géométriques est particulièrement importante dans le champ de la
psychologie et de la sociologie car elle ouvre de nouvelles manières de penser, ce qui n’est pas toujours possible
quand on étudie la nature de manière purement abstraite et numérique. En effet, le langage figuré spatial semble
particulièrement approprié; après tout, nous tendons à employer des métaphores spatiales en parlant de notre
vie intérieure; nous sommes "vers le haut, dans le ciel", "dans un lieu étrange", "perdant nos repères", "suivant un
chemin" et "désorientés". Un chef d’œuvre du monde médiéval, la Divine Comédie de DANTE, a utilisé une
géométrie sacrée dans laquelle toutes les choses et tous les êtres ont une place bien précise. La poésie commence
par une personne qui s'est égarée dans un bois sombre. C’est en faisant un voyage vers un paysage fortement
structuré que le voyageur se déplace vers l'harmonie et l'équilibre. Le paysage de DANTE est à la fois théologique,
cosmologique, social et individuel. C'est une image de l'intégration de la psyché et de la dynamique du système
solaire, comme si l'individu et le cosmos étaient mus par ce même amour qui déplace le soleil et les étoiles.
Cette image d'un paysage sacré et d'un chemin qui doit être pris vers l'intégrité, est retrouvée dans beaucoup
d'autres cultures. Plusieurs de mes amis américains indigènes parlent d'avoir "une carte dans la tête", et semblent
percevoir le paysage autour d'eux comme richement structuré et tissé dans l'espace et le temps. Ainsi, par exemple,
la terre du Blackfoot a été créée par Napi pendant qu'il se déplaçait sur son voyage au nord. Dans ses autres
métamorphoses, il a créé les terres de l'Ojibwaj, du Cree et du Naskapi. De même, pendant "le temps rêvé" le
paysage australien a été créé par des ancêtres mythiques et dans certaines formations rocheuses, tous coexistent:
l'ancêtre, la roche, l'époque actuelle et le rêve. En Inde, des contes relatant la création et le paysage associent des
lieux de pélerinage avec diverses parties du corps. Dans tous les cas donc, une géométrie sacrée existe à la fois
intérieurement et extérieurement, c'est à la fois une géographie, une étude des relations cosmologiques, une
histoire, une description de l'ordre social et de l'évolution de la nature de la conscience humaine.
Une des voies les plus profondes et directes pour accéder à la compréhension de soi et du cosmos est
exprimée en modèles géométriques tels que le mandala, le cercle sacré, quatre directions, l’arbre du monde, le
serpent qui se mord la queue, etc... Dans tous les cas ces configurations spatiales ont une grande puissance
numineuse propre. Dans notre société occidentale, Carl JUNG s'est référé à eux comme émanant d’archétypes de
l’Inconscient Collectif. Mes amis américains indigènes m’ont dit que ce ne sont pas seulement des symboles, des
représentations ou des métaphores mais des puissances en elles-mêmes qui contiennent une grande énergie.
Nous touchons là quelque chose de très profond dans ces formes et images universelles qui sont en même temps
des manifestations de la dynamique interne du cosmos et structurantes de la conscience humaine. On peut
se demander en quoi le mariage de la théorie de chaos et de la psychologie s’enracine sur ce fond commun. Se
pourrait-il que les images et les concepts que nous étudions maintenant ne soient pas de seules représentations
conceptuelles abstraites ou des raccourcis de la pensée mais possèdent réellement une puissance numineuse par
elles-mêmes ?
La physique a traditionnellement compté sur la mesure quantitative, les descriptions numériques
et la manipulation algébrique pour la construction de sa théorie mais je me demande dans quelle mesure
cette confiance dans le quantitatif et l’abstrait peut être moins appropriée à la psychologie. La théorie
Jungienne suggère qu'on accède à la connaissance du monde au moyen de quatre fonctions. La Pensée
et le Sentiment sont classées par JUNG dans les fonctions d'évaluation et nommées par conséquent "les
fonctions rationnelles". En revanche l'Intuition et la Sensation sont "des fonctions irrationnelles" car elles
ne mesurent pas ou n'évaluent pas mais travaillent directement sur la perception directe. JUNG nous met
en garde sur le danger de permettre à une de ces fonctions de dominer les autres. Dans ce sens, on
pourrait dire que les descriptions géométriques ou imagées qui émergent de la théorie du chaos
sont perceptives et sensitives et contrebalancent ainsi notre tendance à favoriser les approches
quantitatives et évaluatives de la Nature. Et il y a même de bons arguments pour suggérer que cette
approche géométrique et imagée puisse être une manière importante de décrire le monde naturel, et nos
propres perceptions de ce monde. Dans leur recherche des théories les plus profondes aux niveaux les
plus fondamentaux de la physique, quelques théoriciens ont regardé de nouvelles géométries,
cohomologies et topologies comme manières d'explorer le niveau le plus fondamental de la physique.
