Liens entre l`apprentissage formel et informel des langues dans une

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LIENS ENTRE L’APPRENTISSAGE FORMEL ET INFORMEL
DES LANGUES DANS UNE REGION ROUMAINE PLURILINGUE
Laura Ioana COROAMA*
Résumé
Le but de cette recherche est de mettre en évidence les relations efficaces entre les stratégies
adoptées pour l’apprentissage des langues des minorités nationales dans l’environnement informel de
la région du Banat et l’apprentissage de l’anglais dans l’environnement formel. À l’aide de l’approche
écologique des langues, la réflexion de la présente étude approfondit le rapport entre les langues des
minorités nationales et l’anglais en tant que nouvelle langue émergeant après le monopole russe de la
période communiste. Le choix d’un travail centré sur l’anglais est justifié par le statut particulier que
cette langue possède grâce à la diversité et au nombre des environnements dans lesquels il est appris
ou enseigné. Le corpus formé des questionnaires et des entretiens avec des collégiens de 6e et de 3e,
recueillis dans l’environnement urbain et rural, révèle l’engagement affectif et cognitif des élèves dans
des communautés dont la langue est employée à divers degrés. Les approches des collégiens qui font
appel à des stratégies d’apprentissage adaptées à leur profil et aux demandes environnementales
offrent des pistes pour le développement d’une pédagogie intégrative des langues. Le cas de l’anglais
constitue un point de départ en ce qui concerne la mise en valeur des apprentissages des langues
ponctuels qui émergent aux croisements des environnements formel, non-formel et informel projetés
sur un axe temporel.
Abstract
The aim of this study is to emphasize the efficient relationships between the strategies used for the
learning of minority languages in the informal environment of the Banat region and the English
learning in a formal environment. From an ecological perspective of language learning, the present
paper examines in more detail the link between the minority languages and English as a new emergent
language after the Russian monopole during the communist era. The choice of a research focused on
English is backed up by the distinctive status which this language has acquired due to the diversity and
the number of environments where it is practised. The research corpus is made of questionnaires and
interviews conducted among secondary school students aged 11 and 14. The data has been collected
both from an urban and rural environment and it reveals students’ emotional and cognitive
engagement within various communities where English is used to different extents. Students’
approaches, whose strategies are adapted to their profile and to the demands of the environment, offer
pertinent clues for the development of integrative educational methods of languages. The case of
English represents a landmark concerning the valorisation of specific language learning situations
*UNAM,
CREN EA 2661, INEDUM, Université du Maine, France / Université Chrétienne
"D.Cantemir", Timisoara, Roumanie
which emerge at the junction of formal, non-formal and informal environments placed on a temporal
axis.
Riassunto
L’obiettivo di questa ricerca è quello di mettere in luce le relazioni efficaci tra le strategie adottate
nell’insegnamento delle lingue delle minoranze nazionali in ambito informale nella regione di Banat e
nello studio dell’inglese in un ambito formale. Nel trattare in modo ecologico lo studio delle lingue, la
riflessione di questo studio approfondisce il rapporto tra le lingue delle minoranze nazionali e l'inglese
come nuova lingua emergente dopo il monopolio russo del periodo comunista. La scelta di una ricerca
focalizzata sull’inglese è giustificata dallo status particolare che questa lingua ha ottenuto, grazie alla
diversità e all'alto numero degli ambienti in cui viene appresa oppure insegnata. Il corpus di
questionari e di interviste con ragazzi di ginnasio, raccolti in ambiente urbano e rurale, rileva
l'impegno affettivo e cognitivo degli allievi delle comunità dove la lingua è utilizzata a diversi livelli. I
diversi approcci degli studenti, che fanno appello a strategie dell’apprendimento che sono adeguate al
loro profilo e agli stimoli ambientali, offrono delle idee per lo sviluppo di una pedagogia integrativa
delle lingue. Il caso della lingua inglese rappresenta un punto di partenza per ciò che riguarda la
valorizzazione degli apprendimenti delle lingue puntuali che emergono dall'incrocio in tempo, negli
ambienti formali, non-formali e informali proiettati su un asse temporale.
Les systèmes scolaires européens ne cessent de réorganiser l’enseignement des langues, de
diversifier les moyens et supports mis à disposition des élèves, d’enrichir des contenus et de
développer des compétences. Pourtant, ceci ne conduit pas nécessairement à l’amélioration
du niveau en langue visé par les politiques officielles.
