le 18 janvier 2012

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C’est bien meilleur le matin
Mercredi 18 janvier 2012
8H35 - Dick Howard, professeur de philosophie politique à la Stony Brook
University, dans l’État de New York
Suggestion de présentation
On va maintenant rejoindre à New-York le professeur de philosophie politique à la
Stony Brook University, Dick Howard, pour parler des sujets qui ont animé la scène
politique américaine durant la dernière semaine…
Bonjour M. Howard!
1) Mr Howard, les États-Unis fêtaient l’anniversaire de Martin Luther King,
lundi dernier. Le révérend King était assassiné en avril, 1968 : quarante ans
plus tard, le président américain est un Afro-Américain. Qu’en penserait le
révérend King selon vous?
NOTE DH : Il serait à la fois content et inquiet. Ayant vécu dans le Sud à l’époque,
et participé au mouvement pour les droits civiques, je ne peux que constater les réels
progrès. Et, je l’avoue, j’étais de ceux qui croyaient que l’élection de Barack Obama
couronnait une longue histoire où l’Amérique dépassait les contradictions pour
retrouver enfin les valeurs de ses pères fondateurs… qui étaient eux-mêmes souvent
des esclavagistes!
En effet, selon la théorie sociologique consacrée de T.H. Marshall, les sociétés
progressent de l’acceptation des droits civiques aux droits politiques pour arriver
enfin à accorder à tous des droits sociaux. Or, si les droits civiques sont maintenant
accordés à tous — du moins à tous les citoyens légaux — les droits politiques sont
actuellement attaqués par le parti républicain.
Ainsi, le ministre de la justice (Attorney General) a prononcé un discours remarqué
dans la Caroline du sud où il critiquait une loi votée par la nouvelle majorité
républicaine dans cet état qui impose l’obligation de montrer une carte d’identité
légale avant de pouvoir voter. Comme vos auditeurs le savent peut-être, il n’y a pas
de carte d’identité aux États-Unis ; au mieux, on a un permis de conduire. Mais si on
est citadin, si on ne peut pas se payer une voiture, si on est infirme… que faire?
Ceux qui seront exclus des urnes par une telle loi disait le ministre, ce seront des
minorités et plus largement des pauvres. La Caroline du sud n’est pas le seul état à
voter une telle loi — qui semble nous ramener en arrière, limitant les droits politiques
qu’on pensait avoir gagnés.
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2) Vous parlez des « minorités et plus largement des pauvres »… Après la
ségrégation raciale, il semble que ce soit désormais la pauvreté qui représente
le défi majeur pour les États-Unis?
NOTE DH : Je reviens sur Martin Luther King. Quand il était assassiné, le révérend
King se trouvait à Memphis pour organiser le soutien à une grève des éboueurs de la
ville. Il avait pris la tête d’une nouvelle campagne, le « Poor People’s Movement ».
Pour rester avec la thèse sociologique, il aurait reconnu que sans droits sociaux —
i.e., une égalité économique — les droits politiques et même civiques sont menacés.
Plus concrètement, un récent sondage de la Fondation Pew indique que 2/3 des sondés
considèrent que le conflit entre pauvres et riches est devenu plus important que les
conflits raciaux. Le sondage indique aussi que c’est une augmentation de 19% par
rapport au même sondage en 2009. Évidemment, les manifestants de « Occupy Wall
Street » ont trouvé un écho… ou pour mieux le dire : ils ont touché un vrai problème
que le conflit racial — et le sentiment anti-immigrés — masquait!
3) C’est justement un thème qui a fait son apparition dans les primaires
républicaines… On en parlait la semaine passée : Newt Gingrich et son «
Super-Pac » s’attaquent au leader, Mitt Romney, dont ils dénoncent la
pratique du « capitalisme vautour » ou « sauvage »! Est-ce que ces attaques
touchent Romney?
NOTE DH : Comme les judokas, Gingrich tourne contre Romney son argument
principal: son expérience d’homme d’affaires. La fortune du candidat vient de l’achat
(à crédit), suivi de la réorganisation (avec d’éventuels licenciements), puis la revente
(ou la faillite), d’entreprises en difficulté. Jouant la carte du populisme, cette pratique
est dénoncée comme du « capitalisme vautour »! Romney a beau répondre que ces
attaques font le jeu de Barack Obama; la haine en politique ne connaît pas de limites.