L'étude des boucles et des noeuds, par exemple, a été récemment évoquée pour établir des rapports avec
les théories du monde subquantique, telles que la théorie axiomatique de champ d'Edward WITTEN.
Les rapports spatiaux qu’évoque les mots « intérieur/extérieur », « contenu dans », «près de», « replié en »,
« connecté à », « hors de », etc… peuvent être tous exprimés en termes purement topologiques et géométriques
sans référence à des nombres ou des mesures. Ces relations n’ apparaissent pas seulement plus appropriées pour
décrire le monde quantique, elles décrivent bien aussi le traitement par notre cerveau de l’information en provenance
de notre monde. Ainsi ces rapports topologiques et géométriques peuvent-ils être une manière plus
fondamentale de comprendre la matière et la conscience.
C. Quelques questions brûlantes
Ainsi apparaît-il que les notions de forme, motif, géométrie et structure peuvent être trouvées aux niveaux les
plus profonds de la matière et de la psyché. Plusieurs questions se posent alors :
Comment développer cette approche dans la psychologie et les sciences sociales?
Comment enrichir notre imagerie et notre géométrie courante ?
Comment inclure des notions comme qualité et valeur dans le domaine géométrique?
Comment faire avec la dualité subjectivité / objectivité
Pouvons nous développer une nouvelle géométrie et de nouvelles structures qui enrichiraient à la fois notre
compréhension théorique du psychisme et servir de fonction intégrative à ceux qui cherchent un
développement intérieur?
D. La dimension psychologique
Quiconque ayant étudié les théories du chaos sera attentif aux associations qu’elles évoquent chez les
autres. Le terme lui-même évoque des sentiments indéfinis liés à la décomposition de l'ordre ; chaos social ; crainte
de perdre le contrôle; inquiétude aux changements soudains et inattendus ; soucis concernant la transformation des
valeurs ; et appréhension à la désintégration de la notre et perte de tout ce que nous jugeons cher. Dans quelle
mesure de tels sentiments profonds et inquiétants sont capturés et contenus dans des concepts tels que des
fractales, le chaos, des points de bifurcation et des attracteurs étranges? Dans quelle mesure ces formes et modèles
mêmes deviennent chargés d'une puissance numineuse qui peut faciliter la compréhension et la guérison?
E. Concepts en provenance de la physique
Quelles que soient les façons dont nous cherchons à enrichir la psychologie de la perspective de la théorie du
chaos, nous sommes tous comme si nous cherchions à tâtons dans l'obscurité. Puisque mon propre fond de
connaissance se situe en sciences physiques, il est naturel que je cherche en lui des indices et des suggestions. En
effet, cette approche a tendu à être le modèle des dernières décennies pour d’autres disciplines qui ont puisé leurs
métaphores dans la Physique. Cependant, je suis bien conscient de la prudence avec laquelle on doit importer « en
gros » des idées d’un domaine à l’autre. Je me rappelle d’une discussion que j'ai eue avec Stanislav GROF qui a
rêvé qu'un jour, la psychologie produirait ses propres intuitions profondes au sujet des mondes de la conscience et
exporterait ceux-ci, à son tour, influençant dans les autres directions la physique et aiderait celle-ci à comprendre les
fondements de la matière. À la lumière de cette qualification, les idées et les suggestions décrites ci-dessous doivent
être considérées avec un certain recul. Elles ne s'appliquent pas toutes directement à la théorie du chaos ou à la
géométrisation de la pensée mais je pense que chacune contient en elle un germe de recherche potentiellement
fécond.
a. Lois fondamentales
Souvent la psychologie et les sciences sociales cherchent des principes, des lois fondamentaux et des
structures élémentaires sur lesquelles le comportement et la conscience sont fondés. Cette approche est clairement
adoptée par la physique, qui a toujours cherché les lois les plus fondamentales et la plupart des niveaux
élémentaires de la structure de la matière dans ses efforts pour répondre à des questions comme :
Pourquoi y-a-t-il quelquechose plutôt que rien?
Pourquoi l’univers est-il comme il est?
De telles lois ont une existence ontologique curieuse car elles semblent tenir la matière et l’espace hors du
temps et leur proposer une existence avant le temps. Telle, par exemple, la loi fondamentale appelée Big Bang pour
introduire l'univers du temps, de l'espace, de la matière et de l'énergie à partir d’un évènement primordial.
