Ungerer, bon comme la lune

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Ungerer, bon comme la lune
Comète. Adaptation du conte poétique de l’artiste alsacien, icône tant de la
littérature jeunesse que de la satire politique qui fait aussi l’objet d’un docu.
Jean de la Lune s’ennuie sur son astre mort et attrape la queue d’une comète pour
descendre sur Terre. Depuis, les enfants ne trouvent plus le sommeil. Deuxième
adaptation d’un best-seller de Tomi Ungerer, après les Trois Brigands, le long métrage
de Stephan Schesch restitue l’univers graphique du dessinateur alsacien : 2D, coloré,
luxuriant et naïf comme un douanier Rousseau, agrémenté de jolies trouvailles visuelles
et sonores.
Orifices. On pouvait s’inquiéter de voir un si court conte sur la différence étiré sur plus
d’une heure et demie. Il a fallu étoffer des personnages et inventer un méchant, le
Général Président hyperactif, mix du dictateur de Chaplin, d’Ubu et de Jacques Chirac,
prêt à tout pour conquérir l’espace et foutre l’envahisseur lunaire au cachot. Le film
s’écoule doucement sur les pas erratiques du petit alien égaré, rond et diaphane
jusqu’à en devenir transparent lorsque la lune perd ses quartiers.
La même année - 1966 - que ce classique de la littérature jeunesse, Ungerer publiait
The Party, portraits féroces des soirées mondaines new-yorkaises, suivi, en 1969, du
scandaleux Fornicon, festival de corps féminins pénétrés par tous les orifices par
d’ingénieuses machines. Caricature de l’amour mécanisé ou exaltation du plaisir
solitaire, le livre lui valut d’être blacklisté de toutes les bibliothèques américaines. N’estce ce pas ce même illustrateur qui avait fait voler les tabous de la littérature enfantine,
choisissant comme héros un boa constrictor (Crictor), un vautour, une chauve-souris,
une pieuvre et autre aimable bestiaire ? En mettant des fillettes innocentes dans les
mains d’ogres sanguinaires et de brigands sans foi ni loi ?
«Les livres pour enfants doivent donner à l’enfant le goût de la vie, même si ce goût est
amer», dit l’iconoclaste auteur, tortionnaire de poupées Barbies qui s’exila au Canada,
puis en Irlande comme le raconte le passionnant documentaire que lui consacre Brad
Bernstein. L’Esprit frappeur débute étrangement par une scène où Ungerer se ferme
comme une huître, victime de l’une de ses crises d’angoisses récurrentes.
Liberté. Né en Alsace dans une famille d’horlogers, marqué par la mort prématurée
d’un père et l’occupation nazie, le jeune homme part à la conquête de New york avec
une barbe en collier à la Lincoln et 60 dollars en poche. Son style unique, viscéral,
s’épanouit aussi bien dans la publicité, le dessin enfantin et érotique que dans la satire
sociale et politique. Le gamin nourri à la propagande de Hitler et Goebbels l’a retournée
rageusement contre la guerre et la ségrégation raciale, avec ses affiches coup-de-poing
qui ont marqué une génération, comme celle de ce Vietnamien à qui l’on enfonce la
statue de la Liberté dans la gorge.
Liberté et insoumission, deux maîtres mots dans l’œuvre du prolifique dessinateur qu’on
peut aussi (re)découvrir au musée Tomi Ungerer à Strasbourg qui expose en ce
moment sa collection de jeux et jouets parfois transposés dans ses livres.
Marie Lechner
© Libération
18 décembre 2012
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