Romney se défend, bien sûr, mais de façon souvent maladroite — dénonçant ce qu’il
appelle « une politique amère fondée sur la jalousie » et suggèrent qu’en effet, la
question de l’inégalité est une question légitime, mais qu’elle doit se discuter — je
cite – dans « des lieux calmes » et « des discussions de politique fiscale ».
Concrètement, il affirme avoir créé 100,000 postes de travail, mais cela n’est pas
démontré; et en attendant, il refuse de rendre publique sa feuille d’impôts, malgré la
tradition aux US depuis les années 1960.
Enfin, est-ce que la tactique de Gingrich — et plus tard, d’Obama, sans doute —
marchera? Selon l’idéologie du parti républicain, c’est « une politique de classe » qui
met en question le fondement de la démocratie américaine. Selon les républicains, la
lutte contre l’inégalité revient à demander une égalité réelle — ce pourquoi ce parti
dénonce des visées « socialistes » ou du moins « européennes » chez Barack Obama.
Or, comme le savait Martin Luther King, lutter contre l’inégalité, c’est simplement
demander une égalité d’opportunité!
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4) Parlant de primaires, la Caroline du sud votera samedi. De nombreux
observateurs affirment qu’une victoire de Romney — après celles d’Iowa et
New Hampshire — l’adouberait en tant que candidat de son parti… Vous
partagez cet avis?
DH : Je ne le pense pas. Les évangéliques et les fervents du Tea Party ne sont pas
encore convaincus que Romney soit vraiment un des leurs. Les évangéliques viennent
enfin de donner leur bénédiction à Rick Santorum, un Catholique! On se tromperait à
croire disparus les fervents du Tea Party, qui votent leurs « valeurs » contre les
intérêts d’une société sécularisée. Ils auront le temps de la réflexion, car au lieu
d’accorder tous les délégués d’un état au vainqueur, jusqu’au 1er avril ils seront
accordés selon la règle de la proportionnelle. Ce changement vise à encourager des
candidats à rester dans la course, au moins jusqu’au « Super Mardi », le 6 mars, où
onze états voteront. Vient ensuite le vote des grands états, comme l’état de New York,
le New Jersey et la Californie qui n’intervient qu’au mois de juin.
Si la victoire de Romney n’est pas certaine, il y a tout de même une certitude, c’est
que Ron Paul poursuivra sa campagne jusqu’à la Convention, le 27 août. Il n’a aucune
chance d’être le candidat du parti, mais l’idéologie libertaire qu’il représente est bien
enracinée dans l’imaginaire américain. À supposer que la course aille jusqu’au bout,
les « Paulistes » pourront peser sur l’élaboration de la plateforme, ce qui nuirait au
candidat éventuel du parti. Il va accumuler des délégués dans des petits états, comme
le Dakota du nord, le Colorado, le Maine, le Minnesota ou le Nevada. C’est la
tactique rendue célèbre par le filme « Moneyball ».
5) En terminant Mr Howard Enfin, le Congrès retourne au boulot cette semaine,
et le Président présentera son discours annuel sur « l’État de la nation » mardi
prochain... Est-ce qu’il faut s’attendre à un retour aux impasses qui ont failli
conduire les États-Unis à la faillite?
DH. Il n’y a que deux mesures importantes sur lesquelles il faudra trouver un accord:
la prolongation de la baisse des cotisations sociales, qui expire au mois de février, et
la prolongation des protections anti-chômage. Faut-il financer ces mesures par une
taxe sur les riches, ou par d’autres impôts, par exemple sur le prix des billets d’avion?
Obama semble abandonner la première option… Pour le reste, il y aura surtout
beaucoup de bruit autour des nominations administratives imposées, sans
l’approbation du sénat, par le président pendant le congé du Congrès. Sont-elles
légales? À la cour de décider, mais sans doute bien après les élections de novembre.
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