Bien que des physiciens comme Stephen WEINBERG et Stephen HAWKING sont de fervents croyants dans une loi
ultime - et même au niveau le plus fondamental de la matière - personne n’est d’accord avec cette approche.
(c’est le mythe du constituant élémentaire « ultime » de la matière, auquel déjà PASCAL ne croyait pas. Cette
critique de l’élémentarisme est abordée aussi à la suite de René THOM par Alain BOUTOT dans « l’invention des
formes »)
Une autre manière de regarder les choses: plutôt que voir ces lois gouverner les processus naturels, voir
ces lois comme en réalité produites par les processus naturels eux-mêmes. Dans cette vision, les lois sont toujours
temporaires et contexte-dépendantes ; elles fonctionnent à une certaine échelle, à un niveau limité et ne sont plus
valables à des niveaux plus élevés, à des échelles plus grandes. De même, "les particules fondamentales" et les
niveaux matériels « ultimes » sont toujours fondés sur quelque chose encore situé en deçà. De cette façon, plutôt
que d’approfondir les lois fondamentales et les équations, on peut commencer à se demander comment les
systèmes produisent leurs propres régularités et modes de comportement. (pattern signifie aussi motifs, formes
particulières). Prenez par exemple les lois des gaz de BOYLE. Au départ, on les a créé pour exprimer les propriétés
fondamentales de la matière. Plus tard, on a découvert qu’elles étaient le résultat des moyennes statistiques d'un
nombre énorme de processus moléculaires qui forment le gaz. Plus tard, ces processus moléculaires étaient encore
découverts comme provenant des collisions qui devaient être exprimées en terme de mécanique quantique. De nos
jours, la physique cherche à expliquer une loi en termes de comportement à un niveau le plus petit et le plus
fondamental possible. Mais il pourrait s’avérer que des processus sub-quantiques soient conditionnés par l’univers
dans son ensemble et par des processus non-locaux opérant à grande échelle. Ainsi, il se pourrait bien que des
régularités ou des lois découvertes dans un contexte ou une échelle particulière soient la résultante de processus
fonctionnant à beaucoup d’autres niveaux.
Pour résumer, la physique a traditionnellement décrit le monde comme créé à partir de "modules"
élémentaires dont le comportement est régi par des lois simples et fondamentales. Une approche alternative serait
de considérer un univers constitué de processus et de flux toujours dans certains contextes limités, dévoilant une
variété de modèles, régularités et invariances que nous prenons pour "les lois de la nature". On se demande si la
psychologie et la sociologie seront un jour basées sur des lois fondamentales et des niveaux ou si on cherche plutôt
les modèles et les formes qui émergent des processus complexes et de l'interpénétration de ces niveaux.
b -L'inertie et la forme
Cela m'a toujours frappé que le comportement fondamental de la matière et de la pensée soient
semblables en beaucoup de points. Ainsi, par exemple, la pensée tend à adhérer aux formes et aux modèles de
même que la matière adhére, colle à son mouvement. (to cling se traduit par accrocher, coller, adhérer)
Selon Newton, le mouvement de la matière est toujours semblable à lui-même. Un corps libre se déplace en ligne
droite ou reste au repos - à chaque instant son mouvement est exactement semblable à lui-même. Quand,
cependant, ce corps subit une force externe, son mouvement n'est pas modifié d'une manière irrégulière, le
changement du mouvement est toujours exactement semblable à lui-même : accélération uniforme. De même, selon
la relativité, les formes des lois de la nature sont toujours semblable à elles-mêmes quel que soit le cadre référentiel
à l’intérieur duquel les lois du mouvement sont exprimées. On a pu même penser à la persistance des corps
matériels comme surgissant d'une manière semblable, parce que la forme de la matière est toujours exactement
semblable à elle-même d’un moment à l’autre. Ainsi, si je devais penser à un principe de base dans la nature, ce
serait cette notion d'une adhésion à la forme, un principe qui semble se produire à tous les niveaux du
comportement de la matière. On peut se demander dans quelle mesure ce principe est également présent dans la
conscience.
c - Algèbres de pensée
Des tentatives ont été faites pour créer des algèbres de pensée et assez curieusement ces mêmes
structures formelles ont été récemment utilisées pour avoir de la pertinence au sein de la physique fondamentale. Le
mathématicien du XIXème Herman GRASSMAN a créé l'algèbre qui porte son nom pour tenter de montrer comment
une pensée se déduit des autres. GRASSMAN a cru que l'algèbre ne concernait pas le monde physique mais le
mouvement de la pensée lui-même. Il a observé que chaque pensée contient la trace de celle qui l’a précédée et
prévoit celle qui va suivre. Son algèbre reflète ce mouvement dynamique du déploiement et du pliage.