Cette étude menée dans la région roumaine, naturellement plurilingue et transculturelle, du
Banat se propose d’entamer une réflexion sur les éventuels croisements entre les
apprentissages formels et informels des langues et leur impact sur le répertoire langagier des
apprenants. On fait l’hypothèse que la prise de conscience de l’écart entre les apprentissages
dispensés par l’école et ceux faits dans l’environnement non formel, sous-tendus par des
stratégies adaptatives non réflexives, est susceptible de mener à des apprentissages plus
adaptés aux besoins des apprenants.
L’approche adoptée est écologique et interactionniste. Elle s’appuie sur des éléments des
environnements, la biographie langagière, la temporalité, les contacts linguistiques et
culturels, dans lesquels se situent les apprentissages des élèves concernés pour mettre en
avant leurs représentations sur l’anglais et les stratégies auxquelles ils font appel pour
améliorer leur niveau de langue.
1. Cadre théorique
1.1 La notion d’environnement
Les considérations sur l’apprentissage des langues-cultures ne peuvent plus être
envisagées en dehors des particularités des divers environnements où l’apprenant entre en
contact avec la diversité linguistique: les êtres vivants et leurs environnements se situent en
relation les uns avec les autres à travers leur spécification mutuelle ou leur codétermination." (Varela, 1993) L’approche écologique, dans le prolongement de la théorie
historico-culturelle de Vygotsky, éclaircit la problématique des liens entre l’apprentissage et
l’environnement par l’étude des notions comme « l’affordance » ou « l’émergence ». La
linguistique écologique ne perçoit pas l’apprentissage des langues en termes d’acquisition
linéaire ou progressive mais comme émergence.
Emergence happens when relatively simple elements combine together to form
higher-order system. (van Lier, 2004)
D’autre part, une affordance exprime une relation entre un individu et une expression
linguistique (un acte de parole, par exemple); c’est une relation de possibilité (Neisser,
1987). Même s’il s’agit des relations entre les individus qui utilisent la langue, elle est aussi
influencée par les facteurs environnementaux. Reed (1988) fait la distinction entre
affordances naturelles et culturelles, les dernières étant liées aux « historically specific
meanings and values ». Dans la région du Banat, les événements historiques qui ont marqué
le passé de cette région ont eu de fortes influences sur le répertoire langagier. De ce fait, les
affordances linguistiques et culturelles pour l’apprentissage des langues sont nombreuses.
1.2 L’apprentissage des langues-cultures dans les communautés de pratique
La théorie des communautés de pratique développée par Lave and Wenger apporte des
aspects éclaircissants à cette réflexion. Les communautés de pratique sont des
regroupements d’individus qui s’engagent dans un processus d’apprentissage collectif dans
un domaine spécifique (Wenger, 2007). Les collégiens de mon échantillon sont
simultanément membres de plusieurs communautés, tant au sein de l’école qu’à l’extérieur.
Quel serait l’intérêt de mettre en relation les communautés de pratique situées dans ces
divers environnements et l’apprentissage des langues? Dans un premier temps, la
dynamique des apprenants en tant que membres de communautés différentes peut mener à
des apprentissages partiels ou passifs des langues, de l’anglais en l’occurrence. Dans un
deuxième temps, les métamorphoses de l’environnement produisent implicitement des
transformations dans les communautés et reconfigurent les rapports aux langues et les
apprentissages qui y sont attachées. La fréquence des événements culturels, mais aussi
l’engagement des individus ont un impact sur les savoirs et savoir-vivre des habitants.
De plus, l’évolution de ces variables a des effets sur les relations qui émergent au sein des
communautés qui déboucheront ou pas sur la naissance de contenus nouveaux et/ou de leur
adaptation aux nouveaux besoins des apprenants. Car les membres d’une communauté sont
engagés dans une série de relations projetées sur un axe temporel (Lave&Wenger, 1991) et
les communautés se développent autour des choses qui comptent et qui font du sens pour ses
membres (Wenger, 1998).
2. Méthodologie de la recherche
2.1. Les outils de la recherche
La collecte des données a été réalisée grâce à deux questionnaires adressés aux élèves
roumains de collège à des moments différents au niveau chronologique. Premièrement, j’ai
administré un premier questionnaire explicatif pour identifier les caractéristiques du
répertoire langagier des collégiens roumains et de leurs perceptions sur les langues-cultures
de leur environnement. Ultérieurement, j’ai proposé un questionnaire dont les lignes
directrices constituent les croisements des apprentissages formels et informels et le statut de
l’anglais dans le paysage plurilingue de la région. Suite à cette démarche quantitative on a
repéré quelques éléments qui ont été approfondis lors des entretiens semi-directifs portant
sur les modalités d’apprentissage et d’utilisation d’une langue dans divers environnements,
à savoir l’anglais.
