La théorie du chaos est elle-même une branche de domaines d’étude plus généraux qui incluent la
dynamique non linéaire et la théorie générale des systèmes. De celles-ci viennent des concepts importants tels
que, par exemple, les points de bifurcation - une région de l'espace des phases (ou de l'espace des
comportements possibles) dans laquelle un changement minuscule des conditions extérieures peut produire un
changement qualitatif global du comportement d'un système (à rapprocher des points singuliers dans la théorie des
catastrophes de René THOM). La dynamique non linéaire traite également des cycles limites et des comportements
quasi-périodiques; c'est-à-dire, des systèmes qui s'installent dans des comportements résistant de façon
stable à de fortes perturbations externes. Des solitons peuvent également être produits dans les systèmes non
linéaires, ce sont des entités localisées qui se déplacent comme des particules et sont apparemment indépendantes
alors qu’elles prennent leur origine dans la dynamique du système dans son ensemble.
Une caractéristique significative des dynamiques non linéaires et chaotiques est que la théorie
fondamentale puisse être abordée d'une façon purement formelle, employer des équations abstraites et se prêter à
une expression facilement visualisable en termes de mouvement d'un système par un paysage de vallées,
collines, arêtes de montagne, selles et autres variétés topologiques. Bien que les espaces impliqués puissent en fait
être des espaces des phases multidimensionnels - l’espace des phases d’un système contenant tous ses
comportements possibles- on gagne beaucoup en terme de compréhension d'une manière purement visuelle et
géométrique. Ainsi, par exemple, la description mathématique d'un cycle limite peut-elle être facilement
conceptualisée en termes de système dont les déplacements ne peuvent pas sortir des confins d'une vallée
circulaire profonde. On peut également imaginer qu’un système perché sur une arête de montagne peut descendre
soit sur un versant, soit sur l’autre par l’effet du vent le plus léger. Grâce aux simulations sur ordinateur, il est
également possible d'explorer la nature du mouvement chaotique par la forme – à ses différentes échelles - de
son attracteur étrange. (un attracteur étrange a une structure fractale)
Cette introduction des images et figures géométriques est particulièrement importante dans le champ de la
psychologie et de la sociologie car elle ouvre de nouvelles manières de penser, ce qui n’est pas toujours possible
quand on étudie la nature de manière purement abstraite et numérique. En effet, le langage figuré spatial semble
particulièrement approprié; après tout, nous tendons à employer des métaphores spatiales en parlant de notre
vie intérieure; nous sommes "vers le haut, dans le ciel", "dans un lieu étrange", "perdant nos repères", "suivant un
chemin" et "désorientés". Un chef d’œuvre du monde médiéval, la Divine Comédie de DANTE, a utilisé une
géométrie sacrée dans laquelle toutes les choses et tous les êtres ont une place bien précise. La poésie commence
par une personne qui s'est égarée dans un bois sombre. C’est en faisant un voyage vers un paysage fortement
structuré que le voyageur se déplace vers l'harmonie et l'équilibre. Le paysage de DANTE est à la fois théologique,
cosmologique, social et individuel. C'est une image de l'intégration de la psyché et de la dynamique du système
solaire, comme si l'individu et le cosmos étaient mus par ce même amour qui déplace le soleil et les étoiles.
Cette image d'un paysage sacré et d'un chemin qui doit être pris vers l'intégrité, est retrouvée dans beaucoup
d'autres cultures. Plusieurs de mes amis américains indigènes parlent d'avoir "une carte dans la tête", et semblent
percevoir le paysage autour d'eux comme richement structuré et tissé dans l'espace et le temps. Ainsi, par exemple,
la terre du Blackfoot a été créée par Napi pendant qu'il se déplaçait sur son voyage au nord. Dans ses autres
métamorphoses, il a créé les terres de l'Ojibwaj, du Cree et du Naskapi. De même, pendant "le temps rêvé" le
paysage australien a été créé par des ancêtres mythiques et dans certaines formations rocheuses, tous coexistent:
l'ancêtre, la roche, l'époque actuelle et le rêve. En Inde, des contes relatant la création et le paysage associent des
lieux de pélerinage avec diverses parties du corps. Dans tous les cas donc, une géométrie sacrée existe à la fois
intérieurement et extérieurement, c'est à la fois une géographie, une étude des relations cosmologiques, une
histoire, une description de l'ordre social et de l'évolution de la nature de la conscience humaine.
Une des voies les plus profondes et directes pour accéder à la compréhension de soi et du cosmos est
exprimée en modèles géométriques tels que le mandala, le cercle sacré, quatre directions, l’arbre du monde, le
serpent qui se mord la queue, etc... Dans tous les cas ces configurations spatiales ont une grande puissance
numineuse propre. Dans notre société occidentale, Carl JUNG s'est référé à eux comme émanant d’archétypes de
l’Inconscient Collectif. Mes amis américains indigènes m’ont dit que ce ne sont pas seulement des symboles, des
représentations ou des métaphores mais des puissances en elles-mêmes qui contiennent une grande énergie.
Nous touchons là quelque chose de très profond dans ces formes et images universelles qui sont en même temps
des manifestations de la dynamique interne du cosmos et structurantes de la conscience humaine. On peut
se demander en quoi le mariage de la théorie de chaos et de la psychologie s’enracine sur ce fond commun. Se
pourrait-il que les images et les concepts que nous étudions maintenant ne soient pas de seules représentations
conceptuelles abstraites ou des raccourcis de la pensée mais possèdent réellement une puissance numineuse par
elles-mêmes ?
La physique a traditionnellement compté sur la mesure quantitative, les descriptions numériques
et la manipulation algébrique pour la construction de sa théorie mais je me demande dans quelle mesure
cette confiance dans le quantitatif et l’abstrait peut être moins appropriée à la psychologie. La théorie