Malheureusement les mathématiciens qui lui ont succédé se sont focalisés sur les aspects statiques de ce travail et
ont négligé la nature plus radicale de son algèbre. Le travail de GRASSMAN a été cependant revisité par William
KINGDON CLIFFORD et William Roland HAMILTON qui semblent mieux comprendre la nature radicale de ce qu'il
essayait d’établir. Les algèbres aujourd'hui de GRASMAN et de CLIFFORD jouent un rôle important dans la physique
fondamentale. Mais puisque la plupart des mathématiciens ne semblent pas intéressés par les questions
fondamentales de la pensée, peu de choses sont écrites sur cet aspect de leur travail.
Un collègue psychologue, Basile HILEY, qui travaillait avec feu David BOHM sur l'application de ces
algèbres à la matière et à la conscience, a proposé que la meilleure approche pour les intéressés était l’ouvrage de
GRASMAN : « Gasammette Mathematische und Physikalische Werke » Leipzig 1894 « dont une partie a été traduit
en Anglais, ainsi que W. R. Hamilton "The Mathematical Papers" Vol #, Algebras pp15-16. Ed H. Halberstarn and
R.E. Ingram, Cambridge U Press 1967.
d. Variables collectives
Le rapport entre un flux fondamental et l'aspect de l'ordre ont été étudiées par les physiciens David BOHM
et David PINES dans le contexte d'un plasma dans un métal. Essentiellement, BOHM a montré comment dans les
mouvements thermiques aléatoires apparents d'un vaste nombre d'électrons se révélaient des oscillations régulières
et collectives du plasma. De même, les mouvements aléatoires de différents électrons sont conditionnés par le
mouvement global du plasma. Techniquement parlant, la longue gamme des interactions électriques entre les
électrons sont protégées par le plasma de sorte que le mouvement électronique aléatoire individuel est soumis à
des forces à courte portée. Le travail de BOHM et de PINES me semble riche de métaphores valables pour la
psychologie et les sciences sociales. Prenez par exemple la manière dont le comportement à grande échelle dévoile
à partir du mouvement aléatoire un énorme nombre d'éléments minuscules et, en même temps, comment chaque
mouvement aléatoire individuel est conditionné par le collectif. Ainsi, bien que la société émerge à partir d'un
groupe d'individus, les différents comportements individuels se déploient à partir du collectif. On peut également
spéculer sur la pertinence de cette image transposée au cerveau : le comportement global à grande échelle du
cerveau se développe à partir des interactions d'un très grand nombre d'éléments neurologiques. En retour,
cette activité à grande échelle conditionne le comportement et la réponse des différents éléments et change
leurs interactions. Je ne connais aucun compte-rendu non technique de ce travail. Il y a un rapport dans le journal
original, tel que celui de David BOHM et David PINES dans la revue Physical Review 92, 609-625 (1953), mais ces
écrits vont paraître trop ardus aux esprits non mathématiciens.
e. Le comportement global
Le travail auquel les paragraphes précédents se réfèrent, a démontré la façon dont un système dynamique
peut se séparer dans deux modes de comportement - l’un traitant le mouvement apparemment chaotique de
différents éléments et l’autre traitant un comportement à grande échelle plus régulier, les deux modes
coexistant de façon dynamique et mutuellement interactive (les deux niveaux s’interpénètrent). En effet ceci
soulève des questions importantes quant à la façon dont les descriptions microscopiques et macroscopiques
peuvent coexister côte à côte et aussi comment le même système peut se scinder dans ses variables rapides et
lentes. Il est très important que des investigations semblables soient tournées vers le fonctionnement du cerveau et
de la conscience car le comportement local et global semblent être dans le cerveau deux choses différentes
alors que ce sont des fonctions imbriquées l’une dans l’autre. Ainsi dit-on souvent que la conscience surgit au
niveau global - pourtant le global provient du local et, inversement, il conditionne à son tour le local.
Cette dualité entre les structures locales et globales est également reliée aux sortes d'images géométriques qui sont
présentes dans la théorie du chaos et les théories non linéaires. Dans ces approches, un système est traité comme
un point se déplaçant dans un paysage richement structuré de plaines, vallées, selles, crêtes et attracteurs étranges
de dimension fractale. Pourtant le point du système lui-même n'est pas sans structure et il a sa propre dynamique
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