2.2 L’échantillon et la temporalité
Les deux types de questionnaires ont été administrés à des collégiens de 6e et 3e d’une
région roumaine située à l’ouest du pays. Le premier questionnaire exploratoire a été rempli
par 150 élèves (désormais siglé G1) en 2008 tandis que 100 élèves ont répondu au deuxième
(désormais siglé G2) en 2011. Les répondants proviennent de l’environnement urbain (75%)
et rural (25%) et leurs âges sont compris entre 11 ans et 14 ans.
2.3. Le contexte de la recherche
Cette étude a été menée dans des établissements scolaires de la région du Banat. À la
frontière avec La Serbie et la Hongrie, le Banat fait preuve d’une dimension plurilingue
issue des colonisations aux XVIIIe et XIXe siècles, la région étant sous le règne de l’Empire
des Habsbourg à l’époque. Après un demi-siècle du monopole russe dans l’enseignement
des langues à l’école, la révolution de 1989 a produit des changements dans les orientations
linguistiques de la population. L’anglais entre ainsi dans un environnement linguistique et
culturel hybride et dynamique.
3. Analyse des données et discussion des résultats
3.1 L’apprentissage informel des langues vivantes; le cas des langues des minorités
nationales
En analysant les réponses des collégiens, il importe de souligner la diversité linguistique
de l’échantillon. Le répertoire linguistique inclut la langue maternelle (38% du G2), le
roumain en l’occurrence, le binôme langue maternelle-anglais (49% du G2) et les langues
des minorités nationales (13% du G2) représentées par le hongrois, l’allemand et le serbe.
Dans le cas de la région étudiée, les collégiens disent qu’ils apprennent le roumain et
l’anglais en famille et à l’école, ce qui indique un apprentissage qui s’appuie sur des
démarches menées tant dans l’environnement formel que dans l’environnement informel.
D’autre part, les langues issues de l’héritage historique et culturel, sauf dans le cas des
quelques établissements qui dispensent un enseignement bilingue, sont pratiquées
aujourd’hui prioritairement au sein de la famille ou dans des communautés dont les
membres ont ces langues comme langues maternelles: 16% des répondants du G1 indiquent
qu’ils parlent le roumain et une langue minoritaire avec les représentants de la troisième
génération (les grands-parents). De plus, les résultats des entretiens ont permis de remarquer
que la majorité des élèves préservent des compétences partielles du serbe ou du hongrois –
de compréhension orale surtout – justifiables par le fait que l’apprentissage plus approfondi
de ces langues ne correspond pas à leur besoins et motivations actuelles.
Néanmoins, il y a des divergences entre la situation linguistique et culturelle des
apprentissages informels entre l’environnement urbain et l’environnement rural. L’aspect
communautaire joue un rôle important aussi pour la promotion des langues des minorités
nationales, les associations s’engageant activement dans la découverte et la préservation des
valeurs et traditions liées à leur langue-culture.
En revanche, dans l’environnement rural, les échanges linguistiques ont lieu dans la
communauté restreinte du village dont la population appartenait à une minorité nationale.
Cette observation confirme notre hypothèse sur l’existence des affordances culturelles:
l’apprentissage du hongrois, du serbe ou du bulgare témoigne d’une résistance linguistique
et culturelle historiquement ancrée dans un environnement hybride.
3.2 L’anglais – langue à statut particulier
Après l’enseignement et l’apprentissage du russe, imposé par le régime communiste,
l’anglais a été rapidement accepté comme langue présente à plusieurs niveaux: dans les
programmes scolaires (apprentissage formel), dans l’offre des écoles de langues, des écoles
maternelles, du réseau d’ « after-schools » ou des espaces pour les jeunes (apprentissage
non-formel) ou en dehors de l’école grâce à la musique, au cinéma, à la télévision
(apprentissage informel).
L’anglais est la langue étrangère qui se distingue le plus dans les préférences linguistiques
des élèves, le côté affectif devenant prioritaire: 43% des collégiens du G2 veulent apprendre
l’anglais tandis que 58% du même groupe pensent que l’apprentissage de l’anglais est « très
important » pour eux. Les entretiens menés ont mis en avant le rôle utilitaire de l’anglais car
son apprentissage facilite la compréhension des chansons et/ou des films, la communication
avec les autres lors des séjours à l’étranger, l’utilisation de l’internet, etc.
