l’énonciation sociologique : les concepts qui supportent la généralité des énoncés dans les assertions
portant sur le monde historique sont des « abstractions incomplètes » dans la mesure où ils conservent
une référence tacite à des coordonnées spatio-temporelles. Le sens de ces semi abstractions
construites par le sociologue ne peut jamais être désindexé des « contextes » de construction.
Il s’en suit que l’énonciation sociologique est caractérisée par :
- une anarchie indépassable de la conceptualisation des informations de base, qui renvoie
à l’incapacité de la sociologie à formuler un langage « protocolarisé », à former un
système stable et unifié ;
- une mobilité constitutive des constructions théoriques supportant la généralité des
énoncés ; mobilité qui renvoie au champ d’observation empirique sans cesse mouvant,
redéfinis, sur lequel portent les énoncés finals.
Cet état mouvant et encombré du vocabulaire sociologique tient à des rapports non stabilisés et non
stabilisables entre le langage conceptuel de la théorie et les exigences de l’observation lorsque celle-ci
porte sur une réalité historique.
« Les sciences considérées comme historiques soumettent en effet à l’enquête une réalité
toujours différemment configurée, c’est-à-dire, par différences avec les sciences sociales
« particulières », des ensembles indécomposables de co-occurrences historiques qui se
présentent toujours à l’observation comme des séquences ou des configurations réfractaires à
la décomposition expérimentale. »
La finalité des sciences historiques étant par définition la reconstruction interprétative de la réalité,
seule la langue naturelle, avec ce qu’elle implique d’inconvénients pour la généralisation des énoncés,
permet de rendre véritablement compte de cette réalité du cours du monde historique.
La sociologie est ainsi constituée d’un ensemble de constructions théoriques fondées sur l’observation,
la mesure et la comparaison réglées mais qui se laissent coordonner dans une aucune théorie
généralisée des systèmes sociaux.
Le problème de l’énonciation sociologique est celui du « trop ou trop peu » théorique. Les concepts
penchant vers l’excès du « trop » théorique sont les concepts « polymorphes » : concepts sans cesse
redéfinis selon l’objet particulier de recherche.
Un concept polymorphe est un « carrefour de séries opératoires » qui ne peut être synthétisé par une
formule canonique mais où l’on peut se placer pour interroger, en fonction d’un projet d’observation, les
analyses historiques.
Les concepts qui, au contraire, penchent vers le trop peu théorique sont qualifiés de concepts
« sténographiques » : ce sont des définitions qui confient à un mot spécialisé la tâche de résumer une
analyse sociologique susceptible de mobiliser immédiatement les données qui l’ont rendue possible. Ces
concepts font preuve d’une précision empirique certaine mais sont incapables de s’organiser en système
conceptuel qui les relierait les uns aux autres afin de rendre compte avec une généralité croissante des
régularités ou des configurations qu’elles baptisent en ordre dispersé.
Renier la mobilité perpétuelle des cadres de la recherche revient à renoncer à décrire les conditions
réelles de cette entreprise théorique d’interprétation du monde empirique. L’inachèvement théorique
constitutif de l’entreprise sociologique transparaît dans cette abstraction incomplète des concepts.
Par ses pertinences descriptives sans cesse mouvantes et l’ouverture de ses questionnements
théoriques, la sociologie est ce « projet inépuisablement comparatif ».
13. Des concepts typologiques