Chapitre I : Une présentation de l`industrie des Hedge Funds

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Le pouvoir de déstabilisation des Hedge Funds :
Evaluation empirique sur les indices boursiers
Février 2009, Version préliminaire
Franck Martin, Ngo Tran, Guillaume Queffelec, Jean-Sébastien Pentecôte
CREM, UMR 6211, Université des RENNES 1
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Introduction
Depuis le début des années 90, plus particulièrement l’attaque sur la Livre Sterling par
Sorros en 1992 et la crise de change asiatique de 1997, la question des Hedge Funds est
devenue un champ exploratoire à part entière, riche d’une abondante littérature. Tant la
communauté scientifique que les autorités de régulation se sont intéressées à cette
« industrie » en forte croissance, qui évoluait jusqu’ici dans la discrétion la plus totale. Bien
qu’appréciés pour leur rôle présumé bénéfique sur les marchés financiers en terme de liquidité
et de découverte des prix, la quasi-faillite d’LTCM en septembre 1998, il y a tout juste dix
ans, a révélé les enjeux d’importance systémique liés à l’existence de ces fonds
d’investissement privés. En effet, leurs stratégies opportunistes à forts effets de levier
constituent potentiellement une menace pour la stabilité financière, au regard des multiples
relations qu’ils entretiennent avec les banques. La faiblesse des dispositions réglementaires en
matière d’endettement des fonds leur permet un recours presque illimité à la vente à découvert
ainsi qu’aux actifs complexes, tels que les contrats à terme et les produits dérivés. Le
problème des leviers est donc central lorsqu’on aborde la question des Hedge Funds, car bien
que ceux-ci ne représentent encore qu’une faible part du montant des transactions sur les
marchés financiers, leur endettement, parfois excessif, peut constituer un risque de faillites en
cascade de nature à provoquer de véritables crises financières.
De ce point de vue, leur rôle déstabilisant a pu être mis en lumière suite à l’incident LTCM
dans le rapport intitulé « Report of The President’s Working Group on Financial
Markets : Hedge Funds, Leverage, and the Lessons of Long-Term Capital
Management » (1999).
Ainsi, de nombreux auteurs réinterprètent l’histoire financière récente par le prisme des
Hedge Funds, cherchant à identifier des corrélations entre leurs positions et les violentes
perturbations qu’ont connues les marchés financiers ces vingt dernières années. Dans leur
article « Do Hedge Funds Disrupt Emerging Markets ? », FUNG W., DAVID A., HSIEH
A. et TSATSARONIS K, identifient effectivement la présence des Hedge Funds sur les
marchés des devises frappées par la crise asiatique de 1997.
Cependant, la question des leviers dépasse le cadre strict des faillites bancaires et des crises
financières. L’endettement excessif peut avoir pour autre conséquence d’offrir aux Hedge
Funds la capacité d’influencer le marché de manière quotidienne via l’impressionnante
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quantité de fonds qu’ils sont capables de mobiliser sur une classe de titres spécifique et sur un
laps de temps très court. On imagine dans ce contexte qu’ils sont en mesure d’entraîner le
marché sur des tendances dont ils sont à l’origine, profitant des comportements irrationnels
des spéculateurs mal informés pratiquant le mimétisme, qu’on appelle également Noise
Traders.
Cette approche du pouvoir déstabilisant, attribué aux Hedge Funds, est pourtant peu envisagée
par la littérature et reste encore particulièrement pauvre en matière d’évaluation empirique.
Ainsi nous proposons ici de vérifier cette hypothèse à l’aide d’une modélisation VAR en
étudiant l’impact de la rentabilité des Hedge Funds adoptant des stratégies dites « Global
Macro » sur le marché actions américain.
Le présent travail s’articule de la manière suivante. Dans un premier temps, le chapitre
premier a pour but de fournir une définition plus précise de ce que sont les Hedge Funds et
d’aborder de manière brève l’ensemble des problématiques qui les entourent. Ensuite, le
chapitre deux propose, sur la base des articles « Noise trader risk in financial market »
(1990) et « Positive feedback investment strategies and destabilizing rational
speculation » (1990) de DELONG, SHLEIFER, SUMMERS et WALDMANN, une approche
théorique de la stratégie menée par les Hedge Funds, pouvant être à l’origine de déséquilibres
de prix. Enfin, le chapitre trois tente d’évaluer à l’aide de plusieurs VAR bivariés l’impact des
Hedge Funds sur les marchés actions.
Chapitre I : Présentation de l’industrie des Hedge Funds
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Avant de se plonger au cœur du sujet, il est nécessaire d’avoir en tête une photographie de ce
qu’est l’industrie des Hedge Funds. Ainsi, l’objectif de cette première section est de proposer,
sur la base de la littérature disponible, une vue d’ensemble des problématiques liées à
l’existence de ces fonds d’investissement privés.
