les hommes y participent, il est donc nécessaire, au préalable, que les hommes vivent en paix.
La paix : tel doit être le premier souci de l’empereur…
Toutefois, l’humanité poursuit un autre but : le bonheur dans l’au-delà. Ce sont deux desseins
différents, conduisant à deux béatitudes différentes. Le Christ et les apôtres nous révèlent la
seconde, qui relève maintenant de l’autorité spirituelle du pape. Les philosophes nous
expliquent la première par la raison, et l’empereur en a la charge. Assurer la paix est l’unique
valeur suprême en politique, l’empereur n’a donc pas à dépendre du pape (il en dépend
spirituellement, comme tous les hommes, mais pas politiquement). Ce sont, au contraire, les
prétentions politiques du pape qui déclenchent des guerres.
Dante décelait donc bien une relation entre philosophie et autonomie politique de l’empire.
C’est pour cette même raison que Manegold, deux siècles plus tôt, condamne la philosophie.
Si philosophes et empereurs se battent pour leur autonomie, c’est aussi pour empêcher le
christianisme de tomber dans la cupidité et les crises politiques. N’oublions pas qu’ au Moyen
Age, et longtemps après, la Papauté est un Etat à prétention territoriale, avec ses frontières et
son armée. Pour Dante, l ‘Eglise doit renoncer à instaurer la Cité de Dieu pour que l’Italie, sa
patrie, connaissent enfin la paix.
COMMENT MARSILE DE PADOUE (MORT VERS 1342) DEFEND L’IDEE DE
SOUVERAINETE POPULAIRE, SANS TOUTEFOIS LA PRECONISER.
Une petite remarque préliminaire : au XIème siècle, Wolfhelm n’avait pu affronter Manegold
à armes égales sur le terrain de la philosophie politique. Plus tard, par contre, Dante et Marsile
de Padoue purent tenir tête à Thomas d’Aquin : l’influence d’Aristote et d’Averroès n’est
certainement pas étrangère à cela ; c’est par exemple Averroès qui émit l’idée que la théologie
n’a pas à s’immiscer dans le politique.
Dans son traité Le défenseur de la paix (1322-1324), Marsile s’en prend aux curialistes, plus
durement encore que Dante. La différence est que, pour Marsile, l’empereur n’est pas de
taille à assumer son rôle. La souveraineté populaire est la seule force qui puisse s’opposer au
pape, à une époque où le pouvoir impérial s’affaibli. Les lois doivent trouver leur origine dans
le peuple. Cette tradition de liberté était présente dans bien des villes du nord de l’Italie. On
attribue souvent à Marsile, du fait de ce traité, une conception démocratique de l’Etat. Mais il
ne va pas aussi loin : si le souverain détient, en droit son pouvoir par la volonté du peuple, il
n’a pas à se soumettre à un contrôle démocratique. De plus, au fil des pages du traité,
l’empereur prend de l’importance.
Cela s explique, pour une large part, par le contexte des années 1320-1340 : de nouveaux
monarques abolirent l’autonomie administrative des communes italiennes. La grande crise
économique de ce XIVème siècle se profile à l’horizon, les combats s’intensifient. Les villes
ne purent tenir leur programme de « liberté » (au sens de libertas : élection de magistrats avec
des mandats très courts, de moins de six mois), car les luttes entre les classes dirigeantes
devinrent trop fortes. Ainsi, pour sauver la situation, on fit souvent appel à un homme fort,
sachant conserver le pouvoir durablement, quitte à ce qu’il le transmettent à ses descendants.
L’idée, très critiquée quelques années auparavant, d’une monarchie héréditaire refit surface.
Dans ce contexte, Marsile ne pouvait trop élargir l’idée démocratique. Il resta toutefois un
élément qui ne fut plus oublié : L’Etat a pour but de maintenir la paix, le bien-être général de
la population.