L’analyse des données met en évidence le degré d’autonomie dans l’apprentissage des
collégiens roumains vu que 77% du G2 mentionnent l’appel à une autre personne,
l’enseignant à l’école ou membres de la famille et amis en dehors de l’école. Par ailleurs,
61% des répondants utilisent d’autres ressources, qu’ils trouvent surtout sur internet.
L’essor de l’anglais est dû au croisement de son apprentissage dans les environnements
formels, non-formels et informels, soutenu par sa dimension affective pour les apprenants
et encouragé par les demandes de la société tant au niveau linguistique, que culturel et
professionnel. Le caractère obligatoire de l’anglais dans l’environnement formel a des
conséquences sur la participation plus active des élèves dans des communautés dans
lesquelles ils utilisent l’anglais pour atteindre d’autres objectifs. Les collégiens interrogés
affirment qu’ils utilisent des mots ou des phrases appris en dehors de l’école dans les
évaluations scolaires, ceci ayant un impact sur l’obtention de notes. Au contraire, la
diminution de l’impact des langues minoritaires est aussi liée à leur absence de
l’environnement formel, ce qui ne conduit pas pourtant à leur disparition du paysage
linguistique du contexte. Cette analyse de l’état de lieu de la région indique une diminution
dans l’apprentissage des langues des minorités nationales puisque les apprenants ne voient
pas leur utilité dans leur répertoire langagier par rapport à l’anglais qui répond mieux à une
variété des besoins cognitifs et affectifs.
3.3 L’émergence des nouvelles stratégies adaptatives
À la lumière des réponses aux questionnaires et aux entretiens, j’ai observé l’émergence
d’une compétence adaptative qui n’est pas nécessairement consciente de la part des
collégiens. Les stratégies que ces élèves adoptent dépendent dans une grande mesure des
particularités de l’environnement où l’apprentissage se déroule: la mémorisation (49% du
G2), la lecture et la répétition des mots ou des textes (45%) ou la réalisation des exercices de
grammaire ou de vocabulaire (60%) répondent mieux aux demandes de l’environnement
formel.
Du côté de l’environnement informel, la liberté de l’apprentissage donne la possibilité à
l’apprenant d’utiliser l’anglais à son gré et en fonction de ces besoins. Le croisement des
apprentissages partiels ou totaux est aussi nécessaire lorsque les apprenants utilisent et
deviennent membres des communautés virtuelles. La recherche a démontré l’usage des
stratégies adaptées au niveau de l’expression orale, les collégiens disant qu’ils essaient de
parler en anglais et d’utiliser des contenus appris en dehors de l’environnement formel.
La prise de conscience du plurilinguisme de leur environnement se manifeste par leur
désir d’apprendre d’autres langues pour se débrouiller dans les échanges avec les gens d’une
autre nationalité ou lors des voyages à l’étranger. L’intercompréhension des langues
romanes constitue un avantage selon les représentations des collégiens interviewés: le
français, l’italien ou l’espagnol sont mentionnés parmi les langues que les élèves voudraient
apprendre pour des raisons de facilité et ressemblance au roumain.
Pour conclure, je veux souligner la dimension hybride de la région roumaine du Banat au
niveau linguistique et culturel, le caractère particulier de l’apprentissage des langues des
minorités nationales dans l’environnement informel et la croissance de l’anglais en tant que
langue favorisée par les liens tissés entre les divers environnements. Les résultats de la
recherche ont mis en avant le continuum plurilingue et pluriculturel dans lequel la région
s’inscrit, avec une évolution du statut des langues vivantes, favorisée par les conditions
politiques, économiques ou sociales de l’environnement.
Bibliographie:
Aden, Joëlle (dir.) (2009), Didactiques de langues-cultures: univers de croyance et
contextes. Paris. Le Manuscrit Université.
Babeţi, Adriana (2007), “Le Banat: un paradis aux confins” in Cultures d’Europe
Centrale, n° 4, Centre Interdisciplinaire de Recherches Centre-Européennes, Université de
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Barna, Bodó (2002), « Banat şi interculturalitate [Le Banat et l’interculturalité] » in
Poledna, Rudolf, François Ruegg et Călin Rus, (dir.), Interculturalitate. Cercetări şi
perspective româneşti [Interculturalité. Recherches et perspectives roumaines]. ClujNapoca. Presa Universitară Clujeană
Van Lier, Leo (2004), The Ecology and Semiotics of Language Learning. New York.
Kluwer Academic Publishers.
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