Ce qu’il faudra retenir en quelques mots et qui guidera l’analyse qui va suivre, est
principalement l’aspect obscur du contexte dans lequel ils évoluent. Le manque de législation
harmonisée sur les marchés mondiaux ralentie de manière considérable le travail de collecte
de données nécessaires à toute étude économique.
D’autre part, la complexité des stratégies qu’ils adoptent, couplée aux montants colossaux des
capitaux qu’ils gèrent, rend difficile la bonne modélisation de leurs comportements et leurs
conséquences sur le fonctionnement des marchés
Cette entrée en matière tentera donc dans un premier temps de les définir, en prenant soin de
rappeler les évolutions récentes de cette industrie en plein essor ; puis dans un deuxième
temps, nous tenterons de présenter de manière simple, les bases de leurs stratégies ainsi que
leurs implications sur la stabilité financière. Enfin, nous passerons en revue les différentes
thématiques abordées par la littérature qui constitue le point de départ de ce travail.
Section I : Définition
Lorsqu’on aborde la question des Hedge Funds, la première difficulté se résume bien
souvent à en donner une définition. En effet, il n’existe pas de définition au sens juridique,
néanmoins un consensus semble être trouvé auprès des économistes autour de quelques
critères similaires entre les fonds permettant de les distinguer.
La traduction littérale française du mot Hedge Funds, c'est-à-dire Fond de couverture,
constitue en soit une erreur. Ces fonds ne cherchent pas à se couvrir du risque en prenant des
positions de sens opposés sur les marchés, au contraire ceux –ci s’exposent au risque de
manière délibérée afin d’obtenir de fortes rentabilités.
Les Hedge Funds sont des fonds d’investissement privés spécialisés dans la gestion
alternative, qui consiste à exploiter une large gamme de produits financiers (option et produits
dérivés), dont le but est de désynchroniser le portefeuille d’actifs des aléas du marché afin de
lisser et maximiser sa rentabilité. On parle aussi de stratégie de "rendement absolu" car leur
performance n’est pas mesurée comparativement à un indice de référence, ou benchmark.
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Les Hedge Funds jouissent dans le domaine de la diversification des produits financiers d’une
liberté quasi-totale, ce qui constitue un des éléments majeur de leur originalité. En effet,
aucune limite ne leur est imposée quand à l’utilisation d’actifs complexes.
Une autre caractéristique particulière est leur recours massif et illimià la vente à découvert.
Ce mécanisme consiste à passer un contrat de vente dans lequel on s’engage à livrer une
certaine quantité d’actifs à un prix et une date donnés, alors qu’on ne les possède pas encore.
Si on anticipe la baisse du prix de cet actif, il est alors possible de réaliser une plus-value en
achetant ces titres une fois la baisse réalisée pour les revendre plus cher. A moins d’être
extrêmement bien informé, ce type de stratégie s’avère très risqué, compte tenu du fait qu’a
priori il n’existe pas de limite à l’augmentation du prix d’un titre, les pertes peuvent être
illimitées.
Afin de motiver les gérants de fonds à maximiser les rendements du portefeuille, ceux-ci sont
rémunérés sous forme de commissions de « surperformance ». En claire, lorsqu’ils dépassent
leurs objectifs, ils sont récompensés sous forme de primes. Ce mécanisme incitatif est
certainement à l’origine des bonnes performances de ce type de fonds mais pousse également
ces derniers à une plus grande prise de risque.
Enfin et c’est peut être le point le plus important, leur stratégie est principalement basée sur
les effets de levier financier. On calcule le montant des leviers à l’aide d’un simple ratio :
Total de l’encours / capitaux propres.
On peut distinguer deux manières de faire du levier :
1. La manière « traditionnelle » est tout simplement l’emprunt auprès des banques. Cette
technique a pour principal avantage d’évincer une partie du risque liée aux effets de
levier car la somme due au prêteur est connue de manière certaine. Cependant, elle
impose un certain nombre de contraintes comme le paiement d’un intérêt, un niveau
de collatéraux ou fonds propres importants, le respect des échéances de
remboursement etc
2. Une manière plus « sophistiquée » consiste à utiliser tous les produits financiers qui
permettent de faire de la vente à découvert comme les convertibles, les options et les
contrats à terme. Le risque est évidemment majeur dans ce type de stratégie. Il
nécessite d’être capable d’évaluer la valeur fondamentale d’un titre afin d’exploiter
les déséquilibres de prix mais également d’anticiper les retournements d’anticipations
des autres agents vis-à-vis des rendements que peut générer le titre.
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