Chacune de ces révolutions s'est traduite par une nouvelle croissance de la productivité. Il y a donc
unicité dans les effets des révolutions industrielles sur la croissance, mais diversité dans les
changements culturels et sociaux qu'elles entraînent. Au total, la question principale est de
comprendre comment se réalise le passage d'un système technique à l'autre. Pour y répondre, il faut
d'abord constater la cohérence qui s'établit entre le système technique et les structures de l'économie
et de la société. Entre les interdépendances technologiques et les interdépendances sectorielles,
décrites par les tableaux d'échange industriels et les schémas de consommation, s'instaure une
complémentarité telle que les secondes sont entièrement déterminées par les premières. Le passage
d'un système technique à l'autre est le produit d'une dynamique, aussi bien technique que sociale,
qui résulte de l'état de déséquilibre permanent du système. C'est dans cette perspective dynamique
qu'il faut replacer l'analyse des dysfonctionnements et de la demande sociale. Ils sont à l'origine
d'une transformation progressive mais radicale, qui se réalise par le biais des innovations, des
pratiques techniques, culturelles et sociales. Ainsi un nouveau système technique apparaît.
La nouvelle économie : une nouvelle révolution industrielle ?
Sciences Humaines. - En quoi ce qu'on appelle la nouvelle économie est-elle spécifique ?
François Caron. - Toutes les révolutions industrielles suscitent l'émergence d'une nouvelle
économie. Il y a eu la nouvelle économie de la vapeur, celle de l'électricité. Il y a la nouvelle
économie de l'informatique et d'internet. Elle correspond à une révolution, celle de la
communication mondialisée, massifiée, instantanéisée. La diffusion des nouvelles technologies, au
cours de chacune des trois révolutions industrielles, a radicalement modifié, de manière
imprévisible, non seulement les structures de l'économie, mais aussi les modèles d'organisation des
entreprises. Dans les années 1890 et 1900, l'électricité fut considérée comme le moyen idéal de
favoriser le maintien et l'essor, souhaités par tous, du travail à domicile et du petit atelier. Il en fut
de même pour l'informatique dans les années soixante-dix. Ces prévisions n'étaient pas entièrement
fantaisistes, mais ne rendaient compte que d'une faible partie de la nouvelle donne économique et
sociale. En réalité, les technologies de la deuxième révolution industrielle ont favorisé l'essor de la
production concentrée et d'un modèle d'organisation fondé sur la grande entreprise intégrée,
multifonctionnelle ou multidivisionnelle. Les technologies de la troisième révolution industrielle
ont apporté une réponse aux dysfonctionnements organisationnels de ce modèle, devenus de plus en
plus évidents dans les années soixante-dix. Un nouveau modèle d'organisation s'est peu à peu mis
en place, fondé sur le recentrage des activités, l'éclatement des centres de décisions et une
circulation transversale de l'information, le système hiérarchique n'étant pas détruit, mais modifié
dans son fonctionnement.
Sciences Humaines. - En revanche, comme vous le montrez, les mouvements spéculatifs ne sont pas
un phénomène nouveau...
François Caron. - En effet, dès les années 1840, les titres des compagnies ferroviaires suscitent des
mouvements spéculatifs. On assiste à une railway mania comparable à la start-up mania
électronique à laquelle nous venons d'assister. Il y eut de folles spéculations fondées sur des
anticipations de profit sur les nouvelles compagnies de chemin de fer. Dans les années 1880, ce sera
au tour des compagnies d'électricité. Les vagues de spéculation correspondent à l'arrivée de
nouveaux "entrants", promoteurs d'innovations. Dès 1883, Georges Siemens est affolé par ces
nouvelles entreprises, véritables start-up, qui entrent sur le marché de l'électricité sans avoir
l'expérience de sa firme, qui travaillait dans ce domaine depuis les années 1840.
Sciences Humaines. - D'une révolution à l'autre, quels sont les acteurs de l'innovation ?